Fos-sur-Mer | hommage à Serge Geairain

un petit signe depuis l’atelier d’écriture ArcelorMittal Fos-sur-Mer


Une belle expérience a commencé pour moi en mai dernier, à la requête d’un très vieux complice, le cinéaste Jean-Yves Yagound. Construire un film avec les sidérurgistes d’Arcelor Fos-sur-Mer, le construire avec eux et à partir de leur propre énonciation de leur usine, leur travail.

Bien sûr pas facile d’assumer cela alors que cette aciérie, où toutes les dimensions sont multipliées par 2 ou 4 par rapport à celles de Lorraine – à l’heure où on ferme Florange, la dernière, quand eux-mêmes pour beaucoup sont venus ici depuis la Fensch, et que c’est le même patron, fait la Une de l’actualité sociale.

Mais quel décor fascinant : l’usine s’abouche sur la mer, en reçoit ses matières brutes, et les bobines qu’elle lamine depuis les brames issues de la coulée continue repartent aussi par mer vers des usines de transformation dans tout le bassin méditerranéen.

Dès le mois de mai, je mets en ligne ici, sous le titre Un chant acier, quelques-unes des photographies de repérage de Jean-Yves. Je complète ensuite avec quelques miennes.

En octobre, accueillis par le théâtre de Fos (merci Patrick Vallon), nous nous isolons à une dizaine dans la salle de répétitions. Lamineurs, sidérurgistes, techniciens de maintenant ou ingénieur, et 3 femmes sur les 11 participants (c’est important), je propose des pistes d’écriture qui permettent de remonter la phrase vers l’usine, de l’en faire surgir.

Pour moi, cela tient d’une sorte de magie : ici tout est exacerbé et démultiplié par le feu, le risque, l’histoire, la densité humaine des luttes et du quotidien, le sommeil bousculé des postés. J’apprends, reçois.

Hier c’était le 4ème atelier. Chaque rencontre, j’apporte trois propositions, et nous (Jean-Yves Yagound et Pierre Bourgeois) filmons la lecture que chacun fait de son texte. Ce sera l’armature du travail ultérieur. Naît une usine écrite.

Dans le groupe, une présence qui se veut plus discrète : Serge Geairain est le responsable du Comité d’Établissement, et c’est lui qui pilote les nombreuses actions et rencontres culturelles de l’usine. Un haut lecteur, un baroudeur de plongée sous-marine aussi, et pas un rôle facile : écrire dans le groupe, quand on est aussi l’organisateur, et qu’on est de plus un guerrier de la parole militante, il faut sauter de plus loin dans l’intime de l’écriture. Mais de Serge depuis 4 mois (dans les séances on a à peine le temps de parler, on se rattrape par mails), je réapprends un ancrage.

Ce jeudi après-midi, j’avais apporté L’été 80 de Marguerite Duras, 10 variations d’écriture avec point d’énonciation spatialement fixe, chez elle 10 samedis d’affilée. Demain samedi je mets en pages la séance. Mais ce soir, en remerciement et hommage, et nonobstant la volonté de Serge Geairain de rester en retrait, je mets en ligne ce qu’il a écrit pour cet exercice, le choix de voir l’usine en surplomb. Je l’accompagne de quelques vues aériennes prises à urbandive.com.

J’insèrerai ici prochainement d’autres textes de cet atelier, mais besoin que leur circulation pour l’instant se limite aux participants et à l’usine. Donc merci, Serge, d’accepter cette mise en ligne comme un hommage simple et amical.

Voici cependant, pour les curieux et les amis, à lire en ligne, le cahier résultant de notre deuxième séance : Un chant acier – cahier 2.

 

Serge Geairain | Elle est là, notre usine


Elle est là, cette usine ! De L’Hauture [1], je la surplombe. À mes pieds ces cuves de pétrole, des millions de mètres cubes. Puis ma boîte, mon usine. Elle a à ses pieds à elle la mer. Notre mer. Le ciel est bleu, la mer est calme, plate dit-on, quelques fumées s’élèvent à droite, on la dirait au ralenti, sans bruit, comme endormie.

Elle est là, cette usine. Je la vois de haut. Tout bouge, tout vole, le mistral est au plus fort, c’est la tempête. Non, c’est le mistral. Les fumées sont couchées et plus fines, elles s’éloignent vers la mer, rejoignent ces paquets de mer. Bien plus que des moutons, ils s’agitent, eux aussi.

Elle est là, mon usine. Je suis au-dessus d’elle. Tout est calme, trop calme. Les grandes cuves n’ont pas bougé, les ateliers et les cheminées ne bougeront pas. Aucune fumée, aucune vie. La mer est lisse, un miroir dans lequel rien ne se reflète. Est-elle morte, est-elle fermée ?

Elle est là, notre usine. En dessous de nous. Tout est rougeoyant. Les cuves reflètent l’orangé du soleil couchant. Les fumées de l’aciérie se mélangent aux torchères et colorent le ciel et l’air. Les ombres des bâtiments prennent les mêmes teintes et les jettent à la mer.

Elle est là, notre usine.

 

[1Entre la ville de Fos-sur-Mer et l’usine, le rocher en surplomb avec le château de L’Hauture, seule élévation sur l’horizon de la Camargue et de la mer. FB.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 novembre 2012
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