la vie tablette, et quoi faire avec

de la place de la tablette dans nos usages, et qu’il faut mettre des textes dedans


C’est pourtant un petit hypermarché de bord de ville, mais voilà : les tablettes déferlent. Comme nous en avions rêvé pourtant, il y a 15 ans, il y a 10 ans, il y a 5 ans, de comment ça pourrait marcher, de ce qu’on en ferait, sans même trop y croire, mais à mesure que la vie web progressait. Et puis, avril 2010, c’est à l’université de Rhode Island, l’iPad était en vente depuis 4 jours et Jean-Philippe Toussaint avait la sienne.

Aujourd’hui, est-ce que je m’en sers ? Oui, tous les jours.

Pour quoi faire ? Pour lire confortablement le web, le lire hors position corporelle bureau et astreinte ordi. Et puis pour lire dans le train, lire la nuit, sans même d’éclairage à côté. Donc, la tablette pour moi n’est pas un ordi, elle est un objet utilitaire qui s’efface devant un autre usage, celui du web, qui lui m’est nécessaire.

Est-ce que j’écris différemment ou autrement ? J’ai des amis proches qui ont acclimaté totalement l’iPad pour écrire, je pense à Benoît Melançon, Arnaud Maïsetti, Jean-Christophe Courte. Le logiciel Daedalus m’impressionne considérablement. Pourtant, le changement que ça induit pour moi, ça a été l’achat d’un tout petit ordi pas plus gros que l’iPad, mais ordi quand même, le petit MacAir sur lequel là tout de suite j’écris, relié au 3G via mon téléphone, à une terrasse sur la place de Manosque, où j’interviens tout à l’heure dans les Correspondances.

Qu’est-ce qui m’a surpris en passant devant ces tablettes mises à profusion, dans le lieu principal de vente, à l’entrée du supermarché ? La banalisation de l’outil, un. La baisse très relative des prix, deux (la Samsung est juste un peu moins chère que l’iPad, la Sony un peu moins, les Archos n’ont pas l’air présentes).

Qu’est-ce que l’usage populaire de l’iPad, qui justifie ce déferlement ? Je vois bien dans le trian – plutôt l’usage loisir, la vidéo tout d’abord, mais tout simplement la fonction réseau.

Pollution sociale ? Que je repense à la place que prenait la correspondance privée et l’information (via le journal local, les journaux spécialisés, les brochures ou catalogues) dans la vie des années 50-60 connue via mes grands-parents, l’activité de correspondance mail, les usages incroyablement créatifs de Facebook, malgré le déferlement bon tient qui semble tant à la mode, et la curiosité dans les flux de création et dissémination de ces micro-communautés (oui, le statut de correspondance privée évolue, parce que l’outil permet d’autres usages que l’ancienne coupure binômiale privé/public), ou hier ce contrôleur de train, assis dans son espace réservé, et qui révisait avec densité son album photo, ces usages de la tablette ne mènent pas forcément à des usages denses, comme on peut rêver que la lecture de textes de création contemporaine en soit l’exemple.

J’ai tendance à penser que la banalisation de la tablette, à preuve cette dissémination à échelle massive que semblent initier désormais les hypermarchés, correspond à une banalisation dans la répartition des usages. Il sera aussi difficile, mais pas plus difficile, de diffuser de la littérature contemporaine via les tablettes. Ou de faire en sorte que l’usage banalisé des tablettes laisse une place à la lecture dense, de même que dans la vie civile il n’est pas si facile d’orienter vers ces textes et les lieux (pas si nombreux) qui les proposent.

Dans cette banalisation, nous avons cependant un atout merveilleux : nos sites, à preuve que vous êtes sur cette page. Le site est pour moi une activité plaisir, mais bien au-delà aussi, il est mon lieu de réflexion en directe et sans préméditation (à preuve que je mettrai en ligne cet article dès que rédigé, là sur cette table de terrasse à Manosque), et aussi mon lieu d’élaboration esthétique. La fréquentation de mon site, 1500 visites individuelles par jour, 45 000 par mois, n’a rien à voir avec mon audience en tant qu’artiste contemporain, étagère littérature contemporaine de surcroît, mais n’induit pas de modèle économique associé, contrairement à la vente d’un livre, et n’induit pas automatiquement que la consultation de mon site favorise l’achat de textes sur publie.net (ô si, détrompez-moi, je vous en prie...), alors que de plus en plus ces deux activités me semblent liées, et que la prestation payante de contenus réservés, avec degré d’élaboration collective et plus affinée, produite comme on le fait d’un disque ou d’un film, me semble la respiration nécessaire à l’espace du site. Mais, malgré cet élargissement (et voir ma sélection de 130 blogs, suis pas tout seul et heureusement), l’impression qu’on ne bouleverse pas automatiquement les anciennes cloisons, elles ont trop tendance à se reproduire sur le web.

A preuve qu’on ne va pas acheter en librairie une tablette qui aurait affinité avec la propulsion de contenus denses, comme l’est publie.net.

Et pourtant on avance : la tablette Samsung qu’on voit sur la photo vient de se doter d’une librairie, un Reader Hub Store. Que grâce à l’équipe technique de l’Immatériel-fr nous sommes des premiers à en être, comme nous avons été les premiers à roder iTunes quand les éditeurs tradi se bouchaient le nez, avant que la loi du porte-monnaie l’emporte sur leur incompréhension fondamentale.

Et ce même jour où je photographie la Samsung dans l’hypermarché, nous embrayons qu’à la foire du Livre de Francfort, un texte contemporain de chez les contemporains, écrit par un webeux de chez les webeux, sera offert plein mur aux visiteurs via un QRCode sur leurs smartphones... On vous raconte ça tout bientôt, là on est 5 à avoir le nez dans le guidon.

C’est ce qui nous tient pour continuer. Rien de fixe encore.

Mais un truc évident, pour nous qui pratiquons la tablette, malgré les kilotonnes de connerie que déverse à même proportion les tenants de la vieille culture notable, celle qui s’approprie les postes de facs à vie, les institutions culturelles à vie, les suppléments littéraires avec le menton relevé de dix centimètres à chaque mot : Internet propulse tout, comme la surface du monde propulse tout, et la ville accentue le désordre de cette propulsion et sa tendance à aller vers le bas en même temps qu’elle porte le très haut, comme les outils de pointe du web accroissent la tentation du bas en même temps qu’elle nous permet de mieux en mieux de propulser le très haut.

Mais que c’est un combat. De tous les jours, de toutes les minutes. Et ce qui est dommage, pour ceux qui se bouchent le nez et ne comprennent pas Facebook, Wikipedia, l’écriture blog et la tablette dans le sac, c’est qu’ils ne sont pas à l’endroit où il faut se battre pour que les contenus soient ceux du haut, et diffusent hors des vieilles cloisons.

Hier, bilan comptable pour l’exercice 2011-2012 de publie.net (au 31 juin) : 76 000 euros de chiffre d’affaire, dont 13 000 de droits d’auteurs versés, contre 11 000 l’année d’avant, et chiffre d’affaire donc en hausse de 64% par rapport à celui de l’exercice précédent, le plus fort taux de croissance d’Indre-et-Loire, figurez-vous. Mais, en même temps, la solidification, deux codeurs-créateurs qui interviennent (et facturent, bien légitimement) pour chaque ouvrage, la lecture-correction qui se rémunère aussi, donc en gros – le noyau d’abonnés n’a pas tant progressé – une situation plus précaire et fragile qu’il y a un an.

Alors dites, après tout ça, sur votre tablette toute neuve ou déjà bien usée par le cartable, vous les lisez, nos deux Ouvrez mis en ligne ce matin ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 septembre 2012
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