trois rêves

album lentement décanté des rêves qui reviennent


Dans ce rêve, ma peau était semée de zones dépigmentées. J’ai déjà vu ça autrefois sur quelqu’un : il paraît que c’est un genre de champignon, et ça se soigne apparemment sans problème. Mais cette dépigmentation prenait sur moi un côté plus menaçant : aucun reflet sur ces taches, et je découvre qu’elles sont multipliées sur mes jambes, en partant de l’intérieur. Et puis une curieuse dépilosité. J’ai l’impression que je n’aurai plus de coquille, que je devrai marcher fragile. Ces taches dépigmentées s’assemblent selon des figures géométriques, je prends le temps de les regarder. Il ne faudrait pas que les autres s’en aperçoivent : au demeurant, non, ils ne s’en aperçoivent pas, ou pensent que c’est dû simplement à la prise d’âge. J’ai maigri aussi, beaucoup trop.

Qu’un rêve soit noir entièrement. Non pas qu’on soit en rêve dans un espace noir, mais voilà : j’aurais tenu ce grand cadre noir. Une image noir devant moi, et tel était mon rêve. J’aurais eu moins peur dans le noir : un ami, très myope, m’a dit récemment qu’il était entraîné, comme tous les grands myopes d’après lui, à se déplacer dans le noir. Moi aussi m’arrive, me déplaçant de nuit, même une chambre de passage, de garder les yeux fermés sans m’en apercevoir, seulement confiant dans les sensations tactiles et l’orientation. Pour un myope, dit cet ami, il n’y a pas de noir totalement noir : cela nous soulage même, partiellement, du défaut de la vision diurne. Ce qui était effrayant, dans ce rêve, c’était la sensation immobile : ce cadre avec l’image noire, non seulement je le tenais, mais il me fallait y entrer. En tout cas, l’image dans le cadre empêchait de percevoir quoi que ce soit d’autre. Surluminosité du reste de l’espace, monochrome gris et brillant, pas de pièce, ni de couloir, ni de direction. Le cadre noir avec l’image avait retiré de l’espace éclairé toute possibilité de détail ou d’orientation. Puis je ne sais plus : j’étais entré.

Quelles sont les images de ton rêve ? La ville est silencieuse, et immobile. Qui s’agite et va dans ton rêve ? Ils n’ont pas de nom, ils n’ont parfois non plus de figure. Ils t’appellent, ils te parlent ? Ils sont muets, et si j’approche ils s’éloignent. Alors quels sont les mots de ton rêve : on a laissé les mots avec le jour, on va dans la ville du rêve pour en trouver de neufs, si on peut. On monte les escaliers, on entre dans les appartements, on cherche les pièces vides. Ils sont quels, les mots que tu trouves ? Ce sont les mots du vide, les mots de ce qu’on a laissé. Les mots que tu trouves, qu’en fais-tu ? Je les ramasse, je les mets dans mon sac, le sac devient lourd. Il y a des mots dans mon sac, mais je ne sais pas les lire. Tu n’as pas appris ? On n’apprend à lire que ses mots à soi, pas les mots de ceux qui ont habité le passé. Moi je ne connais que ces chambres vides.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 octobre 2009
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