formes d’une guerre | profération sur le mot "seul"

« addition des seuls ne fait pas l’ensemble »


Le nombre de gens ici qui pensent seuls. Le nombre de gens ici qui vont seuls. Le nombre de gens ici qui regardent seuls. Le nombre de gens ici qui attendent seuls. Le nombre de gens ici qui marchent seuls. Le nombre de gens ici qui sont seuls parce qu’on ne parle pas aux gens seuls. Le nombre de gens ici qui sont seuls quand bien même ils agissent, marchent, attendent, bougent, vont, font, déterminent, croient, payent, mangent. Tu as remarqué le nombre de gens qui mangent seuls ? Moi dans ce cas je préfère ne pas manger. Tu as remarqué le nombre de gens qui attendent seuls ? Moi dans ce cas je ne sais pas si c’est attendre, ou seulement être. Tu as remarqué le nombre de gens qui marchent seuls ? S’ils savent où ils vont, ça se voit, ceux-là ne nous intéressent pas : mais ceux qui marchent rien que pour aller. Et ceux qui sont seuls à une fenêtre, très haut dans les étages parfois, et toi tu les photographiais. Et ceux qui te regardent, un instant, et toi comment tu saurais pourquoi ils te regardent. Et ceux qui attendent longtemps près de toi, et finalement vous échangez une parole, et rien ne vous aura rapprochés. Et ceux de l’autre côté du guichet, de l’autre côté du bureau, aux commandes de la machine : il y a ceux qui font les gestes qu’il faut et ceux-là ne nous intéressent pas, il y a ceux qui sont traversés d’ailleurs et ceux-là comment s’en approcher ? Le nombre de gens ici dont le corps va seul. Le nombre de gens ici qui n’attendent rien parce que seuls. Le nombre de gens ici que la ville a laissés au soir dans leurs cases closes et les cocons où on est seuls. Et toi tu vas aux vitrines, tu vas aux lumières, tu vois les bars, tu entends les fêtes, tu traverses à contre-sens le couloir du métro aux odeurs et bousculades et rien qui soit seul que la ville de tous, qui est seule. La ville de tous les seuls fabrique des exceptions de famille, crée les rassemblements provisoires des corps dans les alvéoles, la ville assène son bruit et parce que dans le bruit on ne fuit pas elle rejette en ses bords l’idée qu’on y est seul. On ne parle pas aux seuls. On ne partage pas avec les seuls, on ne mange pas avec les seuls. Parfois on danse. Parfois on prend qui est seul dans ses bras et on danse et il est mort, cela veut dire : il est mort. Parfois tu danses seul, tu clos tes bras sur toi et tu danses, tu es mort, tu es seul.

 

 

 

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 28 octobre 2009 et dernière modification le 24 août 2009
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