(rencontre avec) toi en mort

du rêve et de ses perceptions du noir, des lieux, des figures


Dans l’enfoncement noir où tu te défends des rêves. La pièce où on rêve n’a pas de limites : les murs ne sont pas visibles, l’ombre vient trop proche. Dans la pièce aux rêves tu as les yeux écarquillés mais ce que tu vois vient de dedans. Dans la pièce où tu rêves les gestes trouent le noir. Si tu tombes, dans le noir, si on te poursuit, noir, si tu avances ou cours ou voles même : là, sur place, dans le noir, et les murs tu ne les rencontres pas. L’obscurité a des yeux, elle griffe et lacère et enserre et presses, l’obscurité te distend et t’oppresse tour à tour, l’obscurité ne t’est jamais complice – des griffes et lacérations de couleurs, des scintillements rapides, et les plaies plus blanches ou pâles mais impalpables de ce qui semble en toi entrer et tout colmater. Les figures du rêve sont grinçantes : il en est qui se voient dans leur rêve, il en est qui s’accompagnent en double dans leur rêve, il en est qui hurlent ou font des discours ou composent soigneusement des musiques dans leur rêve. Toi tu te défends des ombres. Toi, tu accueilles et acceptes les doigts qui s’en viennent sur ton visage, et tu accueilles ces remuements de sphères lourdes qui rongent ta gorge et l’arrière des yeux. Les murs pourtant sont là, les murs tombent et craquent. Tu avances, tu enjambes, tu protèges ta tête. Le sol aussi tangue. Le rêve est un élan sans appui fixe, tu en es le centre mais ce mouvement qui t’aspire en arrière tu n’en es pas maître. L’enfoncement noir est la pièce où tu rêves. Elle-même est mobile. À bout tu t’allonges ici, et c’est une planche ou le sol, ou l’angle dans la pièce ou ce divan chez les inconnus où provisoirement tu loges, ou là dans la salle d’attente de la gare, il y a eu aussi les hôpitaux ou ces journées dans des hôtels et la ville ne t’attirait pas – les rues et chambres qu’au dedans tu arpentes oui. Le travail du rêve est ce monde qui te requiert quand toi tu ne sais plus. On n’a pas de coquille. On s’est endormi dans le fond de la voiture, ou bien quand on s’est réveillé cet autocar fonçait encore dans la nuit mais sur quelle route tu ne savais plus. Le rêve est la séparation du corps et de son lieu, tu avais noté. Les plaies, l’enfoncement, les lacérations et la lumière, comment tu les aurais notées ? Ce visage qui te regardait de si près, ce visage que tu nommais toi en mort pour t’en défendre, il était là devant toi à cet instant, immensément en détresse, immensément proche – toi tu te taisais parce qu’à ce moment-là dans le rêve on se tait, forcément on se tait, et l’image progressivement avait cessé, et s’intensifiait cette très douce et pacifique détresse à mesure que l’éloignement se faisait irréversible, que le rêve était clos sur lui-même et toi sur cette couche que tu reconnaissais vaguement, maintenant. Au dehors la ville était sombre, au dehors la ville avait déjà perdu son jour.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 octobre 2010
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