Stones, 35 | de la culbute à Toronto, et ce qui s’ensuit

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Le nom même de Toronto évoquait si peu pour nous. On aurait à peine pu le situer sur une carte, quelque part dans le Canada, et pourquoi ce bled-là. Il y a pourtant une tonicité propre à Toronto : les lois canadiennes sur l’immigration sont moins sévères que celles du voisin US, et c’est pourtant, dans le dédale des grands lacs, une ville qui regarde bien plus les US que l’hostile colonie préservée par la reine après l’indépendance US, les plaines désolées du Manitoba de Gabrielle Roy (qui n’est toujours pas en Pléiade, reste colonial aussi), Vancouver la grise mais ouverte à l’Asie qui lui fait face, et, à l’est, Ottawa administrative et jalouse. Toronto est une ville qu’on ne peut qu’aimer, et qui restait quand même un vague marchepied anglais avant d’entrer chez les Yankees – il n’était pas prévu que Keith Richards y trébuche, et avec lui le groupe tout entier.

Je ne reprendrai pas les choses factuelles, elles sont claires et partout détaillées, rien à eu à reprendre de mon livre. Les Stones arrivent le 20 février 1977 à Toronto et s’installent dans l’étage qu’ils ont réservé au Harbour Castle Hotel. Répéter pour un double concert surprise qu’on veut faire dans une salle à ambiance club, comme dans les débuts, le El Mocambo, et qu’on réservera pour la quatrième face du double album Love You Live, à partir des enregistrements de la tournée 76. Les concerts sont prévus les 5 et 7 mars.

Seulement, le 20, Keith n’est pas là. Ça s’est déjà vu. C’est l’enfoncement dans l’héroïne, les murs qu’on ne veut pas déplacer. Le groupe fait pression. Richards et Pallenberg s’envolent le 23. À l’arrivée, rien sur Richards (il se fait toujours suivre d’un porteur), mais Anita n’a pu s’empêcher de garder sur elle du cannabis. On n’est plus à cela près (le mois précédent, Richards passait encore au tribunal à Londres). Seulement, les Canadiens veillent : le surlendemain, descente de police dans la suite de Richards au Harbour Castle Hotel, ils n’ont pas le temps de tout évacuer dans les WC, saisie d’héroïne et de cocaïne.

Richards, dans sa logique d’artiste que sa stature rend inattaquable, mais surtout dans la déformation du monde à quoi conduit son usage permanent de l’héroïne depuis 10 ans, ne mesure pas la gravité de l’incident : — Et encore, c’était juste notre dose pour le week-end, déclare-t-il. Or, on le poursuit non pas pour consommation personnelle, mais parce que la quantité saisie implique usage collectif, donc qu’on le poursuivre comme revendeur et pourvoyeur.

Ils savent dès lors que l’orage cette fois sera massif. Mais la machine est encore dans les brumes. Richards est libre sur caution, mais ne peut quitter la ville. Dans les jours à venir, malgré le risque et la surveillance, Wood et Wyman lui apporteront eux-mêmes l’héroïne nécessaire pour éviter la terrible réaction au sevrage, le cold turkey. Il n’assistera qu’à une ou deux des répéttions.

L’affaire se complique par le côté très anglais de la presse à scandale de Toronto. Margaret Trudeau, l’épouse du premier ministre lui-même, a semble-t-il fini sa nuit avec un Rolling Stone. Il s’agit de Ron Wood, mais les journaux mettront Mick Jagger à la place. Le bruit énorme de ce rien du tout évacue l’affaire Keith, mais en même temps la positionne comme affaire nationale, pour la revanche.

Pour ce qui se passe au Mocambo, lave noire, musique rauque et puissante, par ces types de 45 ans, écouter Love You Live (et ci-dessous).

Ensuite débandade. Watts part le premier, excédé. Jagger et Wood ont un prétexte : ils doivent être à New York pour mixer les prises Mocambo et finaliser Love You Live. Wood prend la place de Richards aux côtés de Mick.

Wyman (et Astrid Lundstrom), reste sur place avec Stu. Sais pas si Richards lui en sera reconnaissant.

Pèse sur Richards une condamnation possible à 5 ou 7 ans de prison. Il n’y a plus de contournement possible. Le Canada est plus strict que l’Angleterre, et se moque bien du scandale qu’une telle histoire créerait à Londres. D’autre part, les accords Canada-US privent totalement Richards de l’entrée aux States, même pour raison professionnelle.

Alors il fait profil bas. Le procès est repoussé à juin, puis juillet, puis décembre. Chaque étape est considérée par ses avocats comme du temps gagné. Le plus difficile pour lui c’est peut-être ce qu’a déclaré Mick à New York : les Rolling Stones ne s’arrêteront pas pour la défection de Richards.

Richards accepte tout : l’obligation de soins, la caution, l’astreinte à résidence. Ils font jouer les obligations professionnelles pour obtenir quand même un droit de résidence aux US, tout vaut mieux que le Canada bigot (au tribunal c’est toujours la reine – The Crown – qui parle et punit). Choix de Meg Patterson pour les soins en clinique, dont assignation à résidence dans le New Jersey et ne pas s’éloigner d’un rayon de cinquante kilomètres de Philadelphie. La relation avec Pallenberg finira là, mais Richards ne sait pas que son installation aux US, à South Salem ensuite, est définitive – il deviendra résident américain.En juillet, moyennant preuve des soins et de la bonne volonté, il obtient de rejoindre Jagger à New York pour le mixage et les overdubs.

Richards rechutera, ne cessera jamais la cocaïne, mais globalement notons ce paradoxe : la société anglo-américaine, qui ne savait pas, dans le début des années 70, adapter son arsenal législatif, voyait se multiplier les overdoses et le commerce de la dope, sait désormais réagir. Là où Richards n’a pas réussi à s’extirper de la dépendance, le coup de semonce juridique en aura raison.

Ce qui reste de Toronto : une fois les Stones partis, Stu reste avec Richards. Ils s’enferment en studio et enregistrent une vingtaine de maquettes, principalement les chansons que Richards chantait avec Gram Parsons. Clairement, pour assurer une survie artistique de Richards, hors Stones, en cas de prison.

La libération viendra seulement en octobre 78. Richards en costume et le plus poli possible, Yes Sir, Yes Sir au procès. Une amende lourde évidemment, la continuité des soins, et cette injonction d’un concert au bénéfice des institutions de jeunes aveugles de Toronto. Ainsi finit son propre aveuglement. Le concert sera donné par les New Barbarians. En février, à Paris, avec les enregistrements pour Some Girls aux studios Pathé-Marconi de Paris, la troisième et ultime phase des Rolling Stones a commencé.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 août 2012
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