Maupassant sans vertu, Fumaroli avec

de l’art de se perdre dans les livres


Non non, aucun lien entre Fumaroli et Maupassant, juste que j’aime bien ici, dans ce journal, pratiquer la dérive libre et que partant de l’un, un peu de bile accumulée est sortie sur l’autre.

Mais au passage voici deux liens précieux (voir ci-dessous, sinon vous ne liriez pas) : la chapelle du père Mathieu dans Un normand, le Discours sur la vertu de M. Fumaroli, de l’anthologie...

Un des effets mineurs, mais pas si mineur qu’on ne réouvre la boîte à questions : c’est l’édition, dans ses habitudes, ses lois commerciales aussi, qui dresse rétrospectivement le masque d’un auteur.

Maupassant écrivait comme on fait dans nos blogs : un jour un récit de voyage, un jour un souvenir, un jour une bribe de fiction, des notes sur les choses vues, et l’écriture d’un auteur c’est ce permanent assaut de réel. Mais on ne retient que l’ensemble fiction, les recueils de nouvelles.

Il faudrait aussi revenir encore et encore sur l’usage disproportionné des romans de Maupassant dans le système scolaire, quand ce dispositif de nouvelles, et quelques-uns des plus insoutenables, des plus comiques et plus fortes, y seraient tellement plus utile.

Mon admiration de Maupassant, c’est qu’une fois tous les deux mois, au moins - et depuis combien d’années ? - il y a vouloir relire tel ou tel récit, que je ne le retrouve jamais du premier coup, et que me voilà à en relire toute une poignée, de même fraîcheur, de même surprise.

Lu aussi, récemment paru en poche, La Maison du docteur Blanche, avec hallucinante description via les archives de la terrible agonie de Maupassant, et comment sa mère ne s’est même pas déplacée pour l’enterrer.

De ce principe d’éditer un auteur chronologiquement, et non en le réorganisant par genre, la question est posée pour d’autres. Ainsi des absurdes divisions des 4 tomes de Kafka en Pléiade, comparées à l’édition allemande (ou la réussite du Pléiade Michaux, qui pourant avait à gérer des récurrences bien complexes). Ainsi du Quarto récemment consacré à Balzac par Isabelle Tournier, et la charge de cavalerie exercée à son encontre dans le Monde par l’arrogant, le pompeux, le normatif et agressif Fumaroli : qu’il écrive ce qu’il veut, celui-là, depuis son Académie et son Collège de France, qu’il parvienne de son vivant à se statufier comme le grand auteur qu’il ne sera jamais, c’est son affaire, mais l’utilisation de ses positions de pouvoir pour régenter la pédagogie et la langue, marre. Heureusement que sa langue bouffie a sans doute dissuadé la plupart des lecteurs d’aller plus loin que la première colonne, et que le Quarto Balzac chronologique trouve ses lecteurs...

Bon, retour Maupassant, parce que je retrouve ce texte, écrit à je ne sais plus quelle occasion, je crois pour la bibliothèque de Bezons qui voulait une parution et a laissé tomber en cours de route.

Lire Maupassant : le lire comme un blog. Récits, mais aussi voyages, notes de société, une seule écriture, de multiples formes, en amont de la fiction : ce qui reste d’images après lire, et comment cela se décroche : relire L’Épave, relire Miss Harriet ou La bête à maître Belhomme...`

à lire :
 dossier Maupassant de l’adpf
 site des amis de Maupassant (liens vers textes en ligne)
 Maupassant à la bibliothèque de Lisieux, merveilleuse sélection... Lisez donc ce qui concerne la chapelle du père Mathieu : une de mes préférées encore.
 le discours sur la vertu de M. Fumaroli, académicien, parce que je ne supporte pas sa charge anti-balzacienne à l’encontre du Quarto d’Isabelle Tournier (j’en ai parlé dans la Quinzaine Littéraire, mais ai effacé le fichier...)

Charge de M. Fumaroli, maître en vertu, à l’encontre d’Isabelle Tournier, éditrice revisiteuse de Balzac. Si ça ne vous donne pas envie de lire le Quarto mieux que 50 compliments, j’abandonne :

Isabelle Tournier, éditeur de Nouvelles et contes, tome I (1820-1832), dans la collection « Quarto » (Gallimard), se rebelle contre ce « fétichisme » qui canonise le dernier Balzac, écrivant à partir de 1832 « au double flambeau de la Religion et de la Monarchie » et, à partir de 1833-1834, avec le dessein d’ériger un édifice romanesque digne de La Divine Comédie et capable (selon lui) de forcer les répugnances de l’Académie française. Interprète de l’autre parti de balzacistes érudits, Mme Tournier a voulu mettre en lumière un autre Balzac, auteur de brefs récits (qu’on les appelle nouvelles ou contes, qu’ils aient été ou non réécrits et réemployés dans La Comédie humaine) ou d’esquisses improvisées et inachevées, un Ur-Balzac, renié ou travesti par le Balzac catholique, royaliste, candidat au prix Montyon et à l’Académie, un Balzac primitif, kaléidoscopique, émietté, postmoderne.

Cette « contre-Pléiade », dans la maison qui publie « La Pléiade », est-elle probante ? Ce coupé-collé de textes courts de premier jet, publiés, souvent sous pseudonymes, dans des journaux de tous bords, juxtapose des chefs-d’oeuvre déjà aboutis et des ratés, selon un dispositif chronologique qui veut restituer la genèse heurtée de Balzac romancier, mère d’une oeuvre-chaos et non d’un monument. Invité sans relâche à s’extasier (récit « mené rondement », etc.), le lecteur se lasse vite de suivre le savantissime éditeur dans les méandres d’une démarche triplement réductrice, par son formalisme (brièveté, tâtonnements et inachèvement sont de rigueur), par son sociologisme (l’économie de la presse explique les tête-à-queue idéologiques d’un Balzac toujours aux abois) et par son biographisme (la vie traumatisée de l’auteur explique les facettes de l’oeuvre éclatée qui la projette dans l’imaginaire).

Felix culpa : libre de ne pas entrer dans cette docte déconstruction, mais s’attachant à la lettre de Balzac lui-même, le lecteur profite de l’occasion pour découvrir ou redécouvrir les textes plus ou moins brefs de Balzac conteur, repris plus tard sous un titre nouveau et une forme à peine différente dans les recoins moins visités de La Comédie humaine. Une théodicée, une érotique et même une politique s’y dessinent, en cohérence profonde avec celles qui soutiendront plus ouvertement la cathédrale du « Furne corrigé ». Contrairement aux intentions de l’éditeur ressortent de son collage, outre la puissance métamorphique précoce de Balzac narrateur, l’unité et l’objectivité de l’imagination de l’auteur de La Comédie humaine, embrassant et réfléchissant un monde révolutionné et post-révolutionnaire qui dépasse de tous côtés sa propre expérience biographique et qui plonge ses tentacules dans les mondes analogues de la mémoire française : le Moyen Age féodal d’un Dante « parisien » et la Renaissance, fracassée par la Réforme, du Tourangeau Rabelais.

Cité de Marc Fumaroli, Le Monde, 24/02/2006, et remercions-le pour sa belle description involontaire de notre travail sur blog : reste que ce ce serait bien qu’un jour le Monde cesse de se croire obligé d’être le haut-parleur si respecteux des grands momifiés...

 photos : la Seine sans Maupassant, vertueuse...


Maupassant, une jalousie

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Ma jalousie de Maupassant pour la facilité qu’il avait de jeter ses billes, et sans compter.

Ma jalousie de Maupassant pour la qualité des billes ainsi dispersées comme à n’y jamais regarder : de toutes grosseurs, et les plus complexes dans l’armature toujours transparente qui en fait objet sans prise et de solidité extrême : sans graisse.

Comme un harpon dans la tête la lumière en gris et blanc de L’épave, l’infinité d’un bord plat de mer, du mouvement au ralenti de l’eau gigantesque, et là-dessus dans le noir deux corps qui se serrent. Comme un harpon de seule violence nue l’histoire que je n’ai jamais osé relire de La petite Roque.

Ma jalousie de Maupassant pour ce qu’il a été le marcheur à gros yeux qui s’en alla les mettre partout sur ce qu’il voulait décrire, qu’il connaissait les auberges et les lumières, et la fatigue du corps, et que s’il raconte ainsi le bateau qui va en Corse ou la fatigue des reins sur un banc de troisième classe dans les trains c’est qu’il les éprouva d’abord dans sa peau et que ce n’était pas là besoin pour la finalité d’écrire, et bien au contraire : que l’écriture en vient ainsi, raide et inaltérable, parce que tout ce qui y fut mis à l’épreuve de vision c’est la peau humaine, l’homme comme sac de peau, et tout dans le voir.

Pour n’avoir jamais été capable de lire Maupassant comme un livre ordinaire, qu’on peut reposer fini, mais par périodes aléatoires, où il n’y a plus que cela qu’on supporte, mais où il n’y a plus que cela qu’on appelle, et qu’on rejoue encore le hasard dans la manière de se promener dans les deux tomes d’histoires, d’en atteindre une parce que c’est celle-là qu’on cherche mais qu’en route on en trouve une autre et de là encore une route et que cette route modifie encore l’éclairage sur les textes.

Pour la colère qu’on a de voir où il prend et avec quel culot. Que l’histoire venait si facilement parce que toute raclée d’une réalité grosse comme un village ou l’assaut d’une route sur une colline, et plus souvent une phrase, une ombre ou un tour tout droits ramassés chez plus grand que lui : aux ors et aux verts de Baudelaire, aux secrets tortueux de Poë ou la roideur scandée du patron de Croisset. Mais cela est tordu, qu’on y a fait le coup du bâton dans l’eau : ce qui chez les autres était littérature poussée à l’extrême ici revêt charge nouvelle parce que ne se posant pas la question du littéraire. Alors cet extrême trafiqué vaut autrement : comme une douleur vraie, un mal de tête, l’obsession en soi-même (et rien à voir avec lui, sa vie, son frère) de la folie abjecte dans son état brut où le cerveau qui ne commande plus, quand la vision rentre encore, où là-dessous les racines où on butte de la jalousie ou de l’excitement des sens. Quelque chose d’aussi grand que Dostoievski, dans une démonstration miniature multipliée.

Jalousie parce qu’on reconnaît où il puise, mais que la manière d’aller droit et tout soumettre à vision revers e tout en terrain neuf. Et chaque fois qu’on le reprend c’est découverte neuve de cette façon d’aller au but sans s’embarrasser de phrase.

Totale admiration de ce qu’il n’a jamais été maniériste, portraitiste, nouvelliste ou littérateur. Qu’il a porté la littérature à plus haut simplement d’avoir porté son regard sur les sacs à peau là où il portait le sien, et que c’est cela qui bouleverse la phrase en lui concédant des espaces qu’elle n’avait jamais osé toucher ni considérer, même Balzac qui est son vrai frère (et non pas le patron grivois de Croisset dans son rôle de grand-père à conseil). Et qu’on n’en a pas fini de la galerie de mine qu’il a percée jusqu’à son terme, nous concédant à peine l’agrandissement des traverses, où vint Proust dans cet exact sentiment de respect. Tout se tient dans ce monde étroit. Ce qu’a inventé Maupassant c’est la hauteur et l’implacable de la tragédie grecque, dans un lieu où le livre et l’écriture ont déjà renoncé. C’est là où il dépasse de l’épaule ceux de son temps, et nous donne des outils pour maintenant, où on n’aurait même plus le temps d’aller les chercher : il n’est pas possible de lire Maupassant sans en recopier les tours, la manière dont il ramasse et perce la vision et cinq mots soudés où le gauchissement est toujours présent de la folie ou de la jalousie, en tout cas de cette perte de commande qui rehausse encore la vision de n’être plus faite, mais qu’à vous elle s’impose, et entière. Quand il est question de peindre, c’est pire : le désarroi de Miss Harriet, qui la jette dans le puits, c’est la mise en théâtre soudain de peindre devant la vision. La vision s’extrémise, et les hommes cassent. Le peintre était trop petit, qui nous concède l’odeur de la chambre et sa lumière, et le ton de voix de l’aubergiste.

Ma jalousie de Maupassant pour ce qu’il fut dépositaire d’un secret que posséder enferme sans possible relais ni confiance : un écriture totale, justement parce que dans Miss Harriet on a la mer et l’horizon aussi bien que ce sentiment d’air et de durée d’une chambre à édredon, dans une auberge de campagne à grosse table de bois. Que c’est ce sommet ramené qui contraint à la brièveté du tout : les billes devaient être ainsi jetées parce que les garder en main aurait été regarder ce qui ne se regarde pas. La brièveté des textes, l’obligation où on est de relire une fois de plus L’épave ou Miss Harriet a son équivalent dans une clôture comme à feu de l’oeuvre entière.

Ma jalousie pour Maupassant Guy de ce qu’il n’était pas plus fort que les autres : que s’il écrit des romans au lieu de puiser dans le sac à billes, il est aussi siècle que les autres, et privé de l’abandon de rhétorique.
Haine de ce que ces textes soient sans genèse : pas d’explication au miracle.

Admiration pour la justesse parfaite des voix, et des morceaux de durée, et des intérieurs, et de la Bête à Maît’Belhomme, admiration totale des petites marquises à perversité douce et de les avoir traitées comme telles, et réservé la perversité douce à leur monde en rose. Admiration totale pour la façon dont les hommes brûlés qui ici se promènent y viennent avec leur dos cassé, et leur haleine mauvaise, mais tout dans l’immense grand air et le goût toujours de la route et du départ. S’il avait connu Rimbaud, celui-là, avec ses gros yeux, ses épaules à muscles et qui savait où ça se situait, dans le corps, la chose littéraire, était peut-être le seul de taille à empêcher le gâchis. Et peut-être que l’autre, qui avec Verlaine écrivit du Maupassant dans la vie, lui aurait aussi fait du bien, à gros yeux, et l’aurait bien forcé à reconnaître, quitte à lui prendre les cheveux derrière le crâne et faire pencher la tête jusqu’à sentir l’odeur du papier, n’importe où dans une auberge de campagne, un midi d’après repas, que ce qu’on touchait à pleines mains dans le sac à billes était bien plus magnifique que là où lui, l’auteur à moustaches, plaçait dans le corps la chose littéraire. Monument où reste le mystère de ce qu’on y honore : l’expérience faite du destin dans ses rouages communs, où la plus forte particularité, la pauvreté décidée des mots, enfin ouvre d’autres portes qui ne se disent pas, là où tout cela échappe au siècle. La capacité d’aller y voir, dans une oeuvre toute comme un recensement de morts et d’agonies.

Personne, à lui qui souffrait du crâne et connaissait le travail de mort sans avoir à regarder plus loin que le bout de ses doigts, ne lui a jamais dit, de son temps, l’extrême et la hauteur de ce qu’il avait ramené à force de la plume. Même pas le patron de Croisset. Admiration totale pour les choses si simples qu’on lui prend, et dont nous faisons points de départs : une averse, un ciel, le regard d’un boiteux ou manière de tordre au premier plan des mains d’homme.

Jalousie et admiration d’un bloc, de ce qu’après dix ans à le lire on ait tout ça dans la tête, Miss Harriet ou L’épave et vingt autres au point de pouvoir en écrire loin de lui, sans amener avec soi les livres, et que tout est clair comme autant de diapositives mentales, que le sac de billes est là près de nous comme un rêve disponible. Et sans relire ni regarder en arrière sur nos mots, comme on suppose que lui dut faire, et pourvu d’être sûr en soi-même du travail de vision et de la communauté implacable d’avec ce qu’on dit, sentir en soi la communion sans pensée des os et de la peau sur eux comme un sac et que c’est cela qui voit : avoir à apprendre encore et toujours, de lui et lui seul comme si ç’avait été la tâche à lui réservée, d’écrire comme on se jette, d’écrire sous la vision et pour elle seule la rendre.

Relire, relire Maupassant, le lire au hasard, s’y perdre.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er avril 2006
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