Stones, 28 | vie brève de Tom Keylock

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Du 9 août 1926 au 2 juillet 2009, 82 ans de longue vie pour Tom Keylock, mais la « vie brève » est une forme littéraire ancienne que les Anglais aussi ont illustrée, lire Jacques Roubaud, L’abominable tisonnier de John McTaggart Ellis McTaggart et autres vies plus ou moins brèves.

Il y a quelques années, la petite-fille de Keylock (une des petites-filles, puisque lui-même eut quatre filles) avait installé un site, le grand-père vivait encore, et y avait publié des extraits de son journal, ainsi que ses propres photos des Stones. Il semble que ce site ait disparu.

Naître en 1926, vous avez 14 ans quand commence la guerre. Il y est requis pour ses 18 ans, en septembre 1944, et fait partie de ces milliers de jeunes anonymes que Montgomery concentre devant le pont d’Arnhem pour franchir le Rhin et entrer dans la Ruhr. Les Anglais (et les alliés) perdront 8000 hommes et seront repoussés. Je suppose qu’on en garde longtemps, longtemps les images. Ceux de cet âge ne sont pas démobilisés en 1945, le temps militaire est à rallonge. On l’envoie en Palestine, où il restera jusqu’à la proclamation d’Israël en 1948. On l’y forme aux actions commando, il a le gabarit. Peut-on adopter ensuite une vie dite normale ?

Il sera chauffeur. Puis, quand cela marchera mieux, s’achètera lui-même deux voitures et aura un employé, puis plusieurs. On dit qu’en 1966, alors que les Stones reviennent d’une tournée aux USA, Stewart a trouvé plus commode de s’adresser à lui, qui dispose de plusieurs véhicules, pour récupérer le groupe à l’aéroport. Keylock conduit lui-même Jagger et Richards, les fans sont massés, ils s’en prennent aux voitures, il gère l’échappée en douceur. Sa petite compagnie travaille alors quasi exclusivement pour les Stones. Extraire le groupe, les protéger des fous qui grimpent sur la scène, arranger les accès aux loges. Leur éviter la peur : combien de fois, repérés après un concert, les voitures sont prises d’assaut, le toit écrasé – indépendamment de ce que ça coûte en assurance.

C’est par l’intermédiaire des Stones que ce grand gabarit à la tête osseuse, aux grosses lunettes, avec cette dentition aisément reconnaissable, sera aussi le garde-du-corps et chauffeur de Bob Dylan dans la tournée 66, voir Eat The Document.

Parce que Keylock devient indispensable au groupe, il devient aussi l’homme à tout faire des chefs. On lui propose une embauche exclusive. Il tergiverse, puis accepte. Gère probablement à distance les autres véhicules de sa petite compagnie. De 1967 à 1971, il est l’interface obligée du groupe. Le véhicule qui convoie Jagger et Richards au procès après Redlands : Keylock conduit. L’échappée Bentley au Maroc, et l’histoire Keith et Anita qui commence sur le siège arrière, Keylock qui conduit. Les transferts de Brian avec tous les journalistes à sa porte, Keylock. Les échauffourées qui débordent sur la scène à Zurich et Athènes, dans la dernière tournée des Stones en 67, Keylock et ses gros bras qui gèrent.

Pour les quelques photos qu’on a de Keylock en 1968, il est moins le chauffeur que le garde-du-corps, habillé comme Brian, attablé au restaurant avec Brian, respecté comme un Rolling Stone. Pas bon pour la tête, ça.

Il reste la zone d’ombre de la mort de Brian. C’est Keylock qui a présenté son copain Frank Thorogood aux Stones. Le soir où Brian meurt, Keylock a été envoyé par Richards rechercher des guitares à Redlands – version construite après coup ? Il ne semble pas, contrairement aux allégations plus tard de Sam Cutler, qu’on puisse mettre en cause l’arrivée de Keylock et Les Perrin à 4 heures du matin à Cotchford Farm, où ils sont refoulés par la police. Le lendemain, c’est lui qui raccompagne Eva Wohlin à l’avion et l’embarque pour la Suède : avec un viatique en liquide pour la discrétion ? Le surlendemain, il est sur la scène avec le groupe lors du concert gratuit de Hyde Park. Mais le lendemain du surlendemain, la mort de Brian classée comme accidentelle, c’est bien Keylock le surlendemain du surlendemain qui est occupé à brûler dans la cour de Cotchford Farm tous les papiers retrouvés dans la maison. Sur l’ordre de qui, et dans quel but ? Chargé par ses patrons d’organiser les funérailles, il se heurte durement au père de Brian. Keylock aussi, semble-t-il, mais on ne saura jamais, qui se charge d’évacuer les meubles et tapis que Brian avait achetés, très cher et chez les meilleurs antiquaires, pour son installation dans la maison de Winnie l’ourson.

Parce qu’il a un truc avec les meubles, Tom. En tout cas, en 1971, ce sera la raison de son licenciement. Heave ho, foutu dehors : parce que tout ce qu’achetaient Richards ou Jagger était livré en double, facturé double mais avec un seul item noté sur la facture.

Il se remettra à l’escorte des chanteurs et autres célébrités, plus tard se spécialisera dans les footballeurs, la dentition refaite, avant retraite méritée. Quand Thorogood meurt, en 1993, c’est à Keylock qu’il transmet paraît-il ses aveux : mais personne d’autre que lui, Keylock, pour en témoigner.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 août 2012
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