des réacteurs et rien autour

pourquoi un tel vide dans la ville


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Tout est venu de la présence ici des réacteurs.

Et peut-être que si se dessine maintenant une revanche de la ville, c’est à cause de leur âge : bientôt 60 ans que tout cela est ici ?

J’y venais déjà en 1979, en deux-chevaux camionnette, pour réviser de vieilles machines à souder par faisceau d’électrons. Trente ans de plus sur ce qui en avait déjà bientôt trente.

Le CEA développe son installation principale dans une zone bien plus à l’écart de toute ville, c’est à Cadarache, j’y étais allé aussi. Maintenant, on peut laisser la ville ici revenir, reprendre les champs qu’on avait voulu tout autour pour préserver un vague secret, préserver d’un vague danger.

Déjà, en 1979, on ne le surestimait pas, le danger. Les copains qui y étaient souvent disait qu’il valait mieux laisser nos badges de radioactivité à Vitry, parce que trois jours au CEA Saclay et on avait quasi le quota annuel. Donc je ne sais pas ce que je porte vraiment de radioactivité aujourd’hui, de mes séjours à l’époque aux CEA Saclay et Cadarache, sur nos machines à souder par faisceaux d’électrons.

A l’époque, il fallait remplir un dossier spécifique pour y avoir accès. Il y avait un genre d’enquête de police, mais elle ne devait pas être méchante. Puis on recevait un document officiel disant qu’en cas de guerre on serait mobilisé dans tout ça, l’armement, les réacteurs.

Là, maintenant, je n’ai pas le droit d’entrer au CEA – ça me ferait pourtant bien plaisir de visiter –, mais s’il y a une guerre c’est là qu’ils m’envoient, sur le plateau de Saclay.

Si la ville veut venir jusqu’ici et reprendre ce dont on l’a privée, c’est parce que les réacteurs ne sont plus que des jouets, par rapport à ceux de Cadarache. Les recherches sont bien plus diverses, on parle de philosophie du temps autant que du caca des hyènes préhistoriques. Ce sont 6000 personnes tous les jours qui viennent dans les bâtiments du bout de la poche : quel gaspillage, d’être ainsi à l’écart de la ville – même si elle vient presque à toucher via une bretelle d’autoroute dédiée.

Le CEA, avec l’Onera, Thalès et quelques autres participent au conseil d’administration de S(Cube), la structure qui gère le site ArtScienceFactory et m’accueille en résidence pour les mois à venir. Notre idée de départ (enfin, l’idée de Didier Michel et de S-Cube, quand ils ont pris contact avec moi), c’était : comment organiser un lien culturel avec ces 6000 personnes (ici on voit des dizaines et dizaines de leurs visages, et même les noms), qui repartent chaque soir ? Est-ce qu’on laisse l’art à la porte ?

Mais voilà : d’accord pour tout, seulement faut pas rentrer. On a eu l’idée d’un atelier d’écriture en ligne, un peu comme celui de la BU Angers en 2011 : des propositions d’écriture en ligne, et un atelier physique qu’on tiendrait d’un lieu à l’autre, pour faire le lien. Mais pas le droit de rentrer.

C’est pour ça que j’écris comme ça, ici : la résidence est lancée, et on va essayer de poser ce lien de la littérature, de la recherche, de la science, via des portraits, des rencontres. Mais je veux aussi faire retour à l’enjeu de principe.

Est-ce que la clôture et l’interdit sont encore justifiables ? Est-ce qu’il n’y a pas à gagner, pour tous, à poser la question de la communauté et du langage, dans le lieu même du travail ?

Si je déforme un petit peu, quelqu’un viendra bien réagir, c’est une stratégie, ici, et cet atelier, peut-être qu’on le montera quand même. En attendant, avec la fiction on y rentrera bien. Je suis même capable de m’embaucher pour trois semaines comme électricien en intérim, pour les réparations traditionnelles du mois d’août. Je vous raconterai, promis.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 avril 2012
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