le service de presse, une survivance ?

de la chance de recevoir gratuitement les livres d’amis, et du désastre d’avoir à les stocker


Fin d’une époque, friction de 2 mondes, tentative un peu désespérée d’auteurs et d’éditeurs qui ne trouvent pas d’écho dans la presse littéraire occupée à faire du bruit avec toujours les mêmes, et incapables pour autant de comprendre que le fonctionnement du web ne s’établit pas selon les mêmes modalités de don et partage ?

On dirait d’un système qui s’en va. Je lis intensément tous les jours, mais je lis intensément le web, et mes lectures littérature sont aussi essentiellement sur support numérique. Alors quoi faire de ces objets papier qui viennent encore chaque jour dans la boîte aux lettres.

L’anecdote de ce matin, à propos d’un envoi non reçu de Bertrand Leclair (qui n’entre pas dans le cadre de mon 1er §, attention), pour faire le point.

Question très secondaire, mais pas tant. Comment organiser nous, dans le numérique, les équivalents accès presse (question simplifiée pour l’instant par le fait que la presse traditionnelle ne s’intéresse pas à nos parutions, et donc qu’on trouve là aussi autres contournements). Et de s’interroger toujours et toujours sur son propre rapport au livre, puisqu’on ne se débarrasse pas de sa propre histoire comme ça...

Question non secondaire, de la même façon, si chacun de nous aura pour pas mal de temps encore à faire cohabiter les deux systèmes : de même que j’écris et aime écrire pour la radio et un nouveau chantier se profile, ou en ce moment chaque matin pour une app iPad dans le cadre d’une commande assez décoiffante, je n’ai pas l’intention de me priver du passage à l’édition papier pour mon Autobiographie des objets en finition, et nous abordons aussi l’édition papier pour publie.net : donc une question de fond posée à la complémentarité – ce que nous avons à inventer, et dont le service de presse envoyé par la poste était le symbole, c’est un nouvel écosystème création/web/diffusion qui invente ses propres nouvelles formes de recommandation et circulation, rendant caduque l’ancienne cristallisation via la presse.

Avec quand même un corollaire : les auteurs et éditeurs, même si leur support reste lité au papier, qui ne se préoccupent pas d’inscrire leur travail dans cet écosystème avec site et création personnelle sur web, c’est aussi la chaîne de recommandation (l’univers critique y compris) qui leur échappe, au détriment de l’objet même.

Parce que, après tout, ce n’est peut-être pas le système des services de presse en soi-même qui vieillit, mais ce qu’il transporte : suffit d’aller comparer ce qui se passe ce matin dans les Vases communicants avec les objets formatés de la rentrée janvier chez les éditeurs papier, pour savoir où ça se passe et s’écrit, le contemporain...

 

Comme tous les auteurs, et même si ça a dû diminuer par 10 en quelques mois, je reçois des livres et revues en service de presse. Non pas que je les sollicite, me suis toujours jugé apte à me procurer les textes dont j’ai envie.

Mais soi-même on se sentirait pas bien de ne pas envoyer les nouvelles parutions aux amis proches.

Les envois depuis Paris sont soumis à ponction – une sorte de droit de cuissage du Centre de tri VIe arrondissement, qui fait partie de la tradition. Chez Fayard et Albin, plusieurs fois avoir constaté que mes envois dédicacés vers l’Essonne, à des amis comme Patrick Souchon ou Pierre Bergounioux, n’étaient pas arrivés à leur destinataire. Je l’ai su pour eux deux, via téléphone, mais évidemment on ne peut pas le savoir pour ceux qu’on connaît moins. Les 2 ans où j’ai bossé au Seuil, me suis souvent amusé de comment les livres, à peine arrivés en service de presse, étaient déjà en revente chez Gibert alors même que le livre n’était pas paru...

On en fait quoi, des SP ? Relire le grand texte de Perec dans Penser/classer sur comment Jacques Roubaud range ses livres : il en tient 364 sous son lit, s’il en ajoute un il doit en retirer un autre. Ici, plein le garage, plein le couloir, piles par terre.

Pendant plusieurs années, je déposais une fois l’an mes SP à la maison Gueffier, lieu d’écriture à la Roche-sur-Yon, où une pièce était réservée aux écritures contemporaines. Notamment tout ce qui concernait les ateliers d’écriture. J’ai arrêté après le départ de Cathie et Guénaël, désormais sur d’autres chemins.

Plusieurs fois, la librairie de ma ville participant une fois l’an à la brocante des commerçants, je déposais sacs de SP, les gens qui les prenaient donnaient ce qu’ils voulaient, et la cagnotte était réservée aux pots qu’ils offrent lors de l’accueil des auteurs. N’achetant désormais quasi plus de livres papier, je trouverais indélicat de continuer ces dépôts.

L’an passé, j’ai laissé quelques sacs lourds remplis à la BU d’Angers où nous avions nos jeudis d’écriture. Les SP n’étaient pas intégrés dans le catalogue, mais laissés à dispo dans les salles de lecture. Plusieurs fois aussi, encore récemment, quand je mène un stage j’apporte ma pile de SP et qui les veut les prend.

Lorsque je cherche une publication rare ou ancienne (y compris pour nos numérisations publie.net), je la commande par Internet. Je connais bien ces outils. Mais ceux qui me connaissent savent qu’aller à la poste avec une enveloppe, écrire une adresse et tout ça, c’est pas mon truc : ah non, je ne me vois pas revendre mes SP sur le web. Plutôt se concentrer sur ce qu’on fait de bien : les textes publie.net, justement.

Et si nous passons en mai/juin au Print On Demand, c’est pour avoir trouvé un partenaire qui se charge de recueillir les commandes libraire et les réexpédier sans que nous ayons à intervenir.

Autrefois je recevais quasi tous les livres de POL ou Verticales ou Verdier, ils ont bien compris – c’est même moi qui le leur ai dit ! – que mon site n’avait pas vocation à devenir médiateur, c’est un lieu de création personnelle, et désormais assez à propulser avec publie.net et nos aventures numériques. A moins que la réciproque soit envisageable ? – et encore d’autres, très au courant de l’actu web, qui 6 ans après n’ont pas compris que si c’était pour remue.net il fallait envoyer... à remue.net !

Je reçois donc bien peu de SP, mais toujours des envois d’amis – ainsi, ces jours-ci, parmi les cadeaux amis :
 La couleur des hirondelles de Marius Popescu chez Corti ;
 Comment parler des lieux où on n’a pas été de Pierre Bayard chez Minuit ;
 Carnets, T. 3 de Pierre Bergounioux chez Verdier ;
 Blanche étincelle de Lucien Suel à la Table Ronde ;
 plus Croquis Démolition de Patricia Cottron-Daubigné à la Différence, concernant fin des usines SKF de Fontenay-le-Comte, point qui m’est évidemment sensible.

Comment je serais léger avec ces envois d’amis ? Quand bien même, oui et oui, tout ça pèse lourd et n’est pas confortable à lire, quand on est passé à la liseuse (à la maison, une Odyssey et une Kobo) et à l’iPad. Donc tant pis, amis, vous attendrez un peu sur la pile – j’ai une vraie flemme maintenant à lire papier, ça irrite les mains, ça sent la colle, c’est lourd et encombrant, on ne peut pas lire dans le noir ni reformater la page en fonction du lieu et de la lumière, tourner les pages c’est très imprécis et avec un temps de latence non négligeable, on n’a pas de dictionnaire intégré ni de moteur de recherche plein texte. [1]

Je suis plus radical avec les envois non sollicités, encore 2 ce matin – il y a erreur d’aiguillage, que les auteurs et éditeurs qui s’enferment dans le système papier s’adressent au papier pour les promouvoir – c’est poubelle recyclage, j’ai pas assez de place dans ma thurne. Ce que nous installons avec le numérique, c’est une autre circulation, avec la matière vivante des sites, avec l’équilibre du livre numérique qui s’en détache, avec les blogs qui s’en font les relais, et les discussions qui s’ensuivent. Ce n’est plus une hiérarchie verticale : la solidification papier implique le retour à cette verticalité.

Tout cela pourquoi : Bertrand Leclair me signale cette vidéo d’un monsieur assez époustouflé d’avoir commandé sur Internet son essai Dans les rouleaux du temps et d’y avoir trouvé une dédicace à moi faite – vous savez, le mec dingo d’Internet, eh ben il revend les books de ses copains sur le Bon Coin !

Il se trouve que j’ai ici à la maison ce livre, reçu en SP, sans dédicace. C’est fréquent de recevoir 2 exemplaires, un via l’auteur sur sa liste perso, un via les listes éditeur [2]. Je n’ai pas lu entièrement l’essai de Bertrand, parce que c’est un de ces livres atelier qu’on garde à portée de main, rayon critique, et qu’on ressort lorsqu’on travaille sur un auteur ou un point. J’ai lu l’intro (Puissances de la littérature, texte important) et 2 chapitres qui me concernaient de plus près : celui sur Céline et celui sur Proust. C’est sans doute pour ça, cette nécessité de la lecture fractionnée, que je conserve ces piles de bouquins dans ma turne de travail.

Voilà : donc non, Bertrand, l’exemplaire que tu m’as dédicacé – dédicace que je ne lirai jamais – je ne l’ai jamais reçu. J’ai eu la chance de recevoir un doublon, donc pas d’étonnement que l’ami surgisse auprès, mais je ne l’aurai pas revendu, parce que simplement je ne l’ai et ne l’aurai jamais fait, je préfère donner, et que d’autre part ce genre de bouquins justement on les garde pour le travail, enfin parce que ça aurait été trop de flemme à mettre sur un eBay de 4 sous et poster etc.

Maintenant, écoutez ce monsieur au très bel accent vous parler des Rouleaux de Bertrand Leclair et vous inciter à leur lecture. C’est d’ailleurs significatif, ce partage par YouTube à seule échelle d’une lecture intime, et dans le lieu de cette lecture... compliment ! Mais donc avec rectif en amont pour ce qui concerne cette dédicace, au regret de décevoir !

Et que tout cela se serait joué autrement si Bertrand... avait son propre site.

[1Nota : ceci est de l’humour. Parce que des fois, les attaques sur le livre numérique.... en manquent !

[2Rectif ce soir de Bertrand Leclair lui-même : il ne s’agirait pas d’un doublon, mais plutôt que le livre avec dédicace est parti vers un autre destinataire, et que l’enveloppe à mon nom a été lestée d’un exemplaire sans.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 février 2012
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