Malt Olbren | Quelques-uns d’entre vous reconnaîtront...

"Inside Houses", le pionnier de la micro-story enfin traduit en français – Malt Olbren en feuilleton, 02


Sur Malt Olbren et la traduction des Inside Houses, voir 1er billet.

 

Quelques-uns d’entre vous reconnaîtront. On n’avait pas le choix que monter à pied, depuis le bout de la vallée, où on laissait la voiture dans un parking gardé (de temps en temps gardé). Compter deux heures de pente, et de la raide. Une corde aux endroits embêtants. Par contre, on laissait le bagage en bas du téléphérique, ils le montaient sur un plateau avec les fournitures pour là-haut. Moi j’aurais bien pris quelquefois le plateau aussi, mais non. Le chalet était comme une enclave de buée et d’odeur, ça entrait et ça sortait, randonneurs, grimpeurs, vrais montagneux. Là, juste en haut de la côte, avec le torrent qui dévalait. Quand vous suiviez le torrent, c’était relativement plat. Puis un ressaut, un petit lac glaciaire adorable, un chemin suivant le torrent déjà plus mince, et vous étiez dans le ressac du glacier en une heure. C’était l’intérêt de venir là manger (du sain, du qui tient) et dormir (quitte à se lever aux aurores pour l’expédition programmée). Moi, j’avais repéré l’endroit il y a bien longtemps, c’était resté comme une vieille envie : venir là pour deux, trois, cinq jours, écrire le matin face à la montage, s’y ballader aux heures chaudes, s’endormir tôt le soir en gambergeant à la page du lendemain. Et c’est ce que j’ai fait : le chalet au même endroit, les randonneurs et grimpeurs, et même la buée, rien qui n’avait changé, et surtout pas la pente raide. Et le lendemain matin j’écrivais devant la montagne. C’est alors que je l’ai vu. Il était deux tables plus loin que la mienne, sur la petite terrasse, il me tournait le dos, il écrivait. L’après-midi je suis allé jusqu’au glacier. Tout me semblait bien un peu plus petit que dans le souvenir. Le soir, on n’était pas si nombreux, au chalet. Il venait tous les ans à même date, me dit-il. Il reprenait le cahier à la page où il s’était arrêté l’année précédente. Il restait deux, trois semaines : « Il en faudra beaucoup pour aboutir », dit-il. En bas, il n’écrivait pas : « Le bruit, la ville, les gens. » Ou bien que ça ne l’intéressait pas plus que ça, écrire ? « Je parle d’altitude, je dois être en altitude. » Sa old lady à lui, c’était le souci : « Ici, je n’ai pas le souci de la hauteur, j’y suis. » De quoi parlaient ses pages ? « Je narre ce que je vois. » Oui, mais toujours à la même table aux mêmes heures, vous voyez toujours la même chose ? « Cela suffirait à un travail d’ampleur. » Et d’une année à l’autre, pas d’impatience, pas de regret ? « J’attends ce livre, ce sera un grand livre, un livre unique. » Qu’il m’aurait questionné sur ce que j’écrivais, moi, deux tables en arrière, rien. L’après-midi, au lieu de filer vers le glacier, je restais à la petite table, devant la fenêtre – de toute façon, il y eut du brouillard tout le reste de la semaine. Je le voyais, lui, qui restait debout, longtemps debout, regardant sa montagne, préparant sa page du lendemain. Je n’ai pas écrit grand’chose. J’ai écrit cela : la maison d’écriture que celui-ci portait à l’intérieur de la tête. Je ne suis pas retourné là-haut. Je guette les critiques, pas vu de livre paraître qui ressemble au sien.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 décembre 2011
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