Mauvais Genres | chez Philippe Carrese

entretien avec Philippe Carrese par g@rp, et mise en ligne de "Flocoon Paradise"


Douzième titre pour notre collection Mauvais genres dirigée par Bernard Strainchamps, une présence des livrels sur l’ensemble de nos partenaires (iTunes, Fnac.com, FeedBooks, ePagine et bien sûr l’Immatériel-fr). Des titres à 3,49 euros sans DRM, des auteurs reconnus du polar : l’impression enfin que ça bouge dans le numérique.

Pour ce douzième titre, Bernard Strainchamps propose Flocoon Paradise de Philippe Carrese. Dans l’incroyable verve satirique du Marseillais, c’est l’urbanisme sauvage défigurant les Alpes qui passe à la casserole, avec en prime la culture des loisirs sportifs, sur fond d’une invitation faite à la presse d’une inauguration tous frais payés, sauf que... Ajoutez en prime un arrière-fond de la guerre de Bosnie, un narrateur photographe, les tics du langage de la com’... Ah non, quand j’ai lancé le projet publie.net, je ne savais pas que ce serait pour y accueillir des histoires aussi déjantées.

Alors ce soir triple dose : un auteur de la collection, g@rp (voir Motel et autres légendes urbaines) interroge directement Philippe Carrese sur Flocoon Paradise, mise en en ligne simultanée chez Bernard Strainchamps, chez g@rp et ici-même...

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A visiter :
 le site de Philippe Carrese
 la collection Mauvais Genres

g@rp : Les grands communicants de l’opération nous promettent une entrée au « Paradis de la glisse sans limite ». Le « sans limite » ferait presque peur. À propos de ce « sans limite » – une des premières phrases de Flocoon Paradise – peut-on tout se permettre en matière d’humour ou Philippe Carrese a-t-il coupé des scènes au montage en se disant : « Non. Là, tu vas trop loin. » ?

Je pense qu’on peut se permettre tout. Mel Brooks a imaginé une comédie musicale sur Hitler et c’est hilarant. Bon, d’accord, Dany Boon a imaginé une comédie sur les gens du nord qui ont dans leurs chœurs des lyrics d’Enrico Macias parce qu’ils n’ont pas lu Debord (je suis pas certain de ces paroles), et là c’est pas terrible. Comme quoi… Je ne me dis jamais « tu vas trop loin ». Cela dit, je ne me dis jamais grand chose. Malgré mon grand âge, je ne parle pas encore trop tout seul, et j’ai quelques amis autour de moi qui m’adressent encore la parole, ce qui m’évite de soliloquer (c’est un peu compliqué comme argumentation mais je me comprends)(encore heureux) (après j’arrête avec les parenthèses) (promis) (bon, d’ac’, j’arrête…). Non seulement je n’ai rien coupé au montage, mais j’en ai même rajouté. La première version de Flocoon Paradise était juste un joyeux récit sur ces journalistes en goguette dans une station de ski. J’ai rajouté l’intrigue de cet ex-soldat car le premier manuscrit manquait d’âme. Tous les gags y étaient, mais c’était un peu sec. Et puis, cette histoire en rapport avec la guerre en ex-Yougoslavie est un sujet qui m’a touché, et qui donne corps au roman.

g@rp : Philippe Carrese n’en aurait-il pas profité pour régler certains comptes ? (entre autres, en tant que musicien, avec La lettre à Élise ?)

Ben tiens, on va se gêner… L’essentiel de mon analyse des comportements dans Flocoon Paradise est venue de mon expérience à côtoyer les journalistes des télés et des magazines, ce microcosme peuplé de héros anonymes et de bouffons médiatiques suffisants et pas nécessaires. Ce livre parle de ces sangsues, ces chroniqueurs prêts à toutes les compromissions pour exister, faire des bons mots, grappiller des échantillons de privilèges. J’en ai croisé un paquet, je me suis servi de ces observations. Ce qui est terrible, c’est que j’ai même pas l’impression de caricaturer. Pour moi, c’est juste un descriptif à peine exagéré.

g@rp : Flocoon Paradise aborde de nombreux thèmes, évoqués de façon plus ou moins directe, qui semblent pourtant se rejoindre. Y a-t-il un thème de prédilection dans vos romans ?

Le thème récurrent dans mes romans, c’est quand même les crétins. Sinon, la vie, quoi… J’ai longtemps été catalogué dans les auteurs de « polar », mes éditeurs étant des spécialistes du genre, mais pas mal de ces livres auraient pu sortir dans des collections « blanches ».J’essaie de raconter des trucs sérieux avec humour (c’est toujours mieux que de consterner le lecteur avec des récits sinistres qui se veulent drôles). Voilà…

g@rp : Les personnages sont hauts en couleurs : où va-t-on chercher une attachée de presse pareille hormis à la pharmacie homéopathique du coin ? En d’autres termes, le dessin caricatural que vous pratiquez également aide-t-il à bâtir un personnage ?
Le personnage de l’attaché de presse m’a été directement inspiré par une copine qui travaillait comme animatrice à la télé. Cette conversation surréaliste sur son gamin a existé, presque mots pour mots. J’exagère à peine, encore. C’est vrai que je dessine des caricatures, mais lorsque j’écris, j’ai l’impression d’être plus dans un réalisme un poil outrancier. Les conversations des spécialistes de Télérama et le Nouvel Obs et Libé décrites dans Flocoon Paradise sont des instants vécus aussi, comme témoin. Pour répondre à une question précédente, finalement, mon thème de prédilection, c’est peut-être raconter l’abus de pouvoir. Flocoon Paradise, c’est une description de l’abus de pouvoir des chroniqueurs branchés.

g@rp : Les personnages les plus forts, dans Flocoon Paradise, ne seraient-ils pas ceux qui parlent le moins ? je pense ici à la montagne et ses habitants qui, en somme, parviennent à vaincre presque sans rien faire d’autre que… savoir. Y aurait-il volonté d’une morale, dans vos récits, voire une forme de justice immanente ?

Voilà… C’est exactement ça. Les gens de la montagne me fascinent. Mon prochain film est sur ces gens-là. J’ai une très grande admiration pour le monde rural, les vrais gens.

g@rp : Tout, jusqu’aux dialogues érigés en bande-son, est très cinématographique dans Flocoon Paradise (sans parler de la fin), notamment les scènes d’avalanches dignes des plus grands films catastrophes – on peut par moments penser à Avalanche, de Corey Allen, dans lequel le récit prend place dans une récente station de sports d’hiver, projet immobilier dut à un homme d’affaires un peu trop ambitieux, où se retrouve du beau monde pour l’inauguration de celle-ci.
Lors de l’écriture, avez-vous pensé à une adaptation cinématographique ou télévisuelle ou le récit s’est-il nourri de ces médias ? Quelle est la part du réalisateur et de l’auteur dans ce roman ?


Lorsque j’écris des romans, je ne pense pas « scénario » ni adaptation. Pour moi, l’objet final sera un livre, un roman dans les mains d’un lecteur. Mes directions d’écritures sont totalement différentes lorsque j’écris un scénario. C’est vrai que mes descriptifs sont très visuels, je décris ce que je vois comme je l’imagine. Mais un roman reste un roman. Et je pense que je ne serai pas capable d’adapter un de mes romans en scénar. Par contre, je pense que je pourrais réaliser l’adaptation d’un de mes romans scénarisée par un autre scénariste. Il faut du recul, à un moment donné. Et je ne connais pas ce film « avalanche »… Je vais essayer de trouver ça en dvd.

g@rp : Le Successeur, Flocoon Paradise. Le numérique et Philippe Carrese, une nouvelle expérience du « couteau suisse marseillais », ainsi qu’il arrive de vous définir ? Qu’en retirez-vous ?

Je suis ravi de ce nouveau média. Il permet à mes romans d’avoir une seconde vie, ce qui est formidable. L’édition est un drôle d’univers. J’ai sorti dix-huit romans en une vingtaine d’années, dont certains ont marché plutôt pas mal. Il se trouve qu’on n’en trouve plus que cinq ou six sur le marché, ce que je trouve un peu dommage. C’est un moyen pour le lecteur de retrouver des textes épuisés. C’est parfait. Le prix est très bien aussi. Les romans sont beaucoup trop chers, aujourd’hui.

g@rp : À propos de Marseille, votre regard sur cette ville et son avenir a-t-il changé depuis Trois jours d’engatse ou Filet garni ?

Mon regard sur cette ville était pessimiste ; il est aujourd’hui désespéré. C’est un réel gâchis. Marseille était une ville populaire, c’est devenu un cauchemar de paupérisation. Je n’arrive plus à écrire sur cette ville, je ne supporte plus l’arrogance de sa médiocrité et l’indolence prétentieuse. Trois Jours d’engatse correspond à une vision de la ville en 1992. Tout a changé depuis, le langage, les coutumes, les gens, les mentalités, les rapports entre les gens, les pouvoirs des différentes communautés. Ces livres sont un bon témoignage sur le Marseille de l’époque.

g@rp : Sinon, collègue, 51 ou Ricard ?

Perso, ce sera une menthe à l’eau ou un Gambetta limonade, je ne bois jamais d’alcool. Merci.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 avril 2011
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