d’un détournement de Google Docs par le post-exotisme

ou comment écrire à 48 ensemble et en même temps sur la même page, à partir des Slogans de Maria Soudaïeva


Cet hiver, lors de nos Nocturnes à la BU d’Angers, on s’est progressivement approché, et notamment lors de cette séance sur les Slogans de Maria Soudaïeva/Antoine Volodine, d’une idée d’écriture en temps réel sur le même support.

Rien de neuf : souvenir d’expériences à la Boutique d’écriture de la Paillade, à Montpellier, sur immenses affiches tendues au mur.

A Angers, souvent impressionné aussi par le binôme de Diafragm.net utilisant Etherpad pour intervenir à deux sur le même texte.

Etherpad s’est fait racheter par Google, qui en a intégré les fonctions dans Google Documents. Outil évidemment idéal pour préparer à plusieurs, en des lieux différents, un dossier ou un texte technique.

Mais à 18 dans la même salle, avec vidéo-proj qui affiche en temps réel le résultat ?

J’ai décidé de tenter. Première étape : j’ouvre Google Documents, et inscris dans Share les 18 adresses e-mail des participants. Pas de difficulté ensuite, malgré la disparité de nos machines et de nos e-mails, mais surprise que ceux qui disposent d’un compte Google sont automatiquement identifiés, indépendamment de l’adresse de connexion utilisée – tonton Google en sait beaucoup sur nous, tout le temps.

On fait quelques essais à 4, avec Philippe Diaz, Isabelle Maton et Maryse Hache. La machine tourne. J’efface les essais, et insère quelques titres (en gras) pris à Slogans, puis une phrase (en italique prise à Volodine, sous ce titre.

Et c’est parti. J’avais prévu 30 ou 40 minutes, ça va durer 1h20.

Premières minutes : timide... Ou variations. Puis deuxième phase : on se prend au jeu. Sur le grand écran du vidéo-proj, les petits drapeaux de couleurs de ceux qui sont en tran d’écrire s’affichent au bout de lignes mouvantes. Signer ou ne pas signer ? Nous décidons d’un long texte commun, qui ne comporte pas de marque graphique de l’auteur individuel.

Troisième phase : j’annonce sur twitter l’expérience en cours, et propose à ceux qui sont en ligne de nous rejoindre. Très vite, je reçois 10, puis 15 demandes à valider.

Bien sûr, des proches de nos expériences, eux-mêmes impliqués dans les aventures d’écriture collective ou la réflexion web (Arnaud Maïsetti, Joachim Séné, Marc Jahjah...). Avec Philippe Diaz, nous nous amusons d’ailleurs à tenter de reconnaître leurs interventions.

Et puis d’autres demandes. Par exemple, trois émanent du Québec (Jean-François Gayrard, Stéphane Martelly et Clément Laberge – dont je découvre un peu plus tard qu’il participait au texte via la wifi du bus Orléans-Express Québec-Montréal, que si souvent j’ai emprunté...).

A 13h, nous clôturons la séance. D’autres titres sont venus se greffer aux titres pris à Slogans. Dénaturation de l’oeuvre ? Très bizarre sensation pour moi, sachant que le stage est à Orléans, et qu’Antoine Volodine habite à moins de 500 mètres. L’impression j’espère, au contraire, que nous aurons su donner à nos stagiaires le goût d’aller voir de plus près, d’ailleurs on en reparlera l’après-midi lors d’une brève visite au groupe de Catherine Martin-Zay, la libraire des Temps modernes.

On aura été en tout 48 à intervenir sur la page. L’outil a parfaitement résisté. Je faisais régulièrement des sauvegardes par copier-coller sur traitement de texte (la dernière ci-dessous), mais ça s’est révélé inutile. De même, parfaite réactivité de l’outil de messagerie instantanée en colonne de droite, échanges parallèles entre les participants présents ou distants.

Sentiment partagé que ce qui s’est passé touchait autant la lecture que l’écriture elle-même : tout en intervenant sur le texte, nous avons été pendant 1h20 les spectateurs en temps réel d’un texte qui devenait à lui-même son propre spectacle (voir vidéo sur Liminaire, lien ci-dessous), et se reformulait en permanence sur la totalité de sa surface.

Merci à Nicolas Gary d’avoir relayé sur ActuaLitté.com. Voir aussi le compte rendu de Philippe Diaz sur Liminaire, et de Guénaël Boutouillet sur Livre au Centre (inclut liens vers les cahiers/blogs ouvert par les stagiaires pour les 2 jours de stage).

Première expérience, mais évidemment plein d’idées pour aller plus loin avec cet outil (travail par binôme entre 2 ateliers distants, travail 1 + 1 entre 1 participant sur place et 1 participant distant, voire même coaching d’atelier dans une asso, bib ou entreprise, chacun agissant depuis son lieu personnel), et multiplicité des questions posées (y compris le droit en cours de route de transformer ou même effacer l’écriture d’un autre participant).

FB

 voir le Google Docs intégral.
 sur Slogans, démarche, extraits : lever, tournoyer la voix
 photo ci-dessus : © Philippe Diaz / Liminaire, avec Michel Brosseau et François Garnier.

 

ANIMAUX A GRANDE CARAPACE, REGROUPEZ-VOUS !


(citation d’Antoine Volodine, Le Port Intérieur, transmise anonymement pendant l’exercice)

 

égarez-vous
ombres des marges, courez, frappez !
chercher à l’intérieur de soi
sur le parking ?
regarder le GPS et non la route
attendre la fin du signal pour avancer
changez de flux pour rester à flot
dans vos pas sans chemins
dans les maquis les marais salants les miasmes d’eau douce
sous les ombres glissantes des saules affolés par la brise
Salés, les chalutiers et garez-vous, enfin !
eh ! gare-toi !
gare à toi !

 

pour que le sol s’ouvre
Pour que le sol s’ouvre de colère, frappez du pied poings serrés
descendre le long de la crête sur les chemins sacrés
longez la crête d’ici là et contemplez le temps
RER B, RER C
et le A ?
provoquez, provoquez
massez la roche
grattez sous la peau Oublie mon numéro !
et sucez les os jusqu’à ce qu’il ne reste rien pour les chiens
ruissellent les rochers des râles de la riposte
laisser pleuvoir les hallebardes

 

désobéir
quand gronde le tambour puant, désobéissance !
croire en ses rêves, croître et crève, goître mièvre
frères en ses moires
ne pas être aimable avec les gens qu’on connaît
obéir à soi-même, ouais !
ignorer la consigne
sortir des cadres,
n’en faire qu’à sa tête
le moment venu on renonce
suivre un chemin, bon ou mauvais, la voie tracée
suivre son instinct, toujours
désobéissance en général
Révolution !
Jusqu’à ce que l’amour en liesse et en liasse nous renverse à souhait
La grande messe des masses
Se laisser percuter par le choeur détraqué
un pied devant l’autre
marche à l’envers sur les villes sous les villes, remonter les couloirs
emprunter les foules à contre-sens, gave roulée jusqu’à la source
désobéir aux suites logiques du jour qui succède aux nuits, puis aux jours
désobéir à la désobéissance même
désobéir, ce n’est qu’obéir à l’envers : être plus pervers encore
S’exiler en Islande, où les jours durent six mois.
et où il n’y a plus rien à bouffer
S’exiler en soi, où six mois durent davantage
De la faim comme dévoration des jours : suffit.
Inauguration du jour nouveau qui pointe
Allons zenfants !
couper le fromage dans le mauvais sens

 

usage du masque
ton masque est un labyrinthe imprenable !
Et les masques usagés ont rendu l’âme en soupirant
Et les visages usés de toutes les vieilles combines
et vachement hydratant !
facile à dire – et à faire ?
créer un pseudonyme ; Grande Inconnue, Grave Insoumis. Un visage d’argile.
mieux vaut avatar que jamais - concept web 2.0
à la chute du masque tu te relèveras
Le masque parfois déteint sur le visage
toujours à l’état de promesse
jamais de masque à Venise (facile)
je me protège du rayon vert au rayon des roides
à l’aloé vera j’irai voir l’avenir brulant des balivernes
Scream ?
et le mascarat ?
le masque à rat ?!
et la plume

 

connaître son corps
ne compte que sur tes paupières pour ne plus rien voir
bien vivre avec (ou sans)
souffler et s’essouffler
la corde à sauter
Inspirer l’air du temps
Bomber la poitrine des suites d’infortunes
La ritournelle retombe dans les limbes
ne pas se laisser tomber
laisser tomber ces fichus escaliers
fumer, c’est pas bien
sauf si c’est du saumon pour les omega 3
lui dire bonjour dans le miroir
ou bien, demander à quelqu’un(e) de te l’expliquer
souffrir les caresses
un mètre cinq de jambe
connaître le sien mieux que le mien
apprivoiser corps asymétrique
Rechercher harmonie par symétrie
Corpus
delicti, délicieux
déliquescent
‘core puces ! aïe
Christi

 

gérer les restes
accroupis-toi sans cesse dans les cendres
n’oublie pas ta réunion Tupperware
finir les plats des enfants
ne pas hésiter à ouvrir la poubelle
tailler sa plume en fer
s’accommoder les crocs
faire du sport tous les jours, sauf en semaine et jours fériés
crème de nuit, crème de jour
éparpiller les cendres
Les cendres des ancêtres qui s’attardent dans la douceur de l’aube
recroquevillés cadavériques croquants acteurs coquins
Tombeau ouvert, je contemple

 

principes diététiques
ce qui scintille en toi, arrache-le
ne regarde pas les autres c’est en toi que ça se passe
regarder quand même un peu pour ne pas se cogner
mesure de ce qui me sépare de toi, comme un ruban sévère de contorsions
s’alléger au maximum, la route est longue
où est l’éthique ? Des tics parcourent le masque emprunté au mythe
Et la diète éthique ?
faire une sieste esthétique
un bol fumant, avec rien dedans
un couscous en dessert
et un coucou qui chante

 

en cas de besoin
si tu perds l’usage de la parole, rampe vers les reines gueuses !
Se munir d’une lampe de poche, les jours sont courts
Et les jours courent de proche en proche,
Retrouver ses lunettes
Appelle, appelle, appelle
Oublie mon numéro !
appuie sur le quatrième bouton rouge à droite et rendors-toi aussitôt
caresse le chat
dans le sens du râle
ne penser au besoin que par défaut
CRIEZ !
Courir dans l’autre sens Tupperware
Son doudou, parce qu’on est toujours plus fort à deux
connexion pour certains !

 

ce qu’on leur laisse
rien du tout
du moins
des mots dans les oreilles
du moins
une lueur d’espoir
un flacon déjà presque vide
effets de surface
un chêne
moins que moins
un as et un valet de pique
de la sueur, des larmes, du saucisson
leur laisser l’espoir, ne rien donner
à qui ?
à eux évidemment !
ce qu’on leur laisse
et ce qu’ils prennent
des rêves qui désorientent ou donnent enfin la réponse
mais leurs cris
mais à qui ?

 

crier, ne pas crier
même si tu vois en toi la lune absinthe, ne crie pas !
porte ta voix toujours plus haut
étouffer, rejeter
mets un chiffon dans ta bouche au décollage
chuchoter dans ta bouche
ne pas hésiter à ouvrir la poubelle
ne pas attendre que bouche soit pleine
libérez vos syllabes
déclamez vos états
écouter l’autre, ce n’est pas seulement écouter ce qu’il dit
exulter enfin et écouter l’écho de son propre silence
sourde
alors chante
août tu veux
et février tes cordes
si tu vois un tunnel avec de la lumière au fond, fais demi-tour
et si tu vois de la lumière dans l’autre fond : creuse.
chuchote à t’en briser la voix

 

rappel
s’il reste des ruines, émiette-les !
et s’il ne reste rien, prends tout !
tous aux abris !
ne change pas, perpétue-toi !
marcher en dehors des restes
marcher en dehors des ornières
pour votre sécurité ne traversez pas les voies
Attendez l’arrêt complet du manège !
Cuti
rappelle stp
nous vous rappelons qu’il est interdit de fumer dans les toilettes
remplir votre déclaration d’impôt
changer d’adresse
j’espère que tu as payé la cantine

 

et les autres ?
C’est l’enfer !
Vive Sartre !
leur nom est personne
Je est moi
Font bien marrer
c’est rigolo
s’en emparer, s’en détacher
quels autres ?
si je est un autre, nous sont les autres
si le poète est voyant, nous sommes sa bouche
si la visage est un masque, nous serons ses verrues

 

détruire l’issue
ouvrir la porte
sans les courants d’air
changer les portes
blinder les portes
porter les blindes
mettre un bouchon
mais pas trop loin
en construire une autre
et puis encore une autre et encore une autre
achever les cimetières
ouvrir les cimetières
enterrer les cimetières
l’issue de ses vices
piétiner la taupinière
combler la fissure
prononcer la clôture
abandonner
recommencer
et devenir taupe
et fier
et pourquoi pas
se taire
parle, il restera toujours du silence après

 

plutôt se pendre
s’il y a un masque, ne te démasque pas, s’il y a une ceinture, pends-toi !
à ton cou
plutôt se perdre
plutôt crever
plutôt, mais le plus tard sera le mieux
distribuer les cartes dans le désordre
et la ciguë ?
“La femme à la corde, la femme à la tête dans la cuisinière à gaz” (Hamlet-Machine)
vivre !
écouter l’autre pour le détourner
réchauffement climatique, plus d’arbre, bientôt. A quoi se pendre ?
se reprendre et s’épandre
à tout prendre, s’éprendre ?
s’éprendre et revivre, donc ne plus se pendre
Mai où ça ?
août tu veux
septembre c’est tendre
mal partout, sauf ici
janvier qu’à ma tête
février ce qui te plaît
mars t’attaque
les faits vriés sont parus dans les journaux, d’hivers informations
rides éphémères
juillet, t’es où ?
A quand encore Mai ?
au prochain souffle d’air
Sous les trottoirs, l’amer
Derrière les murs, d’autres murs
Dans les ministères, des voix sourdes
Au-dessus du ciel, de la terre qui ment

 

contradictions élémentaires
silence à la fin du gouffre !
gouffre au bout du fil
le temps passe immobile
être ou ne pas être, être ou apparaître, ne pas avoir l’air de ce qu’on est, ne pas être ce qu’on paraît
sous une lumière tiède et noire
bête et méchant
con et beau à la fois
dictions contraires
boire et conduire
boire et mal se conduire
refuser de choisir

 

sous-programme
après nos rêves : poussière qui danse, après la danse : lunaire silence !
afficher le sous-titre
écrire suffit
aller bosser tous les matins
écrire suffit
rejoindre celui qui habite au sous-sol
écrire suffit sa peine
déjeuner avant 13 h
entrer dans l’ordi, se retourner au dernier moment : leur dire au revoir avec un petit sourire
ramasser les miettes
ça peine
Téléphoner au dentiste
avant de faire une sieste crapuleuse

 

précautions élémentaires
s’il fait très noir sur la côte ouest, descends les chaloupes avec tes griffes chaudes !
mettre un gilet pour aller dans la baignoire
là, à l’instant, devant soi, l’inconnu est si vaste que pour fixer son image
regarder ses pieds quand on traverse le doute
partir à l’aventure
mais revenir sans histoire à dormir debout
changer de visage pour éviter d’être reconnu par une célébrité
mettre une chaussure à l’envers pour brouiller les pistes
N’oublie pas ton parapluie
surtout par grand soleil
goutte de lumière qui transperce, acide sur le métal de ton visage
Watson t’est cher

 

sauve qui peut
toile d’araignée jacasseuse, sauve qui peut !
sauve qui peut ! 14 juillet, vacanciers, plage, monuments aux morts, et messes des minuit, tongues, crèmes solaires, cadavres.
peut qui sauve
sauver qui ?
cochon qui s’en dédit
il dit qu’il sauve le cochon
chercher dans le fond de sa poche : y a plus la clé, courir quand même
découvrez qui ne vous suit pas
lady gaga
chacun pour soi
c’est pas moi
demain je te sauve s’il en est encore temps
mais là je me sauve
et courir, un r, avec une seule jambe. courir pour se sauver, de quoi ?
Du conditionnel et du futur pour courir à deux airs
à jamais
janvier qu’à ma tête
braises sous décembre

 

ultimes conseils
ne plante pas tes crocs dans le clown affable !
Dis bonjour à la dame !
ne mets pas tes doigts dans ton niais
c’est au pied du mur qu’on le voit le mieux
écris une fable au clown
Tiens-toi droit
et ras et risible
presque abattant dans la risée, dans l’esclaffement, dans le grotesque, le sens que je m’étais fait de mon importance
rrrrrrrrrrrrr
bbrrr bbrrr bbrrr
avoir sous la main une machine à masser les pieds
les mains SUR la table
inutiles conseils
ne jamais écouter les conseils
Dis bonjour à la dame
oublie surtout ne te retourne pas
un couteau un bout de ficelle rien d’autre
vide tes poches
mouche ton nez pour dire bonjour à la dame
jette ton nez pour dire au revoir au mouchoir
et lave tes mains !
ne perds pas tes mains de lave
apprends à sourire
tiens-toi droite
mais tords toi de rire
sois moins gauche
justesse qui s’arrache à la maladresse même : change de main pour écrire -
regarde la forme des phrases, les directions neuves qu’elles prennent
et jette toi dans le précipice du verbe

[...]

Place à la grande caravane de mots !
Grattez les murs
Caressez les cheminées
Cognez les toits
Tapez à toutes les portes
Peignez les girafes
Giflez les zèbres
Embrassez les rhinocéros
Fermez les robinets
Ouvrez les vannes !


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne 6 juillet 2011 et dernière modification le 8 juillet 2011
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