réponse à Beurk le Num

invité par l’Express.fr à une heure de chat en direct


Laurent Martinet a inauguré dans la rubrique Culture/Livre/ de l’Express.fr une suite d’entretiens sur le numérique, très fier d’y avoir participé (on trouvera aussi Clément Monjou de eBouquin.fr et d’autres).

Pour l’inauguration du Salon du livre, il me propose un autre exercice, une heure de chat en direct. Départ 14h56, déjà 4 questions déposées, le temps de répondre aux 2 premières, il y en a 8 en attente.

Résultat, jusqu’à 16h20 (on a prolongé un peu), une heure de clavier non-stop, et là en relisant je comprends mieux l’exercice : on répond à chaud, sur le vif, on n’a pas le temps de relire ni de corriger. Même pas, d’ailleurs, de mémoriser l’ensemble.

Alors, tel quel, c’est une trace contradictoire, ouverte, imparfaite, provocatrice aussi – mais c’est là qu’on en est. Merci à celles et ceux qui sont venus dialoguer : qui donc s’est caché derrière cet étrange pseudonyme, Beurk le Num ?

L’ensemble est en ligne sur le site de L’Express, je copie-colle ici pour archives. En tout cas, bon exercice justement parce qu’il contraint d’être en deçà de la réflexion. Une fois la réponse envoyée, on se dit qu’il y aurait mille choses à développer, affiner, complexifier mais c’est trop tard.

Merci renouvelé à Laurent Martinet pour l’invitation.

Image : nature morte avec ordi et extincteur, Tours, Le Petit Faucheux, 11 mars 2011.

 

1 heure de chat avec l’Express.fr – transcription intégrale non corrigée


coxigru : Bonjour, Que dire à des libraires inquiets de leur prochaine disparition ? Qu’ils sont des dinosaures ou qu’ils peuvent innover ? Si oui, que leur proposez vous ?
merci :)

François BON : Aux libraires, je dis seulement que leurs collègues qui acceptent de vendre aussi du numérique ajoutent une fibre de vie à leur magasin, déjà quelques belles expériences en France, par exemple Dialogues à Brest.

Il est sûr aussi qu’un libraire, c’est ce qui fait que ce n’est pas comme la disparition des chapeliers (il en reste un, très belle double vitrine hommes femmes, dans ma ville, Tours, juste en face mon libraire, Le Livre, d’ailleurs...), c’est le lieu de vie et d’échange pour la littérature, la pensée...

Lieu pour les lectures en public, les rencontres avec les auteurs, la médiation avec bibliothèques ou universités locales, et les libraires qui le comprennent sont nombreux. A Sauramps (Montpellier), à Ombres Blanches (Toulouse), il y a des rencontres quasi quotidiennes, on est loin du modèle dinosaure !

Je ne comprends pas pourquoi, en France, aussi peu de libraires proposent une zone wi-fi dans la librairie... On achète d’autant plus de livres qu’on a l’occasion de les découvrir. Et idem pour les ouvrages numériques qu’ils proposent sur leurs sites : ça marche à condition qu’ils fassent leur métier, de médiation, de proposition...


Claire : Bonjour,
J’aurais une simple question à vous poser, quelle est votre position personnelle sur le prix unique du livre numérique ? Merci

François BON : Elle ne me concerne pas. Elle concerne les livres "homothétiques", susceptibles d’être imprimés sur papier. Ce que nous diffusons à publie.net est purement numérique, utilisant les spécificités du numérique.

Mais déjà ça me choque : imaginez une loi qui serait applicable à "tous les individus susceptibles de devenir criminels" - c’est littéralement le 1er article : "tout livre imprimé ou susceptible de l’être".

Le 2ème point qui cloche, c’est que le prix en question est lié spécifiquement à chaque offre. Et que matériellement (pour tout le monde), il y a 1 ISBN par offre. J’ai donc légitimement 1 prix et 1 ISBN pour mon offre multi-formats, mais je peux avoir 1 autre prix pour l’offre Apple ou Fnac qui serait pour 1 seul format. Et bien sûr, dans toutes les plateformes actuelles, c’est l’éditeur qui fixe le prix de vente. Ça me semble donc, dirait le vieux Shakespeare, Much ado nothing.

Pour l’instant, l’important c’est l’invention, et surtout se battre pour la lecture, faire qu’elle soit attractive. C’est pas la ligne Maginot.


Beurk le num : Si je comprends bien pourquoi les auteurs adoptent le numérique, je ne vois pas l’intérêt d’un libraire à investir dans cette branche et encore moins qu’une librairie comme Bibliosurf crée une collection numérique sur Publie.net. C’est du suicide, non ?

François BON : Bernard Strainchamps travaille avec une grande librairie parisienne, librairie Gallimard d’ailleurs, Le Divan. Il fait un travail de promotion, de médiation, de métadonnées. Pourquoi voulez-vous interdire au Divan de proposer des livres à des gens qui souhaitent en acheter, c’est le monde à l’envers ?!

Deuxième point : les métiers de libraire et d’éditeur ont toujours eu partie liée, de Flammarion et Calmann-Lévy ou Charpentier au XIXe à Maspero ou José Corti dans les dernières grandes figures. Bernard est un spécialiste du polar et notre collection marche très bien, merci ! - j’aurais même tendance à penser que découvrir un auteur policier pour 3 euros en numérique ne peut qu’inciter à se procurer ses ouvrages non numériques, mais c’est une autre histoire...


Curieux : On vous annonce sur Twitter en faisant des fautes d’orthographe dans une phrase de moins de 140 caractères. Est-ce révélateur de la qualité de la littérature numérique à venir ???

François BON : Quand je fais une faute d’orthographe sur twitter, remarquable outil de propagation de liens et d’information (depuis 72h, sur le Japon), en général c’est exprès, comme tout à l’heure à propos de Friderrand Metteric, qui prenait comme exemple de son intérêt pour livre numérique Julien Gracq, alors qu’il n’existe pas encore de Gracq en diffusion numérique, ce qui est bien dommage...


eric bonjour : On ne peut parle pas encore beaucoup dans les grands médias du livre numérique et certains écrivains qu’on voit souvent justement dans les médias sont restés conservateurs à ce sujet et au sujet de l’impression à la demande, de l’édition en ligne, et des réseaux sociaux... Qu’en pensez-vous et quels sont vos arguments de défense du livre numérique ?

François BON : Le livre numérique n’est pas un criminel : il n’y a pas à le défendre. Je ne fais de procès aux propriétaires de haras et aux éleveurs de chevaux de course sous prétexte qu’est née la locomotive, qui nous permet d’aller plus facilement de ville en ville.

La littérature, c’est le langage mis en réflexion, depuis ses propres usages - y compris la grande tradition orale (le conte). Nos usages du langage sont "déjà" numériques, via l’ordi, le téléphone - comment ne pas interroger cette relation neuve au monde ?

La littérature numérique s’ancre là. Et quel plaisir que cette relation neuve à la page, à la relation aux sources, à l’objet lui-même d’ailleurs. Pourquoi y voir une guerre à l’ancien ?


eric - la liseuse d’ebook moins cher c’est pour bientôt ?

François BON : ça, c’est pas moi qui en décide...

Il y a de merveilleux petits objets à moins de 100 euros, le Opus de Bookeen par exemple, pas fragile, qu’on peut trimbaler partout, et même dans sa baignoire si on le met dans un plastique genre "poche à surgelé".

C’est plus compliqué avec l’iPad (ou la tablette Archos, notablement moins chère) : à chaqun de juger si son rapport global au web, communication privée mail et réseaux, info et presse, écoute musique etc, justifie l’achat.

On doit évidemment maintenir la pression contre les marchands qui voient tout en marketing, mais c’est plutôt une chance de voir tous ces matos évoluer en direct - ce qui se passe du côté de l’encre électronique, vitesse de rafraîchissement, couleur, support souple, etc c’est fascinant, rien encore de stable.


filsdejoie : Je suis écrivain et publie des livres chez Hachette, Seuil, Flammarion... depuis une quinzaine d’années. Tous les éditeurs proposent aux auteurs depuis un an ou deux des droits pour les exploitations numériques équivalents à ceux de l’édition traditionnelle. J’ai comme l’impression que nous (auteurs) sommes en train de nous faire avoir dans des proportions alarmantes. Quel est votre avis sur le sujet ?

François BON : mon avis c’est qu’il faut faire pression ensemble - Hervé Le Tellier par exemple a commencé à férérer les auteurs en ce sens.
Pour notre part, à publie.net nous avons décidé de partager à 50/50 les recettes nettes entre l’auteur et la structure (30% auteurs par péréquation des pages lues la recette nette de nos abonnements), sur le modèle des galeries d’art.

Les coûts concernant l’ "editing" préparation, révision, correction, sont les mêmes que dans le traditionnel - mais la fabrication d’un epub et sa diffusion ça n’a rien à voir.

Aux US, la base auteur pour le numérique s’étabit à 23% - le SNE en France fait pression pour une équivalence % papier % numérique qui paraît de plus en plus injustifiable.


lulu0022 : Comment envisagez-vous la redistribution du prix du livre entre les différents acteurs de la chaine du livre, sachant que les coûts de fabrication seront différents ?

François BON : il faut se déshabituer de l’expression "chaîne" du livre, qui n’était telle que par le transfert linéaire d’un objet matériel, du manuscrit à l’imprimeur, de l’imprimeur au distributeur puis à l’entrepôt puis au libraire, etc.

Il s’agit d’un écosystème où effectivement la totalité de la répartition des coûts est chamboulée - par contre, la marge accordée aux libraires est globalement restée la même : que ce soit Fnac ou ePagine ou Apple, elle s’établit à 40 % et il n’y a pas de raison de mettre en cause cet échelon décisif : on ne vend pas sans médiation de proximité.

De mon côté, auteur et éditeur numérique, ça pose un autre problème en fait : la possibilité d’établir un contrat d’auteur sur la recette nette, indépendamment des commissions en cascade, et non plus sur le prix de vente global, comme la loi nous y contraint en France (et seulement en France) s’agissant de propriété intellectuelle.


Numer-hic : On nous bassine avec les apports multimédia du livre numérique... Mais au fond, pour l’instant, c’est un peu du gadget, non ? J’ai l’impression que ça agrémente la lecture plus que ça ne la révolutionne. N’est-ce pas votre avis ?

François Bon : bassinons, bassinons ...

Et si on prenait la question à l’envers : Baudelaire c’est un mec qui arpente
les rues, qui cause dans les cafés avec ses amis, qui rédigent des notes dans des carnets, qui traduit des nouvelles d’auteurs américains, commente des peintres, lit ses poèmes à voix haute.

Le livre imprimé, longtemps la plus belle et la meilleure possibilité technique de reproduction et diffusion, construisait une projection uni-dimensionnelle de tout ça.

On revient en amont - on a la voix et l’image dans l’epub, on a l’atelier du peintre si on veut sortir du texte et y revenir, on a gagné un échelon dans la proximité à l’atelier de l’auteur.


eric : Pensez-vous que bientôt tous les smartphones pourront faire lire des ebooks ?

François Bon : lire sur téléphone ça peut paraître difficile - mais les livres du 18ème siècle, j’ai souvent dans mes cours un Rabelais de 1780 comme exemple, étaient exactement de ce format.

Dans le métro, la nuit au paddock, on lit parfaitement bien sur un iPhone - mais je pense surtout au défi que ça représente pour l’Afrique par exemple, où le téléphone modifie la totalité d’équilibre de la société, je pense aussi à l’usage qu’en font les ados. Comment aller les rejoindre là, et - selon Rimbaud - s’implanter des verrues sur le visage, enfin les verrues de la poésie ?


numeriklivres : Comment expliquez-vous la montée en puissance de l’iBookstore dans le nouvel écosystème autour du livre numérique. De plus en plus de lecteurs téléchargent des livres numériques, mais pourquoi ne le font-ils depuis les sites internet de nos "librairies" ?

François Bon : cher Numerik mon frère d’armes, je te réponds clairement par notre jeune histoire :

2008, totalité des fichiers diffusés par publie.net le sont par notre site, puisque rien d’autre.

2009, arrivée de ePagine (40 libraires indépendants derrière), et 15% de ventes en plus, que nous n’aurions pas générées

Juin 2010, arrivée de l’iBook Store, octobre 2010, irruption de Fnac.com, de FeedBooks, depuis 6 mois, et même si nous vendons plus de titres par nous-mêmes, nos ventes "directes" c’est seulement 34% de nos ventes totales.

Quand, mais quand donc "nos amis libraires" comprendront que ce n’est pas de la concurrence déloyale, que ce ne sont pas les mêmes titres, les mêmes textes, et que s’ils décident de les mettre en valeur ça démarrera comme le reste ?


novalis : Il me semble qu’on vit un vrai tournant ces temps-ci : des auteurs confirmés sur papier qui s’intéressent au numérique et publient en numérique (je pense à Régis Jauffret), est-ce selon vous anecdotique ou cela relève d’un mouvement profond ?

François Bon : je suis littéralement ahuri de l’impassibilité tranquille de l’énorme masse d’auteurs qui pour certains sont mes camarades de publication depuis 20 ans... Alors que tout ce qu’ils ont à perdre, c’est de gagner 3 sous en plus.

Oui, ouf et merci, le vent commence à tourner : sur publie.net, il y a des textes de Régis Jauffret qui se vendent tous les jours, et par contre, ce qui compte pour moi, c’est qu’un auteur moins connu, mais actif sur le web, disons par exemple Laurent Margantin, va être au même niveau d’accès.
Mais pour le mouvement profond, on n’y est pas encore - disons qu’ils nous regardent par dessus la haie, les frères, mais ce serait bien qu’ils se dépêchent, maintenant - le prix (et la complexité) du ticket d’accès montent vite.


Silvae : François Bon que pensez-vous du prix unique du livre numérique par rapport au rôle que peuvent avoir les bibliothèques ? Merci.

François Bon : si la loi dite Prisunic ou PULN, qui résulte d’un lobbying indécent entre le syndicat des éditeurs et une poignée de députés sarkozystes (Gaymard) vise seulement à s’assurer de faire banquer les bibliothèques, bravo pour le travail.

C’est malheureusement ce qu’il y a comme enjeu derrière l’amendement 5 (de mémoire ?) refusé à l’assemblée, remis sur le tapis par le Sénat.

Pourquoi les bibliothèques sont-elles si timides ? parce que les maires qui les gouvernent ont peur des blogs et réseaux ?

Par exemple, la révolution vitale, vu de mon côté, c’est l’accès à distance : rien de plus facile à mettre en place - la bibliothèque est conseilleuse, orienteuse - qu’on accède depuis chez soi à ces ressources via sa carte de lecteur, on aura d’autant le goût de venir aux expos, aux rencontres, explorer les autres fonds - or, à l’heure actuelle, sur bientôt 40 abonnés à notre plateforme publie.net, seulement 5 qui pratiquent l’accès à distance.
Et petite pensée nostalgique aussi à se dire que oui, seulement 40 sur tant de dizaines de bibs... aidez-nous, bon sang.


albert : Bonjour, sait-on aujourd’hui qui "vit" du livre numérique ? A vue de nez je dirais : les vendeurs de matériels, quelques développeurs et des consultants. Existe-il des chiffres à ce sujet (ou bien est-ce tabou ?)

François Bon : moi je "vis" de littérature et pas de vente de livres - "pour mieux vivre" que disait Saint-John Perse. On n’a jamais vécu de nos droits d’auteurs, c’est pas vrai, on a toujours vécu de ce qu’il y avait autour - avec nos sites web et la diffusion numérique, c’est ça qu’on renforce.

Ce que je constate : longtemps que l’édition n’embauche plus, et vit avec des stagiaires à 300 euros mois - à côté, une galaxie de micro-structures, un nombre incroyable de mini-mini-entreprises.

Mes partenaires de l’Immatériel-fr : 3 salaires - publie.net : on redistribue aux auteurs ce qui leur est dû, et la "cagnotte" c’est pour payer Gwen qui me fait les ePubs, ou Stéphanie qui corrige etc. Y en a ras-le-bol des machins économiques, le "marché", il est beau leur marché avec les bourses qui s’effondrent à Tokyo - parlons littérature, parlons écriture, parlons invention, parlons LIRE.


YannT : Bonjour,
N’y a t’il pas à s’inquiéter de la tentative de mainmise de sociétés américaines sur le marché ?

François Bon : je ne crois pas qu’Apple France ait une quelconque main-mise là sur les textes qui m’arrivent ou que j’écris ou mets en ligne, sous prétexte qu’ils les vendent. Arrêtons avec ces conneries : l’important c’est pas le procès des éditeurs à Google, c’est de comprendre les algorithmes Google pour que ce qu’on a à dire passe au travers.

Pour le livre numérique, ça s’appelle métadonnées et c’est passionnant - un libraire sait proposer tel livre à un client qui exprime une demande très floue, pour le numérique c’est pareil.

Mais radicalement : oui, c’est du dedans qu’on peut résister, c’est de l’intérieur de leur gros ventre.


Sylvain : N’avez-vous pas peur de tomber de Charybde en Scylla en vous affranchissant des contraintes de l’édition traditionnelle pour publier dans un univers façonné par de grands acteurs mondiaux comme Amazon ou Apple, qui définissent les structures mêmes de l’édition numérique en créant les outils techniques de la lecture numérique ? Avez-vous le sentiment d’un lien de dépendance quelconque au matériel, à la technologie, aux nouveaux distributeurs comme iBooks ?

François Bon : on ne s’affranchit pas des contraintes de l’édition traditionnelle - le travail d’editing, la rigueur et l’exigence sont exactement les mêmes qu’on soit en papier ou en numérique.

iBooks est plutôt plus performant que fnac.books, et l’epub aussi c’est un combat, de normes, de moteurs de rendus. mais attention : tous ceux qui bossent dans le livre numérique actuellement, et souvent plus largement dans le web culture, ont traversé l’édition tradi ou la librairie ou la distribution - on exerce ailleurs ce qu’on a appris. Je n’aurais jamais pu créer publie.net sans ce que j’ai appris au Seuil.

Quant aux matériels : "dinosaures du futur" expression © @dbourrion - mais si on n’apprend pas maintenant à travailler dessus, c’est cuit.


Fenn : Le passage au numérique représente une formidable occasion pour donner au texte une nouvelle dimension, en lui apportant par exemple de l’interactivité. Pensez-vous que l’édition, pour survivre à l’ère de la dématérialisation, doit accompagner les auteurs dans une redéfinition de ce qu’est un "livre" ? Et si oui, quelles directions vous semblent les plus porteuses de promesses ?

François Bon : quelque part, on n’a même plus besoin du terme "livre" - un livre imprimé aujourd’hui, et chez tout le monde, c’est d’ailleurs d’abord un mini-site web, fichiers xml, métadonnées onix, masques css - l’enjeu est là : construire des sites web complexes, et les commercialiser comme on le fait du livre. Donc message UN SEUL aux auteurs : bagarrez-vous sur le web, apprenez à maîtriser votre identité numérique, c’est votre taf, pas celui de votre éditeur papier - créez un blog wordpress pour apprendre, puis achetez un nom de domaine, faites vos expériences.

Il y a UNE chose qui n’a pas changé en 15 ans de web (oui, 15 ans pour moi cette année) : la solidarité, qu’on trouve tjs quelqu’un pour vous tuyauter et vous aider.

La nouvelle dimension du texte, ce n’est pas dans le livre numérique qu’on la trouve, c’est dans les sites et blogs, c’est là "l’atelier contemporain" (l’expression est de Francis Ponge).


hih : Bonjour, avez vous des exemples de primo-romanciers qui auraient fait le choix du livre numérique avec succès ? (en France)
François Bon : y avait la primo-cutie, v’là les primo-romanciers ! Attention : le succès, c’est vis-à-vis de soi-même - c’est quoi, le succès de Lautréamont ?

Mais surtout, dans le bousculement numérique, la forme roman, issue du feuilleton 19ème (Le rouge et le noir ça s’appelait "moeurs", Madame Bovary "moeurs de province") c’est pas une catégorie éternelle.

Sur publie.net, cherchez Jeanney (Fichaises), Vissac (Accident de personne), Rilos (Les Elections), sais pas de "primo-quoi" qu’ils sont - ce que je sais c’est que la littérature qui s’invente elle est plus intéressante là que dans les "romans de rentrée".


iBooks : Pourquoi pensez-vous que les éditeurs traditionnels ont aussi peur du numérique (ils n’osent pas signer avec Apple/Amazon, donnent des titres au compte goutte et mettent des prix exorbitants) ?

François Bon : allez donc le leur demander...

Le Seuil : 450 titres en ligne sur la totalité de leur fonds

Gallimard : Antoine Gallimard lui-même la semaine dernière "1000 titres en ligne, 22 000 numérisés si le marché démarre".

Sans parler des DRM et d’un prix prohibitif. Alors là OUI QUESTION : c’est à nous les auteurs qu’ils portent dommage - et donc on s’organise, le boulot qu’ils ne font pas, on apprend à le faire nous-mêmes - et s’ils doivent courir plus vite pour attraper le train en marche, ben tant pis quoi, ça les fera maigrir un peu (ça me ferait du bien aussi).


gla : Les "wannabe", comme il est coutume de les désigner, ont souvent l’impression que le livre numérique va leur permettre de se passer des services d’un éditeur et de proposer leur prose en direct aux lecteurs. Avec des plateformes comme Amazon qui le permettent facilement, n’y a t-il pas un risque de se retrouver avec une offre énorme mais de piètre qualité ? Même si les éditeurs sont critiqués, parfois à juste titre, ils servent au moins de "filtre". Qu’en pensez-vous ?

François Bon : je pense, très sérieusement, que les outils de "sérendipité", les plateformes de recommandation, les outils de lecture sociale (extraordinaire travail pionnier de Babelio) permettent de se repérer, même dans cette apparente confusion et que ces outils progressent encore plus vite que la masse des ressources accessibles. Mais j’ai aussi choisi un autre biais : avec une coopérative d’édition, oui nous assumons que fabriquer un epub de qualité c’est aussi compliqué que de faire un livre de qualité, et oui aussi, le catalogue d’une maison d’édition numérique, même à large catalogue, peut jouer le rôle d’incitateur, ou de validation symbolique.

Alors oui, foncez dans la publication sur votre site, utilisez scribd ou les autres outils, ça vous apprendra le boulot, la critique collective, et tout ça marche en avant - c’est le rôle qu’assumaient autrefois les revues littéraires.


chatchat : Les livres numériques de Publie.net sont des livres comme les autres, si ce n’est qu’ils ne sont pas disponibles au format papier. Ils ont peu de liens. Ils usent de formes établies dont le travail est surtout textuel. Ils jouent peu des différents médias disponibles via le net. La création littéraire n’est-elle pas soluble dans la démultiplication des outils ?

François Bon : j’accepte complètement : il y a une masse de titres papier qui ne sont plus disponibles, nous avons les droits en tant qu’auteurs, on assure leur portage, leur ergonomie pour l’iPad, etc - dans ce cas, la spécificité numérique est secondaire, et c’est comme ça aussi qu’on a appris le travail
Mais je constate que plus ça va, plus les expériences numériques, utilisant nativement la possibilité numérique, dès l’écriture, sont nombreuses dans nos chantiers en cours.

Quant à la création littéraire, elle en a vu d’autres depuis l’invention de la plume d’acier ou de la machine à écrire.


hubertguillaud : PublieNet est une initiative assez unique d’auteurs qui décident de rendre disponibles leurs textes pour le numérique, de manière organisée. Y’a-t-il d’autres initiatives de ce type ailleurs dans le monde ? Va-t-on voir naître d’autres Publie.net sur d’autres sujets que la littérature ou dans d’autres langues ?

François Bon : Hubert, permets-moi simplement, à titre personnel, ici-même, de te remercier pour tout ce que tu nous a apporté en continu depuis au moins 5 ans.

Oui, il y a une spécificité française de l’instance littéraire, revues, écoles, pratique de la lecture, qui nous permet ça - on en aperçoit aussi en Italie et en Espagne mais aux US je n’en pas vraiment vu sur ce modèle.
Grande question aussi : j’étais persuadé en commençant que la validité de ce modèle s’appliquait aussi aux textes critiques et universitaires, mais l’immobilité de ce monde (fac de lettres only) est stupéfiante - ceci dit, quelle joie de croiser les modèles d’ "édition ouverte" du CLEO, bien sûr on est en osmose. Et pour la littérature ou la BD, là c’est acquis, on est dès à présent un bon petit paquet d’acteurs, mais il y a encore la place pour de nouveaux - la cohérence d’un éditeur c’est la cohérence de son catalogue.


Sylvain : Croyez-vous en la pérennité de publie.net ? Espérez-vous un développement ?

François Bon : je n’ai jamais cru à la pérennité de quoi que ce soit - là on a besoin d’être ensemble et d’avoir un outil fort pour inventer, alors on a monté publie.net. Et aucun regret - quand ça pourra se piloter tout seul ou que l’invention sera ailleurs, on ira voir l’ailleurs !

Mais par contre oui : il n’y a aucune raison que dans un pareil chamboulement ce soit les acteurs de l’ancien système qui soient les acteurs exclusifs du nouvel écosystème, et ce ne sont pas des mesures bureaucratiques ou protectionnistes qui l’empêcheront.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 mars 2011
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