éclats de réalité (ou : ma vie de papier)

parutions en revue, et actes du colloque Saint-Étienne 2007


Il faut s’y faire, ce qui assure désormais la pérennité, l’accessibilité, la circulation d’un texte, c’est l’univers numérique, devenu presque une contrainte d’existence. Le monde scientifique l’assume très bien, et y trouve de nouveaux modes de recherche et avancée. Pour le monde littéraire, le poids symbolique de l’imprimé, même sachant très bien sa faible durée de vie et ses limites de plus en plus restrictives de circulation, l’emporte quand même – et l’université y a une responsabilité, puisque la rémunération liée à votre poste à vie dépend du nombre de ces références mortes.

Les deux univers vont donc continuer de coexister encore quelque temps – mais c’est de plus en plus difficile, réciproquement, pour un certain nombre d’entre nous, d’assumer cette coexistence. Oui, j’aurais grand plaisir à écrire sur Christa Wolf pour ce numéro d’Europe, ou pour Faire Part qui veut consacrer un dossier à Jean-Michel Maulpoix, que je lis depuis si longtemps et que je considère comme un proche, ou Diérèse qui veut rendre hommage Thierry Metz. Mais, de leur côté, rester dans les murs de l’imprimé nous en sépare radicalement : mieux vaut écrire dans le bouillonnement d’ici, qui nous assure en même temps référencement, disponibilité permanente du texte – et surtout, un dialogue, voire un combat des idées, définitivement vivant, en prise avec les contradictions du temps. En gros : le web m’accapare trop pour que j’aie du temps à consacrer au papier.

Mais cette coexistence reste un enjeu, si elle est d’emblée comprise comme articulation. Ainsi, je me réjouis de la commande du Mac/Val, qui me propose pour cela une oeuvre de Thierry Kuntzel, et me fait découvrir son univers (et j’y retrouve comme par hasard la mort de Robert Walser) – quand le texte paraîtra, il servira d’appui à des actions de terrain via les dispositifs pédagogiques du Mac/Val, qui utilise aussi la présence Internet pour ses dispositifs de guides interactifs. De même aussi, lorsque paraît (je l’ai reçu hier), ce livret d’accompagnement de l’exposition Kertesz On reading, portraits de gens qui lisent, accumulés toute une vie, proposée au château de Tours par le Jeu de Paume. Je dirais même que l’enjeu, pour nous auteurs, c’est que la commande du texte, dans ce cas, glisse progressivement vers un contrat d’accompagnement global, où l’intervention web – si elle inclut la parution du texte papier, en ce cas d’ailleurs, merci Françoise Bonnefoy et Marta Gili, héritier d’une rigueur et d’une logistique de travail que ne nous permettent pas nos propres moyens bénévoles ou amateurs de sites web hors institutions –, notre activité de réseau et diffusion relaye celle de l’institution et fait organiquement partie de la relation auteur-institution de la commande.

Ainsi, grand plaisir il y a une semaine à ma participation aux rencontres de la MEET Saint-Nazaire, à l’invitation de Patrick Deville, et le site de la MEET est désormais un site mûr, relais nécessaire de leur activité de terrain et des résidences d’auteur. Mais nulle hésitation à en faire part sur Tiers Livre avec mes micro-outils (lecture Golovanov, voix de Savitzkaya, et mon propre texte liste de mes frontières pour inciter à aller découvrir ceux de mes confrères, dans la revue de la MEET). Et c’est plus que positif que nous puissions avoir ce dialogue en clair : non pas être le blogueur invité (assez pitoyable rendu de cette tentative lors de la dernière Nuit Blanche parisienne...), mais respiration naturelle qui s’installe entre auteurs web et lieux événementiels.

Et nulle arrogance : une part non négligeable de ma vie matérielle dépend de ce dialogue (détail, je découvre que, si j’ai tenu une bibliographie à peu près en ordre et exhaustive de ces publications depuis mon premier livre en 1982 jusqu’en 2000, depuis 10 ans c’est uniquement mon site qui devient cette bibliographie, par son contenu même) – puisqu’il y a coexistence, il y expérience, mise en relation, je ne tente pas du tout de prendre distance. L’enjeu, c’est d’inventer ensemble cette articulation, qui est bien moins une articulation web/imprimé qu’une reformulation du rapport auteurs/institutions, rôle de l’auteur, commandes à l’auteur, dans le pacte social et artistique que cherche l’institution (musée, université, lieu de littérature, presse aussi) dans sa propre mission – ça va, la phrase, là ?

Et quand même ce qui nous place souvent devant des abîmes de perplexité : sans compréhension des mécanismes du web, et donc qu’il ne s’agit pas d’y informer, ou de mettre en ligne un sommaire ou un résumé, mais d’instaurer une vraie réflexion via partage de contenus, qui ne sont pas forcément ceux de l’objet imprimé, ce n’est pas la seule existence commerciale de l’objet imprimé qui est condamnée, mais désormais son existence matérielle elle-même (le dépôt légal web de nos sites est certainement déjà lui aussi un lieu plus vivant que le dépôt légal de l’imprimé). Pourquoi tous ces efforts mis au service de l’imprimé, avec intelligence et rigueur, se refusent encore à la moindre ouverture vers ce vocabulaire désormais incontournable ? – on verra où ça en sera dans dix ans.

 Pour une critique décalée, autour des travaux de Pierre Bayard
textes réunis par Laurent Zimmermann, publiés aux éditions Cécile Defaut, avec notamment participation de Pierre Bayard, Umberto Eco, Marc Escola, Gérard Genette, Christine Montalbetti, Jean-Philippe Toussaint, mon propre texte : Et si Pierre Bayard changeait d’auteur.

 Perec et l’art contemporain
textes réunis et présentés par Jean-Luc Joly, avec notamment (parmi 34 contributions, voir chez eux) Jean-Max Colard, Cécide De Bary, Pierre Hyppolite, Catherine Pomparat, Mireille Ribière, Bernard Magné, François Morellet, Jan Baetens, Jean-Pierre Salgas. Perec traverse depuis longtemps l’ensemble de mon travail, je n’ai pas repris en ligne cet entretien pour l’instant, mais merci spécial à Jean-Luc Joly.

 et donc la revue MEET consacrée au thème de la frontière, et les actes de colloque d’Ottawa sur Robbe-Grillet en juin 2009, ainsi que le récent Télérama spécial Depardon.

 

Saint-Étienne, mars 2007 : éclats de réalité


Pour en arriver à une parution évidemment qui m’honore beaucoup, les actes du colloque organisé à Saint-Etienne en 2007, organisé par Jean-Bernard Vray et Dominique Viart pour le CIEREC (voir sur Tiers Livre ma contribution à leur précédent ouvrage sur Jean Échenoz, cette année c’est Alain Fleischer qui est sur le grill). Ce n’avait pas été une situation facile que d’assister à ces journées où c’est de mes livres que parlaient Wolfgang Asholt, Pierre Hyppolite, Christine Jérusalem, Jean-Claude Lebrun, Gianfranco Rubino, Michael Sheringham, Manet Van Monfrans, donc venus aussi spécialement de Münster, Rome, Oxford, Amsterdam, avec ouverture vers les ateliers d’écriture via Patrick Souchon (et quinze ans de travail commun), ou les complicités d’écriture, présence de Pierre Bergounioux et textes transmis par Jean-Marie Barnaud, Antoine Emaz, Laurent Mauvignier, Philippe Rahmy (visionnage décrit seconde par seconde d’une brève vidéo en ligne sur Tiers Livre, Tu marchais dans la maison des morts, merci au frère d’arme).

Comment évoquer ces textes sur mon propre site avec la distance nécessaire ? Ce colloque a été un atelier, j’aurais souhaité que nous le prolongions immédiatement sur le web, d’autant qu’une grande part des intervenants m’avaient transmis leur intervention – Jean-Bernard et Dominique m’ont spécifié qu’ils préféraient ne pas.

Je le regrette, parce qu’en temps de mutation, ces deux ans et demi sont comme une éternité : le type qui publiait chaque deux ans un livre chez Minuit puis chez Verdier est mort, et ses livres en partie avec. J’ai eu la chance de comprendre le tremblement, d’autres amis semblent ne pas encore l’avoir décelé. Dans ce colloque, deux intervenants, Alexandre Gefen (un des fondateurs de Fabula, son titre portait sur le mot réalisme) et Alexandra Saemmer (maintenant chargée arts numériques à Paris VII) avaient centré leur intervention sur ce que signifiait mon travail web du point de vue de cette mutation – qu’on n’est pas trop de tous ensemble pour conceptualiser et réfléchir.

Est-ce que d’autre part le souvenir d’un colloque n’est pas en soi-même un objet complexe, où l’oralité est première, les croisements incessants, les montées en tension (touché de la confiance de DV et JBV, ma propre contribution au colloque ayant été une lecture acoustique avec Dominique Pifarély) : aujourd’hui, d’ailleurs nos petits outils comme l’iPhone suffisent à capter et retransmettre ces traces quasi en temps réel, et l’université pourrait être la première à se saisir de ce rôle...

Un grand merci particulier à chacun des intervenants, moins pour leur science que pour cette sensibilité qui a fait de plusieurs d’entre eux des amis proches, des compagnons de route – avec Dominique Viart depuis 1992, avec Jean-Claude Lebrun depuis 1986 au moins, Wolfgang probablement aussi – et je dois à Michael Sheringham (texte très fin sur Paysage fer et le quotidien) ou Gianfranco Rubino (notre stage d’écriture à la Sapienza qui en résulterait !) de belles mises en perspective.

Merci aussi à DD et GB d’avoir mis en ligne sur remue.net d’une part l’introduction de Dominique Viart, d’autre part l’intervention de Jean-Claude Lebrun (principalement sur Décor Ciment).

Je respecte le souhait de DV et JBV de ne pas mettre en circulation ici ces interventions : on peut se procurer le livre chez Decitre ou Mollat.

Image : quelques clichés numériques retrouvés, des trois jours à Saint-Étienne.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 novembre 2010
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