construire une résidence : leçon par Louvain

en 2011-2012, un projet qui se dessine avec les étudiants de Louvain-la-Neuve


L’université de Louvain, comment ne pas en connaître le nom, et tant de livres et de publications où la mention en figure. Je m’imaginais une sorte de petit Oxford, avec vieux collèges et ville comme on aime Bruges ou d’autres.

En fait, non. Je ne savais pas l’histoire de la séparation de la vieille université néerlandophone, restée à Leuwen, et de celle-ci, bâtie dans la campagne d’Ottignies (il reste une ferme, transformée en salle de concert). Je ne sais pas si les urbanistes de Cergy-Pontoise ont délibérément copié : espace piétonnier sur dessin de ville ancienne, avec dédale de placettes, les bâtiments universitaires donc constituant le centre, la gare arrivant dans la fac, mais désormais une population mixte, autant de non-étudiants que d’étudiants, même si une ville de moyenne d’âge 25 ans ça fait plutôt énergie quand on s’y promène.

Sollicité en mai dernier, ça me semblait irréel : comment, dans la perspective actuelle, se projeter dans l’année scolaire 2011/2012 ? Et puis un dossier à constituer (pas moi, mais Erica Durante, la comparatiste qui m’avait appelé), parce que la règle est assez contraignante : chaque année, l’université nomme un artiste invité, chaque discipline à tour de rôle, mais aussi bien un paysagiste qu’un photographe, etc. Et pas mal de grands noms qui s’y sont aventurés. Par contre, les enseignants de la discipline concernée proposent alors une candidature, et dans mon cas il y avait trois candidats...

Pas facile non plus, le dossier, parce qu’il fallait en faire presque une fiction complète : combien d’ateliers, comment se passe chaque séance, qu’est-ce qu’on laisse comme trace à l’université...

Pas triché : dit juste les questions que je me posais – mutation numérique de l’écrit, besoin, pour nommer le monde d’aujourd’hui, de l’énonciation de ceux qui naissent dans la rupture.

Alors, hier, c’est de ça qu’on a parlé. On a évoqué ce dossier, mais si je disais : – De cette façon, c’est sûr que ça me laissera un bon souvenir, mais si on veut vraiment que ça aille à fond, alors... Et surprise qu’à chaque fois on me réponde : – Alors, c’est comme ça qu’on va faire...

Donc il y aura un groupe de 20 étudiants avec lequel rapport dense, une fois toutes les deux semaines, pendant tout un semestre, et pour eux validé par une mineure de leur enseignement.

Mais découverte que l’université offre à une quarantaine de projets (dit kots), pourvu que proposés par 3 étudiants, humanitaires, sociologiques, techniques et bien sûr artistiques, une bourse de 8000 euros pour l’entreprendre – la résidence n’est alors plus un fait isolé, mais un projet artistique respirant parmi l’ensemble de ces propositions en recherche.

Il y aura aussi une suite de conférences. Ça allait très vite. Je disais : – Si on veut avoir une cohérence dans cette histoire des mutations de l’écrit... Et on me répondait par : – Il faudra juste que vous restiez un peu plus longtemps.

Dans le dossier présenté par Erica, j’avais buté sur ce que nous imaginions une sorte d’obligation, un mot (un seul) qui résume ou symbolise le projet. De Québec, j’avais proposé territoires, mais l’avais oublié depuis, mauvais signe. En fait, voilà ce que l’équipe du service culturel nous explique : la programmation de la saison culturelle, dans cette ville à 1 heure de train de Bruxelles, mais où vivent 25 000 étudiants, c’est une quarantaine d’événements. La résidence est liée à la programmation de la saison par ce mot symbole – ce qui laisse indépendance au service culture pour programmer, mais inclut la résidence dans la cohérence globale. Donc, expo, concerts, lectures, on peut imaginer des transversales...

C’est venu en déjeunant, on jouait encore avec cette idée de territoires, on avait beaucoup évoqué les résidences précédentes, je me suis entendu dire : – Alors je voudrais qu’il y ait dedans le mot langues. Puis, après, c’est l’idée de rupture, celle qu’on traverse, et ce qu’on a à transporter d’héritage, de savoirs et de mémoire, d’art du saut – tout simplement. Dans le train, au retour, c’est là où j’en étais, et ce soir encore : langues de rupture – ça peut signifier aussi pour de la musique ou du film ?

Où ils m’ont soufflé, alors qu’on reparlait de ces questions d’histoire du livre, et usages de la lecture par les étudiants, d’entendre une voix très calmement proposer, comme si ça allait de soi : – Et si on reprenait une histoire de l’écrit avec tous les documents anciens de nos collections ? Et la conversation qui part sur BNF, British Library, collections de la fac de pharmacie – l’expo Louvain était sur rail, comme une évidence, à peine 20 minutes après avoir été lancée (et donc, pas par moi, loin de là). Réponse alors que je recevais quant à ce délai entre la proposition de résidence et son lancement dans un an...

Et bien sûr, si le service culturel garde sa prérogative de programmeur, apparemment rien n’empêche qu’on suggère avec force que de jeunes auteurs belges comme Antoine Boute ou Gwenaëlle Stubbe nous visitent, ou certaines figures complices comme Médéric Collignon (Charleville est bien près) ou bien sûr avoir pas loin l’ombre mouvante de l’archet Pifarély.

Donc merci Erica Durante, merci Frédéric Blondeau et Marc Crommelinck. C’est dans longtemps, évidemment – avant, il y aura eu d’autres pierres sur la route, les ateliers lancés à Sciences Po Paris, ou telle écriture que je préfère pour l’instant garder sous cloche – mais Louvain est sur la route pour 2011-2012.

Questions adjacentes, pas mal :
 Que des gens habitués à l’intervention de cinéastes, photographes, graveurs, bédéistes, architectes, considèrent comme absolument naturel qu’un auteur dans une fac ce n’est pas pour se balader de cours en cours, mais faire écrire, et le droit d’aller au bout (leur expression, elle est aussi dans Poteaux d’angle de Michaux) avec un groupe restreint, plutôt que multiplier ou disséminer comme on voit dans la plupart des cas.
 Parlé évidemment beaucoup du numérique. Du rapport personnel des étudiants, selon eux ici, avec leur NoteBook ou ordi. De la difficulté à faire passer les infos blogs ou site de la fac aux pratiques privées de réseau. Mais que justement ça pouvait être un enjeu de la résidence (on parlait même de bornes sur le campus, émettant message vers les téléphones portables au passage). Donc d’une part, l’iPad sur la table avec les expériences en chantier, mais le fait que le numérique est partie organique du projet, et non pas sa médiation – et que je suis invité aussi sur cette base. Installer la question du numérique dès l’amont, c’est installer la résonance globale de la résidence, le lien permanent avec qui vous accueille, et son impact public. Et des tas de bonnes questions surgissent, avec qui, comment...
 Qu’il n’y a pas comme trop souvent ces cases pré-remplies, résidence d’un côté, programmation culturelle de l’autre, et enseignement troisième labyrinthe – évidemment qu’avec Erica on tentera de programmer aussi un temps fort sur les formes du contemporain (j’appelle ça sans engagement, et c’est un autre circuit que le service culturel). Mais, le dire au plus simple, je ne m’attendais pas à ça.
 Souvent assez interloqué aussi par le partage qui s’établit, en amont des résidences (relire ceci à propos de ma résidence Bagnolet) entre l’intervention publique (ou sociale) de l’auteur, et la part en principe réservée à la création personnelle. N’ai pensé que dans le train que n’avait jamais été évoquée la question : la création de l’artiste invité, c’est précisément et exactement ce qui a été fait ici avec les étudiants, sous quelque forme inventive qu’on le prenne, mais justement, dans ce cas, le considérer non pas comme exercice pratique ou application sociale, mais la développer dans la plénitude d’exigence artistique. On a parlé de plein de choses, de Bach, d’urbanisme et même de prosopagnosie, ou de l’héritage de la philo, ou de pourquoi les ateliers se passent en bibliothèque, et dans le secteur science (même si les difficultés à décloisonner sont les mêmes qu’ailleurs, et les enjeux quant à la lecture aussi bien sûr en partage) : dans le petit polycopié remis en début de réunion, il y avait ce principe affirmé, d’un être humain libre – et que cela, probablement, ne se divise pas, et que c’est pour cela, précisément, que nous saltimbanques on prend avec confiance notre place dans le partage.

Pas souvent ce genre d’échange, le dire humblement. Voyage entamé, et ce billet juste pour mémoire et point personnel. Photos iPhone datent d’hier.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 octobre 2010
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