la bibliothèque comme imaginaire

de l’aménagement des lieux physiques de l’échappée intérieure


Sur le site curious expeditions, cette magnifique page avec bien soixante intérieurs de bibliothèques, souvent les plus prestigieuses, souvent aussi méconnues ou d’accès difficile.

Évidemment, fascination qui nous prend. Mais à quoi ? Pas sûr que cela soit simplement identifié à la disponibilité des livres : vieux livres, ils sont dépositaires de rêve, de pensée, d’expérience précise du monde – et c’est ce qu’on vient chercher en eux, cette pensée, cette expérience, ce rêve.

Mais ce qu’organise la bibliothèque, c’est le rapport entre la place du lecteur solitaire – la solitude qu’on vous permet même dans l’immense salle de lecture, à Rome ou Cambridge ou Boston –, et la présence même des livres. On peut supposer que les livres demandés, en général, soient archivés plutôt dans d’autres réserves et magasins.

Et encore : pas seulement. L’évidence que la bibliothèque, ici, quand même les plus belles de notre vieux monde occidental, organise bien plus que le rapport du lecteur aux livres. L’espace et les circulations, mais comment la représentation du monde va venir s’inscrire dans l’espace collectif de la salle de lecture, et la légitimer par son rapport au monde, dont le livre n’est que la médiation. À moins que l’allégorie du monde (les peintures au plafond, les sculptures, les globes) ne soit là que pour signifier que le livre l’a en dépôt ?

Paradoxalement, alors, l’émerveillement à ces images ne vient pas écraser celui qui s’éloigne des livres pour préférer l’aventure Internet. Ce rapport d’un espace collectif, organisant et la solitude respectée et le partage communautaire, et témoignant par son organisation même (voûte, coupole, hauteur, plus les fresques, peintures, globes) qu’il est image du monde, pose le livre comme médiation dans une temporalité : rien n’est pérenne, tout a été construit. On peut l’oublier dans nos bâtiments modernes, mais pas ici : coque de murs et rayonnages, devenue un récepteur monde. Les livres s’étagent en hauteur sur les parois, avec de minces galeries circulantes. Le fabuleux texte de Borges, sa Bibliothèque de Babel nous est évidemment une grille de lecture dont nous ne nous sommes plus capables de nous séparer.

On aime ces bibliothèques, elles nous appartiennent dans notre rapport présent au monde. On aime ces livres, et qu’ils inscrivent ici de parcours d’hommes, de dépôt d’esprit. C’est tout cela, spatialité comprise, et allégorie, et accès aux ressources, et l’immense atelier commun de travail où tout écran vous fait participer de la même salle de lecture, qu’ébauchaient ces bibliothèques, bien plus que l’objet livre qui s’en est séparé, tout récemment, pour devenir marchandise.

À preuve qu’ici, dans chacun de ces bâtiments, et même s’il s’agit d’un livre moderne, le livre n’est pas transportable, ne peut être séparé du lieu qui l’accueille (au Moyen Âge, le livre était souvent enchaîné à son pupitre).

Cette page et ses photographies m’ont été communiquées par Laurent Sauerwein (merci à toi, @larrysa) et depuis un peu plus de deux heures j’y reviens, fasciné. Mais non pas pour ce qu’il s’y accumule de livres : pour ce que cela m’enseigne d’une épaisseur temps, et d’un tenseur communautaire, dans l’aventure ici sur le web en partage.

Cette page magnifique proclame : Real Gabinete Portugues De Leitura Rio De Janeiro, Brazil (Possibly the most beautiful library of them all), vous êtes d’accord ? Ce n’est pas celle ci-dessous, exprès je la laisse parmi celles présentées sur Librophiliac Love Letter, allez l’y chercher !


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 18 septembre 2010
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