Pierre Coutelle | le mur du fond

vases communicants mars | trois incises sur les vitraux du Père-Lachaise


Ces rendez-vous dits « vases communicants », le 1er vendredi de chaque mois, sont importants parce qu’ils nous confèrent une autre position que simple lecteur dans l’écriture de l’autre. Écriture bien entendu comme nous la pratiquons : avancer dans ce terrain inconnu du web où tout est à inventer.

Le site de Pierre Coutelle, commettre existe depuis bientôt 2 ans. Une écriture qui d’abord se fonde – exigence perecquienne formulée – sur le proche, l’ordinaire : tout près d’où il habite, Pierre Coutelle se saisit par l’écriture de la zone commerciale géante de Bagnolet, métro Galliéni. Et sur cet élan une double évolution du site : d’abord, une remarquable tentative de s’approprier la plateforme spip (la même utilisée ici) pour produire une circulation, un art de la lisibilité (expression © Alain Pierrot) où textes longs et textes brefs échangent à égalité avec textes et images, et le défi – si vital pour nous tous – d’une arborescence qui permette le voyage dans le site comme un livre (vidéo). Et d’autre part, à proximité géographique immédiate, quand la marche porte dans la direction symétrique, celle du Père-Lachaise.

Une fréquentation continue qui devient progressivement inventaire, exploration, puis fiction des seuls vitraux, et ce qu’ils nous disent de la ville et de nous-mêmes...

Très fier de l’accueillir, et mon propre texte chez lui, il est fini le temps des morts est aussi écrit d’après ses images (et en le remerciant des images prêtées). Autres vases communicants ici (groupe face book).

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Angkor du réel


Y avait-il là un Jésus à Sacré-Cœur saignant, un saint oublié, un mort à tête très ronde ? Puisqu’il ne reste rien nous pouvons le rêver tenant en main un livre en verre, de ceux dont on nous conte l’histoire de la disparition prochaine et de son assomption dans le nuage. Ni le contre-jour qui pique l’oeil, ni l’épaisse ferronnerie n’aident à savoir ; les maigres branchages lointains que même les corbeaux ne daignent, ne sont pas de ceux dont on ferait de la pâte à lire.

Malgré les morts frais de la veille, nous errons avec les chiens essoufflés et les poussettes brisées par les pavés parmi les vestiges d’un monde étranglé de symboles, de verres polychromes, de cathédrales gothiques de deux mètres de haut, dont on touche la flèche en tendant le bras ; un Angkor de gens comme nous, un réel en ruine que nous souhaitons préférer.

 

Odette-Emma


Debout dans un corridor tapissé d’une sèche moquette rouge à motifs de langues et de lierres, est-ce là l’Odette du Brabant, qui lança : « non, pas du tout » fort et clair devant l’autel de son mariage en 1123 et rentra chez elle se trancher le nez pour défiguration et répudiation du monde avant de mourir de la lèpre dans un couvent, comme il se doit.

Le vent, la grêle, les pierres qui volent sont venus lui faire un ventre de verre brisé d’où pend la pointe d’une étole ; martyre sans matrice, le temps tord tout, mêmes les pures, mêmes les fleurs du décor. Mais la cruauté ne suffit pas toujours à nous justifier, et ne voit-on que la jeune Odette, en hommage à la morte Emma, a conservé ses souliers de satin, dont la semelle s’était jaunie à la cire glissante du parquet comme le souvenir de joie d’une fête lointaine.

 

Golgotha, côte sauvage


La fête est maintenant finie, le mince bris du manteau mauve fait un estuaire, une bouche d’eau ; ce qui sépare le verre et le plomb mène à une mer de lumière grise, empâtée de dimanche après-midi. Le sol s’est dérobé sous ses pieds, comme il doit arriver en de tels chagrins ; pourtant rien ne convient. La triste galette du soleil de Passion peint en couchant de carte postale, nous passons de très belles vacances sur la côte sauvage ; le fin demi-sourire de la mère qui pense au bain à venir ; le panache exagéré de cheveux qui repose sur son dos comme un animal mort. Du réel nous ne percevons que cela, une farce douloureuse au bord de la mer, une nécropole arborée qui est la ville et son envers ; aucune description ne suffit si elle n’est rêvée sur du verre sale et peint.

 

Texte & images Pierre Coutelle, commettre.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mars 2010
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