les classiques, ça m’amuse

à croire que les étudiants et lycéens confondent la littérature et la presse people, peu de chance qu’ils tombent dans le piège


Ah, le mot écrivain, sur son piédestal. Et qui contribue peu, cependant, à faire lire nos livres : en ce moment, la mode c’est table ronde sur le numérique, on nous en propose 3 par semaine, mais du rapport à la littérature et pourquoi c’est la même chose qu’on y défend, ce n’est pas trop le point de départ.

Pareil, si flatté, merci, de recevoir le même jour ce « questionnaire transmis à 100 écrivains », étude financée par argent public sur les agents littéraires : des 100 sollicités, à qui on demande via QCM comme à l’école primaire si vous aimez les agents littéraires un peu, beaucoup, pas du tout, si vous en avez croisé un pour de vrai (comme les journalistes qui vous demandent s’ils pourront regarder votre Sony avant le débat, pour savoir comment ça marche, puis carrément combien vous avez gagné avec votre dernier livre et puis cocher la case : « pensez-vous que vous devriez gagner plus d’argent avec vos livres » (y a risque que la réponse soit assez consensuelle !), mais j’imagine que bien peu des auteurs que je connais, et qui ont choisi de travailler avec un agent, feront part de leurs réponses...

Mais là, ci-dessous, ça dépasse un peu les bornes. Même pas pour l’utilisation gadget de notre nom, comme une espèce de tarte à la crème en plus du livre prescrit par les programmes scolaires (et qui doit pas mal faire aller le tiroir-caisse). C’est la façon dont on considère le meilleur, le plus haut, ce qu’on doit aux grands livres, par dessous la jambe (et sans payer) qui me hérisse.

 


d’un questionnaire de plus, mais celui-ci fait mal

 

Qu’est-ce qu’on les aimait, ces bouquins, du temps qu’on était étudiants : collection de poche costaud, mais aussi objet élégant, plus matériel critique, un vrai chemin pour découvrir, et 30 ans après il en reste encore dans le garage, tout jaunis cornés.

Alors oui, présenter un texte qu’on aime dans cette collection, ça aurait été un honneur, même si les temps ont changé dans les pratiques étudiantes, et que la bagarre pour faire lire un « classique » c’est en lui construisant, nous tous, une visibilité web, un désir au coin du Net...

Mais voilà ce que le même (grand) éditeur propose via son service marketing. Et le ton est donné tout de suite dans la lettre d’accompagnement :

ne sachant trop si mon courrier adressé à ... vous est bien parvenu, je me permets de retenter ma chance, pour vous faire part d’un projet qui vient de voir le jour dans la collection de littérature classique ..., et dont j’ai pensé qu’il pourrait peut-être vous amuser…

Voilà le mot : amuser.

La justification :

une série consistant à ajouter à nos éditions traditionnelles un questionnaire adressé à un écrivain, l’idée étant de proposer au début de chaque édition proprement dite, concoctée par un spécialiste, une série de questions permettant de faire dialoguer l’œuvre et la littérature d’aujourd’hui, sur un mode subjectif

Et c’est là que ça bloque : il y aurait d’un côté le spécialiste, le savant, et de l’autre côté l’écrivain infantilisé, juste utilisé comme prime ? Les textes de Proust sur Flaubert, Nerval, Baudelaire, Balzac, nuls et non advenus, ne nous comparons pas. Mais quel souvenir de La Collection lancée par POL en 1990 (et qu’il a dû arrêter trop rapidement, un tel dommage), le texte d’Echenoz sur Le maître de Ballantrae de Stevenson, Michon sur Mémoire de deux jeunes mariées de Balzac, mais il y avait aussi Duras, Belletto, plein d’autres.

Quant à l’écrivain, il rase gratis, c’est pas nouveau : ...notre souhait étant, de manière plus générale, d’associer ce questionnaire à toutes les œuvres « patrimoniales » étudiées au lycée ... Compte tenu du prix de nos ..., je ne vous cache pas que la rémunération prévue sera symbolique ...

Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est bien souvent qu’on fait ça pour le plaisir, et qu’on ne va pas s’embêter à être payé. Seulement, il y a une dignité. Et la dignité, ce n’est pas la suite de questions où on veut nous enfermer comme un mannequin dans une vitrine de fringues. Scrutez le vocabulaire, le découpage, l’approche.

Plus l’erreur extrêmement grave de réduire l’oeuvre et l’auteur à ses personnages. Conseil que vous donneriez à Joseph K pour éviter son exécution ? – avec ça, vous avez certainement compris tout le Procès.

Alors la victime du crime (contre l’oeuvre), ce n’est pas l’écrivain infantilisé, c’est bien le public visé. Les lycées, les étudiants de fac, je connais. Bien ça ne marche pas à des combines dignes de magazine people. On veut qu’ils lisent, et qu’ils accèdent à ces oeuvres, ils savent très bien capter et respirer si, eux, on les prend au sérieux. Et ça ne marche pas au « coup de foudre », au « personnage fétiche », au « séduit », au... « conseil qu’on aimerait lui donner ».

Réécrivez le petit Marcel, histoire de voir que lui arriverait-il... Peut-être bien ça, justement : Marcel Proust n’a jamais utilisé dans cet ordre les quatre mots que lui arriverait-il et c’est pour cela même que c’est littérature : un travail. Celui de la langue.

L’édition est un monde qui va mal, on le sait. Mais le sentiment de plus en plus évident que, dans l’intérieur de ces difficultés, le réflexe de tourner en rond de plus en plus vite, en allant délibérément vers là où ça s’effondre.

Et c’est bien triste.

Allez, à vous de voir si vous répondriez, et à propos de quel auteur... La dernière question, c’est : « le mot de la fin ». L’impression, oui, d’une fin.

Quand avez-vous lu ce livre pour la première fois ? Racontez-nous les circonstances de cette lecture.

Votre « coup de foudre » a-t-il eu lieu dès le début du livre ou après ?

Relisez-vous ce livre parfois ? À quelle occasion ?

Est-ce que cette œuvre a marqué vos livres ou votre vie ?

Quelles sont vos scènes préférées ?

Y a-t-il selon vous des passages « ratés » ?

Cette œuvre reste-t-elle pour vous, par certains aspects, obscure ou mystérieuse ?

Quelle est pour vous la phrase ou la formule « culte » de cette œuvre ?

Si vous deviez présenter ce livre à un adolescent d’aujourd’hui, que lui diriez-vous ?

*
* *

Avez-vous un personnage « fétiche » dans cette œuvre ? Qu’est-ce qui vous frappe, séduit (ou déplaît) chez lui ?

Ce personnage commet-il selon vous des erreurs au cours de sa vie de personnage ?

Quel conseil lui donneriez-vous si vous le rencontriez ?

Si vous deviez réécrire l’histoire de ce personnage aujourd’hui, que lui arriverait-il ?

*
* *

Le mot de la fin ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 septembre 2009
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