la page du dimanche : Jean-Paul Goux

chaque dimanche, une page singulière de littérature


très touché par le nombre de consultations de cette page et les nombreux messages (voir extraits ci-dessous  [1]), preuve que le texte cité touche juste et profond.

Il ne s’agit ni de Barthes, ni de Butor, ni de Michon, lesquels ont tous écrit sur Balzac effectivement, mais du chapitre « Les phrases motrices de Balzac » dans un très bel essai de Jean-Paul Goux : La Voix sans repos, éditions du Rocher, 2003.

Il y a chez Balzac des objets que je ne sais pas bien nommer, ces textes plus courts que les romans, qui ne sont pas des nouvelles et qui ne sont pas pourtant des romans à la manière de Goriot, du Lys ou de La Cousine Bette : ils sont moins profus, ils sont plus concentrés qu’un roman, mais pourtant ils ont déjà cette durée qui est essentielle au roman. Et ce qui m’intéresse, dans ces textes difficiles à identifier en tant que forme, c’est leur allure de modèle réduit du roman, leur côté « tête jivaro » : tout y est, mais à une autre échelle ; ils sont nourris des mêmes grandes rêveries que les grands romans, mais parce que leur échelle est réduite, ce qui les occupe paraît devenir plus visible. Et dans l’espace réduit de ces romans en miniature, me frappe particulièrement la présence d’une phrase - une phrase, c’est une manière de parler, il peut s’agir de deux ou trois - une phrase exemplaire et comme signalétique du texte entier lui-même, une phrase qui non pas résume mais fixe ce qui me paraît avoir été le « sujet » de ce texte, le sujet c’est-à-dire la chose même poursuivie dès l’origine du désir d’écrire ce texte-là, le noyau génétique sur lequel s’était fixé le désir d’écrire et le but même que la fiction s’était proposé d’atteindre. Quelque chose comme cette phrase qui est devenue pour nous maintenant comme l’emblème de toute La Comédie humaine : « A nous deux maintenant ! » Quelque chose comme cette phrase que Balzac met dans la bouche du baron Hulot lorsque, à la fin de La Cousine Bette, sa femme le trouve dans ce galetas sordide où il vit avec la petite Atala Judici et cherche à le convaincre de rentrer à la maison, et où le vieil homme répond : « Je le veux bien ; mais pourrai-je emmener la petite ? »

D’une part un espace restreint et comme plus clos que celui du roman, l’espace d’un modèle réduit du roman ; d’autre part une phrase exemplaire, une phrase-sujet, susceptible de libérer d’un coup toute la charge d’énergie que le texte a précisément accumulée sur elle afin qu’elle puisse exploser ; tout cela fait imaginer, à l’intérieur du cosmos de La Comédie humaine, quelque chose comme des objets fractals, microcosmiques, qui possèdent chacun à leur échelle la même structure que l’ensemble tout entier. Pour faire cette machinerie cosmique de La Comédie humaine, il y a ainsi le noyau de la phrase-formule qui contient potentiellement toute l’énergie d’un texte à déployer ; il y a le texte restreint, qui reproduit à échelle réduite le modèle d’ensemble, et qui est comme l’équivalent du noyau de la phrase-formule à l’échelle de l’ensemble ; il y a le cosmos lui-même où se déploient par ondes concentriques la phrase-formule, le récit restreint et le roman de grande ampleur.

Même si la part entièrement gratuite du plaisir de la manipulation mentale n ‘est pas absente dans ce jeu de noyaux emboîtés que j’évoque, il y a une part qui n’est pas gratuite ni non plus simplement ludique : avant de prendre quelques exemples de ces phrases-formules où se concentre chez Balzac l’énergie des textes modèles-réduits, j’aimerais chercher pourquoi, justement, tout cela n’est pas seulement un jeu gratuit.

Je suis, comme romancier, toujours indigné par les persistantes condescendances du poète à l’égard du roman : il suffit de le laisser un peu parler et vient toujours ce moment où le poète vous explique que, pour ce qui est de l’essentiel, c’est lui qui en a la charge. L’exigence, la seule véritable expérience du langage, le mouvement de l’être et la maison de l’être, le lieu originaire de toute écriture, etc., tout cela, c’est le royaume du poète ; pour le roman, pardon, dit ou laisse entendre le poète, le roman, c’est quand même les sentines de la littérature, les plaisirs de l’assouvissement, l’aliénation passive, les jeux du cirque, etc.

[1— ça, c’est du Barthes _ jérôme pintoux

— eh non ! mais on l’aime quand même, l’auteur de S/Z et autres...

— Je pense à Pierre Michon... Guillaume Huret

— non plus ! mais Pierre a écrit un texte formidable sur Balzac, je m’en étais servi pour les citations faussement apocryphes de cet hommage/fiction : sur le fausto coppi de Pierre Michon

— Mr Bon, j’ai oublié de vous demander qui était l’auteur des peintures qui illustrent les différentes rubriques de votre blog ? G. Huret

— monsu desiderio (françois de nomé), peintre lorrain du 17ème qui est venu à naples travailler sur les traces de caravage et nous a laissé ces magnifiques architectures abstraites presque monochromes

— je pense à Michel Butor ? _ martine sonnet

— pas Butor non plus, et pourtant j’aime énormément ses "improvisations sur balzac" !


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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 octobre 2005
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