fête annuelle de l’urbanisme

in memoriam Italo Calvino


Variation 1 : pour cette fête annuelle de l’urbanisme, tout, dans la ville nouvelle, devait provisoirement être vidé. Avec les nouveaux modes d’habitation, ce n’était pas si difficile. Comme dans les châteaux itinérants de la cour du Grand Siècle, migrant à Fontainebleau ou Marly pour soulager Versailles, on démontait décorations, revêtement extérieur, portes et fenêtres (d’ailleurs standardisées). « Une mue quasi animale », avaient dit les architectes. Alors on profitait pour rehausser, chambouler, superposer. Et puis c’était un avantage, chacun se réinstallait où il voulait, avec de nouvelles connaissances pour voisinage.

Variation 2 : La ville ainsi devenait transportable. On rasait, on reconstruisait. C’était devenu si facile. Les éléments préfabriqués s’installaient bien plus rationnellement autour de nouveaux ronds-points, à proximité de zones commerciales neuves. La ville mobilisait moins de territoire. Restait à chacun de choisir ce qu’il souhaitait comme disposition, orientation, espace. Chaque année, pour cette fête de l’urbanisme, on organisait cette soirée où toutes les portes étaient ouvertes, où chacun fêtait chacun : on se croiserait si peu, dans l’année à venir, parmi les bâtiments gris.

Variation 3 : on déposait l’un sur l’autre ces éléments gris, dont chaque ouverture semblait un trou noir. On les élevait, les multipliait. On aurait dit d’une ville des morts : étonnez-vous que personne ne souhaite y habiter. Une fois installé le revêtement extérieur de couleur, les parkings et les arbres tout poussés, on parvenait à les vendre : pas d’autre choix pour les villes que grossir. Mais c’est la fragilité de tout ça qui effrayait. Alors on avait créé cette fête de l’urbanisme : une fois par an, alors que les bâtiments neufs étaient construits, mais encore sans leurs portes ni fenêtres, ni terrasses ni toits, on y organisait cette grande fête avec musique, on déambulait là comme dans un labyrinthe, comme dans un rêve.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 13 février 2009 et dernière modification le 1er juillet 2011
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