nouveau musée mobile des coutumes urbaines

53 | on transmettra à mesure informations sur où il est et ce qu’on y voit


C’était si commode : juste on le remorquait, il suffisait de deux voitures (on les choisissait blanches) et bien sûr quelques précautions pour la circulation et la traversée des villes. Les roues sous le bâtiment étaient automotrices, et puis tout avait été bâti de façon si légère. « Du trompe-con » avaient grogné certains des ouvriers : du métal léger plaqué, mais suffisamment rigide pour accueillir de vrais ascenseurs et escaliers de secours, se promener sur les toits parmi les cheminées, et même, au rez-de chaussée, certains locaux de service.

On avait travaillé avec de multiples artistes : chacun sa spécialité. Du studio étudiant typique au logement où s’était passé tel drame plutôt sordide (un succès), à ceux qui y installaient des ateliers de sculpture ou simplement une grande table pour leur puzzle, à celui qui écrivait pour l’éternité sur sa machine à écrire, aux enfants qui jouaient ou lisaient (on avait tenu à ce qu’il y en ait), à l’appartement en cours de peinture, à celui occupé par une vieille personne seule – et même l’appartement occupé illégalement, en souvenir des squats de l’époque. Succès d’estime aussi pour cet appartement avec seulement un matelas au sol, quelques livres, presque rien non plus dans la cuisine, et où, sur un tabouret, un musicien vivant seul répétait. Et celui qui, en dépit des interdictions, avait fait de son logis un vivarium surpeuplé : on disposait, sur l’ensemble des étages, de toute la place qu’on voulait. Certains aimaient les meubles à la mode, et d’autres stockaient tout un attirail. On avait même veillé aux films distribués sur les appareils de télévision et radio en marche, et, au bout du troisième étage, la pièce en attente de levée de corps parce que cela aussi fait partie du schéma.

Tout cela bien sûr vide : est-ce que les objets n’en disent pas assez sur nos traces ? Mais, dans chaque ville où on s’installait, on essayait de retrouver d’anciens pratiquants de théâtre amateur (parfois même encore quelques jeunes pour s’y consacrer) et on avait la surprise, entrant dans l’appartement, de trouver ces gens qui vaquaient à leurs occupations comme s’ils les faisaient de toujours, et ne s’apercevaient même pas de votre présence.

Il avait fière allure, le bâtiment rouge brique, fin comme une étrave, quand on l’avançait lentement parmi les habitats plus modernes.

Des cirques (et l’association de professionnels forains qui les représentait) s’étaient plaints : on leur retirait leur public. Comme s’il n’y en avait pas pour tout le monde. Et que ce musée, composé avec l’intervention d’une équipe multidisciplinaire de chercheurs, archivistes, artistes, ne proposait pas bien autre chose. On avait longtemps appelé l’immeuble « projet miroir », et maintenant il était question d’en faire un second : on prendrait une tour (il fallait seulement qu’elle soit repliable), un bâtiment réservé aux bureaux, au travail – « un véritable portrait de notre époque », disait déjà la presse.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 février 2009
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