de l’avantage des nouveaux puits

51 | reconquérir l’espace urbain tout en faisant mémoire de nous dans la ville


Tout était avantageux, à commencer par l’espace. Une entreprise avait élaboré ce système de couronnes de béton lentement tournantes, qui rongeaient d’elles-mêmes leur propre profondeur. Il suffisait de rajouter, une fois tous les cinq ans en moyenne, prévoyait-on, un nouvel étage. On y déposait bien sûr les morts, couche par couche. Des lieux pour le recueillement et la mémoire étaient prévus auprès, mais avec les nouvelles pratiques de mémoire virtuelle des disparus, on se préoccupait certes moins d’où réellement ils reposaient. Et puis c’était génération par génération : ils se retrouvaient tous ensemble, n’était-ce pas bien mieux ? On demandait aux quartiers neufs, aux extensions de villes, de prévoir à proximité immédiate leur puits à mémoire. Surtout, on avait effectué des voyages d’études vers ces phénomènes géologiques qu’on nomme fosses à bitume : nos morts, dans ces cimetières qui encombraient les villes, n’emportaient rien avec eux. Inversement, nos déchetteries broyaient le pire et le meilleur. Eh bien, dans les nouveaux puits, on pouvait aussi déposer papiers, photographies, vieux jouets, objets dont on ne se résignait pas à la destruction. Ils s’empilaient sur les morts, et les accompagneraient. L’effet de vis semblait fonctionner : toute l’astuce était dans la lenteur. Le poids même de ce qu’on déposait contribuait à ce que le puis s’approfondisse de lui-même presque à l’infini (protégé même des nappes phréatiques : entièrement étanche, comme un doigt dans la terre).

 


responsable publication François Bon, carnets perso © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 29 janvier 2009
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