les tombes dans la dune

photos retrouvées


Nous nous interrogeons tous sur la mémoire d’Internet, capacité à tout retrouver lorsqu’on pioche dans les moteurs, l’aiguille qui surgit de la botte de foin, et ce phénomène permanent d’enfouissement immédiat, en se recouvrant verticalement en permanence, et surtout ceux qui se contentent des blogs pré-formatés selon la variation quotidienne.

On peut aussi rêver, comme d’autres ont pu composer leur Pléiade (voir les discussions sur celui de St John Perse comme recréation biographique) à un site dont l’arborescence devienne ce visage qu’on chercherait sinon par le mot oeuvre et ce qu’il tient d’unitaire, monobloc.

Occupé depuis deux jours à une refonte du site, fichiers ou secteurs qu’on efface sans remords (autre débat), je relis cet article d’abord mis en ligne en 2002, puis repris en php en 2005, d’un lieu que je connais pourtant depuis bien plus longtemps et que je continue de revisiter, comme chacun d ’entre nous a une liste d’endroits singuliers qui comptent.

Etrange aussi d’y trouver référence aux traductions de Klee par Anne-Sophie Emptaz, maintenant que farrago n’est plus : on attendait, justement, les lettres concernant la période 14-18...

Site donc avec principe d’articles reparaissants...


Quelque interrogation sur le statut et le rôle que peut tenir un tel journal sur un serveur. Les pages s’accumulent, on a un vague souvenir de ce qu’on y a inséré. On a du mal à le retrouver. On utilise le moteur de recherche qui fouille l’ensemble du web pour essayer de relire ses propres carnets intimes.

Je ne sais pas si c’est nouveau. Hier à la librairie du rez-de-chaussée Beaubourg je feuilletais les lettres écrites par Paul Klee en deux ans, 1903-1905, traduites chez farrago par Anne-Sophie Emptaz : énorme. Et toutes les correspondances d’écrivain. Cette recherche qu’on fait chacun plume en main, et qui prépare au travail.

Donc j’ai fini par retrouver cette page, et sur mon disque dur quelques photos : rien qu’un cimetière face aux vagues, sous le vent, à la Turballe, des tombes d’enfants alignées, et cette bizarrerie des tombes alignées perpendiculairement, hiérarchiquement, des religieuses qui les soignaient, et mouraient aussi. L’endroit est toujours un hôpital.

Est-ce que ça a du sens, sur l’outil neuf qu’est Internet, de reprendre le chemin (le texte ci-dessous je l’ai mis sur Internet il y a plus de trois ans) et le considérer d’un autre regard ?

En tout cas, si ici c’est un journal personnel, je pensais à ces tombes, comment elles doivent être par le ciel gris d’aujourd’hui, et comme on peut user différemment de ces photographies elles aussi archivées dans un fond presque inatteignable de disque dur (je tombe dans mon répertoire "images" sur un sous-dossier intitulé sobrement "mer" que j’avais oublié, une revisite ensemble.


la page datée du 12 mai 2002,
et son post sciptum de 2003

vous serez nombreux à reconnaître l’endroit, et qu’il reste secret pour les autres

disons qu’il y a la mer d’un côté, et de l’autre, puisqu’on est sur une étroite langue de dunes creusant la mer, une étendue de marais salants des plus connus de France - et que le mot "Presqu’île", tel qu’honoré par Julien Gracq, vous soit un indice supplémentaire

c’est un endroit étrange

le premier à m’en avoir parlé (je me souviens, il me le décrivait au téléphone), c’est Didier Daeninckx - sur les indications qu’il m’avait données, je m’y suis rendu une première fois, il y a quelques années

entre la mer et la mer, au bout d’un cordon de dunes perdu sous le ciel et le vent - c’est un cimetière d’enfants, du premier tiers du siècle

les petites tombes blanches portent un nom et juste une date, et puis, au-dessous, l’âge

au bout de la langue de terre, l’ancien hôpital (maintenant un établissement de rééducation fonctionnelle), toutes fenêtres tournées vers le vent de mer, qui arase la pelouse et plie les arbres

ce qui est étrange, c’est comment la disposition, sens de la longueur, sens de la largeur, respecte la hiérarchie et l’autorité

quand je peux, j’y retourne - on réfléchit, beaucoup - on a chacun comme cela quelques endroits secrets, ou privilégiés, ou qu’on se croit réservés à vous-même quand il y a besoin de se réancrer, de se densifier, de revenir aux éléments les plus élémentaires et les plus forts

depuis 3 semaines j’étais enfermé, et ça va recommencer - le site d’ailleurs, ce n’est plus tellement moi qui m’en occupe : ça marche d’autant mieux, on dirait ! alors d’un grand coup de voiture il y a eu rouler vers le ciel, la mer, les dunes, et forcément une nouvelle fois pousser le petit portail de tôle parmi les sables

on peut ensuite revenir à l’ombre et à la table

FB - (12 mai 2002)

addendum (mai 2003) : dans Le livre de la pitié et de la mort, republié aux éditions Jean-Claude Pirot, je retrouve un texte de Pierre Loti où il évoque sa visite à ce même hôpital, fin du siècle dernier, lui aussi dans le respect et la fascination à la fois pour la route qui y mène, le cordon de dune émergeant de la mer, et les pierres de l’hôpital dressées contre le vent, avec de beaux et denses portraits de ces petits malades - étranges rendez-vous de mots à un siècle de distance, et comme ils vous semblent logiques pourtant...


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 décembre 2006
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