une vue évidente de l’angoisse

43 | j’avais appris à reconnaître ces lieux particuliers dans la ville, où dansait l’angoisse


On marche dans des villes sans savoir. On a croisé une boulangerie, on vous indique où est la Poste. On n’est pas seul : il y a l’encombrement habituel des voitures, et d’autres aussi qui passent, dans la rue, visiblement pris à des occupations qui leur sont familières.

Il y a les fenêtres et la trace que tout cela est habité. La question n’étant pas de savoir si on aimerait soi-même vivre là, derrière ces fenêtres, ou travailler là, dans cette tour de bureaux, cité administrative et les choses tristes et mécaniques qui s’y traitent, touchant aux impôts, aux emplois, aux soins.

Je ne sais pas si c’est cette église engoncée dans son cube de ciment : est-ce que seulement je l’avais vue, lorsque je m’étais arrêté, avec cette crispation – et on les reconnaît bien, ces moments où l’angoisse vous prend.

Les signes ensuite paraissent d’évidence : la ville avait subi pendant la guerre une destruction totale. On pouvait oublier la guerre, mais l’urbanisme des reconstructions, dans la plupart de ces villes côtières, semblaient avoir voulu en elles cette définitive géométrie du deuil impossible, ou de la confiance en je ne sais quel progrès rationnel, jolies tours, rues droites et carrefours larges. Cela aussi devait contribuer à l’angoisse (personne n’attendait jamais, ici, l’autobus).

On enterrait donc, on mariait, là ? Je n’aime pas ces signes écrits, concernant le stationnement, le nom des rues, l’enseigne de telle boutique, l’éclairage pour la nuit, ou même ces décorations florales appendues, tout cela trop ostensiblement fait pour rassurer.

J’avais eu une curieuse discussion, auparavant tout juste : qu’était cette ville, vue d’en haut ? Et si on surplombait, ici, tout soudain, l’ensemble de ces cubes, ces carrés, ces rues, au lieu de se glisser dans leurs interstices, elle deviendrait quoi, la ville, un jouet ? Et voir au travers des toits et plafonds, d’en haut, elles font quoi, les silhouettes invisibles, que chaque boîte abrite, et superpose ?

Non, ce n’était rien. Ces crises me sont familières. Je dois les surmonter, les maîtriser. Je n’ai pas retouché la photographie : j’ai regardé à nouveau, la silhouette avait disparu, soufflée. Pourtant, tout ici tellement géométrique.

Aspirée où, pour quoi ? Ce n’était plus de l’angoisse. J’ai failli crier. Je crois même avoir couru mais non, plus personne. Rien que ce mur. J’ai reculé, lentement, me suis éloigné. Une fois loin j’ai fait demi tour.

Je ne suis plus revenu à ce carrefour.


responsable publication François Bon, carnets perso © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 janvier 2009
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