fictions | d’un lieu construit pour y écrire

du statut privilégié d’un lieu fictif réservé aux dépars d’écriture


Le schéma récurrent était donc celui-ci : tu te réveillais dans cette pièce, et puis tu sortais, tu marchais, probablement tu retrouvais la vie ordinaire. Mais le point de départ, cette pièce où reprendre pied, corps, vie – du moins avoir conscience qu’on existe, qu’on agit, qu’on voit, rien pour la prévoir.

C’est une situation banale du rêve : on fixe soudain un peu mieux un lieu, son volume, sa couleur, on a l’impression soudain, parce qu’on est dans le travail du rêve, qu’on cherche à inventorier une image, qu’on s’y réveille effectivement, le lieu est inconnu, alors commence une nouvelle histoire.

Et c’est aussi un schéma récurrent de la littérature, dans Le puits et le pendule, dans Le Magasin d’antiquités ou Grandes espérances, dans La fille aux yeux d’or, dans Le Golem, mais probablement, et chez Kafka et Beckett en particulier, on pourrait facilement mettre en évidence le rôle narratif principal que joue cette pièce, vide ou pas vide (dans Le Dépeupleur, dans Premier amour il ne s’agit pas de pièces vides).

Reste qu’il ne s’agissait pas de rêves. Ma vie était trop encombrée, elle incluait trop de paroles, d’échanges – on tient quelques semaines, parce que telle est aussi la nécessité pour vivre, mais pour écrire, penser, rêver, il fallait un autre silence. Ces marches dans le jour, un peu d’horizon et de dépense du corps, et puis ce vide favorable où tu t’installais au matin, pour laisser venir.

Parce que jamais un texte ne se prémédite. Quand bien même, chaque jour, on le cueille comme il vient, sans chercher à donner suite, juste se disant que leur accumulation dessinera probablement un nouveau paysage, et qu’il te faudra simplement, un moment, te retourner pour l’appréhender.

Donc je descends l’escalier, je tourne à droite pour entrer dans cette petite pièce dont je ne ferme jamais la porte, la table à écrire est là, avec son vaste écran pour l’extérieur, et cette astuce adoptée depuis peu, continuer pour l’écriture personnelle à utiliser l’écran du petit ordinateur, avoir ces deux fenêtres installées, mais dont l’une serait réservée à ce qui ne regardait que toi-même, et voilà : elle est là, la pièce vide, ou transitionnelle, enfin cette pièce qui n’était pas celle où tu travailles, encombrée elle aussi – avec des livres, des paperasses, des objets, et même le désordre résiduel une attache –, mais bien la fiction où s’asseoir réellement pour écrire.

J’écris donc dans une pièce qui ne se révèle qu’au moment où j’écris, et c’est cela que je dis « tu te réveillais dans cette pièce, puis ». Et donc qu’au bout était un couloir, au bout était la sortie sur la ville, au bout était l’escalier, ou la fenêtre. Jamais eu la perception d’une séparation close, ni même de porte fermée : en cela, la parenté avec l’exercice du rêve.

Je connais cette pièce, je sais la décrire. Elle est souvent liée à une idée de ciment brut. Elle est souvent liée à une absence radicale de meubles, décoration, objet – tolérant une chaise (je m’assieds sur la chaise, j’attends que l’idée, ou l’intuition vienne, je note), tolérant qu’on y arpente ou palpe le sol, qu’on s’y assoie ou allonge.

Et pourtant, jamais la même. Et pourtant, jamais localisée dans la même ville, ni le couloir le même couloir, ni la fenêtre la même fenêtre. C’est par le son que je distingue le lieu, que j’appelle et détermine le lieu. J’écoute. J’écoute densément, intensément. C’est cela, cette très mince résonance dans le silence, qui soit effraie, soit appelle. Alors on y va, on marche, et cela s’appelle récit.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 octobre 2008
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