littérature & cinéma : Luc Dardenne
Je suis incapable de cinéma. Je cherche toujours à comprendre mais c’est comme ça. La situation collective d’attente en chaises parallèles. La compote qui prétend qu’à rassembler les arts dans le même geste on les honore pareillement. L’insatisfaction profonde d’imaginaire : dans un livre, je rêve justement pour me fabriquer mentalement les images. Et puis il n’y a pas assez de distance à l’émotion : je déteste les films d’horreur et les films sentimentaux, et je ne connais pas de films qui se passent de ces registres. Bergman est un grand du théâtre, Fellini un grand écrivain et je le vois comme de lire un livre, je crois que je connais bien le cinéma puisque j’ai vu presque tout Hitchcock, et j’aime aussi Woody Allen dans Radio Days et Purple rose of Cairo. Enfin c’était il y a longtemps, maintenant je n’y vais plus du tout, au cinéma : je préfère aller plus loin dans les livres et tant pis pour le reste.
J’ai une explication partielle à cela, je l’ai racontée. Je n’ai aucun mépris pour ceux qui pratiquent cet art, qui comporte certainement de vrais artistes et inventeurs (l’an passé, on m’a fait découvrir Frederick Wiseman). Ce que j’aime moins, c’est la façon dont on vous bassine de conversations sur des films comme si tout le monde devait tout voir en même temps, que c’était une sorte de référent obligatoire pour conversation du dîner, un peu la même fonction que l’œnologie. Même aux Beaux-Arts je déteste cette situation d’avoir à faire aimer les livres alors qu’ils passent tant de temps à voir des films (ou les télécharger) : j’aimerais que l’uv littérature aux Beaux-Arts soit liée à un semestre d’abstinence salle. Qu’on lise Proust d’abord (et Balzac). De toute façon, le cinéma n’est qu’un avatar technique et commercial de ce que Cervantès invente dans son Rétable des merveilles de façon exhaustive et parfaite, et qui aurait pu s’en tenir là.
J’aime cependant que le hasard me porte à la frontière où cela répond à la littérature. Une fois, j’avais vu Melvil Poupaud dans un film et, comme il était jeune, j’avais trouvé qu’il était un sosie parfait de la seule photo qu’on connaisse d’Isidore Ducasse. J’aurais rêvé d’un film jouant sur cette gémellité, ça n’a pas marché et Melvil Poupaud a pris quelques années, forcément. Cet été, aux rencontres d’Arles, on nous a projeté un court-métrage de Chaplin où un homme tirait une charrette à bras sur laquelle était son maître. Ils montaient une pente infinie. Un film de 1927. C’était évident, ça frappait dès la première image, qu’on voyait Pozzo et Lucky d’En attendant Godot. Dès mon retour j’ai vérifié, Beckett dans les années 50 fréquentait en premier lieu un cinéma diffusant du cinéma américain muet, et le film qu’il a fait plus tard avec Buster Keaton c’est à Chaplin d’abord qu’il l’avait proposé.
Je cesse de parler de moi. J’achète les livres comme on fait tous : en ouvrant une page au hasard et en regardant comment ça sonne. J’ai acheté Au dos de nos images de Luc Dardenne.
De la question du dialogue et des mots, dans leur rapport au personnage et à l’acteur :
Critique de l’avilissement télévisuel :
Belle réflexion sur la question du cadre et du hors-champ :
Continuer dans cette voie. Ne point tant encadrer l’image que cacher ses alentours. Aller jusqu’à cacher l’image elle-même, jusqu’à perdre le cadre dans la matière. Que l’image devienne matière à la recherche du cadre. Que la grille ne puisse plus se promener, qu’elle soit le chiffre du document.
Retour à la télévision, mais sur la scène du monde et la consommation :
Décalage par l’oral, l’histoire qu’on raconte et qui porte elle-même image ou symbole :
Question de mouvement et cinétique dans la narration, de visage et corps remplaçant la notion de sujet :
Ces questions sont aussi celles de la littérature. Je n’ai pas besoin de fiction. J’ai besoin d’outils qui me disent le monde, qui me le constituent comme visible, et m’ouvrent des façons neuves d’en tenir récit. Et cela inclut les cinétiques, le cadre, le récit transmis, la saisie critique de ce qui nous entoure.
Je lis ces notes de Luc Dardenne de la même façon que les livres qui nous enseignent la littérature, et ont rapport d’abord à l’écriture. Un texte qui résonne avec le fait de soi-même écrire, et qui entre là en résonance.
Qu’on relise alors ma première citation :
C’est aussi du livre qu’ici on vous parle, et c’est vivant. J’ai fait beaucoup d’emprunts, mais ils sont tous entre la page 20 et la page 30, ça vous laisse l’assurance d’un beau complément si vous lisez ce livre : les meilleurs romans sont les livres qui se passent du roman.
à lire : un entretien avec Luc Dardenne sur remue.net, proposé par Yun Sun Limet.
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 septembre 2005
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