achat saisonnier des chaussures

on vivait bien mieux avec une certaine hiérarchie, mais géographiquement malléable


Ces lieux devaient bien sûr porter le label officiel de la ville. Et ce qu’ils vendaient, en porter l’estampille.

On savait bien sûr que la contrainte nouvelle avait donné lieu à des marchés parallèles : à mesure qu’on améliorait sur les chaussures le dispositif de radio-diffusion à reconnaissance de territoire incorporée, les clandestins lançaient dans les arrière-cours ou tels Algeco qu’on devinait bien, dans les zones, la diffusion de modèles parasites.

Cependant, les contrôles étaient devenus assez fréquents pour être progressivement dissuasifs.

Comme pour les changements d’heure au semestre (au même jour), comme pour le téléchargement des films ou les limites de vitesse sur les voies express, on était plutôt d’accord avec le système, et la plupart d’entre nous en considéraient d’abord les avantages.
D’autre part, l’intention en était louable : est-ce que ce n’était pas un très ancien rêve, qu’échapper aux déterminations sociales les plus fixes et horizontales ? L’accès qu’on vous donnait à une vie différente, consommation, promenades et lieux de loisir, métiers même – de plus en plus –, est-ce qu’ils ne conditionnaient pas votre propre devenir intérieur ? Est-ce qu’on ne cumulait pas, quoi que vous ait réservé le semestre en cours, les territoires et vies antérieurement traversées ?

Dans les familles, même, on s’en accommodait : la disparité des niveaux provisoires dans le couple, ou vis-à-vis des enfants eux-mêmes insérés dès leurs treize ans dans le renouvellement saisonnier, tout cela était susceptible de basculer au semestre suivant – on constatait de plus en plus que les soirs de changement devenaient des soirs de fête (on avait bien sûr les 25 jours ouvrables précédents pour passer dans les boutiques de renouvellement).
La loi Roubaud fêtait donc ses quinze ans de mise en place : le système de reconnaissance incorporé, rien ne permettait de le deviner lors du choix initial. Vous marchiez (et ces 25 jours ouvrables, en tête de chaque semestre, étaient la redécouverte de la ville, de votre entreprise, de vos lieux de loisir – quel film vous était à vous réservé lorsque vous entriez dans le complexe de diffusion, et ainsi de suite), et selon les autorisations du semestre des signaux se déclenchaient invisiblement, les contrôleurs automatiques se signalaient à votre attention selon processus gradué – votre téléphone vibrait, les clics sonores se déclenchaient sur les façades ou au-dessus des portes, bref c’était terriblement invivable.

Restait donc cette hésitation au moment du choix : voilà, six mois de votre vie tenait à l’instant où vous retiriez ces chaussures du présentoir.

Et restait que chaque monde a sa part d’ombre : l’augmentation résultante du commerce clandestin, et ces villes, loin au sud, où ils avaient décidé de tous vivre pieds nus.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 octobre 2008
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