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Anne Sarraute, ce qui disparaît de nous-mêmes tout avec


Mardi dernier, j’ai acheté ma Quinzaine littéraire au kiosque de la gare de Bourges. Il y avait Claro en Une, et un entretien avec Norbert Czarny sur mon Led Zeppelin.

La Quinzaine, c’est un si vieux compagnonnage : un des premiers articles sur mon Sortie d’usine, en 1982, par Gérard Noiret.

Je crois que je suis allé une fois dans leurs locaux, début 1984, j’avais rendez-vous avec Serge Fauchereau. J’ai serré la main de Maurice Nadeau, on m’a présenté à Anne Sarraute.

Maurice Nadeau, bien sûr, quel respect : j’étais lecteur de Lowry, de Benjamin. Ce sont des hommes boussoles, ou remparts, au choix.
Je ne crois pas avoir cessé de lire, tout un quart de siècle, la Quinzaine Littéraire. J’y ai connu l’époque Jean-Pierre Salgas, l’époque Bertrand Leclair : Maurice Nadeau ne rend pas forcément la vie facile à ceux qui lui prêtent main.

A publie.net, j’accueille Michel Volkovitch, connu via la Quinzaine. La personne au monde que je sache la mieux renseignée sur Bob Dylan, c’est Lucien Logette, connu via la Quinzaine.

J’ai participé plusieurs fois au numéro double du mois d’août, où on nous commande un texte sur thème (la colère, ou que garderiez-vous du 20ème siècle). Plusieurs fois, de moi-même, j’ai envoyé des papiers, sur Berlin, ou sur Walter Benjamin. Il y a 2 ans (je crois que c’est ma dernière publication Quinzaine, relisant Les Jours de notre mort de David Rousset, j’avais voulu rendre hommage à la préface de Maurice Nadeau.

La Quinzaine est un repère fixe. La singularité de ce sponsoring Louis-Vuitton, et un volant d’abonnements des centres culturels français à l’étranger pris en charge par le ministère des affaires étrangères, il faut cela pour qu’une publication littéraire garde son indépendance, et sa permanence (les brefs billets d’Evelyne Pieiller, le travail sur l’art contemporain…).

Et tout ce qui fournit à nos anecdotes de soirées après conférences ou lectures, Maurice Nadeau continuant à travailler sa maquette ciseaux en mains, quoi qu’en pensent ses rédacteurs, ou leur bénévolat… Ou bien cette DS 19 qu’il conduit toujours, Maurice Nadeau, 94 ans, même si ses proches préfèrent emprunter un autre véhicule…

J’ai un remords, ou un regret, concernant Anne Sarraute : à la mort de sa mère, à peine trois mois avant la date où elle aurait été centenaire, la Quinzaine nous avait sollicités pour un hommage. Ma lecture, ma vraie lecture, la lecture profonde de Nathalie Sarraute s’est faite pour moi plus tard, vers 2003-2004, et s’approfondit depuis (après tout, Nathalie Sarraute a commencé de publier à 47 ans, mais a continué jusqu’à ses derniers jours). J’avais tenté de me rattraper, en 2004, en parlant de Nathalie Sarraute dans cette commande d’un texte sur la colère, pour leur numéro d’août....

J’ai raconté déjà comment le rituel d’accueil d’Alain Veinstein, à France Culture, pour Du Jour au Lendemain, était une étrange antichambre : j’y ai eu ma seule et très dense rencontre avec Bernard-Marie Koltès, j’y ai appris la mort de Christian-Gabrielle Guez Ricord. Aujourd’hui, en cédant la place du studio, entre deux portes, à Emmanuel Pierrat, j’ai appris la disparition d’Anne Sarraute.

Je n’aime pas ces arbres qui s’effondrent, et quelqu’un dessous : je suppose que pour Maurice Nadeau c’est de cet ordre. Il y a aussi, en beaucoup d’entre nous, les images de Nathalie Sarraute, son visage : un peu de ce visage vient de s’éloigner.

Vieux compagnonnage de la Quinzaine littéraire, on y lit aussi l’ours du comité de rédaction : dans le numéro actuellement en vente, l’adresse pour l’envoi des articles est toujours imprimée, c’est asarraute@wanadoo.fr. Je l’y ai lue ce jeudi soir, à Bourges, et ce soir je ne sais pas où s’en iront les e-mails vers cette adresse.

Tant de choses s’éloignent, qui ne seront pas remplacées, qui étaient ce que nous nommions vie littéraire, et signifiaient une exigence, une âpreté, des choix (« Anne n’a pas aimé ton article », vous disait-on, et vous étiez 2 ans sans nouvelles ni demandes de la Quinzaine – je crois qu’il s’agissait d’un hommage suite au décès de Thomas Bernhard…).

Anne, vous les saluerez, Bernhard et Nathalie ?


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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 septembre 2008
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