du mot "ciel" au théâtre

de la ville comme théâtre, et des intercesseurs qui vous y conduisent


Je n’ai pas de problème avec la mémoire des textes lus, des propos entendus, mais un problème énorme avec la mémoire des visages, lorsqu’un visage m’apparaît hors de la situation qui pourrait m’aider à l’identifier. Ainsi, lorsque soudain je me trouve face à cette personne dont je ne sais pas le nom, j’en suis heureux, on se demande des nouvelles, et quand il me dit : « Mais on ne vous voit plus beaucoup, là-bas… » ça ne m’aide pas encore très bien, je cherche à toute allure et puis finalement là, pour une fois, ça se refait facilement. Il m’arrive de quitter une conversation entière sans y avoir réussi : le Salon du livre et ce genre d’événement sont une corvée considérable de ce point de vue. Voilà : à Tours, au centre dramatique, comme dans tous les théâtres, la présence d’un agent de sécurité, depuis quelques années, est obligatoire. En gros, d’ailleurs, sauf à Tours, c’est depuis qu’on a imputé aux théâtre ce budget supplémentaire qu’ils n’organisent plus de lectures rémunérées d’auteurs. Donc, et je me reproche bien de n’avoir jamais osé lui demander son nom, c’est lui : et je l’aime bien, parce que plusieurs fois il nous est arrivé, avant ou après la lecture, d’en parler ensemble, ce à quoi il n’est pas obligé. Mais, là, je suis au minuscule aéroport de Tours, embarquement low-cost pour Londres, et il est avec ses collègues au portique de sécurité. Et je comprends pourquoi je ne l’ai pas immédiatement reconnu : première fois qu’en passant un anonyme contrôle d’embarquement je me trouve à entamer la discute avec un des préposés. Oui, c’est son métier, la même entreprise de sécurité. Si ses collègues assurent aussi la sécurité du ou des théâtres ? Non. Mais lui, oui : parce qu’il aime ça, voilà. « Je trouve que c’est important », ajoute-t-il. On parle de pourquoi je m’en vais à Londres, et on revient à nos lectures du théâtre, que j’ai un peu abandonnées ces mois-ci. Alors j’entre dans un autre espace de confusion : c’est cette même chemise d’uniforme, sous ce même visage, qu’on croise avant le plateau, comme là avant le voyage. Cet homme est un intercesseur de monde. Et la ville que je rejoins soudain aussi enclose que le plateau du théâtre, par ses coulisses, fauteuils, et son ciel. Le petit saut de ciel qui m’y emmène, à la ville : le « ciel » est aussi un mot de théâtre.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 avril 2008
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