Julien Boutonnier | Le drone

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L’AUTEUR

Julien Boutonnier est né en 1977, et travaille comme éducateur spécialisé.

Un poème paru dans la revue numérique de Jean-Marc Undriener sur son site Fibrillations. Un texte à paraître dans le numéro 10 de la revue d’ici là. Un autre dans le numéro 25 de la revue Dissonances.

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LE TEXTE

La littérature a toujours eu partie liée avec obscurité et désir, et le monde quand on se l’approprie par le corps, et que l’imaginaire dans les représentations immédiates passe par ses pulsions. Le bleu du ciel de Bataille a incarné cette étroite voie de passage formalisée dans L’expérience intérieure. C’est probablement ce qui se joue sous l’étrangeté de ce texte : la constitution d’un territoire-fiction, certaine façon de grossissement, distorsion, façon de dire au plus près l’excès.

 

Elle m’a demandé si je voulais. J’ai fait signe. Dans l’escalier j’ai remarqué une varice sur son mollet. Une odeur de friture émanait du kebab. Je me suis arrêté. Elle s’est retournée. Son visage était vieux. Je n’ai pas su quoi dire. J’ai fait demi-tour. Elle a soupiré. Tu sais où me trouver elle a dit.

J’ai regardé les oignons et le bac de sauce blanche. Le type m’a parlé de cet hiver qui n’en finissait pas. J’ai eu des sueurs. Mal au ventre. Je n’ai pas su quoi dire. Il a raconté dans son pays il ne fait pas froid. J’ai regardé le poster d’un désert.

Sur un banc le kebab. Je l’ai jeté. Des pigeons se sont rués. J’ai regardé un moment.

J’ai vu la prostituée. L’enseigne d’un sex-shop clignotait au-dessus d’elle et se reflétait sur le trottoir humide.

Je me suis dirigé vers le métro. J’avais mal au ventre. Un homme a déboulé. Il a voulu de l’argent. Ses mains tremblaient, il faisait les cent pas. J’ai donné le billet. Je l’ai regardé courir. Ses pas ont résonné quelques secondes après que je l’ai perdu de vue.

J’ai commencé à trembler. Je me suis assis sur une marche. Quelque chose a gratté. Je me suis tourné. Un rongeur pédalait contre la vitre. Une sorte de hamster. Il s’est démené un moment avant de se rendre à petits sauts dans un abri au fond.

Mes yeux se sont mouillés. Des larmes ont glissé sur mes joues. J’ai marché au hasard. Une dame nue tenait ses seins dans ses mains sur une affiche. Mon cœur a battu plus fort. Mon sexe a durci un peu. J’ai craché par terre. J’ai regardé autour. Je ne savais pas quelle heure il était. Mes yeux peinaient à rester ouverts. Je me suis assis au bord du trottoir, sous la femme nue qui regardait droit devant.

J’ai entendu un camion. J’ai commencé à courir. Le camion est passé dans une rue perpendiculaire. J’étais essoufflé. Je me suis appuyé contre un mur. J’ai regardé mes chaussures. De petits points blancs ont bougé dans mon champ de vision. Une femme m’a demandé si j’allais bien. Je n’ai pas su quoi répondre. Elle a attendu. J’ai levé les yeux. Elle a demandé à nouveau. J’ai grogné qu’est-ce que ça peut te foutre. Elle m’a dit que j’étais un connard. Je l’ai giflée. Elle a crié. Je lui ai donné un coup de poing dans le ventre. Elle s’est pliée en deux. Elle n’arrivait plus à respirer. Je l’ai poussée. Elle est tombée. Je lui ai donné des coups de pieds à la tête. Quand j’ai vu du sang je me suis arrêté. J’ai rebroussé chemin vers la publicité. J’ai regardé la femme qui tenait ses seins. Je me suis assis au même endroit. J’entendais la femme se plaindre. Elle remuait un peu. Elle restait par terre.

J’ai mis ma tête dans mes bras. J’ai écouté ma respiration. J’ai senti mon souffle sur mes mains. J’ai senti mon sexe pendre. J’ai commencé à trembler. La femme m’a donné un coup de pied dans la tête. Elle m’a roué de coups en criant. Elle m’a craché dessus avant de s’éloigner. J’ai entendu ses pas. Au bout d’un moment je me suis redressé. L’oreille droite saignait. J’avais mal aux côtes. Je me suis levé. J’ai eu le vertige. J’ai marché en prenant appui sur les murs.

Je suis arrivé sur une place avec une fontaine au milieu. Il y avait un type qui dormait sous un guichet automatique. Je me suis assis sur une marche de la fontaine. J’ai regardé le type sur sa paillasse de carton. Il a toussé plusieurs fois. J’ai remarqué une bouteille de vin de cuisine.

Mon oreille m’a lancé. Mais le sang avait cessé de couler. J’ai cherché dans mes poches. J’ai trouvé un briquet. J’ai regardé la petite flamme que j’ai protégée avec la main. La fontaine s’est arrêtée de couler. Dans le silence plus grand j’ai entendu ronfler le clochard. Mes yeux ont vu flou. Mes paupières se fermaient. Je me suis dirigé vers le dormeur. Je me suis accroupi. Il s’est réveillé. Il m’a regardé sans bouger. Il a demandé ce que je voulais. Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai regardé ses yeux rouler dans les orbites. Il a répété sa question. J’avais mal au ventre. J’ai pété plusieurs fois. Le type n’a pas cessé de me regarder. Et moi non plus je n’ai pas cessé de le regarder. Il m’a dit qu’il n’avait pas d’argent. J’ai eu envie de déféquer. Je me suis retenu. Tu t’appelles, j’ai demandé. Vincent il a dit, et toi ? Je n’ai pas répondu. Il a fallu que je défèque. Je suis allé de l’autre côté de la fontaine. J’ai entendu Vincent partir. Ses pas ont résonné dans la nuit puis je ne les ai plus entendus. Je me suis retourné. J’ai regardé le colombin en deux morceaux en remontant mon pantalon.

Des larmes ont roulé sur mes joues. Je les ai frottées. J’ai reniflé. J’ai regardé autour, la place, les façades, les pavés. Je me suis assis à côté de l’excrément. Ma main droite a tremblé. Je l’ai tenue avec ma main gauche. J’ai vu un petit chien traverser la place. Il a léché mes doigts. Je l’ai attrapé par le col. Je l’ai soulevé. Il a gémi. J’ai regardé ses yeux globuleux. Je me suis levé. J’ai frappé le bord de la fontaine avec sa colonne vertébrale. Le chien a crié. Je l’ai lâché. Il a hurlé et ne s’est plus arrêté. J’ai regardé un instant. J’ai avalé la salive qui s’était accumulée. J’ai posé mes mains sur les oreilles. Je suis parti.

Il a fallu que je marche longtemps avant que je n’entende plus les cris. J’ai eu des vertiges. Je crois que j’ai titubé et puis je suis tombé. J’ai regardé ma main trembler sur le sol. Un rat a traversé la rue. J’ai entendu des chats se battre. Loin il y a eu le bruit des voitures.

Quelqu’un m’a demandé ce qui m’arrivait. Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai fermé les yeux. J’ai senti la pointe d’un pied appuyer sur ma hanche. Après j’ai senti des mains fouiller mes poches et prendre mon portefeuille. J’ai entendu râler et puis j’ai reçu un coup dans le ventre qui m’a coupé la respiration.

J’ai ouvert les yeux. J’ai vu un gars rasé s’éloigner et jeter mon portefeuille dans une bouche d’égout. Je me suis levé. J’ai couru vers le type en titubant et je l’ai poussé de toutes mes forces. Son crâne a cogné contre l’angle d’un mur. Il n’a plus bougé. J’ai levé sa tête en la tenant par les oreilles. J’ai craché sur ses paupières. Il a attrapé mon poignet. Je l’ai mordu. Il a crié. Il a lâché. J’ai frappé le sol avec son crâne. J’ai frappé plusieurs fois.

J’ai mis du temps à reprendre mon souffle. Mon oreille a saigné un peu. J’ai fait les poches. J’ai trouvé un billet de dix euros.

J’ai marché dans une autre rue. J’ai entendu des femmes qui s’approchaient. Je me suis caché derrière des arbustes d’ornement. Elles parlaient et rigolaient. Elles étaient trois. J’ai eu des images. Des trucs pornos. Mon sexe a durci. Je l’ai frotté avec le plat de la main à travers le pantalon. Après je suis resté assis. Des larmes ont roulé sur mes joues. J’ai senti le sperme sur ma cuisse. J’ai gémi et j’ai grogné. J’ai fixé un reflet de lumière sur la surface polie d’un galet. J’ai gratté le sang séché. Mes paupières ont été lourdes. Alors je me suis gratté plus fort. J’ai enfoncé mes ongles dans la peau de mes joues. J’ai écouté les râles sourds qui sortaient. Je me suis bouché les oreilles pour entendre ma voix différemment. J’ai continué de me gratter. Mes yeux ont eu besoin de se fermer quand même. Mes paupières ont pesé trop lourd.

Je me suis levé. J’ai eu mal. Une douleur aiguë. J’ai marché en me tenant le ventre. Des particules blanches flottaient dans mon champ de vision.

Je suis arrivé au bord du fleuve. Les tremblements ont commencé. L’eau noire tourbillonnait. J’ai regardé l’eau. J’ai regardé le croissant de lune qui se levait derrière les toits de l’autre côté du fleuve. J’ai vu les nuages. Un vent est passé plusieurs fois. J’ai senti mes cheveux bouger. Une main s’est posée sur mon épaule. J’ai attendu. La main a serré mais pas fort. J’ai entendu la voix qui m’a dit t’en fais pas, ça va aller. Des larmes ont roulé sur mes joues. Et des grognements dans ma voix. Des hoquets ont secoué mon torse. Je me suis retourné et je me suis blotti dans les bras. J’ai respiré l’odeur. J’ai respiré la chaleur des bras. La voix a dit allez viens. Elle a pris ma main. Je l’ai suivie. J’ai enlevé ma main. Je me suis assis sur un banc. J’ai écouté le fleuve. Mes yeux ont brûlé. Je les ai frottés avec le dos des mains. Mes jambes ont tremblé. Je les ai tenues. Dans ma bouche j’ai eu un goût. Le fleuve noir a reçu la lumière de la lune. Une tache blanche et longue a flotté dans le courant. Je me suis allongé sur le banc. J’ai senti mon cœur battre. Je me suis levé. J’ai marché. La tête m’a tourné. J’ai marché le long de l’eau. J’ai entendu ma respiration au milieu.

J’ai gravi les marches. Je me suis avancé dans une rue. Les paupières ont pesé. Je n’arrivais plus à tenir mes yeux ouverts. J’ai marché les yeux fermés. J’ai marché les bras devant. J’ai trébuché. Je me suis fait mal à la mâchoire. J’ai ouvert les yeux. J’ai eu la nausée. Du sang a coulé de ma bouche. J’ai rampé sur le trottoir. Je me suis arrêté. J’ai rampé. Une voiture est passée. La lumière des phares a glissé sur moi. J’ai eu le goût du sang dans la bouche. Mes paupières ont pesé trop lourd pour que je les garde ouvertes. J’ai continué de ramper les yeux fermés. Avec mes doigts j’ai touché une merde de chien. Je n’ai pas voulu ramper dessus. J’ai changé de direction. J’ai rampé sur la route. Au bout d’un moment une voiture s’est approchée. Pour m’éviter elle a tourné. J’ai entendu la carrosserie se fracasser. J’ai ouvert un peu les yeux. Une femme en robe de soirée a marché vers moi. Elle est tombée. J’ai parcouru quelques mètres pour la rejoindre. La voiture a pris feu. La femme avait de gros seins. J’ai découvert sa poitrine et j’ai tété en me masturbant. Je n’ai pas mis longtemps. J’ai regardé les mamelons. Le sang de ma bouche dessus.

Je me suis levé. J’ai eu le vertige. J’ai titubé loin de la voiture en ouvrant les yeux de temps en temps. Je me suis rendu compte qu’un homme criait. Je me suis engagé dans une petite rue et j’ai marché.

Je me suis écroulé devant la grille d’un parc. J’ai entendu mon pouls battre dans les veines du cou. Je me suis tourné sur le dos. J’ai ouvert les yeux pour voir un lampadaire au-dessus. Il y a eu plusieurs fois le vent dans les arbres. Les tremblements ont commencé. Je n’ai pas réussi à contrôler. J’ai senti mes bras, mes jambes, mon torse et ma tête secoués dans tous les sens. J’ai perdu le souffle. J’ai senti que je me faisais mal en cognant contre le sol. Que j’allais m’étouffer. J’ai vu les traînées de lumière du lampadaire dans la vitesse de mes convulsions. J’ai entendu une voiture s’arrêter, des voix qui ont dit des choses dans une langue que je ne connaissais pas. J’ai entendu la voiture s’éloigner. Peu à peu ça s’est arrêté. Je me suis mis sur le ventre. J’ai posé la joue sur mon avant-bras. J’ai regardé un instant de petites herbes qui se dressaient au bas de la grille, entre le revêtement du trottoir et les pavés de l’autre côté. Il y avait un mégot. Et de menus papiers que les pluies avaient mâchés.

Mon ventre a gargouillé. Devant mes paupières fermées des essaims de points blancs ont clignoté. J’ai commencé à ramper. Je touchais la grille du parc de temps en temps pour m’assurer que je ne déviais pas. J’ai rampé longtemps. Les gravillons du trottoir ont roulé sous mon torse. Il y a eu plusieurs fois des merdes de chien que j’ai poussées de la main. J’ai dû parcourir une centaine de mètres en quelques heures. Et puis le jour s‘est levé.

Il y a eu de plus en plus de voitures. J’ai entendu de plus en plus de piétons passer à côté de moi. Il y en a eu un qui m’a demandé comment j’allais. Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai continué de ramper les yeux fermés. Il est parti.

Au bout d’un moment j’ai senti les rayons du soleil. Des larmes ont roulé sur mes joues. J’ai sangloté plusieurs fois sans m’arrêter de ramper. J’ai senti que mes forces m’abandonnaient. J’ai mordu mon poignet jusqu’au sang. La douleur m’a revigoré. J’ai continué à avancer un moment encore.

La circulation des voitures était continue maintenant. J’ai eu une érection. La tête m’a tourné. De légers tremblements ont parcouru mes bras. Je crois que mon oreille a recommencé à saigner.

J’ai poussé un cri. Et puis un autre. Entre les cris j’ai avancé un peu. J’ai poussé encore un cri. Ma gorge a piqué à chaque fois. Mes cris étaient aigus. Ils étaient brefs. Ça mobilisait mes forces avant que je pousse sur mes jambes et sur mes bras. Mes yeux ont brûlé. J’ai éjaculé en même temps que je poussais un cri. Après ça je n’ai plus eu de forces et j’ai arrêté de crier.

J’ai posé mon front sur mes mains. Ça sentait mauvais la crotte de chien. J’ai écouté mon souffle se répandre sur le sol en dessous de mon visage. J’ai senti deux mains fermes me positionner sur le côté et puis on a ramené ma jambe vers mon ventre et on a tendu mes bras devant. Il pue quelqu’un a dit. Il est dans un sale état. Il faut appeler les secours. La main s’est posée contre ma joue. Elle m’a caressé. Et la voix m’a dit t’en fais pas, tout va bien. J’ai senti l’odeur des bras. J’ai senti la chaleur des bras. Le souffle chaud contre mon visage. Viens a dit la voix. La main m’a aidé à me lever. Je l’ai suivie. La main me portait. Je l’ai lâchée.

J’ai aperçu la vitrine d’un marchand de téléphones. Je me suis écroulé en me retenant à une passante que j’ai emportée dans ma chute. J’ai entendu qu’elle criait. Je l’ai poussée de toutes mes forces. J’ai crié moi aussi. Il y a eu des hommes qui m’ont aidé à me relever. Je les ai traités de chiens sans ouvrir les yeux. J’ai craché au hasard. On m’a lâché. On criait. La tête m’a tourné. Et j’ai eu mal au ventre. J’ai ouvert les yeux. J’ai vu une portière de voiture. Je me suis dressé en criant et j’ai poussé dedans. La voiture a démarré. Je suis tombé sur le goudron. Je me suis redressé en me tenant le bras et j’ai couru à travers les gens. Du sang a coulé de mon coude. Ma tête penchait en avant m’entraînant dans la course. Des douleurs dans ma tête, mon ventre, ma mâchoire aussi, et aux côtes aussi.

Dans une rue calme je me suis assis sur une marche. Une petite fille jouait à la corde à sauter sur le trottoir de l’autre côté. Elle m’a regardé. J’ai fermé les yeux. Il y avait du sang dans ma bouche. Je me suis adossé à la porte. J’ai entendu la voix de la petite fille. Elle a dit des choses que je n’ai pas comprises. Un clocher a sonné deux coups. J’ai ouvert les yeux une fois. La petite n’était plus là. Il n’y avait rien. La lumière de l’après-midi et c’était tout. Je me suis roulé en boule en bas de la marche. Et des sanglots ont secoué mon torse. J’ai serré mes bras dans mes mains.

Je me suis relevé et je suis resté debout un moment en prenant appui sur le mur. Il a commencé à pleuvoir. Les gouttes ont glissé sur ma peau. Elles ont glissé longtemps sur mes joues et dans mon cou. Des larmes ont glissé aussi. J’ai vu la lumière mouillée dans le caniveau. De petits points blancs ont flotté devant. J’ai fermé les yeux dans le bruit de la pluie.

Une violente nausée m’a pris. J’ai vomi sans me baisser. J’ai vomi debout et ça s’est mis sur moi. J’ai ouvert les yeux un peu. J’ai vu loin au bout de la rue des types qui regardaient. Ils sont partis. J’ai continué de vomir.

J’ai fait quelques pas en me tenant au mur. Un vertige m’a fait perdre l’équilibre. Je suis tombé en avant sur mes mains. Je me suis allongé sur le sol trempé. J’ai senti mon pull mouillé coller à la peau. J’ai eu l’impression que le sol voltigeait dans tous les sens. J’ai vomi de nouveau mais comme je n’avais rien à vomir mon ventre se révulsait pour rien. Chaque fois mon visage était poussé vers dehors. Peu à peu les vertiges ont passé.

J’ai regardé l’eau couler dans le caniveau. Je suis resté allongé après l’averse. J’ai regardé la lumière sur le goudron mouillé. Il y a eu des odeurs de terre, de feuilles et d’herbe. Je me suis assis contre le mur. J’ai essuyé le vomi sur mon menton et sur mon pull avec la main. Au bout de la rue il y avait des piétons et des voitures. De temps à autre quelqu’un passait à côté.

Je me suis levé en me tenant au mur. J’ai fait un pas. Et puis un autre. J’ai marché doucement sans lâcher le mur. Mon jean imbibé de pluie collait à mes jambes et pesait lourd.

Je me suis arrêté devant une fenêtre. J’ai vu une vieille qui regardait la télévision. Mes paupières ont voulu se fermer. Mes muscles ont été faibles. Je n’arrivais plus à tenir debout. J’ai tapé à la vitre. La vieille a sursauté dans son fauteuil. Elle s’est levée, m’a regardé. Je n’ai pas su quoi faire. Elle m’a fait signe de partir. Je n’ai pas bougé. Je me suis retenu aux barreaux de la fenêtre parce que je perdais l’équilibre. Elle a crié. Mes yeux se sont fermés. Ma tête a dodeliné sur mes épaules. Je me suis écroulé. Le derrière du crâne a frappé le sol. Ça m’a lancé très fort. J’ai senti la tête d’un balai qui poussait dans mon ventre. Et puis je n’ai plus rien senti. J’ai entendu qu’on fermait des volets.

Il y a eu la truffe d’un chien sur mon visage, des coups de langue. J’ai repoussé vaguement avec les mains. J’ai eu des tremblements de plus en plus forts. J’ai commencé à crier. Mes bras, mes jambes et ma tête ont cogné contre le trottoir. Je me suis arrêté de crier quand les convulsions ont cessé.

Je me suis mis sur le ventre et j’ai rampé. Chaque mouvement m’a demandé beaucoup d’efforts. J’avais mal au crâne, aux côtes, à la mâchoire aussi. Je me suis mordu le poignet parce que ça m’aidait à avancer.

Je suis entré dans un parc et je me suis glissé sous une haie. J’ai essayé de ramper. C’était trop difficile. Je ne suis pas arrivé à me faufiler entre les troncs et le mur. Je suis sorti et j’ai rampé sur l’herbe humide.

J’ai entendu des enfants qui jouaient. Il y en a eu un qui est venu me voir. Il m’a demandé si j’avais besoin d’aide. Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai continué à ramper. Il m’a demandé où j’allais. Je ne lui ai pas répondu. J’ai grogné. J’avais très mal au crâne. Et mes yeux ne tenaient pas ouverts. J’ai entendu l’enfant courir et sauter par-dessus moi. Il a rigolé. J’ai entendu aussi qu’on jouait à allumer un briquet. Il y a eu d’autres enfants. Ils ont dit qu’ils allaient me foutre le feu. J’ai entendu des rires. Ils ont sauté par-dessus moi. Ils m’ont marché dessus. J’ai continué à ramper. J’ai eu très mal chaque fois qu’ils m’ont sauté dessus. Et puis j’ai entendu un adulte. Il a rigolé. J’ai reçu un coup de pied à la tête. Beaucoup de pieds ont tapé aussi. Je n’ai plus pu bouger. Le coup à la tête a déclenché les vertiges. Je me suis agrippé à la terre. J’ai senti des jets d’urine tomber sur mon dos et sur ma tête. J’ai entendu des cris d’excitation. J’ai réussi à ramper de quelques centimètres. J’ai senti qu’on enlevait mes chaussures et mes chaussettes. J’ai senti qu’on tirait mon pantalon. Ça n’a pas été facile parce qu’il était mouillé. J’ai senti qu’on découpait mon slip et qu’on me l’enlevait. Le sol humide contre mon sexe a fait froid. J’ai voulu ramper mais j’ai eu trop de vertiges. J’ai crié une fois. J’ai entendu l’adulte dire fais-lui sentir ça. On m’a barbouillé le visage avec une merde de chien. J’ai craché. J’ai vomi. Les rires se sont arrêtés. J’ai entendu des pas s’éloigner en courant.

Je suis resté seul. J’ai entendu cinq coups de cloche. J’ai arrêté de vomir. J’ai senti l’odeur. La voix m’a dit t’en fais pas, t’en fais pas. La main m’a aidé à me lever. Je me suis blotti dans les bras. Je me suis blotti dans la chaleur des bras. La voix m’a dit ça va aller. Le souffle chaud contre mon visage. La main m’a porté. Je l’ai lâchée.

Je me suis tenu à un poteau indicateur. J’ai ouvert les yeux. J’ai vu un café. Il y avait beaucoup de gens. Certains m’ont regardé. J’ai voulu m’en aller. J’ai perdu l’équilibre. Je crois que j’ai décidé d’aller m’effondrer sur les tables du café. J’ai fait tomber plusieurs tables et les verres dessus. Il y a eu des cris. Je me suis tenu à des gens, à leurs vêtements. Des boissons ont coulé sur mes jambes nues. J’ai eu une érection. J’ai crié. Des cris brefs. Des cris aigus. J’ai crié par terre au milieu des tables renversées et des verres brisés et des gens qui se relevaient et criaient eux aussi. On m’a pris par les aisselles et on m’a amené sur un trottoir. J’ai sauté par-dessus un parapet et j’ai chuté de cinq ou six mètres. J’ai atterri sur le cou.

Je suis resté dans l’herbe au bord du fleuve. Je n’ai pas bougé. J’ai eu très mal. Je n’ai plus pu bouger mes jambes. Mon visage a été face contre terre. Je n’ai plus pu le bouger. J’ai respiré dans la terre et dans l’herbe. Il y a eu un mégot juste à droite. J’ai vu le filtre marron, aplati.

J’ai pu remuer la main droite un peu. J’ai commencé à arracher les herbes que je pouvais atteindre. J’ai creusé avec mes ongles. J’ai enlevé de petits bouts de terre les uns après les autres. Mes paupières ont pesé. J’ai gratté les yeux fermés. L’ongle de mon majeur a été douloureux au bout d’un moment. Puis ç’a été l’index et puis les autres doigts. Chaque fois que je raclais le sol mes doigts brûlaient. J’ai entamé la terre d’un ou deux centimètres. Des points blancs sont apparus entre mes yeux et mes paupières. Des tremblements ont commencé.

Il a plu. La terre est devenue de la boue. J’ai entendu des gens courir. Des cris. Il n’a plus cessé de pleuvoir. Avec la pince de l’index et du pouce j’ai enlevé de petits bouts de terre. La boue est entrée dans ma bouche. Le mégot est resté contre mes lèvres.

J’ai senti l’eau du fleuve couvrir mon bras. J’ai été emporté par le courant. J’ai ouvert les yeux. J’ai vu la lune trembler derrière les nuages. J’ai entendu le son d’une chute d’eau. Ma tête a cogné contre la retenue et puis j’ai été projeté. J’ai vu des gouttes d’eau en suspens dans l’atmosphère.



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1ère mise en ligne 6 octobre 2013 et dernière modification le 2 janvier 2014.
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