oubli

Oubli — J’oublie. Je note et j’oublie. J’oublie où sont les notes. Où ont-elles disparu ces phrases que j’avais lues ? Des souvenirs d’enfants que nous aurions, du nom des gens, de cette faïence bleue où elle cachait, dis-tu, ce qui l’aurait tuée. Tu me dis son visage sous un parasol rouge, cette robe d’été qui dégageait son cou, ses bras nus. Tu me dis et j’oublie.

Le rapport à l’oubli m’est capital. J’ai écrit un livre au moins pour pallier les déficiences de la mémoire. Le livre comme unité de stockage annexe, comme prolongement du cerveau où aller chercher ce qu’il ne retient pas. Pour cela mes recueils de citations, au départ : parce que je suis incapable de citer de mémoire et que je veux garder la trace. Je me souviens qu’un bon mot a été dit par un autre, mais par qui, comment : c’est imprécis. Et puis j’oublie ce que j’écris. Pourquoi m’en souvenir ? C’est quelque part. Je me relis sans me reconnaître, sans souvenir du mouvement qui a conduit à l’écriture. Les projets trop longs me sont difficiles parce que je dois tout relire parfois pour reprendre. Ce rapport à la mémoire : se souvenir du premier chapitre lorsqu’on attaque la rédaction du dernier, et comment tisser du lien entre des textes qui me deviennent parfois étrangers au fur et à mesure de la rédaction ? C’est au cœur de la question du comment écrire : comment garder l’unité de la forme longue si elle déborde de mes capacités à me souvenir ? Se condamner à la forme brève ? Ce n’est pas si caricatural, pas si tranché. Et je connais une part de la réponse : sur la période nécessaire, il ne faudrait que l’écriture, que ça et rien qui se superpose, rien qui masque le mouvement, rien qui oblige à porter le regard ailleurs que sur la page. Une écriture-vie.