le roman de Cécile Camatte

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Musicienne, j’écris et photographie à mes heures trouvées.

Un blog depuis 2013 : Carnets d’imaginaires.

18. Bruit blanc

Elle a compris. En l’espace d’un éclair, d’un minuscule moment. L’explosion de quelque chose, comme un bruit blanc peut-être est apparu, s’est fait jour en elle. Il lui a fallu beaucoup de sang-froid et de détachement pour ne pas laisser paraître ce qu’elle a compris à ce moment, dans ses bras. Son intime découverte. Il n’y a rien de plus banal et de plus destructeur que d’être trompé par quelqu’un en qui l’on a confiance. Elle fait à ce moment-là, au moment de l’impact, de l’explosion douce, l’expérience d’une certaine destruction au sein même de son couple. Au moment d’une étreinte. Mais combien sont trompés par un ami, voire un parent. C’est peut-être car il était bizarrement gêné par l’abandon naturel qu’elle a eu vers lui, qu’elle a compris, senti. Au sein de leurs années de complicité amoureuse s’est introduit subtilement mais concrètement comme un corps étranger. Il est fin et léger, semblable à un cheveu. Le cheveu qu’elle n’a pas trouvé sur sa hanche pourtant. Et qu’elle ne cherchera pas sur ses vêtements, de toute façon. A quoi bon : elle a compris, elle sait désormais. Cela suffit. Maintenant quoi faire ? C’est surtout cela. C’est surtout cela qui compte. C’est surtout cela l’important. Elle. Elle doit penser à elle. Se protéger. Faire des analyses de sang, aussi, pour vérifier. La trahison et la légèreté de son compagnon aura-t-elle été jusqu’à mettre sa vie en danger ? Comment se défendre de l’agression du mensonge. Des actes. Que faire du pacte de confiance du couple fêlé. Elle se dit que c’est peut-être une occasion pour elle de revenir sur ses propres désirs, sur sa route personnelle. Pense à cette formation qu’elle hésite à entreprendre depuis déjà un bon moment. Parce que cela compliquerait la vie de couple, parce qu’ils se verraient moins. Peut-être est-ce maintenant en fait le bon moment pour penser à elle. Et seulement à elle. Pour cesser de le rassurer par sa présence immuable. Présence qui, visiblement, n’est pas appréciée ni reconnue à sa juste valeur. Cesser d’être un meuble confortable. Faire face à cette indifférence. Sans doute est-ce un bon début pour un ailleurs, pour une reconstruction. Partir du travail. Et grâce à cet embranchement de chemin entrevu, ainsi, introduire une distance auquel s’adjoint une forme de silence. Ce silence dont elle a besoin au plus profond d’elle-même afin de pouvoir entendre si la fêlure induit par le couple peut se réparer. Si le dégât n’est pas trop fort. Elle se demande s’il lui est si nécessaire. Que lui apporte-t-il vraiment, au fond ? Par cette trahison, elle entrevoit soudain trop de certitudes, et puis son égoïsme. Son manque de tendresse, voire son léger mépris envers cette si essentielle nécessité et qualité du lien. Constate qu’il ne lui prend plus la main en public depuis effectivement un bon moment déjà. Peut-être sont-ils arrivés au bout de leur route commune. Mais elle le pensait plus courageux. Plus à même de parler, discourir, expliquer, au lieu de s’égarer lâchement ailleurs et de cultiver le mensonge. Elle songe qu’en plus il est capable de penser qu’il la protège ainsi, qu’il se conduit en protecteur héroïque en ne disant rien. Mais il est simplement en train de sauvegarder une belle et propre image de lui. Peu d’êtres ont le courage de se tenir droit. Il est peut-être simplement pour elle le temps de le quitter, se dit-elle.

Un exercice peu évident, je n’ai pas été convaincue par ce que j’en ai fait. J’ai mis du temps à trouver ce que j’allais explorer de « vrai », sans virer à l’intime. Suis partie du personnage secondaire de la compagne de l’amant. Il y a un quelque chose d’un peu différent lors de l’écriture. Après... des questions... ça questionne, c’est bien. J’aurai plaisir à refaire cet exercice.

17. Pas, ne pas. Ou comment se prendre les pieds dans le pas...


Pas aisé à définir.
Pas un roman d’amour.
Pas plus que d’un désamour. Non.
Pas un roman sur l’adultère.
Pas un roman qui cherche des réponses.
Pas un roman qui prend partie.
Pas un roman sur le deuil.
Pas un roman très long.
Pas trop de questions.
Pas rigolo.
Pas tragique non plus.
Pas rêveur.
Pas lancinant.
Pas si facile.
Pas si facile à écrire.

Je ne me suis pas sentie très inspirée par cette proposition. Peut-être aurais-je dû y passer plus de temps, en le sens la laisser mûrir plusieurs jours. Mais j’ai choisi de ne pas le faire, l’atelier allant vers sa fin, et ayant tout mon propre temps pour le refaire pour moi.

16. QCM avec limitation nécessaire en vue d’une relation potentielle.

1. Commencer le roman par la scène avec le personnage du facteur ?

2. Roman qui se construit en saynètes de tailles diverses ? (Cf « le moindre des mondes » de Sjòn)

3. Ne pas dévoiler les causes de la mort d’Hortense dans le roman. Elle est un personnage complexe de par son histoire, ses choix et ces deux hommes présents dans sa vie qui sont frères. Cela suffit en soi. Connaître les causes de sa mort affaiblirait le personnage comme le récit. Ouverture à l’imaginaire pour les lecteurs ?

4. Développement à réaliser : le personnage secondaire du déménageur, celui qui mange le jambon beurre. Un basique, vraiment pas important pour le roman en tant que personnage. Mais en décentrant l’attention du lecteur du trio des personnages principaux, il peut nous permettre d’y replonger un peu plus tard avec encore plus de force.

5. Quel lieu est déménagé ? Quand ? Pourquoi ? Lien avec le décès ? Ou plutôt avec l’arrivée en France d’Hortense ? Ou arrivée dans l’enfance dans le voisinage des Frampin ? Que nous apprend ou apporte ce déménagement dans l’histoire du trio ?

6. L’enterrement d’Hortense doit-il exister dans le roman. Si oui, présences ou pas de personnes de sa famille du Portugal. Jusqu’à quel point a-t-elle rompu avec eux ou eux avec elle ?

7. Ne surtout pas écrire sur ce qui a crée le rapprochement et fait éclater le désir entre Hortense et son beau-frère. Ce n’est pas important. Cette situation d’adultère est un fait, un lien connu par le lecteur, et inconnu pour l’un du trio. La situation raconte déjà en elle-même les failles existantes au sein de ce trio, failles ouvrant naturellement à cette liaison. Cela suffit. Et c’est cela qui est intéressant. Et dérangeant. (?)

8. Évoquer un week-end des amants surtout sans sombrer dans le roman d’amour. Se rappeler de ne pas être en empathie, pas non plus en jugement. L’adultère est évoqué en ce qu’il pose question, révèle, certainement pas pour y trouver une réponse ou une justification. Lieu de rencontre de ce week-end : différent des Puces du départ, oui.

9. Retravailler la scène des Puces (qui ouvre le roman ?) : on n’y reviendra pas. Mais au fur et à mesure du roman ce lieu doit se dessiner comme ayant été celui d’un moment partagé extrêmement heureux, intense. Raison pour laquelle l’amant y retourne malgré lui. Peut-être celui où l’adultère est né ?

10. Le mari. Présent plus franchement ou en filigrane ? Un peu pâli, effacé dans le trio comme dans le livre ?

11. Trouver un métier qui utilise la langue des signes.

12. Hortense : femme au foyer ? Mi-temps ou un peu plus ? Bénévole ? Quel métier ? De toute façon pas à temps plein. Note de la note : important pour moi de le savoir, pas forcément à faire connaître.

13. Roman sur un temps, sur un ou des moments donnés. Autour d’un événement (le décès) ? Roman de l’obscur au sein de ces 3 vies touchées par ce décès. Ne pas résoudre les situations relationnelles entre les personnes ? L’écriture en tant que telle doit-elle amplifier ce choix, ce biais, cet angle ? Ou est-ce simplement la construction méticuleuse qui le permettra ?

14. Que d’ambitions...

15. Faut-il faire parler encore ou même plusieurs fois la morte ?

16. Évoquer la relation entre les deux frères pour laisser entrevoir la faille relationnelle qui permet que le frère ( Aîné ? Cadet ?) s’autorise à devenir l’amant de sa belle-sœur. À quel âge apparaît la faille ? Vacances scolaires ? Intra familial ? Autre ?

17. Faut-il évoquer la compagne de l’amant ? Quel intérêt ? Personnage secondaire de toute façon.

18. Tu veux vraiment encore te poser des questions ? Y’en a déjà beaucoup, non ?

19. Trouver une cohérence, des glissements, une construction pour arriver à des passages d’écriture un peu plus créatif ? Ou les réserver à d’autres travaux ?

J’ai été captivée immédiatement par ce travail à réaliser. Cette proposition est arrivée très naturellement pour moi, pile au bon moment. En effet, les questions de l’omniscience, des non-dits, des pourquoi choisir plutôt cela ou cela m’ont fortement habité et agité dans cet atelier, au fur et à mesure que je travaillais à essayer de composer un puzzle cohérent de toutes ces propositions... tout en gardant des espaces vides pour mieux le construire et/ou le réaménager. Poser les interrogations qui me travaillent m’a fait du bien. C’est une méthodologie que je vais retenir et employer de nouveau. Je l’ai fait très honnêtement, avec cette façon de me parler à moi-même qui existe vraiment quand je liste quelque peu pour avancer dans mon travail, ou que je me prépare un emploi du temps précis pour faire face à un travail (ou une période de travail) intense.

15. Claude Thural.


proposition de départ

Il aime bien ce moment de la tournée, le matin. Ce n’est pas parce qu’il aime particulièrement le matin. Ce n’est pas non plus parce qu’il aime particulièrement son métier. Il aime bien cela car en général il aime bien les choses. Comme les coquillettes au jambon. À cinquante ans il aime toujours bien ça. C’est même pas la peine d’acheter un bon beurre en motte : le beurre Carrefour ou Casino c’est bien. Et puis on trouve un jambon très correct à Lidl. Quelquefois, il sourit à une femme. Mais ça lui ferait bizarre si elle lui répondait, ou si elle lui proposait de boire un café ensemble après avoir parlé de la météo. C’est quand même à l’homme de proposer ces choses-là. Le dimanche, il aime bien regarder Drucker. Avec sa maman. Quelquefois ils vont marcher, toujours dans le même parc. C’est bien les habitudes. Il aime bien ça. Quand par hasard quelqu’un est assis sur « leur » banc, ça il n’aime pas trop. Ce n’est pas suffisant pour vraiment le contrarier, mais c’est quand même dommage car il aime bien quand ils font une pause assise sur celui-ci, et pas sur un autre. Celui-là c’est le bon, le plus confortable, le plus habituel. Maman aussi elle l’aime bien. Et il aime bien que sa maman aille bien. Quand il n’aime pas les choses, il ne les aime pas trop. Par exemple il n’aime pas trop les nems. Pas non plus le riz cantonnais. Il ne sait pas que la fève tonka existe. Les nourritures simples ça lui va. C’est pour ça qu’il aime bien les coquillettes au jambon. Le dimanche, l’été, quand il va voir maman, elle lui prépare des tomates farcies. Avec la farce du boucher. L’automne c’est une quiche lorraine. Avec de la salade. En sachet, parce que c’est bien pratique. Souvent il repart avec une moitié de la quiche. Il aime bien. Ça lui fait moins de cuisine à faire. Et moins de courses aussi. Le soir il regarde quand même les promotions reçues dans sa boîte aux lettres, pour faire les courses le jeudi. C’est le jour où les points fidélités sont doublés. Dans ses placards quelquefois, il y a beaucoup d’huile, ou de brioches Pitch au chocolat. C’est bien les promotions pour ça : on achète plus pour moins, et après c’est dans les placards et on réfléchit pas trop pour faire ses repas. Ça il aime bien. Il démarre sa tournée comme toujours en mettant le chronomètre de son smartphone. Part du dépôt. S’arrête au feu rouge. Il aime pas bien quand il commence par le feu rouge car ça lui fait baisser son score. Repart. Arrive à la maison de Monsieur Bonot. On est mardi. C’est le jour de Télérama. Hop, dans la boîte. Repart vers le pavillon de la famille Bailly. Et un « J’aime lire » et quelques factures. Et un signe de la main à la maman Ribaud, de l’autre côté de la rue. Elle promène son chien, comme chaque matin. Il arrive au carrefour, personne. Ça c’est bien : il va pouvoir rattraper quelques secondes. Il arrive ensuite à l’immeuble un peu cossu, où aujourd’hui il y a peu à distribuer. Il se dit que ça aussi ça va l’aider à gagner du temps sur le feu rouge du début du trajet qui lui a fait perdre du temps. Beaucoup de courriers encore pour Monsieur Frampin. C’est à cause de son veuvage récent. Il espère ne pas le croiser. Il a l’air si triste. Et ça serait pas bien de ne pas échanger quelques mots avec lui. Mais le croiser un jour où il a eu le feu rouge au début de la tournée, ce ne serait pas bien pour son timing final. Il aime bien cette habitude. Celle de noter le temps qu’il met à faire son travail. Il a un carnet pour cela. Un carnet avec des lignes. Il note la date, les minutes et les secondes qu’il a mis pour faire sa tournée en entier. Quelquefois même la météo qu’il fait. Ça peut jouer sur le temps de sa tournée. C’est pour lui, il n’en fait absolument rien. Mais il aime bien.

J’ai un peu hésité avec un autre personnage, un déménageur présent dans ma proposition 9, celui qui mangeait un mauvais pain bagnat. Mais vers l’heure du courrier, ce matin d’écriture, le facteur m’est soudain apparu comme un personnage intéressant, banal par sa fonction, un peu inutile à mon récit mais passant forcément naturellement à côté de mes protagonistes principaux, de mon trio de tête : Hortense et ses frères. C’est étrange pour moi les gens qui aiment bien, ou n’aiment pas trop. Personnellement cela me rend perplexe, je ne sais trop quoi faire de cela. Pour moi il y a des vides, nécessairement en eux. Cela crée chez moi une absence d’empathie, car trop éloigné de mon fonctionnement personnel. Alors j’ai ouvert la porte, et j’ai suivi le fil naturel de ce personnage. J’ai fait attention à ne pas le caricaturer. Une personne simple, sans besoin d’aventure, un peu étroit mais pas trop, je l’aime presque bien...

14. Rien n’est tout blanc, ni tout noir...


proposition de départ

Rien n’est tout blanc, ni tout noir. Je le sais. Et pourtant que faire de ces nuances, de ces gris, qu’ils soient lumineux, soutenus, vaillants, discrets ou blêmes. Ma vie aura été une certaine tentative pour comprendre et admettre ces nuances. Un essai en vue de les apprivoiser, de les supporter. Que dire, que raconter. Peut-être cela. En moi, il y a eu ce que m’ont offert, ce que j’ai partagé intimement, profondément, tendrement, passionnément, avec ces deux hommes. Le secret et l’officiel. Reliés par le même sang. Dans cette histoire, ou plutôt au travers de ces deux histoires, rien n’était à désavouer, à renier, à casser. J’ai tant reçu d’eux. Mourir sans que tout ne soit révélé ou abîmé est un soulagement. Sans doute finalement la meilleure façon de terminer ces amours. J’ai pu ainsi recevoir jusqu’au bout, et c’était mérité. Je n’ai pas été aimée pour ce que je suis par mes parents. Je n’ai pas été une bien-aimée. Et puis il y a eu lui. Et puis encore lui. Eux quoi. J’ai reçu beaucoup, beaucoup d’amour. Et égoïstement, je l’ai pris. Car j’en avais besoin. Je ne sais trop comment cela va se passer pour eux, maintenant. Surtout pour le caché, le frère, l’amant secret. Je me demande seulement actuellement comment il va supporter le manque en plus que de devoir vivre avec ce poids, cette honte. Avec la trahison. Car s’en est une. Être l’amant de la femme de son frère ne peut être que vécu, constaté socialement et fraternellement principalement comme étant une trahison. Et quelle trahison. Quel impact notre liaison va-t-elle avoir sur son lien fraternel, sur son couple officiel, dans le temps, la durée... mes amours, mes tant aimés, je vous aimais mal, mais je vous aimais si sincèrement. Toi, mon mari, je ne suis pas inquiète pour toi. Tu es un homme formidable, et tu ne sais rien. Je te souhaite surtout de pouvoir recommencer ta vie, plus tard. Avec une femme différente, plus simple que moi, moins blessée, et donc moins blessante. Après, je ne sais pas. Que dire... Il est certainement illusoire d’envisager un couple sur une longue durée dans une fidélité absolue. Et il y a des fidélités qui sont avant tout un reniement de soi. Alors que choisir. Que faire. Je crois que l’infidélité est aussi une manière de se rencontrer, de se perdre ou de se trouver. Ce fut mon cas. Le désir pour mon mari était calme : je savais depuis longtemps qu’il m’offrait une sécurité affective trop sécuritaire, ennuyeuse. Un truc de bon père. Bon. Fatalement, le désir entre nous émettait des signaux faibles. Trop faibles à mon goût, bien entendu. C’est évident que le jour où le désir, le vrai, a émergé, éclaté avec son frère, ce désir violent et irrépressible était irrésistible. Et l’interdit de la fraternité a pimenté la chose pour moi. Je ne suis pas une femme bien. Je le savais. Là je n’ai plus pu me le cacher. Je suis issue de la fange d’un couple immature, mauvais, riche de ses mensonges et de ses manipulations. J’en suis teintée malgré moi. Un temps, j’ai songé à m’en laver. Mais parler à un tiers pour mieux me comprendre ne m’intéressait pas. Et puis il me semblait que ma deuxième identité me suffisait pour être une autre fleur. En fait non. Je l’ai compris trop tard. Dans le creux du corps de mon magnifique amant. Mais qui était également mon beau-frère. Rien n’est entièrement mal, ni entièrement bien. Mais là quand même, c’était se compliquer clairement la vie et la tête. Je pense à eux, un peu triste, un peu soulagée aussi. J’aime leurs blancs, leurs noirs, leurs gris si différents et si propres à chacun. Je voudrais essuyer leurs larmes, et adoucir ce choc de ma perte. Je voudrais leur dire qu’ils perdent surtout une source indéniable de problèmes. Je me fais du souci pour mon amant. Notre liaison était un entre-deux à impasse, un gris perle pour ceux qui n’aiment pas les nuances et qui se trouvent pourtant par la force de la fièvre des corps à devoir apprendre à nuancer. Se haïr au sein de l’extase. À moins que ce ne fut découvrir sa propre haine de soi au sein de la tendresse et de la fougue de nos étreintes. À défaut de me réjouir de celle-ci, ma mort simplifie bien des choses...

J’ai su très vite et naturellement que la morte qui s’exprimerait serait Hortense, Hortense dont on sait dès ma première proposition qu’elle est décédée. J’ai beaucoup aimé les contraintes proposées. Elles m’ont fait de nouveau réfléchir sur le « non-écrit », si je puis dire. Il y a ce que mon personnage ou moi savons, mais doit-on tout dire ? Pourquoi ? Que cacher ? Quels mystères, secrets se racontent malgré moi, ou pas ? Ce questionnement sur une omniscience, sur les non-dits et ce qu’ils peuvent entraîner pour moi au long terme dans l’écriture comme peut-être pour le lecteur, m’a ouvert fortement à une dimension à laquelle je ne m’intéressais pas, de façon consciente et déterminée en tout cas. Ainsi, depuis le début, je sais qu’Hortense est mystérieuse dans sa liaison avec son beau-frère et que je n’ai toujours pas envie d’expliciter les causes de son décès. J’ai relu mes propositions, pas évident de prendre du recul sur ce qui est déjà écrit, d’en trouver des points communs. Certaines sont très « récits », d’autres d’écritures beaucoup plus créatives : c’est très contrasté. Pour ma part, je n’y vois pas de points communs. Où est « ma signature » au sein de ces diversités ? En musique je sais que je suis contrastée, bigarrée : est ce que c’est également ma signature en écriture ?

12. Expire inspire...


proposition de départ

Expire inspire œil ouvert sur le noir pour mieux percevoir expire suavité de l’air inspire cloison nasale enivrée expire omniprésence discrète et puissance de son parfum de son odeur narines grandes ouvertes inspire nez aux aguets expire

Inspire bras abandonnés relâchés expire cheveux emmêlés inspire corps immobile corps en vallons expire temporalité suspendue inspire corps en vallée corps en éveil expire corps gisant pourtant repus

Inspire dos détendu expire coudes posés cuisses alanguies inspire avoir trois pieds expire avoir deux mains à dix doigts inspire puis surprise souffle dans la nuque qui change imperceptiblement temps qui se suspend corps qui se retourne et le regard qui s’ouvre

Assez vite est née l’idée de la situation. Assez vite j’ai buté sur le choix du corps à faire parler puisque je savais qu’ils étaient deux. Et sur le je, ou sur le il, ou bien le elle. Suis partie d’abord comme pour écrire un poème. Ébauche. Le lendemain transformation en paragraphes. Je ne voulais pas écrire un long texte, je le savais. J’avais envie de tenter un moment de temps suspendu, intense et bref, au creux d’une belle nuit.

11. Poing fermé


proposition de départ

« ... Poing fermé, le pouce faisant comme des petits lancers de billes : à bientôt... »

— silence— « Poing sur le cœur puis qui s’enroule sur lui-même : je suis désolé. » —silence— « Frotter la pulpe des doigts sur la paume de l’autre, main bien à plat : je m’excuse. » — pause — « Doigts en bec de canard devant la bouche, puis qui s’en écartent : Bon. Puis, paumes vers soi, mains en B. » — silence— « Mais si, tu te rappelle comment faire le B... La main est droite et les doigts sont bien serrés... » — pause — « Voilà, parfait. Bien. Et maintenant tu mets tes mains à la verticale, et tu dessine la nuit qui tombe, en fait, avec celles-ci. Voilà. Allez, refait l’enchainement du bon et de la nuit qui tombe. » —silence— « Bravo : tu sais désormais signer bonne nuit. Allez, rêver maintenant. » — sourire— —silence— « Main en R : index et majeur croisés, pouce et autres doigts dans la paume. Dessine maintenant avec cette main des petites boucles depuis le côté de ta tête. Ce sont les rêves qui s’échappent, les boucles. » —silence— « Joliiii... si si c’est bien ce que je viens de te dire avec ma main : bec ouvert de ma main qui a caressé mon visage. Ça veut dire joli. » —sourire...

Elle avait été fascinée lorsqu’ils s’étaient rencontrés, chez leurs voisins, en apprenant qu’il étudiait pour savoir « signer » de façon professionnelle. Elle trouvait étonnante cette vocation. « Tu parles avec les mains alors ? » Il avait ri : « En aucun cas comme les italiens, bien sûr. Mais oui j’apprends cette langue et je ne me considère pas encore comme bilingue, loin de là. Signer n’est pas si évident... » Un travail où on peut utiliser ses mains pour parler, elle n’en revenait pas. « Alors tes mains expriment, tes doigts relatent, tes poings racontent. Cette danse des mains est si belle... Tout un récit qui épouse l’air... » « Certes, mais pas uniquement. En fait, c’est tout mon corps qui parle quand je signe. Mon visage et ses expressions sont également nécessaires. Et puis je peux utiliser le contact avec mon torse parfois, aussi, pour mieux me faire comprendre. » « Mais comment as-tu eu envie de parler cette langue ? Il y a des sourds dans ta famille ? » « Non. Tu vas te moquer. Enfant, il y avait une émission de télé pour nous qui s’appelait « Mes mains ont la parole ». Une histoire était racontée, et une personne la traduisait en langage des signes. Cela me fascinait. J’observais goulûment ce ballet des deux mains. Ces expressions, ces élans, ce corps si vivant. Je n’écoutait qu’eux, c’était comme si le son disparaissait soudain. Je trouvais cela magnifique, magique, et très, très émouvant. J’ai eu alors envie d’apprendre, c’est tout. J’aime les mains. Je trouve qu’elles ont encore plus de vie lorsqu’elles savent parler. » Hortense aimait à acquérir quelques mots ou expressions en signant, parfois, et c’était ainsi qu’avaient débuté leurs jeux amoureux. Le mot s’il te plaît avait créé du trouble, il s’en souvenait bien. « La main est en B, plate, les doigts bien serrés. Puis elle va glisser le long de ton visage ». Et sa main à lui avait tremblé quand il le lui avait montré, glissant le long de son visage à elle. Main signante ô combien caressante. Elle lui avait alors dit qu’il avait des mains d’oiseaux. Et c’est ainsi qu’il était tombé amoureux d’Hortense.

J’ai pensé au départ partir sur une main blessée. Ma mère vient justement la semaine dernière d’avoir un accident de main : en prenant des nouvelles, je pouvais avoir matière à m’inspirer. Mais non, au dernier moment, c’est ce souvenir de « Mes mains ont la parole » qui l’a emporté.

9. Eux


proposition de départ

La table manque de chaises. C’est souvent le cas avec ces tables de marbre, façon bistrot. Elles ont été bien à la mode et c’est vrai qu’elles sont jolies, qu’elles ont une certaine allure. Mais après, il faut bien les utiliser, se poser autour, y manger. Alors quoi. Alors, on fait comment ? Je m’ennuie, voilà que je baille maintenant. À moins que ce ne soit le temps. Oui, ça doit être les pressions. Peut-être qu’un orage s’annonce, j’y suis sensible. Ou alors je baille car j’ai faim ... où ai-je mis mon briquet... Quand même, cette table manque de chaises.

... Ce jambon beurre n’est pas bon. J’aurais dû prendre le jambon cru mais il est souvent bien trop salé. mâchouille mâchouille J’espère que le flan du dessert sera gourmand, lui. Allez, j’ouvre le coca, j’ai soif. — pose le sandwich commencé sur le marbre — Ouf, pas de débordements. C’est que je l’avais secoué pourtant... boit goulûment à la bouteille Et quand ça déborde, ça poisse, en plus, ensuite, sur la table. repose la bouteille J’aime l’allure douce du marbre. — caresse la pierre — Le téléphone sonne, je ne réponds pas. Je veux manger tranquille. mâchouille Le pain bagnat n’avait pas meilleure allure, en plus c’était clairement un sandwich rond avec du thon, pas un véritable pain bagnat. mâchouille mâchouille Trop de beurre, vraiment, et étalé grossièrement. J’ai horreur de cela. Et ça ne rend pas le jambon moins sec. Ce choix était vraiment une erreur. Je m’arrête là, et passe au flan. entame la part du flan pâtissier Il est foutu ce plantoir, vraiment trop rouillé, trop piqué. Tiens, il y a une mouche morte, dessus.

Rythmique improvisée tiptip top tap tap                 et songeuse tap tap taptap tap                

— silence —

l’index hésite                puis se redresse semble renifler l’air                puis cela repart                 taptap tap tip tap                 
Pouce taptop tap                 Petit doigt tapote aussi tip tip                 

— silence —

marbre frais sous une fesse tiptip tap                 frais aussi sous la demi-jambe taptap top tip

air doux sur la joue tip top tap                 l’oeil cligne tip toptop tap tap
le sourire est vague taptap taptap top                 pensées éparses

— silence —

puis

« je crois qu’il va pleuvoir »

Me suis battue avec cette proposition... je ne voyais pas du tout l’angle par lequel y entrer. Après une réflexion de plusieurs jours inutile (?) et des notes prises sur les personnages, j’ai lâché la 9 et suis partie sur la 10. Nécessaire. Au retour de celle-ci, quelques jours plus tard, c’était toujours compliqué. J’ai relu mes notes, et décidé d’y aller direct. Ça a été laborieux, mais j’ai pu tirer un fil. Et puis ça a avancé. Finalement j’ai gardé un de mes personnages, un déménageur. Pas facile cette 9. Mais comme toujours, je constate que c’est ce que j’aime : quand ça tiraille, que ça m’agace, que ça « grince de la plume ». Ça devient un défi : je dois trouver une porte d’entrée... et quand j’y suis arrivée, je suis contente. Me suis confrontée à une difficulté et me suis pas dégonflée.

                

8. Ici


proposition de départ
intérieurs cuisine

La table est vide, hormis ce bougeoir, au centre, d’un bleu pâle, mais pas pâlichon. Le bois est comme à vif dans certaines zones ; quelques veines perlent et affleurent ci et là. Il y a même comme un fleuve vers le coin gauche qui semble ensuite se perdre et disparaître en descendant le long du pied, le pied qui est proche du mur. On y voit également deux chaises qui semblent avoir été chinées en brocantes, dépareillées. L’une est de style bistrot, l’autre a un tressage de paille suranné et quelque peu usagé. Elles se pavanent de part et d’autre de la table.

Des petits carreaux roses et blancs décorent, non la table, mais la fenêtre proche de celle-ci. Le Vichy tendre est charnu, joufflu, de par la réunion des fronces des rideaux d’un unique côté. Cela permet à la lumière d’inonder la table.

Il y a une étagère, faite d’un beau bois de récupération. Elle se détache bien sur ce mur. On ne sait trop par quel hasard une fente dans la peinture murale, un peu comme un graphique, répond fort joliment à la ligne bien droite et nette de l’étagère. Le travail du temps se raconte ici avec le bois, avec cette fente. Avec ces livres un peu usés, défraîchis, qui parlent d’une cuisine goûteuse d’un autre temps ainsi que des remèdes et des tisanes de grands-mères.

Un vieux calendrier, gris, sale, oublié. Qui fait tant partie de ce lieu qu’il en reste actuel. On n’en connaît même plus l’année. La photo de type carte postale, défraîchie et pâlie, imprimée sur le carton. Les lignes désormais vaines de dates et de saints semblent inscrits dans le mur, tout comme les quelques écailles de peinture. Un peu plus loin, un visage se découvre. La bouche est ébahie ; rond de métal dans le vieil évier en céramique. Lui répondent l’appendice nasal busqué et l’étrange paire des yeux figés des vannes du robinet.

extérieurs, terrasse et jardin

La terrasse a du charme malgré — ou grâce à — ses grandes dalles jointes avec maladresse. Le sol n’est pas tout à fait droit. Mais il n’est pas vraiment bombé cependant. On pourrait écrire nombres d’histoires sur ces discrètes collines et menus creux. Sur les quelques buissons de petite mousse. On y croise aussi quelques mauvaises herbes. Et des petites violettes, car, oui, le printemps est là.

Une passiflore fraîchement plantée s’étire timidement sur des croisillons de bois, un peu grisé, qui habillent un vieux mur. À son pied s’activent des fourmis. Une route à double circulation investit ainsi la terre fraîche, puis traverse une feuille quelque peu abîmée. Les lignes des nervures et leurs carrefours s’opposent aux trajets suivis par les fourmis. Elles vont et viennent, partant d’on ne sait où pour aller encore ailleurs. Familières et mystérieuses.

Un câble noir traverse le jardin. Il débute d’un poteau de ciment, tronc grossier et inerte. Le câble longe ensuite un cyprès. Celui-ci n’est pas encore très grand. Près de sa base, il y a quelques tiges sans feuillages. Il n’est pas uniformément vert.

Voilà qu’une goutte tombe sur la table en marbre. Minuscule mare égarée, venue d’on ne sait quel nuage car le ciel est bleu. La goutte a ignoré les pots de fleurs de différentes tailles, entassés, posés sur le marbre. Elle a évité aussi le plantoir un peu rouillé juste à côté.

Sources d’inspirations photographiques, pour moi, pour cette 8, c’était évident. Folon, Pierre Bergounioux (En route), Laurent Pinsard, Éric Forey. Et une exposition (vue l’année dernière je crois bien) a émergé également en écrivant du fond de ma mémoire. Je me rends compte juste avant de l’envoyer, que, bien qu’ayant pensé chaque paragraphe en me focalisant sur un micro-espace, les « lots de quatre » forment à chaque fois un tout. J’aime bien que cela soit arrivé par mégarde.

7. Recto Verso


proposition de départ

Il but un café, désormais veuf. Le premier expresso, seul, au sein de leur cuisine. Au fond du marc de café, il lit sa voix. Quand il lève les yeux, il voit cette jolie horloge qu’elle a su choisir avec le bon goût qui la caractérise. Pardon, qui la caractérisait. Je dois m’habituer à penser à elle au passé, désormais. . Quand il ferme les yeux, malgré lui il respire son odeur. Il a tellement peur de l’oublier. Mais il sait qu’il lui reste un flacon à peine entamé de son parfum dans leur chambre. Il l’a déjà ouvert deux fois pour nourrir ses narines et son souvenir.

Il but un café. Il se dit qu’il n’est personne. Il y a un mot qui qualifie le fait d’avoir perdu sa femme quand on est son époux, mais lui n’a droit à rien. Aucun héritage de leur amour. Sauf encore le silence. Il est passé du silence de leur liaison au silence de la perte. Aucune évolution. Et pas d’oubli possible pourtant. Il est simplement officiellement le beau-frère de la morte. Il a droit, oui, à ce chagrin-là. Aux manifestations de ce chagrin-là. Il a le droit de soutenir avec affection son grand frère. Il n’est que celui qui l’a trahi. Il n’est qu’un minable qui a trahi sa compagne. Et lui-même, au fond. Et il n’y a pas de place pour son chagrin, son amertume, sa honte, sa haine de lui-même. Quand il sent le café, il lui trouve un mauvais goût. Café bouillu, café foutu.

Il partit dans le salon. Comme un nouveau voyage au sein de ses souvenirs. Voilà qu’il tourne la tête. Il est attiré par ce cadre. Il contemple cette belle photo, prise par son frère, il y a déjà une bonne dizaine d’années. Il l’adore. Sur celle-ci, avec Hortense, ils rient et s’embrassent. Ils sont amoureux comme au premier jour. Ils sont heureux. Ils viennent d’acheter leur maison. Celle où il se trouve aujourd’hui, seul.

Il partit dans le salon. Tentative de fuite de sa honte. Éviter à tout prix un nouveau voyage au sein de ses souvenirs. Il prend un journal pour éviter toute conversation avec sa compagne. Celle-ci sait parfaitement qu’il déteste depuis toujours être dérangé quand il lit. Il n’a pas de honte à être détestable : ce qu’il commet depuis plusieurs mois le ronge et quelquefois cela perce. Il n’est pas possible de se racheter. Il est devenu un salaud. Alors l’être un peu plus est presque un soulagement. Il croise les jambes et remarque qu’il porte les chaussettes qu’elle lui a offert. Ce matin, les porter ont soulagé son chagrin qui ne peut vraiment s’exprimer. Et là elles le narguent. Se moquent. Et le mettent plus que mal à l’aise.

Il alluma leur chaîne, et la voix de Mísia jaillit. Désespérée, quasi brutale. Não quero cantar amores, Amores são passos perdidos.—je ne veux pas chanter les amours, les amours sont des pas perdus— Il pense à sa femme, mystérieuse. Se dit que finalement il ne l’a peut-être pas vraiment connu. Ou plutôt n’a connu qu’Hortense. Et encore. Il pense qu’il n’est jamais allé au Portugal. Qu’il ne connaît pas les rares membres de sa famille qui se sont déplacés depuis Lisbonne pour ses funérailles. Il se demande s’il va oser aller voyager dans son pays d’origine un jour. Elle le lui a toujours interdit. Lui a simplement permis d’écouter du fado. Et à petite dose. C’est elle qui a choisi ce disque.

Elle alluma la radio. Bien entendu, cela l’agaça. Ne rien dire. Supporter le bruit pour garder la distance, et camoufler l’absence, le manque. Supporter que le son remplisse les blancs qui existent dans ce lieu, entre eux. Éviter de se demander si elle sait, si elle a compris. Espérer sauver la face. Espérer rester droit. Désirer absolument que la vie reprenne son cours normal, puisqu’il n’est pas le Veuf. Puisqu’il n’est que le Ténébreux. N’a pas le droit d’être l’Inconsolé.

Il revint dans la cuisine. Il lava sa tasse. Ne s’essuya pas les mains. Maintenant il regarde par la fenêtre. Comme il y a plus de vingt ans quand il guettait Hortense, elle qui n’était pas encore sa femme, mais qui, chaque été, venait chez ses cousins français. Les Frampin, leurs voisins. Se rappelle sa première rencontre avec elle. Ses beaux yeux marrons. Son français sans accent qui l’impressionne.

Il revint dans la cuisine. Il lava sa tasse. Ne s’essuya pas les mains. Et il cassa la tasse. Enfin il peut jurer, exprimer sa colère. Se sentir nul et furieux simplement pour une tasse lui fait du bien. Comme de saigner un peu du bout du doigt. C’est l’annulaire, à gauche. Je suis blessé. Moi, le Ténébreux. Sans droit sur elle. Puis-je être un « nulliveuf » du cœur. Je suis sans compétences, sans condition de fond, ou de forme pour être un veuf réel, valide et reconnu. Et pourtant cela me ronge : je me sens être devenu un invalide affectif depuis qu’elle est morte. Que va être demain.

J’ai tiré le fil de mon histoire depuis ce café : Nerval est apparu spontanément. Le fado, aussi. Ainsi que la nécessité de découvrir chacun des frères avec ce passé simple. Exercice difficile, qui m’a mis en instabilité. Mais j’ai adoré. (Je reconnais aimer la difficulté).

6. Aujourd’hui, Hortense


proposition de départ

Je n’ai rien voulu garder de mes parents. Même pas, surtout pas leur nom. Ce ne fut que justice : après tout, ils ne se souciaient pas de nous. Il n’y avait qu’eux. Aussi, j’ai décidé que leur maltraitance invisible m’avait donné le droit de les rendre eux-mêmes invisibles. Œil pour œil. Ce ne fut que justice. Je suis d’abord devenue une épouse. En portant le nom de François, en m’appropriant son nom de famille, je me suis transformée. Me voilà, définitivement, française. Et ai découvert alors que je pouvais aller plus loin, effacer ma filiation, même. Couper ces racines que je méprise et que je hais. Devenir uniquement moi. Dent pour dent. J’ai donc quitté Yara Bruna Santos Sousa. Et je suis alors devenue avec fierté : Hortense Frampin, épouse David. J’ai juste un peu gardé de ma grand-mère, que j’aimais bien. Je le pouvais : elle s’était égarée par amour à Lisbonne, et voici que je faisais désormais comme un voyage de retour en France, deux générations plus tard. Ai donc pu prendre son nom de famille. Elle s’appelait Jacqueline Frampin. C’est grâce à elle après tout que j’ai passé tant de temps en France, pu parler un français sans accent. Tant de vacances... au point de finir, même, par y faire une rencontre amoureuse décisive. Puis d’y vivre avec celui qui est devenu ensuite mon époux. Au Portugal, on porte le nom de famille de ses deux parents. En ce qui me concerne, je n’aimais aucun de ces deux noms. Ne désirait pas m’y reconnaître. Ne voulais pas plus choisir de n’en garder qu’un : ç’aurait été choisir entre la peste ou le choléra en ce qui me concerne. Que dire de vivre avec les deux... Deux croix différentes... ou une unique, épouvantablement lourde. Aucune décision ne me satisfaisait. J’ai donc choisi avec plaisir de couper tout lien nominatif avec eux. Choisir de devenir une épouse a été l’étape nécessaire. Être une David avant de pouvoir être moi : Hortense Frampin. Grâce à la loi, je pouvais même choisir mon prénom... alors j’ai choisi de venir du jardin. Que j’aime l’étymologie de ce nom, Hortense. « Qui vient du jardin ». Comme moi. Une mauvaise graine d’où jaillît une fleur. Je ne viens pas de mon père ni de ma mère, je viens d’un jardin. De la terre nourricière. Et quand mon heure sera venue, j’espère surtout y retourner. Que mes cendres nourrissent la terre, voilà qui me plaira. Je viendrai alors pour toujours du jardin.

Proposition passionnante, qui m’a amené à beaucoup réfléchir : pourquoi jusqu’alors un seul prénom émerge dans mes textes. Et pourquoi ce désir de ne pas du tout vouloir nommer (ou pas encore ) celui qui a ouvert le cycle. Et pourquoi cette situation est fréquente dans mes écrits.

5. quelquefois, lui


proposition de départ
1

Il pose sa main sur la clenche, remarque que le métal est froid sous sa main. La forme de celle-ci s’imprime dans sa paume, il est triste. Il ne veut pas entrer dans la chambre mortuaire. Il s’oblige à calmer sa respiration, en comptant lentement, avant de baisser la poignée et de pousser la porte. Pour aller dire un dernier au revoir à Hortense.

2

Il pose sa valise sur le lit. Puis l’ouvre. Elle est neuve, fringante. Parfaite pour y déposer un maillot de bain, une jolie chemise, un pantalon pour sortir, un bermudas et un teeshirt banal-mais-pas-trop pour ce week-end en amoureux. Deux paires de chaussettes dont celle qu’elle lui a offerte avec malice. Avec le prénom de leur chat. Son after-shave, pour lui plaire. Des caleçons, mais pas ceux que sa femme lui a cousu et offert. Ce serait quand même malvenu.

3

Il attend son café. Seul. Sur une aire d’autoroute, dans un drive minable. Il a bien sûr trop chaud, et sa voiture ronronne un peu trop fort. Il observe le jeune homme en train de préparer les commandes. Après ce sac, ce sera lui. Il dépose une petite frite, un petit hamburger. Enfin, donne le sachet avec sa boisson au conducteur de la voiture bleu métallisé juste avant lui. Il passe alors la première, soulagé de pourvoir avancer, enfin, vers ce mauvais café déjà payé.

4

Il dépose sur la vitre une page, la cale bien précisément sur le côté. Recherche puis appuie sur l’icône qui va mettre la machine en mode recto-verso. Appuie sur le bouton de mise en mémoire. Ferme alors la gueule de la photocopieuse. La lumière se déplace, on dirait une sorte de recherche, une battue lumineuse souterraine mystérieuse. Il rêve à une forêt cachée sous le capot. Une fois cette étape finie, il réouvre la machine, tourne sa feuille, la recale bien sur le côté. Recommence les mêmes étapes. Puis, quand la boucle est bouclée, il appuie sur le bouton « Marche », et son document est alors régurgité par le monstre.

5

Il passe sa main sur son crâne, surpris par la rondeur et la douceur de sa propre peau, par son absence, désormais, de cheveux. Il est satisfait de sa décision : cela lui ressemble tellement plus que cette lente transformation, inéluctable, inévitable. Il se sourit dans la glace et remercie le coiffeur.

6

Il tourne le bouton de la lampe halogène jusqu’au petit « clic ». Il aime bien ce son. On peut le percevoir que l’on tourne aussi bien pour l’allumer que pour l’éteindre.

7

Il se frotte l’oeil droit, puis baille. Malgré lui n’écoute plus la radio. Comme tous les matins, il trouve ce feu trop long, et les gens trop énervés. Ou comme lui, trop endormis. C’est bien entendu plein de cars scolaires et d’enfants — ou d’adolescents — qui arrivent de partout, et traversent avec aplomb et insouciance quand le feu passe au vert. C’est le matin et il rêve déjà d’un nouveau café.

8

Il sort son portable de sa poche et relit le texto qu’Hortense lui a envoyé. Il sait qu’il devra l’effacer avant de rentrer chez lui. Mais là il est toujours au travail, alors il le relit souvent. Il est excité et heureux de ce qu’elle lui a écrit. Il a hâte de la revoir et surtout évite, omet de penser que c’est la femme de son frère. Et qu’il a lui-même une compagne. Là, il pense juste à ses fesses, et à ses si jolies dents. Et relit encore le texto.

9

Il est assis à « La belle époque ». Hortense lui avait donné rendez-vous là. Il pense à sa remarque « on trouve des cafés « La belle époque » partout, dans de nombreuses villes. Moi ça me rappelle toujours la première fois que je t’ai vu. » Il se dit qu’il devrait moins penser à elle. Il s’inquiète de penser à comment les choses doivent se terminer. Car cette histoire devra se finir et se terminera mal, c’est certain. Mais rien qu’en y pensant il a mal au ventre. Et aussitôt qu’il songe à ses jambes, il soupire. Il lève alors le bras pour héler le garçon, et voici qu’elle arrive au même moment. Alors il lui sourit.

10

Il met une assiette, puis une autre sur la table, comme elle le lui a demandé. De temps en temps, il participe aux tâches quotidiennes de la vie à deux. Il regarde de dos sa compagne, elle est encore bien jolie. Son corps a plutôt résisté au temps, et ses fesses sont encore appétissantes. C’est son petit truc à lui... on ne se refait pas... il songe à d’autres fesses et puis à ces si jolies dents, puis se reprend. Se rappelle qu’il est chez lui, et il continue à mettre la table.

J’ai choisi 10 occurrences pour un même personnage. Très vite le premier, en relation directe avec ma proposition 1, s’est imposé. Après, j’ai laissé faire et j’ai commencé à dévoiler ce que je savais déjà de « lui ». Je pense avoir respecté la consigne, j’ai bien aimé en tout cas ce qu’elle a fait naître. Je ne sais trop si c’est réussi.

4. Take the « A » train


proposition de départ

« Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur
Et je reconnais tous les trains au bruit qu’ils font »
Blaise Cendrars

train doux

Seule, elle sourit aux lignes ; ces lignes qui filent, défilent, s’effilochent. Elle ne sait trop quand elles commencent ni se terminent. Quelquefois un arbre transparaît puis se dissipe. Ou une maison. Ou on ne sait trop quoi. « La grande vitesse est empreinte d’un quasi silence, se dit-elle, on est bien loin des orchestrations qui emplissaient les trains de mon enfance. » Quelques chuintements, parfois. Son nez semble remarquer comme avec tendresse que l’odeur du neuf est toujours présente dans un TGV. Juste trois notes doucement égrenées. Les annonces d’usage elles-mêmes sont sucrées, ouatées, comme en apesanteur. Quant aux voix qui les énoncent, elles rythment avec douceur et comme avec confiance ces longs trajets rapides. Ici le temps est ailleurs. En suspension. Fascinée par cet effacement des paysages et du sens du temps, elle s’isole malgré elle en noyant son regard au travers des vitres. Même si ce n’est pas forcément exact, en arrière-plan, il ne lui semble entendre que des chuchotements et des petits rires. Rien de désagréable ou d’agaçant. Les longs filés de couleurs la fascinent et lui font oublier les sonneries idiotes et les parents qui grondent. Elle assiste à une œuvre unique, une peinture de paysage, toujours renouvelée, instantanée. Comme un mandala, l’oeuvre a peine créé est déjà détruite. L’impermanence de ce temps qui passe, dans ce lieu de passage si stable bien qu’étant en état de déplacement la fait divaguer. Son esprit crée, imagine, dérive, puis lâche, sourit. Comme des bulles en elle errent et dansent. Elle ne sait trop à quoi elle pense, si même elle pense. Elle se perd dans ces créations perpétuelles, au travers de ces errances éphémères de la grande vitesse du train. Nulle part, et pourtant ici. Paisible, tranquille, le regard se nourrit de ces imaginaires d’où émergera bientôt un soleil couchant, et puis enfin la mer.

train dur

Takataka ta. Train. Ça pue. Ça grince. Takataka ta. Colère invisible, ici. Reflet. Mâchoire fermée. Regard dur. Takataka ta. Face à la vitre. Elle. Visage fermé. Takataka ta. Les pensées heurtées en dedans d’elle. Bousculée dans le virage de la voie. Takataka ta. Le train tient pas la route. Comme lui. Fureur. Takataka ta. Dessins débiles. Sur la vitre. Sur comment ouvrir cette fenêtre. Ou la casser. Takataka takataka ta. Crash ferait la vitre cassée par le marteau. Crash. Crache. Ça ferait tant de bien. Takataka ta. Tunnel. Train qui crie. Hurle. Qui grince. Noir. Bruits différents. Grincements insupportables d’aigu. Siège qui bouge. Trop. Agacement. Tunnel. Trop long. Colère qui gronde. En elle. Colère noire. Takataka ta. Lumière qui agresse. Lèvres pincées. Laideur de son visage dans la vitre. Takataka ta. Blocage au plexus. Bloc de rage. Mauvais gars. Mauvais pas. Briques de mots durs. Elle le hait. Takataka ta. Zébrure des mots. Houle dans son crâne. Phrases hachées. Bâclées. Ratées. La colère brouille les mots. Noie les phrases. Tempête les verbes. Suspension chaotique du train. Chaos sous crâne. Colère de crier le mot fin. Venin. Pus. Abcès. Assez. Craquer. Taka. « T’as qu’à partir ». Se tire.

Le ton doux, je l’ai su tout de suite en écoutant la vidéo, serait directement issu d’un de mes plaisir de chanteuse. J’adore allonger et faire chanter certaines consonnes, chercher à les faire résonner (légèrement plus que nécessaire peut-être) pour que le legato existe même au travers d’elles. C’est pour moi comme une sorte de poésie supplémentaire cette surimpression de jeux sonores sur le texte, avec les mots. Verlaine. Ariettes oubliées. « Cela gazouille et susurre, cela ressemble au bruit doux que l’herbe agitée expire » « Les roses étaient toutes rouges ». Monet, et autres impressionnistes. Mais il y a également les jeux vocaux de nos musiques contemporaines. Les chuchotements de la Sequenza pour voix de Berio. Ou du Maurice Ohana.

Le ton dur a été immédiatement, je ne sais pourquoi, « quatre doubles noire ». Takataka ta. Rythme qui va de l’avant. Répétitions, forcément, qui engendrent une mise en en tension voire créent de la violence. Stravinsky. Puis tilt, premier mouvement du concerto pour violon de Khatchaturian. Lui c’est « deux doubles croches deux croches ». Le réécouter, ça m’a aidé à durcir le texte, à mieux faire haleter les mots. Je ne sais si au final c’est réussi, mais j’ai eu un grand plaisir à l’écrire. J’adore quand l’écriture se relie si intimement à la musique.

3. l’instant décisif


proposition de départ
amplitude roman

Ce fut un matin qui resta pour Hortense un des plus grand moment de sa vie. Ou peut-être était-ce un soir, en fait. Mais ce fut de toute façon un moment crucial pour elle. La décision de quitter la ville fut immédiate, impérieuse, définitive. Sans retour. Elle a semblé éclore subitement. Mais en fait bien sûr, cela faisait des semaines que cela travaillait dans les sous-sols de son esprit. Elle n’en pouvait plus. Encore aujourd’hui elle peut revivre presqu’avec joie ce moment qui s’est imprimé comme un moment clef de son existence. Elle se revoit allongée, au fond de son lit. Il y a ce volet fermé, en face d’elle. Un peu de lumière semble cependant transpercer le bois de celui-ci. Cette lumière semble si bien lui exprimer que c’est dehors, ailleurs qu’il existe la liberté, le bonheur. Chaque jour ce lieu qu’elle aime est vécu comme une prison. Le poids des ruptures, du chagrin, des erreurs. Le poids de la famille qui l’empêche vraiment de prendre son envol, de devenir simplement « elle ». Hortense a senti soudain en regardant le volet que si elle ne partait pas maintenant elle ne partirait jamais. Qu’elle allait mourir intérieurement, prise dans les sables mouvants d’un entourage indifférent, qui ne la comprend pas et ne désire surtout pas la comprendre. Elle constate qu’ils cherchent avant tout à la maintenir dans ce qui les rassure eux, dans ce qui leur convient à eux. « Ma différence n’est pas admise. Amis comme famille, quand je m’exprime, tous renient ou dénigrent mes avis, mes conseils et mes souffrances. » Hortense étouffe qu’on lui renvoie toujours qu’elle a tort, que le bonheur c’est l’inévitable maison-famille-avec-enfants-et-chien. Elle se sent anesthésiée désormais et ne supporte plus qu’on nie ses élans, voire qu’on les lui casse en lui mettant des bâtons dans les roues afin de mieux lui démontrer qu’elle se trompe. Dans son sang, Hortense ressent parfaitement l’effet de ces poisons émotionnels qui lentement la tue. À moins qu’elle ne soit qu’une grenouille qu’on ébouillante très très lentement, tranquillement. Elle n’aime pas non plus devenir défiante envers son entourage, voire très légèrement paranoïaque. Cette ville qu’elle a tenté d’aimer car on la lui vendait comme une sorte de paradis, pour elle n’est pas un bon lieu de vie. C’est avant tout le rêve et le désir d’un autre et elle se détruit à essayer de s’y conformer. « Je ne suis pas lui. Je est vraiment un autre. » Quitter la ville s’impose, c’est évident. C’est ailleurs qu’existe sa terre promise. Un exil pour certains, une renaissance et enfin vivre, pour elle. Selon ses désirs et convictions. Enfin ne plus être comme l’autre. Hortense sait qu’elle regrettera ce lieu, ce jardin, cette chambre. Peut-être même et surtout ce volet. Elle a de la tendresse pour cette jolie fente dans le bois. Pour les carreaux frais sous ses pieds le matin. Pour le poêle doux l’hiver. Pour le vent qui fait chanter la maison. Mais quitter cette ville c’est quitter les soins palliatifs : c’est simplement aller vers la vie. Hortense n’a pas peur de l’inconnu, contrairement aux autres membres de sa famille. Prendre cette décision malgré les soucis engendrés est le premier pas vers un avenir enfin heureux, elle en a la certitude. C’est comme si Hortense avait définitivement ôté une vieille paire de lunettes de vue inadaptée. Un soulagement physique immédiat se fait jour. Elle marche plus tranquillement désormais, soulagée. Elle s’est détendue physiquement et se rend compte qu’elle devient plus adulte. Qu’elle arrête de mettre des vêtements psychiques qui ne lui conviennent pas. Qu’enfin sa vie peut repartir, renaître. Que désormais il va enfin être question de ses erreurs à elle et non plus de vivre un bonheur qui n’est pas le sien, où elle ne reconnaît pas la vivacité de ses rires. Où il n’y a pas de place pour sa spontanéité et ses élans. Quitter la ville lui permit d’y retourner des années plus tard en retrouvant ce qu’elle y avait apprécié, elle. Et de savoir qu’elle avait eu raison.

amplitude nouvelle

C’est du fond de son lit, en regardant son volet et les éclats de lumières qui s’en échappaient, qu’Hortense décida de quitter la ville où elle vivait. Ce fut immédiat et définitif. Une des meilleures décisions de sa vie. Un moment véritablement crucial, se disait-elle souvent quand elle y pensait, des jours, des mois, des années plus tard. « J’ai ôté ces lunettes pour regarder la vie. Les lunettes que me faisait porter mon entourage. Et je constate que la vie est plus belle, plus colorée et plus riche depuis que je ne les porte plus. » Elle inspire avec passion, expire avec liberté. Et marche avec plaisir, désormais d’un pas souple. Son corps est soulagé et son esprit est enfin libre. Quitter la ville a été une décision nécessaire et chaque retour le lui a confirmé : la ville étant désormais devenue pacifique à son égard.

Je suis partie d’une situation personnelle, d’un moment important un jour où j’ai décidé de quitter une ville. Mais c’était peu et je n’avais pas envie d’entrer dans une auto fiction ou une écriture autobiographique. J’ai appris à quitter cela lors des derniers ateliers et je l’apprécie. J’ai quand même commencé à écrire avec « Elle ». C’est à force de me balader dans les textes des autres qu’un mûrissement s’est produit. Finalement « Elle » est devenue Hortense, et je suis enfin partie dans l’imaginaire, en décidant également désormais d’essayer de construire une cohérence sur la longueur avec toutes ces propositions. Un défi excitant que de créer des liens systématiques avec les précédentes propositions... J’avais aimé cela avec l’Atelier sur la ville.

2. la belle famille


proposition de départ

Très rapidement, il a compris comment les choses allaient tourner. Mal, bien sûr. Lui, toujours si certain de ses incertitudes. Elle, si indifférente aux autres. Bien sûr que les choses ne tourneraient pas bien. Souvent il a pensé aux enfants, à l’inconfort pour eux de vivre entre ces rigidités cassantes. Quoique, cassantes n’était peut-être pas le bon qualificatif. Méprisantes lui semblait plus judicieux. Castratrices, certainement, aussi. Finalement l’incertain et l’indifférence à l’autre ont bâti des fosses communes constituées de demandes de prises en charges inversées inévitables. Que d’actions déléguées, évitées par les adultes. Pauvres petits. Ou plutôt, comme cela a dû être difficile, petits, pour ces enfants. Elle, suffisamment maline pour faire croire socialement qu’elle s’occupait bien de tous, qu’elle était une bonne épouse et une bonne mère de famille. Dans la réalité, combien de rejets de l’autre, de raisonnements justifiants pourquoi elle ne pouvait pas faire autrement que de laisser l’autre dans sa difficulté. En évitant soigneusement de les regarder, hein : sans regard sur eux bien sûr les autres ne se noient pas... Combien de mensonges pour éviter qu’elle ne soit trop repérée dans son égoïsme et sa méchanceté. Heureusement elle n’avait pas vraiment d’argent : elle aurait été franchement vicieuse sinon. Souvent, c’est ce qu’il s’était dit. En face, l’autre, un autre. L’élément masculin. Si peu sûr de lui qu’elle a pu le dresser aisément à l’être encore un peu plus, lui brouillant ainsi ses rares déductions, ses vagues tentatives de se mettre en action. Le mettant encore plus dans le flou : le fabriquant ainsi à être son parfait fantoche époux. Pauvres enfants. Combien ils ont dû être seuls, et comme cela a dû être difficile de se construire droit. Dans ce contexte, rien ne pouvait bien se passer une fois les enfants devenus adultes. Depuis si longtemps elle se sentait tellement au-dessus des autres, les roulant dans la farine quotidiennement. Elle se méfiait moins, voire pas. Ce fut là son erreur.

Ça a mariné longtemps, vraiment. Plusieurs idées qui ne m’inspiraient pas, au point que je finissais par me dire que j’allais renoncer. Sauf que ce n’est pas vraiment mon caractère. Finalement, je me suis dit que j’allais commencer par travailler une autre proposition. Et là, soudain, il émerge ce couple, si malsain que je me suis bien amusée à le décrire. Une évidence... qui entraînera fatalement une sombre histoire... que j’ignore totalement mais dont je pourrais tout à fait écrire une suite désormais ! Et voilà, l’écriture et son plaisir d’écrire est arrivé, fluide...

1. hier, Hortense


proposition de départ

Il se demande encore et comment il a fait pour arriver là. À cet endroit. À ce moment. Son regard se promène sur les visages des personnes qui entrent, sortent, vagabondent, et sur le décor qui l’entoure. Il y a des tableaux, des fauteuils, des objets. Certains étranges, d’autres simplement d’époques et d’usages divers. Il est perdu dans le vague, puis sursaute. Et maintenant son œil perplexe se dirige vers son bras. Oui, il y a bien son éternel pardessus sans lequel un voyage en train serait impossible. Il s’abaisse encore et constate la présence de sa valise noire, avec l’étiquette où figurent ses nom, prénom, et autres renseignements obligatoires. Elle est bien là, posée à ses pieds. Il est bien vêtu de son jean, et de chaussures pratiques mais cependant assez élégantes pour voyager. « J’étais donc bien encore à Dijon hier. J’ai bien passé quelques jours avec mon frère. Après. Après l’enterrement d’Hortense. » Il est totalement immobile depuis un bon moment et cela commence à en agacer certains. Une femme le bouscule, lui passe devant sans même un regard. Elle fonce puis s’arrête, hypnotisée par une statuette. Une danseuse mi-elfe, mi-indonésienne, de nacre et de bois. « Il lui manque une main, certes. Mais je vais peut-être pouvoir négocier le prix du coup. Elle irait tellement bien sur la commode ramenée d’Indochine par mon grand-oncle. Ou bien dans le salon. De toute façon j’ai un coup de cœur. Mais où est le vendeur ? Et cet homme-là qui bloque tout... je suis sûr qu’il empêche le vendeur de me voir. Que c’est pénible ! Mais enfin on ne vient pas aux Puces si c’est pour ne rien regarder et rester planter là, au milieu d’une allée, en intérieur ! Quel malotru, imbécile de surcroît ! » Soudain une voix résonne : « Vous êtes intéressée Madame ? » Et voilà qu’il observe maintenant cette femme qui échange avec celui qui est certainement le propriétaire de cet espace d’antiquité, et d’un fourre-tout improbable. Il regarde, c’est à la fois flou et précis. Il observe mais repense aux moments qu’il vient de traverser. Il comprend la situation de vente et se sent également totalement détaché de celle-ci. Détaché et loin de ce lieu où il est, pourtant. Seul existe en ce moment le pourquoi et le comment, le chemin qui l’a conduit ici. Derrière lui, soudain, une effluve. Un parfum lui fait tourner la tête. Il se met alors en marche, très vite, et suit cette femme. La silhouette est fine, de dos elle lui semble très belle. C’est le parfum d’Hortense, bien sûr. Il sourit, accélère tend la main et ouvre la bouche pour la héler. Car bien entendu, c’est elle qu’il suit. Mais quand il le réalise, il s’arrête d’un coup. Bousculade. « Mais enfin, monsieur, vous êtes juste devant la porte d’entrée. Pourquoi vous arrêter !! Et ne restez pas là enfin ! Vous bloquez tout le monde ! » Le jeune homme le dépasse, furieux, et continue à grommeler et râler pendant qu’il se pousse un peu plus loin en s’excusant vaguement. « Vraiment il y a des abrutis » dit le jeune homme en rejoignant ses amis. Lui, il pense à Hortense. À son parfum. À son allure, à ses jambes, à son rire. À l’éclat de ses jolies dents.

Au départ il y a l’idée de la gare, comme lieu. Puis un échange avec un ami, autour d’un café. Je lui parle de l’atelier d’écriture, et puis du sujet, et de mon idée qui commencent à me travailler un peu. « Et pourquoi pas les quais du Rhône, il y a des Puces... » Pensées alors vers un joyeux dimanche matin, à Lyon, avec des amis, aux Puces du Canal. Pensées vers la Porte d’Aix, à Marseille. Rappel de l’atelier sur la ville. Les Puces sont adoptées. Après... ce sera s’y mettre un premier dimanche. Plaisir de sentir monter le besoin d’écrire. Plaisir d’y céder. Plaisir de commencer en ayant une certaine idée du pourquoi « le héros » est arrivé là. Malice de savoir que cela ne sera pas raconté. Ouvertures des possibles. Une semaine passe. Un autre dimanche pour fatiguer le texte, et enfin savoir avec certitude que l’atelier va pouvoir commencer.


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1ère mise en ligne 5 juillet 2020 et dernière modification le 24 octobre 2020.
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