le roman de Juliette Derimay

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Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres.

20. Le blog de Blaise, 14 juillet


Dans ma tête, le voyage a vraiment commencé le 14 juillet : la préparation du voyage, c’est déjà le voyage. En vrai, on est dans la nuit du 14 au 15 octobre, mais je n’arrive pas à dormir, alors j’écris comme si on était le 14 juillet.

Donc, on est le 14 juillet. La veille, je suis allé « Au Vieux Campeur » chercher les cartes dont j’aurai besoin pour parcourir toute la E15. À ce moment-là, j’étais encore très chatouilleux de la main, donc ça s’est mal passé avec la vendeuse qui voulait m’aider parce que « les bacs sont lourds, surtout quand on a qu’une seule main… ». Passons. Il faut dire, pour faire tout ce trajet, même en prenant des cartes routières, il me faut cinq cartes. Espagne, France Sud, France Nord, United Kingdom et Scotland. J’aurais pu ne prendre que les quatre premières, mais j’aurais besoin d’un peu plus de détail une fois arrivé en Écosse. Et en France, la pause était déjà prévue dans le Beaufortain pour aménager un peu mieux le camion, donc là aussi, besoin de détail. Donc cinq cartes. De retour dans le chalet qu’on me prêtait, je n’ai pas ouvert les cartes tout de suite. La vendeuse m’avait énervé, je pensais à Jeanne qui m’avait proposé d’aller au bal des jeunes au plan d’eau et que j’avais une fois de plus repoussée d’un rire méchant de petit con désespérément aigri. Je me suis installé sur le balcon avec une bouteille, un peu de musique pour ne pas entendre celle du bal en contrebas et j’ai regardé le soleil aller se coucher, disparaître, laisser la place à la lune qui s’est levée, a fait son tour de piste au milieu des étoiles, est allée se coucher à son tour pour laisser la place au soleil, qui se levait. Après un demi-tour de soleil, j’ai étalé en grand la première carte sur le lit. Espagne.

Comme toujours sur les cartes en papier, l’endroit que l’on cherche est sur la pliure, ou sur le bord. Au pire, dans un coin. Pourtant, j’aime les cartes en papier, pas question de préparer ce voyage uniquement sur Google Maps. Il y a d’abord le bruit du papier qu’on déplie, qu’on caresse de la main pour bien l’étaler et aplatir les plis. Le bruit dépend du papier, du type de carte et de son histoire. Les vieilles cartes toutes usées font un bruit de tissus, presque de chiffon, tandis que les jeunes sont craquantes comme les feuilles d’automne encore jaune, celles qui viennent juste de tomber, un jour de vent et de grand soleil. Les cartes marines sont encore dans une autre catégorie. Matériel de sécurité obligatoire, elles sont d’un papier différent suivant leur âge, leur origine, maintenant dans une formule « indéchirable », pas vraiment plastifiées puisqu’on doit pouvoir écrire dessus, gommer, annoter. Les cartes à bord de la « fleur des ondes », mon premier chalutier, étaient à la fois moquées et vénérées. Avec les alignements ingénieux et secrets pour sécuriser les raccourcis, parer cailloux et bancs de sable, les notes sur les prises, nature et quantités, conditions météo. Elles étaient le trésor du capitaine, Pépé. Surtout les vieilles, celles de l’amirauté anglaise, ornementées de pompeuses ancres de marine, pour Chausey et les Minquiers, en papier déchirable, usées, griffonnées, tâchées, avec les relevés de profondeur datés de 1897 du côté de Port-Blanc, plusieurs étages de scotch parfois, dont les plus anciens, disparus depuis longtemps avaient marqué leur présence d’une bave jaunâtre. Elles avaient une odeur aussi. Poisson, humidité, renfermé, vomi sur celle des Héaux de Brehat. Chaque trait, chaque tache, chaque ligne avait une histoire, petite ou grande et l’ensemble en faisait la vraie valeur. Pour la navigation de tous les jours, c’était GPS et écran, mais pour se faufiler entre les cailloux ou trouver les coins à poissons quand tous les autres rentraient bredouille, elles étaient toujours là, fidèles dans leur inexactitude et élégantes dans leur crasse et leurs cicatrices. Émouvantes dans leur fragilité. Maintenant, Pépé doit être à la retraite depuis longtemps et son second ne jurait que par l’informatique. Elles ont dû finir à la benne, toutes ces cartes…

Celle qui est étalée sur mon lit aujourd’hui sent le neuf, le magasin, l’encre. Avec un petit parfum en plus sur lequel je n’arrive pas à mettre un nom exact, lessive peut-être. Elle est toute douce, sauf sur les plis. Mais même eux sont encore lisses et réguliers. C’est une carte à grande échelle, 1:800 000, (1cm = 8 km) précise la parenthèse, pour ceux qui auraient du mal avec les zéros des conversions. L’échelle est assez grande, un peu de mer de chaque côté, on voit les parallèles se courber et ne plus être parallèles au bord du papier. Pourtant, le mode de projection n’est pas précisé. Dommage. Sur les cartes marines, on ne prenait jamais le navigateur pour un idiot. La méthode mise en œuvre pour aplatir le monde, le choix de l’inexactitude privilégiée par le cartographe était toujours précisé : projection de Mercator, projection stéréographique pour les pôles, suivant une route particulière pour les transatlantiques…

En Espagne comme ailleurs, je n’aurai désormais plus besoin de cartes marines. Donc, va pour la carte touristique.

Le premier jour, j’arriverai par le train. Le temps de récupérer le camion du copain de Jeanne à Algesiras. Pour la première étape, ne pas prévoir trop long. Le temps de faire quelques courses, de prendre en main le véhicule… Donc, première étape, Jerez. Indispensable si je veux connaitre un peu mieux le whisky, savoir dans quelles barriques il séjourne. Ce voyage ne fera pas de moi un spécialiste, ni du whisky, ni du xérès, ni de rien. De toutes façons, on trouve toujours meilleur que soi, on est toujours le superficiel de quelqu’un. Mais aller jeter un œil par là-bas devrait répondre à quelques-unes des questions que je me pose et ce sera déjà pas mal. Il faudra goûter les différentes sortes de xérès, Fino, Olorosso, et si c’est pas trop cher, le fameux Palo Cortado. Ensuite profiter du paysage, voir les vignes, sentir, humer, écouter les bruits, les chants, les mots, se faire une idée de l’ambiance, s’y trouver un petit coin tranquille pour passer la nuit, loin des chiens qui aboient et des voitures qui passent. Je n’ai pas trop l’intention de rôder autour du port, même si c’est sûrement de là que les barriques partaient, et sûrement partent encore pour les îles britanniques. Les ports, les bateaux, les marins, c’est encore un peu compliqué pour moi.

Pour la suite du voyage, rien de spécial. Suivre la E15 pour remonter toute la côte est de l’Espagne sans trop trainer. En quatre ou cinq jours, je devrais être à la frontière. Une fois en France, halte obligée à Collioure pour cause de souvenirs laissés là, à ramasser ou à reconstruire. On verra. J’irai admirer le phare du cap Bear depuis la terre, passage chez Roque pour acheter des anchois. Pas ceux au vinaigre, parce que c’est l’acide qui prend toute la place dans la bouche, non, les blancs, ceux à l’huile, ceux qui vous enveloppent d’abord les papilles pour les préparer au goût si délicat du petit poisson. J’en prendrai un gros pot, avec un bout de pain, quelques tomates, une bouteille de xérès et j’irai sur la plage où, d’après ma mère, j’aurais fait mes premiers pas.

Le peintre qui part dans son dessin, c’est tout de suite venu avec le Wang-Fô de Marguerite Yourcenar. Trouver un parallèle avec l’histoire que je tricote pour Blaise a pris plus de temps… finalement, en ouvrant les yeux le matin, le parallèle était là, ce serait le voyageur qui voyage dans sa carte. Une façon pour Blaise qui part (enfin), de dire au revoir et merci à François et à cet atelier qui l’a fait naitre, ou tout au moins grandir jusqu’à devenir un vrai personnage : autonome et libre !

Ensuite pour la carte, j’avoue, un peu de nostalgie de ma part, retour sur mon jeune temps durant lequel j’ai un jour, très sérieusement, envisagé de passer le concours de la marine marchande en marge de mes chères mathématiques…
Et enfin, pour respecter la consigne, des sens, les cinq, sans oublier le ventre (merci Catherine !) avec la dernière phrase.

19. Le blog de Blaise


proposition de départ

14 octobre

Je commence ce blog aujourd’hui, et je ne sais pas bien pourquoi. Si, quand même un peu… Pour ne pas être obligé de donner les mêmes nouvelles aux uns et aux autres, pour ne pas avoir à recommencer mon histoire depuis le début à chaque fois, pour garder une trace de ce voyage, pour mes souvenirs… Et sûrement pour d’autres raisons qui deviendront évidentes par la suite, avec le temps, mais auxquelles je ne pense pas encore maintenant. Également parce que j’ai pris l’habitude de faire un journal sur les conseils de la psy de l’hôpital quand j’ai eu la main arrachée, il y a maintenant presque un an.
Par contre, plus simplement, je commence aujourd’hui parce que c’est mon premier jour de voyage.

Je ne sais pas encore ce que j’écrirai ici. Il y aura aussi des photos et dans les deux cas, ce sera des choix personnels : quoi retenir d’une journée ? Quelle image ? De quel côté tourner son objectif, recadrer, choisir tel niveau de vocabulaire ou un autre, phrases longues, phrases courtes, raconter les autres, se raconter soi, ce qu’on mange, ce qu’on lit, ce qu’on entend, ce qu’on écoute, choix de la lumière, post-traitement, utiliser des filtres ??? Vrai voyage ? Voyage vrai ? Plus orienté dans une direction ou une autre ? J’essayerai de varier pour que tout le monde y trouve son compte, mais ça restera mon Blog et il y manquera sûrement beaucoup de choses. Mais j’espère que vous en trouverez d’autres, auxquelles vous ne vous attendiez pas.

Petit portrait rapide pour que vous sachiez à qui vous avez affaire, au cas où vous tomberiez sur ces pages par hasard. Je m’appelle Blaise. C’est un surnom. Une infirmière de l’hôpital m’a appelé comme ça pour la première alors que je tapais maladroitement sur mon clavier de la main gauche quand elle entrait dans ma chambre. C’était un mail à la Sécu, mais elle lisait beaucoup et mon attitude l’a fait penser à celle d’un écrivain, Blaise Cendrars, à qui il manquait également la main droite. Ça a commencé comme une blague, presque un malentendu, mais le nom est resté. Et même si je n’en serai jamais digne, la référence me plait.

Donc je m’appelle Blaise et j’ai perdu ma main droite, arrachée par un câble, alors que je travaillais comme matelot sur un bateau de pêche. Il y aura bientôt un an que l’accident est arrivé. C’était au large de Dunkerque. Ce jour-là, ma vie a basculé pour la deuxième fois. La première c’était lorsque j’ai quitté ma famille qui vivait confortablement dans les montagnes de Savoie et arrêté mes études aux Beaux-arts pour devenir pêcheur.

Le voyage maintenant. Sans main droite, le dessin, c’est fini et la pêche, plus question non plus. Un an après l’accident, j’arrive assez bien à me débrouiller dans la vie courante, mais pas facile de se projeter dans l’avenir. J’ai beaucoup tourné en rond. En colimaçon plus précisément, jusqu’à arriver au plus bas dans les étages du moral, de l’envie de vivre, de l’estime de soi… J’étais devenu agressif, parfois violent, invivable. Et je buvais beaucoup. Jusqu’à ce que le patron de mon café habituel refuse de me servir et me fasse la leçon : whisky, ça veut dire eau de vie en gaélique. La vie on en profite, on n’en abuse pas. Et le whisky ça ne se boit pas, ça se déguste. Je devais prendre l’air, aller voir ailleurs… Il m’a mis dehors. Je lui en serai toujours reconnaissant. Ce blog lui est dédié. Merci Dédé.

Il m’a dit ça il y a trois mois, j’ai eu le temps d’y réfléchir et maintenant, mon projet est simple : je vais suivre la route du whisky. Plus précisément la E15 entre Algesiras en Espagne et Inverness en Écosse. Comme une barrique de Xeres vide qui se fait rebaptiser sherry en passant la frontière et va, une fois remplie d’alcool d’orge malté, donner son goût, ses arômes, son fumet, en résumé sa valeur, au whisky. Avec mes économies et un peu d’aide des copains, j’ai acheté une camionnette de plombier transformée en van. C’est rustique. Il y a un lit, un réchaud, une cuvette pour faire évier et des caisses pour ranger mes affaires, des étagères pour les bouquins. Et quand même, le chauffage à l’intérieur parce que je pars en octobre. Avec mon allocation « handicapé » et en évitant de faire des extras en nombre exagéré, je devrais arriver là-haut sans trop de problèmes, au pays de l’eau de vie…

Aujourd’hui, je suis à Algesiras, en Espagne. Dans la pointe sud de l’Europe, en face, c’est Gibraltar, donc l’Angleterre et en face mais un peu sur la droite, c’est le Maroc, l’Afrique. Voilà pour la théorie. Mais de la ville, aujourd’hui, je ne verrai rien d’autre que la gare, avec ses quais bordés de caoutchouc à petits plots, pour que les aveugles ne tombent pas sur les voies et ses haut-parleurs qui grésillent. Avant de tout charger sur mon dos et mon épaule valide, mes trois gros sacs sont posés sous les panneaux bleus ou le nom de la ville s’écrit Algeciras en espagnol, alors que c’est Algésiras en français. J’ai toujours trouvé étrange ces noms propres qui changent avec la langue. Histoire de phonétique ? adaptation ? appropriation ? Pas le temps d’approfondir : Anatole qui me vend le camion, m’attends à la sortie de la gare. Il fait sombre, bientôt noir. De la ville je ne verrai que des lumières, et parfois, leurs reflets dans l’eau du port, une odeur douceâtre de vieux poisson, et surtout, celle, bien plus alléchante des restaurants de la longue avenue que l’on suit pour arriver chez lui, coupée en deux par une rangée de palmiers. De toutes façons, les villes ne m’attirent pas, demain, je partirai vers le nord le plus vite possible pour me trouver un coin tranquille au bord de la mer ou dans la campagne. Mais pour l’instant, j’ai faim, et l’invitation à manger d’Anatole tombe à point.

Toujours en retard… Retour donc sur le 18 avec les réflexions sur le vrai, la vérité, à travers les choix que l’on fait pour raconter, quels aspects retenir (sensations, météo, descriptions, contexte, couleurs, sons….). Avec les mêmes questions pour la photo (cadrage, choix de l’heure de pris de vue, filtres ou pas, grand angle ou télé, et ensuite, post traitement, sans parler de retouche…). D’où le regard que l’on porte sur les récits de voyage, les interprétations, l’hors-champ, place du photographe ou de l’écrivain, comment ces choix influencent l’idée qu’on se fait de ce qu’il décrit ???? Pour moi plus de questions que de réponses, mais questions passionnantes !

Deuxième aspect du texte, on ne sait jamais, ça pourrait être le début de l’histoire de Blaise ?

Et j’aime bien la petite musique des « bl » quand on dit « le blog de Blaise ».
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18. La parenthèse


Quand les marques d’appareil photo sortent de nouveaux boitiers, elles commencent par les tester en labo. Mires standardisées, petits carrés normés en couleurs et en niveaux de gris, lumière mesurée, autofocus sur banc automatisé, résistance à l’humidité voire à l’eau, aux poussières… Au début, c’est scientifique. Et ensuite il faut tester en vrai. Alors les boitiers et autres objectifs sont prêtés à des photographes. Nicolas fait partie des testeurs. Il a récupéré un de ces boitiers et la mission qui va avec. De mon côté, j’ai simplement profité de la balade. Parce que le temps était parfait, parce que j’aime bien ce que fait Nicolas, parce qu’une occasion de prendre l’air ça ne se refuse pas, quitte à travailler plus tard le reste de la semaine. Et surtout parce que ce genre de balades improvisées, ça reste dans les souvenirs comme la châtaigne dans la poche qui va prolonger l’automne jusqu’au bout de l’hiver, jusqu’au retour aux vestes d’été.

En route, donc, pour les tests en vrai.

C’est presque comme si on était dans un film, le regard commence par se déplacer doucement, de bas en haut, pour faire le plan de la balade, donner l’itinéraire, voir la progression, même si on se demande parfois où peut bien passer le sentier depuis le parking jusqu’aux nuages qui nichent en haut de la falaise, défendant le refuge et ses volets rouges. On prend l’élan d’une grande inspiration et on fait le premier pas. Puis on s’en va au rythme binaire de la marche. Dans un film on nous verrait partir, de dos, quitter le parking, les voitures alignées, les coffres ouverts qui crachent leurs sacs à dos, leurs grosses chaussures et leurs occupants emballés de fluo dans des vêtements qui respirent souvent mieux qu’eux. Odeur de crème solaire. On laisse aussi les toilettes de chantier en plastique bleu et la buvette bondée sous ses parasols de crème glacée.

Au début, le chemin est large. Les voitures peuvent encore l’emprunter. Et elles l’empruntent. Nuages de poussière et échappements de civilisation. À chacune d’elle, on fait une pause pour se mettre de côté. On en profite pour boire un peu, regarder en haut, finir une phrase ou venir à bout d’une idée, d’un souvenir, d’un récit. Ou pour s’offrir un peu de silence. De silence intérieur. Parce que nos oreilles sont remplies de chants d’oiseaux, d’appels d’enfants, de discussions de promeneurs, de cloches de vaches, de moteurs, ou du cailloux crachés par un pneu agressif, voire du grésillement de la batterie qui alimente la clôture électrique. Parfois on sort le téléphone pour prendre une photo-note, sans y faire vraiment attention, juste pour garder le souvenir du lieu, de la date, des conditions. De cette impression d’être regardés d’en haut par cette falaise coiffée d’un peu de vert et de quelques arbres, qui a apprivoisé les nuages, joue avec eux, les taquine, les accueille ou les envoie voir ailleurs.
Deuxième parking. Le dernier, les voitures n’iront pas plus loin. La ferme d’alpage fait aussi café, restaurant, visite de l’atelier de fabrication du fromage, et vente. Expérience touristique clé en main. À compléter par un portrait de Tarine et le selfie depuis la prairie en contrebas, vue sur le lac tout entier. Selfie pour nous aussi, évidemment, vite envoyé aux copains qui bossent : on est des affreux ! Bons baisers des alpages.

On continue. Changement de style. Le sentier se fait plus exigeant, il ne laisse passer qu’une personne à la fois et on paie en sueur chaque mètre de dénivelé. Le matériel photo, ça pèse. Le sac passe rarement sous les dix kilos, plutôt douze. Pas d’ombre, terre et caillasse, on est sur l’épaule de la falaise. Aucun risque de se perdre, le sentier est creusé par les passages, il doit aussi servir de lit à un impétueux torrent éphémère les jours de pluie. À la montée, la pente nous met le nez dans les fleurettes. Des bleues, des jaunes, des blanches, connues ou anonymes et des gros vératres à côtes épaisses grossièrement installés au-dessus de tout ça. Dans le pierrier sur la gauche, un arbre s’accroche de toutes ses racines dans les cailloux et de toutes ses branches dans le vent. Halte ! Jumelles et 500 mm, un petit faucon essaye de se faire oublier sur une des branches. De notre côté, précautions d’indiens débutants pour passer inaperçus, gros lourdauds du camouflage, on profite quand même de son dédain méprisant envers nos ridicules chuchotements. Il reste là un bon moment, majestueux et attentif sans en avoir l’air. Puis il saute, ouvre les ailes et se rattrape, évidemment. Nicolas connait parfaitement son objectif, mais moins le boitier qu’on vient de lui prêter. Alors test, test, test : suivi, mise au point, rafale, remplissage de la carte. Le modèle joue le jeu comme un pro de studio, tourne revient, contre-jour, virage, fond clair, fond sombre, virage, piqué. Avant de filer vers le lac derrière les sapins. Beau travail.

La suite du parcours nous donne la clé de l’itinéraire. Le sentier passe sous la joue gauche de la falaise. Endroit stratégique choisi par les choucas pour monter la garde, et pour nicher. Avertissement ou souhait de bienvenu, on a droit à un vol d’escadrille. Battements d’aile, virages, collisions juste évitées, on est loin de l’élégance du faucon, ça semble plus aléatoire, moins anticipé. Brouillon. Éloge de la solitude ? Apologie du travail de groupe ? On y voit ce qu’on veut et ils s’en moquent bien, effaçant d’un coup d’aile railleur conjectures et hypothèses, nous laissant avec nos enivrements à force de suivre d’un œil jaloux et d’un cou trop rigide leurs voyages sans chemin.

Mais les choucas ne font pas que voleter gaiement, ils ne sont pas là par hasard, ils sont les gardiens de la porte. Quelques mètres plus loin, on se retrouve dans un autre monde, dans un alpage quasiment plat, une flaque de verdure au milieu de la falaise. Falaise tombante à droite, montante à gauche, roche calcaire claire, élégant contraste avec la végétation, sommet pudiquement dissimulé sous un voile de brume. Replat confortable au milieu de la falaise, marche pour géant, mais géant soucieux de ses aises, avec une belle prairie bien verte pour y poser le pied. Un endroit parenthèse.

Parenthèse de temps, on avance doucement au rythme des nuages qui ralentissent, accélèrent, voilent ou dévoilent le lac en contrebas, le col un peu plus haut, la paroi sur la gauche dont on n’a toujours pas aperçu le sommet. On attend que ça s’ouvre, ou que ça se couvre, on attend sans impatience, on attend sans attendre : même si ça reste comme ça, pourquoi pas ? On profite. Voilà. Nicolas photographie les nuages. Entre eux et lui, c’est une longue histoire. Question images, il y aurait presque de quoi faire plus que des tests… De mon côté je prends des notes, on ne sait jamais, que tout ce qu’on est en train de vivre se retrouve un jour dans un texte ?

Parenthèse de lieu aussi, le refuge est fermé, toutes les ouvertures blindées avec des volets de tôle, personne pour accueillir, personne pour déranger. Les moutons restent indifférents, ils broutent, c’est leur destin. Les bouquetins également : tant qu’ils ont le dessus, ils nous tolèrent, nous laissent nous extasier devant les jeunes qui s’entrainent à devenir mâles en se poussant comme des grands, en résistant quand le sabot dérape, experts en rétablissements et en retournements. Ils sont ici chez eux, ils ont le mode d’emploi. Pas nous, qui restons à les admirer, sagement installés au pied du pierrier, empilant les clichés.

Parenthèse de sons enfin, lorsque la pluie arrive. Elle avait bien tonné pour nous prévenir, mais rien de menaçant, juste un avertissement pour les rares autres promeneurs, les fragiles de l’humide qui nous ont d’ailleurs laissé la place. Jusqu’à maintenant, les oiseaux ont joué le prélude, siffloté gentiment un petit air connu, même si une fois de plus, le nom de l’interprète nous échappe, ce nom qu’on a pourtant juste sur le bout de la langue, vous savez, ça se siffle comme ça … Mais là, ce n’est plus le moment de chercher, il se sont tus. Place à la batterie, solo sur la capuche, les gouttes frappent, la pluie nous isole, parenthèse dans la parenthèse. Question résistance à l’humidité, on parle de tropicalisation des boitiers photo, ça fera un test de plus, même si on n’est pas vraiment sous les tropiques. Après les rideaux de pluie, ça se découvre un peu, puis la brume revient. Brume ici, nuages en bas, question de perspective, histoire de point de vue. Si en bas existe encore. On se prend à douter… Puis le doute se déchire, les trois petits arbres à côté du refuge pointent une douce silhouette, détour par le Japon. Et fin de la parenthèse. Au-dessus du col les nuages s’amoncellent, ils se rassemblent, s’unissent, s’opposent à la lumière. Un poing se lève, puis deux, puis tous. Changement d’ambiance, même si on n’est pas très haut, on sait qu’en montagne, on ne joue pas avec les orages, il est temps de descendre, de les laisser entre eux, moutons du ciel et moutons des prés, ils seront bien gardés.

Chassés de la parenthèse, on descend en courant. En bas les jambes chauffent, les genoux protestent, mais la tête est légère, les yeux remplis d’un voile, un reste de nuages. Pause à la terrasse du café, d’alpage vidée par la pluie qui a maintenant cessé de tomber. Transition, les mots aident à faire le lien, on reste dans les images, les boutons du boîtier qu’il faudrait reconfigurer pour que ça tombe sous le pouce, sans avoir à y penser, comme Nicolas en a l’habitude. La discussion s’élargit, doucement on revient au monde de d’habitude qu’il va falloir retrouver : les boitiers sont faits pour les droitiers avec de grandes mains. Pour les autres, rien de prévu… On reconsidère le reste du monde, on reprend notre place parmi les autres humains. Terminée la parenthèse de solitude.

Descendre des montagnes c’est remonter des abysses, les discussions du café permettent d’éviter les accidents de décompression ou de recompression quand il faut retrouver le goudron, les voitures et le parking, même vide.
Si on était dans un film, la caméra resterait sur place, elle nous regarderait partir. Auto vite avalée par le premier tournant. Départ et arrivée, pour la pellicule, on serait identiques : les souvenirs qui vous font sourire de l’intérieur, elle, ça ne l’impressionne pas.

En vrai m’a tout de suite emmenée dehors, dans la nature, par contraste avec l’aménagé un peu artificiel, ou tout au moins protégé de nos vies en intérieur. En extérieur, il me semble qu’il arrive plus souvent des choses qu’on n’avait pas prévues, qui surprennent, qui étonnent. Questions moyens à disposition, j’ai essayé de faire intervenir tous les sens (d’ailleurs, manque le gout, à revoir donc ! ), pour aider le lecteur à mieux entrer dans la scène. En espérant découvrir dans les textes des autres participants, d’autres moyens de faire vrai.

17. Contraposée


Toi, si les petits cochons ne te mangent pas, tu ne seras pas ...

Un livre en noir et en blanc. Tu seras contrasté, mais tu laisseras aussi une place à la nuance.

Un livre rempli de bonnes résolutions. Depuis le temps que j’en aligne des listes infinies j’ai fini par le comprendre, c’est du temps perdu.

Un livre de développement personnel officiellement estampillé et classé comme tel. Entre les pages, ça viendra bien tout seul.

Un livre de la rentrée littéraire. D’ailleurs, tu ne seras sûrement pas prêt à temps.

Un livre théorique

Un livre rose avec des cœurs.

Un livre avec des violons. Même si je n’exclus pas les trucs qui grincent.

Un livre rempli de pigeons. Plutôt des oiseaux de mer : des fous, des sternes, des macareux. Des buses et des hulottes, des sittelles torchepots aussi, pour peupler les forêts. Mais pas de manchots.

Un livre sucré. Plutôt du salé, de l’acide, de l’amer, de l’iodé et du tourbé.

Un livre stable. Dans quelques années ou même avant j’aurai changé. Il faudra que tu t’adaptes et que tu changes aussi.

Un livre de printemps. Tu seras plutôt un livre d’automne quand les feuilles tombent et meurent. Pour que naissent les champignons.

Un livre tout cuit, de la bouillie préfabriquée. Tu auras du cru, du trop cuit, peut-être du grillé, du revenu, du mijoté, mais pas du tout cuit encore moins du précuit.

Un livre avec des fleurs. Ou juste celles que l’on plante dans les trous du nez de la camarde sur la plage de Sète.

Un livre compact, j’aime quand le vent peut souffler entre les lignes, les chapitres et les paragraphes, quand les idées du lecteur peuvent s’entortiller en lianes, s’agripper aux textes et s’y installer pour le faire sien. Tout sauf asséner et assommer.

Un livre dogmatique ou moralisateur. Mais là je l’ai déjà dit, non ? Retour à la case départ donc : j’ai dû faire le tour....

Proposition d’une immense richesse, qui peut se dérouler à l’infini suivant le niveau de détail qu’on lui accorde. J’ai beaucoup aimé ce renversement de situation, le passage en mode négatif. Un raisonnement par contraposée en quelque sorte, quand la méthode directe résiste, elle donne d’élégantes démonstrations mathématiques.

16. notes de la traductrice



 Main, le titre du livre est en français. Il fait référence à cet organe situé au bout des avant-bras, et relié au corps par le poignet. Ne pas confondre avec son homonyme allemand Main, qui désigne la rivière qui traverse la ville de Francfort ou l’anglais main, qui signifie principal. Même si dans cet ouvrage, la main perdue de Blaise joue effectivement le rôle principal.

 Épissure et surliure sont des mots du vocabulaire technique maritime. L’épissure désigne un assemblage de deux bouts de cordes ou de câbles par entrelacement de leurs torons. La surliure est une ligature faite avec du fil épais sur l’extrémité d’un cordage afin d’éviter que les torons ne se séparent. Ici utilisés dans leur sens technique, et métaphorique.

 Les midges également appelés moustiques des Highlands sévissent en été dans cette région du monde, ils sont particulièrement voraces et se déplacent en nuages. Leur piqure crée des démangeaisons et des allergies chez certaines personnes sensibles. Ne se déplaçant pas rapidement, ils ont pour alliée, l’immobilité et pour ennemi, le mouvement.

 Riflards, varlope, Guillaume, tarabiscote et feuillant sont des rabots de menuiserie. Ils font partie des outils utilisés par Jeanne, l’amie savoyarde de Blaise. Elle réalise pour lui des objets adaptés qui l’aident dans son quotidien de manchot.

 Le mot manchot a deux sens différents en français. Il désigne aussi bien une personne privée d’un ou de ses deux mains, bras ou avant-bras, qu’un oiseau palmipède des régions antarctiques à moignon d’aile, incapable de voler mais qui nage très bien. Utilisé dans un sens familier, voire péjoratif, manchot désigne quelqu’un de maladroit.

 L’aspect physique (stature, couleur des cheveux, couleur des yeux, forme du visage, corpulence... ) de Blaise, le personnage principal, n’est jamais clairement énoncé. On peut néanmoins se faire une idée de son apparence en fonction de ses activités, de ses habitudes de vie et de ses goûts en termes de boisson et de nourriture, …

 Le mot van n’a pas été traduit. Camping-car serait le mot qui se rapprocherait le plus, mais le van dispose généralement de moins d’aménagements que ce dernier. Dans le cas de Blaise, il s’agit simplement une camionnette d’artisan aménagée pour pouvoir y dormir, y manger et faire chauffer des aliments.

 Tout le vocabulaire technique concernant le whisky est regroupé dans le lexique présenté en fin d’ouvrage.

 Les noms de lieux n’ont pas été traduits, ils sont dans leur langue d’origine. Sauf pour le gaélique dont la traduction usuelle en anglais est donnée entre parenthèses afin de faciliter la localisation des lieux.

Exosquelette du texte qui existe déjà, les notes me font ici l’effet d’une armature sur laquelle viendront se fixer les textes encore épars, voire à écrire…

15. Station-service


J’étais arrêté à la station-service, la première sur la route en sortant du ferry après la douane. J’avais réussi à tenir jusque-là en roulant tranquille les derniers kilomètres sans pour autant me retrouver dans le rouge. J’étais content. L’essence est nettement moins chère en Espagne qu’en Grande-Bretagne et de meilleure qualité qu’au Maroc. J’étais donc arrêté à cette station Total d’Algesiras, c’était enfin mon tour après les deux voitures qui étaient avant moi. J’avais prévu le chiffon jetable pour ne pas avoir à toucher la poignée de la pompe que tout le monde tripote avec des mains plus ou moins propres, j’avais laissé la fenêtre ouverte malgré cette odeur d’essence qui me répugne toujours et monté un peu le son de l’autoradio pour ne rien manquer de mon émission, quand il s’est approché de moi pour me parler.

Assez grand, mince mais pas maigre, habillé correctement, jean propre et tee-shirt bleu uni, veste imperméable légère, cheveux cours et noirs. Marocain, sûrement. Des mains fines aux doigts longs, ongles soignés, pas un saisonnier venu pour les fraises et les tomates. Je n’avais aucune intention de l’écouter, portant il s’est accroché, même quand je lui ai quasiment tourné le dos. Il m’a dit qu’il avait vu ma plaque française avec le département 62 du Pas de Calais, qu’il allait en Ecosse et que c’était une chance de m’avoir rencontré et qu’il serait très heureux si je pouvais le rapprocher un peu de sa destination finale. Qu’il ne pouvait pas partager les frais (évidemment !) mais qu’il était dessinateur et qu’il pouvait faire mon portrait… bla bla bla. Qu’est-ce que j’en avais à faire de ses problèmes ? Tout le monde a les siens après tout ! Je l’ai donc rapidement envoyé voir ailleurs en lui disant que je ne prenais jamais de passagers, avec un ton qui se voulait explicite, même si je n’ai pas osé dire la suite de mes pensées à haute voix : encore moins sur une telle distance que du sud de l’Espagne jusqu’au Nord de la France ! Je sais, ce serait bien de réduire la pollution, de ne pas rouler tout seul dans une voiture comme la mienne, mais bon, même s’il avait l’air plutôt correct, je ne le connaissais pas et si ça se trouve, c’était un pénible, voire un malhonnête ! Ça s’est vu des conducteurs agressés par un autostoppeur…

Il est allé voir la voiture de derrière. C’était une sorte de camionnette aménagée pour dormir à l’intérieur, je voyais un matelas et un duvet roulé en boule par la fenêtre de derrière et le toit devait pouvoir s’ouvrir. Il était aussi immatriculé en France, 73, la Savoie. Je m’en souviens parce que le conducteur n’avait pas de main droite. Je me suis demandé comment il pouvait bien faire pour changer les vitesses sans main droite, alors que finalement, je n’en avais rien à faire, moi, de ses problèmes au gars de derrière ! Enfin, ils ont dû faire affaire car lorsque j’ai démarré, il se serraient la main, la gauche pour le manchot, le tout avec un grand sourire. Le Marocain est ensuite allé chercher un gros sac à dos, caché derrière la pompe. Ensuite j’ai tourné et je ne les ai plus vus. J’avais autre chose en tête, il fallait que je reprenne la bonne direction, au rond-point après la station-service. Heureusement, maintenant avec les GPS, c’est quand même bien plus pratique qu’avant avec les cartes en papier !

Encore plus d’admiration pour Melville après cette 15. Faire de Bartleby le personnage principal, auquel on ne s’attache pas, avec qui il ne viendrait à personne l’idée de démarrer amitié ou inimitié, on ne l’aime pas, on ne le déteste pas, mais il est au centre de l’histoire, pilier, pivot, sans lui pas de livre et pas de livre. Mais envers lui, comme personnage, aucun « sentiment », juste de la rationalité. Bartleby et moi, c’est une question de cervelle, pas de cœur. Quant à faire la même chose …. Pas persuadée que j’ai réussi à ne pas tomber dans la caricature, mais la magie des propositions de François a une fois de plus opéré et l’histoire de Blaise se construit petit à petit, ça évolue, gagne de la densité : je me prends à rêver de lui construire une maison en pages imprimées.

14. Blaise en particulier


Je suis mort. J’en suis persuadé maintenant. Ça fait trois jours que je suis là avec un bras dans le dos, les jambes qui font un angle étrange avec le reste du corps et le crane plus vraiment rond. Personne n’est venu me chercher, ou personne ne m’a trouvé. Et c’est mieux comme ça. Je ne me suis pas vraiment suicidé, je n’avais rien planifié à l’avance. Cette balade, ça devait être juste une balade. Simplement, quand le mont Pourri a voulu rouler des mécaniques, montrer qu’il était le plus fort, j’ai laissé faire, je ne me suis pas débattu, je ne me suis pas accroché aux racines et aux pierres à m’en arracher les ongles comme j’aurais pu le faire avant. J’ai renoncé. C’est mieux comme ça. La vie à l’intérieur de ma tête était devenue trop compliquée, je ne savais plus quoi faire, comment me comporter, quoi dire avec Blaise, avec sa mère.

Ça fait longtemps que Blaise se doute de quelque chose sans savoir vraiment quoi. Quand il est parti il m’a dit qu’il ne voulait plus que je finance sa vie, que c’était de l’argent sale, qu’il sentait le sang et le renfermé, la décision lâche, le compromis de marécage… Après les incidents des rapports avec des dates oubliées pour les contrats avec l’Égypte, il m’a même dit que c’était déjà suffisamment difficile comme ça pour lui de porter mon nom, qu’il ne voulait plus être obligé de me voir, de me devoir quoi que ce soit de plus. Les mots qu’il a prononcés ce jour-là ont été plus violents qu’un claquement de porte. C’était comme un coup, comme un bleu qui ne vire jamais au jaune. C’est là qu’il est parti et qu’il a tout inversé dans sa vie, de la montagne à la mer, des études artistiques universitaires au métier de matelot, du confortable cocon familial à la vie en solitaire.

Je pense qu’il n’a jamais rien su de précis, mais qu’il a bien senti que je n’y étais pas pour rien dans tout ça, dans cette affaire de blindés tombés « par hasard » entre de mauvaises mains. Avec son accident, quand il a perdu sa main, il a dû avoir du temps pour réfléchir, à l’hôpital et après. Il n’est revenu voir sa mère et sa sœur que lorsque j’étais en déplacement.

Maintenant que je suis mort, il va apprendre beaucoup plus de détails dans la presse, dans mes papiers. Ils vont ranger mon bureau. Il n’est pas bête, il va faire des recoupements. Et tout comprendre. Un vendeur d’armes mort reste un vendeur d’armes. Je ne suis plus très sûr de mon attitude vis-à-vis de mon métier, actes manqués, convictions, ordres d’en haut, ce qu’on pense que les autres veulent de vous, griserie du succès, argent, carrière, pouvoir… Quand j’ai emmené la famille vivre à la montagne et que je faisais les allers-retours à Paris, finalement, dans cette décision, je me dis que les raisons n’étaient pas claires, et pas toutes avouables… Officiellement c’était pour les protéger, pour les éloigner des retombées toujours possibles de mon métier, mais aussi pour éviter que Blaise, qui grandissait, ne mette trop son nez dans mes affaires. Et puis il y avait Dorothée… Même si ça n’a pas duré bien longtemps notre relation, je serais malhonnête si je le niais. Ce n’est plus le moment d’être malhonnête, quand on est mort. J’ai même parlé de la pollution, de l’air de la montagne, des vraies valeurs… Quel hypocrite !

Et maintenant je suis là, j’hésite, même si mon avis ne changera pas grand-chose à quoi que ce soit. Puisque je n’ai plus la main sur rien, je peux me permettre un peu d’humour noir. Je ne sais pas si je préfère rester disparu, ou qu’on me retrouve, qu’on m’enterre, qu’on me fasse une jolie cérémonie avec drapeau et discours émouvants du ministère, des autorités reconnaissantes de mon dévouement si discret au cœur du marché des armes. Finalement, je crois que je préférerais presque la cérémonie aux animaux de la forêt, aux bestioles de toutes tailles, qui ont déjà commencé à me consommer d’ailleurs. Même si le retour aux sources, l’écologie, le circulaire, c’est plutôt bien vu en ce moment et que j’y suis parfois sensible puisque je fais mes courses bio... Non, malgré tout, je préférerais la cérémonie. Juste pour savoir qui viendrait, et comment ils se comporteraient. Blaise en particulier. Mais ce serait simplement de la curiosité…

Si j’ai bien compris, il y avait deux choses dans cette proposition : faire parler le mort, et donc choisir le mort, un mort qui ne fait pas mal… donc pas un vrai, un mort de cinéma presque, un qui se relève à la fin du texte ou quand l’auteur change d’avis…

Le deuxième point m’a un peu plus chiffonnée : François avait dit : « il faut trouver la voie-x ». J’en ai profité pour retourner à mes BD, mais surtout, j’ai l’impression d’avoir une voie pas encore très affirmée, qui hésite encore souvent et surtout, je pense que j’ai plusieurs voies, en fonction des destinations du texte (blog des copines, magazine local, atelier…). Donc je me suis rattrapée au fond plutôt qu’à la forme et j’ai repris mon manchot habituel. Sans pour autant en faire le mort en question, pour pouvoir faire vivre et évoluer encore un peu ce personnage qui ne me semble pas avoir tout dit.

13. Le fait que


le fait que la nuit tu rêves que tu es ambidextre, le fait que sans main droite tu ne puisses plus te couper les ongles de la main gauche, le fait que ton moignon ne rentre pas dans ta narine quand tu essaies de te curer le nez, le fait que tu dois poser la brosse à dents sur le bord du lavabo pour y mettre le dentifrice, le fait que tu dois poser le livre pour pouvoir le feuilleter, le fait que tu ne peux plus ouvrir la porte du local poubelles puisqu’il faut tourner la clé et tourner la poignée en même temps, le fait que tu ne tapes plus aussi vite sur le clavier de ton ordinateur, le fait que tu ne peux plus tenir l’oignon pour l’émincer finement, le fait que tu es désormais inutile sur un bateau de pêche, le fait que les gens te trouvent impoli quand tu tends la main gauche et pas la droite, le fait que les appareils photos sont tous faits pour les droitiers, le fait que tu ne peux plus attraper correctement les emmerdeurs par le col pour leur expliquer comme il faut qu’ils sont des emmerdeurs, le fait que ta mère te propose de couper ta viande, le fait que ta mère ne te propose pas de couper ta viande, le fait que les douleurs fantômes existent plus souvent que les fantômes, le fait que tu ne peux plus faire de soudure ni d’épissure, le fait que tu ne peux plus applaudir quand c’est beau, le fait que tu ne peux plus jouer de la guitare, le fait que tu peux encore t’abrutir de lecture, le fait que tu peux encore te prendre une bonne biture, le fait que tu ne pouvais plus lui prendre la main quand elle était assise à ta droite, le fait qu’elle avait deux seins et toi une seule main, le fait que tu n’as plus qu’un demi-avenir, le fait que tu ne t’aimes plus qu’à moitié. Et parfois plus du tout.

 

12. Charlie écho


Tout ce qui ne se fait pas tout seul ne se fait plus.

Respirer, avaler sa salive, cligner des yeux pour éclaircir sa vue.

Assise ? Sûrement. Couchée elle ne verrait pas l’écran. Debout, elle serait tombée.

Sur l’écran, amis devenus corps, bientôt dépouilles. Victimes. Ceux qui s’en sortent moins mal sont blessés, touchés ici ou là. Touchée elle aussi.

Yeux, oreilles, elle n’est plus rien d’autre dans le présent, rien d’autre. Plus de bras, plus de jambes, même plus de ventre. Un ascenseur est monté jusqu’à ses souvenirs, bloqué au dernier étage, pour effacer tout sauf ça. Écran elle l’est aussi, pour projeter des images d’avant.

Elle imagine avec les mots de l’écran qu’elle plaque sur ses souvenirs de corps, d’attitudes, de membres, de visages, de mains, de jambes. De sourires. De rires. Des mains qui choquent des verres, des mains qui dessinent, des mains qui gribouillent, des mains qui écrivent, des mains qui caressent, des mains qui prennent d’autres mains dans les leurs, des bouches qui mangent, qui rient, qui parlent, qui embrassent, des jambes qui marchent, qui courent, qui se plient, qui s’étirent devant la chaise quand les bras se rejoignent au-dessus de la tête. Des corps qui bougent.

Et elle voit avec ses yeux liquides des secouristes debout qui poussent leurs corps allongés, des corps où rien ne se fait plus tout seul. Des corps immobiles.

Elle inspire, ils expirent.

Codicille :

Le procès des attentats de Charlie Hebdo en 2015 vient de commencer.

Le sujet s’est imposé. Le texte aussi.

11. Symétrie, symétrie chérie


Si on replie un humain, de Vitruve ou d’ailleurs, selon l’axe nez, bouche, sternum, nombril, sexe, il se rabat sur lui-même. Œil sur œil, dent sur dent. Et main sur main. Serions-nous symétriques ? Du dehors, il semble bien. En dessin, il suffit de se concentrer sur une moitié du corps, sur un de nos deux bras, puis de reconstruire l’autre, par symétrie. Pas de papier calque ici, nos mains ne sont pas superposables, elles ne se correspondent que dos à dos ou ventre à ventre. Pour dessiner la main on commence par un croquis rapide, un carré pour la paume, rectangles et trapèzes pour les doigts. Puis on détaille les deux phalanges du pouce, ensuite la paume qui porte ses tendons sur son dos, les doigts avec des traits courbes pour le dessus des articulations, l’arrondi pour les ongles avec la petite lune qui lie la peau et la corne. Parfois on peut rajouter veines, ligaments, os, muscles, poils… Parfois les ongles sont longs, ils sont lisses, bombés, voluptueux, peints. Alors on ne voit plus la petite lune blanche entre la corne et la peau. Parfois les ongles sont ras, propres, sales, très sales, cassés, abimés, déformés, ou toutes les combinaisons possibles de ces adjectifs-là. Parfois il y a des bleus qui sont rouges, violets ou qui tirent vers le jaune, des cicatrices blanches et des blessures vermeilles, des traits de griffes et de coupures ou des points de déchirures et de coups, des catastrophes en morse. Parfois la peau peut être élastique et douce, ridée, épaisse, tannée, flétrie, fanée, fine, tachée. Ça a à voir avec l’âge. Ça a à voir aussi avec les jours où il faut se lever le matin. Parfois les histoires de mains sont plus tragiques. Parfois les blessures sont profondes, des doigts sont amputés, parfois ils ont disparu, en partie ou en entier. Parfois il n’y a plus de main. Alors le bras se termine en bordure de falaise sans plage en contrebas. Et l’humain, de Vitruve ou d’ailleurs, n’est plus symétrique. À l’œil nu on sait qu’il sera singulier, l’incomplétude de son corps parle pour lui sans qu’il ait besoin de parler. Parfois on est mal à l’aise devant ce moignon-patte, devant ce bras-sabot qui gifle avec une violence animale le mépris que l’on a de nos dextérités, dans le confort insouciant et oublieux de nos symétries quotidiennes.

Le soucis de la main me vient depuis de nombreux mois (voire année ! ) de Blaise Cendras et d’un personnage manchot qui se cherche une histoire dans les recoins de mes textes. Le souci de la symétrie est un souvenir de ma jeunesse mathématique récemment interpellée par un ami poseur de carrelage et enfin la conclusion vient de mon activité professionnelle, désormais manuelle.

7. La main


Il s’évanouit. Anéanti par le vide, par sa main qui n’était plus au bout de son bras, par cette absence qui se grava en lui bien avant que la douleur ne s’installe. Entre la lisse et le support du treuil, doucement, comme au ralenti, Dédé, l’autre matelot, le vit disparaitre. De retour au port, pendant que des collègues prévenus par la capitainerie aidaient à amarrer, les pompiers montèrent les premiers à bord pour venir s’occuper du blessé. Et pendant que deux d’entre eux déballaient leur matériel dans le carré, le troisième commença à poser des questions. Ce matin, à la fin du premier trait de chalut, quand Fred appelle, je sors avec Blaise sur le pont arrière. Fred, c’est le capitaine. Comme d’habitude, on prépare tout pour remonter le filet, les bacs à poisson, je nettoie la table pour le tri et Blaise s’occupe du treuil. Quasiment pas de mer, juste quelques petites vagues, temps nuageux, mais seulement des cumulus isolés, rien de violent ni d’agressif comme la tempête de la semaine dernière. Je n’entends pas bien à cause du moteur, des oiseaux qui nous suivent et qui font un vacarme pas possible. Quand on doit se parler, on crie, mais ça, c’est toujours pareil. Tout se passe normalement, on bosse tous les deux comme d’habitude jusqu’à ce que j’entende un grincement bizarre, puis ce bruit sec de câble qui se tend comme une note de guitare basse qui s’étire et quand je me retourne je vois Blaise tomber. Sans sa main. Une fois dans le carré, il reprit connaissance. Fred et Dédé lui tinrent le bras en l’air tout en essayant de faire un semblant de pansement du mieux possible avec ce qu’ils trouvèrent dans la trousse de secours, en suivant les conseils du médecin du CROSS qui crachotait dans la radio sur haut-parleur, volume à fond. Ils larguèrent le chalut pour pouvoir filer le plus vite possible vers le port le plus proche où ils rencontrèrent les pompiers qui attendaient sur la cale avec la sirène et le brancard. Sur le coup, je gueule comme un fou pour que Fred vienne m’aider, qu’on stoppe tout pour s’occuper de Blaise. Pour arrêter le treuil, je mets un grand coup de botte dans le bouton d’urgence et une fois que Fred est là, je cherche partout pour retrouver la main. C’est coupé net, ça ne saigne presque pas, je pense qu’on va pouvoir lui remettre, le recoudre, je sais pas moi, je suis pas médecin, mais un gars sans main, c’est pas possible ça, un gars sans main. Et surtout pas Blaise, pas lui, il faisait les plus belles épissures que j’ai jamais vues, il dessinait des oiseaux… Alors je cherche partout, dans tous les coins du pont même où c’est pas possible, mais on sait jamais si le câble l’a envoyée d’un autre côté, alors je cherche, je retourne tout. Tout. Et je trouve rien. Rien. Elle est sûrement tombée à l’eau, sa main. J’ai rien trouvé. Pourtant j’ai vraiment cherché, vous savez. Ensuite Fred se met à gueuler pour que je vienne l’aider pour emmener Blaise dans la cabine et appeler les secours. On le porte sans le secouer et ensuite le médecin nous guide pour faire un pansement, pour l’installer, pour vérifier s’il va bien, à cause du choc, tout ça. Mais vous savez mieux que moi. Voila. Ça s’est passé comme ça. Ce jour-là, fût son dernier jour de mer. Il débarquât sur une civière. Couché, sanglé, porté, emporté, il ne pût même pas se retourner pour saluer la « Fleur des Ondes » une dernière fois. De toutes façons, saluer sans main ? À bord, il serait désormais inutile. Alors que les pompiers chargeaient la civière dans le fourgon, une goutte d’eau salée s’arrêta au coin de son œil, roula sur la civière avant d’avoir pu rejoindre toutes les autres larmes de l’eau de mer.

Encore sous l’effet du zoom, je me lance… C’est un test, un essai de texte en continu, sans l’aide de la mise en page ou de la typographie pour signaler les changements de narrateur ou les monologues, juste le temps du récit et le pronom « il » dans un cas et le prénom « Blaise », dans l’autre. En espérant que la différence passé simple/présent sera suffisamment forte pour que le texte reste compréhensible. Parfois, il m’arrive de m’extasier, quand je trouve que la conjugaison fait drôlement bien les choses et ensuite, je trouve ça quand même bien confus… En résumé, j’ai du mal à me faire une idée… Dites-moi… et d’avance merci pour vos commentaires !

7.


9. Technique gestionnaire sentier.


Il regarde si loin derrière ses paupières que tout est en noir et blanc, les couleurs ont disparu. Mais même son noir et blanc n’a pas de contraste, ce n’est qu’un gris, plus ou moins sombre. À peine des formes, pas de contours, faillite de l’autofocus. Il perçoit ce qui l’entoure avec un filtre négatif. Le refuge est fermé, en été, quelle blague ! Le téléphérique ne marche plus, mais ils ont laissé trainer toute la ferraille, les poteaux, même le câble. Les moutons sont crasseux, l’herbe est tachée de vératre, cette plante qui n’intéresse ni homme ni bête.
Il fait humide avec ces nuages ou cette brume, on ne sait plus trop, il va sûrement attraper froid. Sans oublier les oiseaux qui font un boucan pas possible. Le seul moment où ils se calment, c’est quand la pluie vous tambourine sur la capuche. Ils me font bien rire ceux qui parlent du calme de la nature, du silence, c’est tout le contraire. Tout le contraire. Une fois de plus, ils n’ont rien compris.

Il inspire jusqu’au fond du bout de ses poumons pour ne pas rater une miette de cet air de montagne. Parfois, il ferme les yeux pour se laisser le temps d’enregistrer toutes les images, les formes, les contours, les couleurs. Pour tout garder. Précieusement. Par chance, le refuge est fermé, inespéré en été. Les nuages couleur de lune, la brume, le brouillard et l’humidité, le bruit de bottes de l’orage en approche ont chassé les promeneurs, il ne va rencontrer personne et pouvoir se concentrer sans avoir à faire la conversation, craindre qu’un gros lourdaud fasse s’égailler les chamois ou ne vienne écorner un paysage.
La brume est là qui le prends dans ses bras, le câline, il attend chaque éclaircie, chaque rayon qui passe entre les nuages comme une caresse.
Si ses yeux sont aux anges, ses oreilles aussi. Pour ses amoureux, la Nature susurre des chants d’oiseaux, les ponctue du majestueux sifflement d’un vautour ou pianote des gouttes de pluie sur sa capuche en caisse claire. Ils sont bien à plaindre ceux qui parlent du calme de la nature, du silence, c’est tout le contraire. Pour quelques gouttes d’attention on est récompensés en ruisseaux de musiques. Ceux qui s’en privent n’ont rien compris au luxe, au calme et à la volupté.

Il prend des notes sur son téléphone, nouveau document avec la localisation précise et la date du jour. Dans la montée un peu raide sur l’arête de gauche, le chemin s’abime à chaque orage, transformé en rigole. Les promeneurs détériorent les abords en évitant les ornières et en multipliant les sentiers alternatifs. Même si aujourd’hui il ne rencontre personne à cause de la météo peu favorable à la randonnée, il sait que l’endroit est très fréquenté pendant les deux mois d’été. La colonie de choucas se porte bien, il fera un comptage en descendant. Les moutons remplissent parfaitement leur fonction d’entretien. Herbe mi-haute, pas de ronces, peu de vératres, beaucoup moins avec les moutons qu’avec les vaches.
Refuge fermé, téléphérique à l’arrêt, la flore va pouvoir se régénérer au calme cet été. Il trouve un endroit dégagé, sort son calepin et son livre d’identification, et les jumelles pour passer au volet ornithologique. Ensuite, il redescendra avant la pluie.
Technique gestionnaire sentier.

Trouver l’endroit n’a pas été compliqué : j’en revenais quand il a fallu choisir. Par contre changer de lunettes pour le décrire a été plus délicat. L’usage des filtres en photographie m’y a aidé, restait juste à transformer le petit bout de verre en un état d’esprit. Évidemment, de tous ces états d’esprit du narrateur, l’un a ma préférence. J’espère avoir quand même réussi à donner suffisamment aux autres…

8. Dans le décor


1

Des plaques de métal épais calfeutrent les portes et les fenêtres du refuge. Volets rouges, herbe verte, cailloux clairs tachés de lichen, moutons blancs et sales, oiseaux petits et grands, taiseux ou volubiles. Bâtiment trapu, sans auvent, sans extension, sans rien qui puisse être arraché du sommet de la falaise où l’homme a décidé de s’imposer. Câbles et poutres en métal, un ancien téléphérique permettait d’éviter la montée en lacets, pour gagner du temps et de la fatigue, sûrement. Pour ne pas déranger les choucas qui nichent au-dessus du sentier ? moins sûrement… Les nuages ont mangé la ville, le lac et le reste du monde, sur le replat entre les deux falaises, celle de dessous et celle de dessus, juste la tente, ouverte, derrière le bâtiment, fermé.

Le zip de la tente forme une arche. Facile à ouvrir en partant du bas mais passé le sommet, il faut les deux mains pour assurer la descente. À l’intérieur un matelas gonflable orange, un sac de couchage froissé sombre, lampe frontale, veste, un livre de poche effeuillé, écorné, élimé et accompagné d’un carnet de notes et d’un bout de crayon. Bouteille d’eau cabossée et c’est tout, les chaussures resteront dehors, le sac à dos aussi, juste abrité par le double toit. Ça sent la transpiration, l’humide de l’averse de la veille et le fromage de midi. La lumière est bleuie par la toile de tente, elle en fait un intérieur.

2

Quand il est échoué sur ses béquilles, le bateau a la coque rayée. En bas, peinture anti-algues, ensuite, du rouge et plus haut, blanc pour que ça aille avec le blanc de tout ce qui dépasse sur le pont, ou presque. Pour la forme, c’est compact : trapèze pour la coque, cube pour la cabine et deux mats qui pointent vers l’arrière pour le treuil du chalut. Sur le pont, juste de quoi travailler : mettre à l’eau le filet, le remonter, trier le poisson, nettoyer, réparer et assurer les manœuvres de port. Parfois quand il fait beau on y est pour profiter. Un peu. Allongés sur la ferraille du pont peinte en vert foncé pour voir les étoiles et s’échanger leurs noms ou appuyés sur la rambarde, pour regarder la terre qui s’éloigne, se rapproche ou disparait. Souvent, pour regarder la mer, les vagues qui montent et puis descendent.

Dans la cabine il fait chaud, et sec. Quand on rentre on enlève les bottes, le ciré, les gants, le bonnet et un des deux pulls au moins. Le porte-manteau a cédé plusieurs fois, revissé plus haut à chaque fois. Ça sent le poisson, le café, les bottes mal séchées et c’est éclairé par les écrans. Des écrans, mais c’est pas la Nasa pour autant. C’est calé avec de la chambre à air, recollé avec du scotch, les câbles font des nœuds, les vis dépassent des caisses en contreplaqué ou est niché le matériel. Taches de café, cahier sans forme couvert de dessins, de noms et de chiffres, la météo du jour gribouillée en abrégé, miettes, assiette sale dans un coin. Fred est dans son siège qui tourne, vissé au plancher. En chaussettes. Parfois il somnole, mais jamais vraiment, réveillé par un grincement ou la moindre vague prise de travers. Quand on est en mer, il vit dans la cabine comme un poisson dans son bocal.

3

À l’extérieur, il vit sur son chantier. Sa camionnette est garée juste devant la porte avec la galerie sur le toit, l’échelle, et sur les côtés, le nom de la boite, adresse, téléphone, charpente, rénovation. Pas besoin de plus, les gens n’ont pas le temps de lire. Un tas de planches attend sous une bâche, comme une remorque remplie de gravats, par contre, les morceaux du vieux pressoir à pommes démonté dans une grange sont bien au sec sous un auvent. L’encadrement de la fenêtre est en béton, ça tranche sur l’enduit jaune des murs qui a beaucoup pâlit depuis sa jeunesse. Mais il finira bientôt, après le prochain chantier. Il l’a promis à ses filles qui vivent avec leur mère.

À l’intérieur, il vit dans son chantier. Scie circulaire, ponceuse, défonceuse, les caisses s’empilent dans l’entrée, à l’abri de la pluie, prêtes à repartir, demain matin. Cartons par terre pour protéger le plancher posé l’an dernier pendant les vacances. Sur les murs, le placo vert avec les raccords blancs, des calculs, des flèches pour penser à faire passer les câbles électriques, à poser des prises. Le poêle marche doucement, un tas de buches est posé à côté, une grosse boite d’allumettes, une moitié de cageot pour faire du petit bois, une boite à œuf pour allumer. Cuisine et salle de bain, tout marche mais rien n’est terminé, fixé, scellé. Il dort dans le canapé, devant le poêle. Mais il finira bientôt, après le prochain chantier. Il l’a promis à ses filles qui vivent avec leur mère.

4

La vue et la lumière. Pardon, les lumières, pluriel obligé quand il y en a dix, cent par minute au gré du vent et des nuages. C’est pour elles qu’il est là. Le van est garé sur une hauteur, fin octobre, pas grand monde ne passe sur la petite route en « single track » qui va de distillerie en distillerie. En face, Jura, ses Paps, deux montagnes en miroir qui se regardent, la tête dans les nuages. La maison de Georges Orwell est derrière, on ne la voit pas mais on la pressent. Tout comme les cerfs cachés dans bois. Entre les deux îles, le sound of Islay, avec des marmites de courant et des vaguelettes hargneuses, frustrées de ne pas pouvoir grossir comme les vagues du large, coincées qu’elles sont entre les deux îles. Plus bas dans les bruyères, il y a l’arbre tout seul qui lui sert de premier plan depuis deux jours. Le trépied est installé devant la porte, il n’a plus qu’à y poser l’appareil photo quand la lumière lui plait. Les couleurs sont à l’automne. C’est beau.

En-dessous de la crasse, de la boue et des coulures de pluie dans la poussière de la route, le van est blanc. La porte du côté droit coulisse, c’est par là qu’il rentre et sort, sauf pour conduire. En entrant, en face, la cuisine. Deux feux, un bac en plastique avec de la vaisselle sale et même un robinet avec une pompe électrique. Le luxe… quand on a pensé à remplir le réservoir. Sur la tablette d’à côté, brosse à dent, dentifrice sans bouchon, un morceau de serviette et un bout de savon. À gauche le siège est rabattu en position lit. Comme il est tout seul, il le laisse toujours comme ça. Le duvet est tassé dans le fond, pour dormir il devra pousser les chargeurs, les deux trépieds, les flashes, des câbles, le gros sac avec les objectifs, et l’ordinateur portable pour développer les images. Pas les fignoler, l’écran est trop petit, mais au moins faire le plus gros du boulot : le tri, et un petit traitement de base, celui qui fait son style, sa signature. Dans la journée il fait tout sur le lit, en caleçon et chaussettes. Par terre, des bottes et de grosses chaussures de randonnée essayent de sécher, une veste, un pantalon, un pull et d’autres vêtement non reconnaissables jetés en boule un peu partout. Bouteilles d’eau, paquets de gâteaux, emballages de fish’n chips, barquettes de nourriture à emporter. Le van est une tanière à roulettes. Il rangera plus tard, quand le temps sera pourri : quand il y aura du ciel bleu.

J’ai peut-être trop tourné du côté de Conrad, Stevenson et du Victor Hugo des Travailleurs de la mer. Ou alors j’ai trop fréquenté de photographes de nature ou c’est parce que j’habite dans la montagne mais quand on me dit « paysages », ceux qui me viennent en tête sont rarement urbains. La nature m’est plus familière que la ville, alors quitte à choisir j’ai poussé encore vers la solitude, je me suis concentrée sur des lieux nomades, temporaires ou en devenir… Envie de vacances peut-être...

7. La main


Il s’évanouit. Anéanti par le vide, par sa main qui n’était plus au bout de son bras, par cette absence qui se grava en lui bien avant que la douleur ne s’installe. Entre la lisse et le support du treuil, doucement, comme au ralenti, Dédé, l’autre matelot, le vit disparaitre. De retour au port, pendant que des collègues prévenus par la capitainerie aidaient à amarrer, les pompiers montèrent les premiers à bord pour venir s’occuper du blessé. Et pendant que deux d’entre eux déballaient leur matériel dans le carré, le troisième commença à poser des questions. Ce matin, à la fin du premier trait de chalut, quand Fred appelle, je sors avec Blaise sur le pont arrière. Fred, c’est le capitaine. Comme d’habitude, on prépare tout pour remonter le filet, les bacs à poisson, je nettoie la table pour le tri et Blaise s’occupe du treuil. Quasiment pas de mer, juste quelques petites vagues, temps nuageux, mais seulement des cumulus isolés, rien de violent ni d’agressif comme la tempête de la semaine dernière. Je n’entends pas bien à cause du moteur, des oiseaux qui nous suivent et qui font un vacarme pas possible. Quand on doit se parler, on crie, mais ça, c’est toujours pareil. Tout se passe normalement, on bosse tous les deux comme d’habitude jusqu’à ce que j’entende un grincement bizarre, puis ce bruit sec de câble qui se tend comme une note de guitare basse qui s’étire et quand je me retourne je vois Blaise tomber. Sans sa main. Une fois dans le carré, il reprit connaissance. Fred et Dédé lui tinrent le bras en l’air tout en essayant de faire un semblant de pansement du mieux possible avec ce qu’ils trouvèrent dans la trousse de secours, en suivant les conseils du médecin du CROSS qui crachotait dans la radio sur haut-parleur, volume à fond. Ils larguèrent le chalut pour pouvoir filer le plus vite possible vers le port le plus proche où ils rencontrèrent les pompiers qui attendaient sur la cale avec la sirène et le brancard. Sur le coup, je gueule comme un fou pour que Fred vienne m’aider, qu’on stoppe tout pour s’occuper de Blaise. Pour arrêter le treuil, je mets un grand coup de botte dans le bouton d’urgence et une fois que Fred est là, je cherche partout pour retrouver la main. C’est coupé net, ça ne saigne presque pas, je pense qu’on va pouvoir lui remettre, le recoudre, je sais pas moi, je suis pas médecin, mais un gars sans main, c’est pas possible ça, un gars sans main. Et surtout pas Blaise, pas lui, il faisait les plus belles épissures que j’ai jamais vues, il dessinait des oiseaux… Alors je cherche partout, dans tous les coins du pont même où c’est pas possible, mais on sait jamais si le câble l’a envoyée d’un autre côté, alors je cherche, je retourne tout. Tout. Et je trouve rien. Rien. Elle est sûrement tombée à l’eau, sa main. J’ai rien trouvé. Pourtant j’ai vraiment cherché, vous savez. Ensuite Fred se met à gueuler pour que je vienne l’aider pour emmener Blaise dans la cabine et appeler les secours. On le porte sans le secouer et ensuite le médecin nous guide pour faire un pansement, pour l’installer, pour vérifier s’il va bien, à cause du choc, tout ça. Mais vous savez mieux que moi. Voila. Ça s’est passé comme ça. Ce jour-là, fût son dernier jour de mer. Il débarquât sur une civière. Couché, sanglé, porté, emporté, il ne pût même pas se retourner pour saluer la « Fleur des Ondes » une dernière fois. De toutes façons, saluer sans main ? À bord, il serait désormais inutile. Alors que les pompiers chargeaient la civière dans le fourgon, une goutte d’eau salée s’arrêta au coin de son œil, roula sur la civière avant d’avoir pu rejoindre toutes les autres larmes de l’eau de mer.

Encore sous l’effet du zoom, je me lance… C’est un test, un essai de texte en continu, sans l’aide de la mise en page ou de la typographie pour signaler les changements de narrateur ou les monologues, juste le temps du récit et le pronom « il » dans un cas et le prénom « Blaise », dans l’autre. En espérant que la différence passé simple/présent sera suffisamment forte pour que le texte reste compréhensible. Parfois, il m’arrive de m’extasier, quand je trouve que la conjugaison fait drôlement bien les choses et ensuite, je trouve ça quand même bien confus… En résumé, j’ai du mal à me faire une idée… Dites-moi… et d’avance merci pour vos commentaires !

6. sinon ce serait trop facile


James Deville habite à la campagne et ne parle pas anglais. Sinon ce serait trop facile.

Ben est un surnom. Un diminutif. C’est pratique parce qu’on pense d’abord à un prénom courant, Benjamin, Benoit, Benito, Benali… Mais lui c’est Benedict. Sa mère a voulu lui donner un prénom anglais parce que son père était anglais. Enfin, il est peut-être toujours anglais, mais ni Ben, ni sa mère n’en savent rien. Pourtant, elle est toujours persuadée qu’un jour il reviendra, que c’est juste un malentendu et qu’il va reprendre dans leur vie une place qu’il n’a jamais eue, un rôle qu’il n’a jamais joué. Elle n’a jamais déménagé, jamais changé de numéro de téléphone ni d’adresse mail, parce qu’elle garde confiance. Et espoir. Benedict, lui, n’a jamais aimé son prénom. Benedict, ça fait Oxford, tasse de thé, uniforme avec la cravate à lignes et le pantalon qui gratte, études sans fin dans un vieux bâtiment en pierres froides, fantômes et brasseurs de vide, précieux, pédants et ridicules. Dès qu’il a eu dix-huit ans il est parti de la maison, s’est fait tatouer des symboles maoris sur les bras et les mollets, a décidé de devenir artiste et de ne pas être riche. Pour le dernier point, ça n’a pas été trop difficile. Et il continue à respecter sa résolution à la lettre. Il ne boit pas de thé non plus, jamais, et c’est non négociable. Pour la bière, aucun scrupule : c’est universel, et pour la langue anglaise, même chose, c’est universellement parlé, alors… Ben a des principes, mais il n’est pas borné pour autant !

Jeanne pourrait être un personnage de dessin animé, celui qui pose les rails au fur et à mesure devant les roues de la locomotive lancée à pleine vitesse. C’est une héroïne, la déesse de l’audace et de la ténacité. Il faut toujours qu’elle soit à la hauteur de son homonyme, Jeanne Barret, assistant(e) de Philibert Commerson sur le tour du monde de Bougainville.

Mes personnages n’ont souvent qu’un prénom, solution de facilité… Pour les trouver tout est bon, noms de rues, articles de journaux, noms de gens connus dont la vie se rapproche, avec un point commun ou au contraire à l’opposé de ce que va vivre le personnage… Les statistiques sur internet aident aussi. Ils changent parfois de nom au cours de l’histoire. Certains ont commencé leur vie avec un numéro ou une lettre de l’alphabet grec, comme les variables mathématiques, mais c’est réservé aux personnages secondaires.

Et puis il y a les cas particuliers, comme Jeanne, prénom de la petite fille d’une amie qui n’a vécu que dix jours. À Jeanne, je confie toujours les vrais combats, ceux qu’il fait bon gagner.

4. séance photo ou shooting, 2


L’appareil est sur son trépied, tout est réglé, tout est prêt, il est serein, celle-là sera la bonne. Il y a longtemps qu’il a repéré ce coin, mais la météo n’avait encore jamais voulu jouer le jeu. Aujourd’hui tout va bien. Il est arrivé en avance pour avoir le temps de s’installer, de reculer, de se déplacer un peu à gauche, d’avoir la petite maison presque centrée et la montagne sur la gauche. À droite il y a la colline qui monte en pente douce pour servir d’édredon au soleil qui va s’endormir, la rivière qui ondule et en premier plan, l’eau, la tourbière tranquille qui laisse sortir quelques herbes inclinées vers leur reflet. Pas de vent, pas de vagues, rien pour troubler la réflexion. Les nuages sont bien là sur la gauche, clairs, rondouillards jusqu’à en devenir débonnaires. Les midges ne vont pas tarder à arriver, mais là aussi, tout a été anticipé, il a déjà le chapeau avec le filet protecteur qui lui caresse la joue. Le soleil descend sur l’horizon, il étend les ombres, les allonge, va bientôt les laisser se reposer. Les couleurs deviennent plus chaudes, jaune, oranger, rouge, il utilise la télécommande pour ne pas risquer de faire bouger l’appareil. La pause sera longue, il devrait même pouvoir boire quelques gorgées de thé à la bergamote, le temps pour tous les détails de se déposer doucement dans le fichier.

L’appareil est enfin calé sur son trépied. Ça devrait tenir, cette fois. Un pied qui s’enfonce, la rotule grippée, ça coince, ça craque, ça tombe. Il y a longtemps qu’il a repéré ce coin, mais à chaque fois la météo était horrible. Pluie, brouillard ou grand ciel bleu, vide, sans aucun intérêt. Là, ça va. Pourvu que ça tienne. Il est arrivé en catastrophe, une chaussure remplie d’eau. Pas possible, il y a de la flotte partout dans ce pays ! Et maintenant, le pied qui commence à geler à force de ne pas pouvoir bouger en attendant que la lumière se décide enfin. Le cadrage, ça va à peu près, il faut juste que les gros nuages d’orage tiennent leur gauche pendant toute la prise de vue. La rivière brille comme une lame un peu sur la droite, ça accroche l’œil. De temps en temps le vent se calme. Bien pour l’image, l’eau au premier plan arrête de s’agiter. Mais du coup les midges passent à l’offensive. Sales bêtes. De quoi devenir dingue à les entendre attaquer en piquet, malgré le filet censé lui protéger le visage. En plus il a faim, pas eu le temps de manger avant de partir. Heureusement, ça commence. Le soleil met le feu à tout ça pour bien montrer qui est le patron. Le jaune et l’orange écrasent toutes les autres couleurs. La lumière aveugle et l’arrondi du soleil fait penser à un champignon atomique ou à ces whiskys bon marchés, remplis d’alcool et vides de goût. Cette fois, il tient le titre de la photo avant même de déclencher : apocalypse…

J’ai attrapé au vol le mot « attente » dans la vidéo de François pour me trouver un thème, voici donc deux façons d’attendre la bonne lumière pour un photographe.

Ensuite douceur et rudesse, ça a été plus compliqué… Je ne m’étais jamais posé vraiment la question de la tonalité du texte, encore moins des moyens pour la faire apparaitre. Jusqu’à maintenant, ça venait « tout seul « … pas simple de savoir sur quel levier jouer pour donner telle ou telle tonalité ! J’ai donc essayé tous les outils qui pouvaient me tomber sous la main : le rythme des phrases, plus hachées, plus courtes, plus rapides pour la rudesse. Mais on peut aussi peindre des tableaux très doux avec de petites touches, des points, des taches… Ensuite le vocabulaire, les mots, leur sens dans le dictionnaire, leur connotation, ce à quoi ils peuvent se rattacher (shooting pour les armes), une utilisation célèbre dans un autre contexte (coucher de soleil romantique…). Les sonorités également, pour le niveau de langue : j’ai hésité, un peu moins soutenu pour la rudesse, mais sans aller trop loin non plus. Super exercice, même si j’ai l’impression d’avoir à peine effleuré l’emballage de cette vaste question…

4. séance photo ou shooting


version 1

L’appareil est sur son trépied, tout est réglé, prêt, il est serein, celle-là sera la bonne. Il y a longtemps qu’il a repéré ce coin, mais la météo n’avait encore jamais voulu jouer le jeu. Aujourd’hui tout va bien. Il est arrivé en avance pour avoir le temps de s’installer, de reculer, de se déplacer un peu à gauche, d’avoir la petite maison presque centrée et la montagne sur la gauche. À droite il y a la colline qui monte en pente douce, la rivière qui ondule et en premier plan, l’eau, la tourbière tranquille qui laisse sortir quelques herbes cambrées vers leur reflet dans l’eau. Pas de vent, pas de vagues, rien pour troubler la réflexion. Les nuages sont bien là sur la gauche, gris clairs, rondouillards jusqu’à en devenir débonnaires. Les midges ne vont pas tarder à arriver, mais là aussi, tout a été anticipé, il a déjà le chapeau avec le filet qui lui caresse la joue. Le soleil descend sur l’horizon, il étend les ombres, les allonge, va bientôt les laisser se reposer. Les couleurs deviennent plus chaudes, jaune, oranger, rouge, il utilise la télécommande pour ne pas risquer de faire bouger l’appareil. La pause sera longue, il devrait même pouvoir boire un peu de thé, le temps pour tous les détails de se déposer dans le fichier.

version 2

L’appareil est enfin calé sur son trépied. Ça devrait tenir, cette fois. Un pied qui s’enfonce, la rotule grippée, tout serait foutu. Il y a longtemps qu’il a repéré ce coin, mais à chaque fois la météo était horrible. Pluie, brouillard ou grand ciel bleu sans aucun intérêt. Là, ça va. Pourvu que ça tienne. Il est arrivé en catastrophe, une chaussure remplie d’eau, pas possible, il y a de la flotte partout dans ce pays ! Et maintenant, le pied qui commence à geler à ne pas pouvoir bouger en attendant que la lumière se décide enfin. Le cadrage, ça va à peu près, il faut juste que les gros nuages d’orage tiennent leur gauche pendant toute la prise de vue. De temps en temps le vent se calme. Bien pour l’image, mais du coup les midges attaquent, sales bêtes, de quoi devenir fou à les entendre attaquer en piquet malgré le filet qui essaye de lui protéger le visage. En plus il a faim, pas eu le temps de manger avant de partir. Heureusement, ça commence. Le soleil met le feu à tout ça pour bien montrer qui est le patron. Le jaune et l’orange écrasent toutes les autres couleurs. La lumière l’aveugle et l’arrondi du soleil le fait penser à un champignon atomique ou à ces whiskys bon marchés, remplis d’alcool et vides de goût. Cette fois, il tient le titre de la photo avant même de déclencher : apocalypse…

J’ai attrapé au vol le mot « attente » dans la vidéo de François, voici donc deux façons d’attendre la bonne lumière pour un photographe. J’ai essayé de jouer sur le rythme des phrases et le vocabulaire, reste à peaufiner …

3. la grande pêche


court...

Delphine n’est pas montée sur la passerelle pour le départ. Pour dire au revoir à qui ? Elle s’est installée tranquillement à la machine, au chaud. Le départ, ça sollicite les moteurs, les commandes et toutes les pièces mécaniques qui n’ont pas tourné pour de bon depuis plus de deux mois. Pour le moment tout est propre et pas trop mal rangé, elle en profite. Quitter Saint-Malo, elle l’a déjà fait tant de fois et sur toutes sortes de bateaux, pas besoin de rester sous la pluie pour savoir comment ça se passe. Elle aura bien le temps d’être trempée et de se geler quand il faudra vraiment qu’elle soit sur le pont ou sur la passerelle, quand ils seront sur zone, en mer de Norvège. Pour cette nuit, ils vont quitter le quai de Terre-Neuve et les bureaux de la Comapèche, demi-tour dans le bassin avec les mains qui s’agiteront encore un peu et l’équipage qui courra d’un bord à l’autre, passage du pont à bascule avec les voitures arrêtées qui nous éblouiront avec leurs phares, coup d’œil aux remparts et pensée pour les soirées entre copains dans les ruelles de la vieille ville en traversant le bassin Vauban tout doucement pendant que les feux de l’écluse passeront au vert. Le sas, ce sera le moment pour les retardataires de monter ou de descendre en catastrophe, avec les doigts qui essayeront de garder le goût de l’autre main le plus longtemps possible… À ce moment-là, Delphine regardera ailleurs.

... et long

L’ambiance est au film noir. Imperméables, reflets dans les flaques d’eau irisées de gasoil et cigarettes dont la fumée s’oublie une fois passée la digue du chapeau mou. La date du départ est toujours fixée à l’avance. Qu’importe pour l’armateur les horaires de marées et ceux des écluses qui font lever les enfants au milieu de la nuit pour aller dire au revoir à papa. En plus aujourd’hui, il pleut. Une pluie de Saint-Malo en automne, une petite pluie fine et humide qui s’insinue et finirait par diluer tout, absolument tout jusqu’aux bonnes résolutions. Pourtant, elles sont toutes là sur le quai. Épouses, sœurs, mères, copines, avec les mains dans les poches ou sur le manche du parapluie, les poussettes ou toujours cet œil attentif quand un petit pied intrépide s’approche trop de l’eau noire du bassin. À bord il y a les hommes, avec cigarettes mais plutôt bonnet que chapeau mou. Finalement, c’est pratique la pluie, ça permet de masquer si nécessaire, les émotions qui débordent au coin des yeux. Les amarres sont larguées, ravalées par le bateau qui redevient un monde à lui, détaché de la terre. Dédé, La Dose, Trois-tours, le Gamin, ils sont tous sur le pont à se remplir d’une silhouette vague dans un grand manteau et sous un parapluie, en trouvant que le froid, ça pique drôlement les yeux cette nuit… Delphine, elle, est restée en bas, à la machine. Il fait chaud, c’est presque rangé, à part cette fuite sur le circuit de refroidissement réparée en catastrophe dans l’après-midi et qui a laissé quelques outils sur l’établi et une poubelle remplie de chiffons sales. Cric, son second a laissé sa veste au porte-manteau avec son vrai nom, Christophe, écrit bien propre au marqueur sur le col. Delphine n’a pas besoin d’être dehors pour savoir comment ça se passe, la sortie du port. Plus personne à qui dire au revoir et comme ça, elle n’aura pas à saluer le représentant de l’armateur avec qui elle s’est encore accrochée hier sur les tonnages et les horaires d’astreinte. Quitté le quai de Terre-Neuve, ils feront demi-tour dans le bassin avec encore quelques gamins qui courront sur le quai en agitant la main, passage du pont à bascule avec les voitures arrêtées et les conducteurs excédés par l’attente avant qu’elle ne commence, et ils seront dans le bassin Vauban. Une gorgée de café tiède en pensant à tous ceux qu’elle a bu à la capitainerie ou dans des verres au goût salé sur son bateau à elle, quand il fallait se lever le lundi matin pour aller en cours à l’école de la Marine Marchande, la course dans les escaliers de la vieille ville et quand même un petit coup d’œil à la mer et au grand Bé de Chateaubriand avant de rentrer dans le bâtiment en laissant la porte se refermer en claquant derrière elle. Cette nuit, la Grande Hermine traversera le bassin à petite vitesse, en attendant que les trois feux rouges de l’écluse basculent au vert. Ils prendront le premier sas, celui de 3h14. À ce moment-là quand même, il faudra bien qu’elle passe la tête dehors, pour vérifier que l’amarrage se passe bien et que tout est prêt pour sortir par le chenal qui passe si près du phare du Grand Jardin. Dans l’écluse il y aura toujours les retardataires qui quitteront le bateau ou qui embarqueront, les clés de voiture emmenées par erreur lancées du pont au quai et la cartouche de cigarettes qui fait le trajet inverse. Il y a toujours des mains qui se caressent puis s’agrippent le plus longtemps possible. À ce moment-là, Delphine regardera ailleurs.

Quitter la ville, … pour moi c’est le mot « quitter » qui a raisonné le plus fort. Ici en l’occurrence, à partir d’une photo, j’ai pensé à une amie marin(e ?) qui a travaillé sur les bateaux de grande pêche (navire-usines qui pêchent la morue, avant au large de saint-Pierre et Miquelon, maintenant en mer de Norvège). Aussi pour ne pas oublier, l’été à la plage, que certains vont à la mer comme d’autres vont au cimetière (ça c’est pour la suite éventuelle de l’histoire …). Évolution après le Zoom du vendredi 3 juillet : j’ai mis plus de « ville » dans mon « quitter », et quelques petites allusions à la suite, parce que c’est vrai, j’y ai aussi pensé avant d’écrire : mettre en place une situation où on sent la bascule possible… Du coup, ça fait peut-être un peu plus fouillis… Pour la question de la différence entre roman et nouvelle, j’ai beaucoup cherché et j’ai décidé de mettre l’accent sur le nombre de personnages : dans ma tête il y en aura davantage dans un roman… Il fallait bien avancer, alors je me suis raccrochée aux chiffres. Je pense que cette question de différence entre roman et nouvelle va me rester dans la tête un bon moment…

2. poules, renard, vipère


Du dehors, c’est une histoire de jalousie, une histoire de cours de récré. Un truc de gamins. Poules, renards, vipères. Pour jouer il faut trois équipes, les renards attrapent les poules, les poules attrapent les vipères et les vipères attrapent les renards. Le jeu s’arrête à l’extinction de l’une des trois espèces. C’est un jeu d’enfants.

Dans l’histoire des deux frères, il faut ajouter quelques subtilités dans la distribution des rôles. Le cadet élevait des poules. Pour les œufs, pour la chair et pour l’esthétique. Tandis que l’ainé, lui, qui avait hérité des meilleures terres, ne cultivait pas grand-chose d’autre que son talent pour la chasse et une grande connaissance des animaux de la forêt, en particulier le renard. Leurs deux fermes abritaient les deux morceaux de cette famille séparés d’à peine une dizaine d’années et de quelques centaines de mètres. Juste un peu plus que la portée du fusil du grand-père. À côté les champs et au-dessus la forêt, loin, le village. Les poules pondaient et prospéraient, si bien que le cadet pu bientôt se marier avec une Euzébie qui avait la critique facile, systématique et assassine : une vraie langue de vipère… Un jour, le plus beau coq n’est pas rentré dormir sur sa barre. Un vrai Marans pure race, sorti d’un œuf chocolat des plus foncés, cou cuivré, plumes de soirée avec des reflets verts, une queue courte avec de fines plumes qui retombent en pluie d’un noir brillant après un arrondi parfait, la crête fière… Une bête de concours qui aurait pu gagner de nombreux prix dans les foires et les comices agricoles. Ce jour-là, tout le village a accusé le renard. Mais pas la femme du cadet, qui entre insinuations et commérages, a fini par semer le doute dans plus d’une oreille, chuchotant en regardant ailleurs que le renard avait bon dos, que le poulailler était pourtant bien fermé ce soir-là, pas de trous dans la clôture, rien, aucun bruit de leur côté. Mais pas de lumière chez son beau-frère malgré l’heure tardive, il était encore à traîner dans les bois comme il le fait souvent. D’ailleurs, le renard, lui, ça le connait… Finalement, du renard ou du beau-frère, on a jamais bien su, du coq, on n’a jamais retrouvé une plume, mais pour sûr c’est bien là que la brouille a commencé entre les deux branches de la même famille… Une bien sombre histoire !

J’ai suivi les conseils de François : on reste dans le petit, une brouille entre voisins… Pas difficile à trouver par ici, puisque les coups de fusils entre voisins et parents, ce n’est pas une invention… Et puis entre poules et renards, j’ai rajouté le côté gamin du jeu, qui a ça de commun avec notre exercice qu’il semble aussi futile du dehors, que sombre et tragique du dedans.

1. ça coûte rien d’essayer


La mairie du village sert aussi de bureau de poste. Royaume du formulaire et de la paperasse. Ici notre vie rentre tout entière dans de petites cases à cocher ou à remplir en lettres capitales. La secrétaire à l’accueil vient juste d’ouvrir la porte, la première personne ne vient pas pour discuter, sa voiture est arrêtée mais pas garée, le moteur tourne. Dans sa tête il y a déjà le reste de la journée, la liste bien trop longue de tout ce qu’il y a à faire, il anticipe déjà ce qui sera en retard, fait en parallèle la liste des sacrifices à faire sur l’autel des 24 heures. Mais il prend quand même le temps de s’arrêter à la mairie pour signaler ce qui le gêne suffisamment pour qu’il décide de rajouter une ligne dans sa liste de choses à faire. Deux grosses mains se posent sur le comptoir, il manque un doigt de la droite, ceux qui restent sont épais, les ongles coupés très courts, coupures, griffes, peau épaisse en cuirasse avec une vilaine blessure qui est là, entre le pouce et le poignet depuis longtemps, qui s’est installée. Dehors la peau est tannée, une limite rose en épiderme de bébé tout neuf protège une croute grisâtre et usée qui rappelle l’arbre plus que l’humain. Dans sa tête le premier point, celui du dessus, celui qui l’a amené à la mairie, il faut qu’il le dise, plutôt qu’il le signale, parce que c’est pas normal, ça perturbe son paysage, la routine de son paysage, ses lois. Il y a un chevreuil mort dans le fossé en bas de son chemin, sur la route départementale. Un cadavre, une charogne qui pue, qui agresse ses narines, le fait penser à la mort. Vaguement, inconsciemment, mais quand même. La mort de ses parents c’était il y a quelques années, eux aussi ne bougeaient plus, au bord d’une route départementale. Peut-être que ça le fait penser à sa propre mort à lui. Alors cette odeur qui sera la sienne quand il sera mort, il ne veut pas y penser. Mort, décès, trépas, ces mots ils les connait mais ils ne sont pas siens, il a toujours du mal à les utiliser, il faut qu’il les entoure, qu’il les enrobe, pour éviter leur piqure comme il mets des gants pour ramasser les ronces. D’ailleurs il n’y pense pas, mais signaler ce corps qui ne bougera plus au bord de la route, c’était quand même la première chose à faire ce matin. La secrétaire dit merci, elle note l’endroit sur un papier, dit qu’elle va demander aux services techniques de faire le nécessaire. Les services techniques viendront enlever la mort de ce coin de la départementale et de ce coin de tête trop rempli de choses à faire de l’homme aux neuf doigts qui sera, un moment encore, débarrassé par les services techniques de la commune, de la pensée de la mort. La mort des autres, et la sienne. Moment de répit pour la secrétaire de mairie qui en profite pour envoyer cette lettre qui aurait dû partir hier au sujet d’un permis de construire dont la pente du toit est non conforme. Les angles pour les toits c’est pas seulement pour faire beau, il faut que les gens comprennent, c’est aussi pour la neige, pour éviter que le ciel leur tombe sur la tête. Que le ciel leur tombe sur la tête, Astérix, c’est ça, elle a trouvé, elle va acheter un Astérix à son petit neveu pour son anniversaire, il a l’âge de pouvoir lire tout seul et Astérix, elle adorait ça quand elle était petite. En plus, pas trop de danger qu’il ne l’ai déjà, il ne lit que des mangas. Mais les mangas, elle n’y connait rien, et puis c’est aussi des dessins avec des histoires, ça ira sûrement. Et surtout c’est un classique, c’est de la culture, Astérix. Elle est soulagée, ses pensées sont allégées d’un souci, une question de moins, une réponse de plus. Il ne restera plus qu’à passer à la librairie, en allant au marché jeudi prochain, c’est son jour de congé. Pas le temps de finir sa lettre pour le permis de construire, une dame vient pour la poste. Un paquet. Du fromage à son petit-fils qui fait ses études en ville, à Lyon. Elle a pris de la tome, parce que ça se garde mieux, même si elle sait bien que son fromage préféré, c’est le beaufort, mais elle a peur qu’il n’arrive pas en état, ce serait dommage, et puis elle aime pas gâcher, le gaspillage, c’est quelque chose qui la mets mal à l’aise, elle ne comprends pas qu’on puisse se comporter comme ça. Encore quelque chose qu’elle ne comprends pas, comme son petit-fils d’ailleurs. Quand il était petit, elle s’est beaucoup occupée de lui, il venait aux vaches avec elle, donnait un petit coup de main dans le jardin ou l’accompagnait dans ses promenades, essayait de retenir le nom des plantes. Et puis il s’est éloigné, les visites étaient plus courtes, il s’occupait tout seul quand il venait, entre papier et écran, mais plus dans la nature du dehors, celle qu’elle aime, la seule qu’elle connait. Son savoir à elle est dans ses mains, dans son nez, dans ses oreilles et dans ses pieds. Lui son savoir est dans sa tête. Elle ne sait pas s’ils vont encore se comprendre, ils manquent de choses en commun. Il n’y a plus de coups de téléphone, juste pour son anniversaire et encore cette année, juste un message, même pas sa voix. Quand ils se parlent, elle a toujours l’impression qu’il choisit ses mots avec trop d’attention, qu’il entrebâille sa porte mais qu’il ne l’ouvre plus toute grande comme quand il était petit au temps des fous-rires, des pêches qui dégoulinent dans les manches, des cerises qui vont par paire et qu’on se pose sur les oreilles, des jeux tout simples, des câlins et des bisous qui réparent les piqures d’orties. Mais pas question de le perdre, son petit-fils, ça non. Il lui manque les mots pour lui expliquer, elle regrette l’école, il y a sûrement des mots qui pourraient lui expliquer qu’elle l’aime, même si lui n’aime plus sa nature à elle, sa vie à elle, dans son village perdu. Alors elle envoie du fromage à Lyon. Pour entretenir le fils qui les relie encore un peu. Après, elle ira à la bibliothèque, c’est ouvert le jeudi après-midi. Dans les livres, elle trouvera sûrement les mots. Ça coûte rien d’essayer…

Marche d’approche, à la montagne on connait, mais pas tout à fait comme ça… Des personnages… Rentrer dans leur tête … Oui, mais, ici, pas si simple d’approcher des humains, personnages potentiels, encore moins de savoir ce qu’ils ont dans la tête ! Dans le village, un des endroits stratégiques et le seul commerce, c’est le café- épicerie, mais tout le monde n’y va pas. Par contre, tout le monde passe régulièrement à la mairie qui fait aussi bureau de poste. On y va pour tout, et souvent. Pour une coupure d’eau, pour mettre ses piles usées dans le container de recyclage, pour un arbre tombé sur la route, signer la convention sur le déneigement, couper la route pour monter les vaches, ou les descendre, inscrire les enfants à l’école et les ados au transport scolaire, louer la salle des fêtes pour les 70 ans de la grand-mère, acheter des timbres, déposer un permis de construire, se renseigner pour le marché du vendredi, se plaindre du voisin qui épands son lisier trop près de la source ou sur la neige, venir proposer un projet de cabanes dans les arbres, demander une campagne d’abattage des blaireaux qui mangent les fraises du jardin, refaire une carte d’identité, ou simplement aller discuter un moment quand on voit que la voiture du maire est garée devant.

J’habite dans un endroit où la culture est surtout physique, ou la nature commande, décide et s’insinue partout dans la vie des gens. La place des mots n’est souvent pas bien grande, encore moins quand ils sont écrits, mais ils ont une épaisseur que je découvre, qui me plait et que j’apprécie de plus en plus chez ceux qui ont la beauté du geste. Il y a là quelque chose qu’il m’intéresse d’aller gratouiller, même pour ensuite écrire sur la ville, la mer, ou tous ces autres lieux qu’on visite en atelier d’écriture.

 



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1ère mise en ligne 24 juin 2020 et dernière modification le 6 novembre 2020.
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