le roman de Gauthier Keyaerts

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Gauthier Keyaerts aborde la musique de manière physique, organique. Son univers basé sur un principe de « sculpture sonore » en temps réel et de spatialisation, repose sur l’écoute et l’instinct. Une approche qui peut se matérialiser sous forme de concerts, de performances, d’installations, de système interactifs, de créations radiophoniques, sur disques)… Peu importe. Sans oublier sa passion pour l’image et la littérature, qui transparaissent dans diverses collaborations avec des poètes tels que Jean-Marc Desgent, Vincent Tholomé, Dominique Massaut, David Giannoni, Bruno Geneste, Paul Sanda, Serge Pey, Démosthène Agrafiotis… Ses travaux ont été présentés en Belgique, en France, en Allemagne, en Espagne, au Maroc, à Taïwan, au Québec…

Puis tout ça c’est là, sur mon blog. Puis ailleurs…

20. Tempo giusto


proposition de départ
Tout s’arrête à la 52e minute.

L’Ellipse, Moëlan-sur-Mer. Mars 2019.
S’amenuise l’embrasement, devenu volutes de rêve éveillé, partagé. Dernières images et notes de musique effacées, l’écran achemine l’ultime vague d’adrénaline et le ressac final de mots. Perdurent les actes libertaires de l’écume. En échos infinis une découpe d’éclairage soutient le salut. Bras sur épaules, la chaleur des spots, des corps, de l’amitié.

53e minute, au noir - Les doigts endoloris, brulés par la colophane et les stries des quatre cordes sur lutherie noire, taillés sur le rebord des alliages aux reflets de cuivre. S’achève le concerto pour phalanges, mailloches, sang et sueur.

54e minute, au blanc - L’archet tremblant aux crins brisés dans la main droite, collé contre la hanche douloureuse. La nausée part et vient, la joie aussi, en ondes rapides. Tenir debout et sourire, avancer pour rejoindre l’étreinte fraternelle des anciens combattants.

55e minute, au jaune - Le cromlech de lumière et de pierres, en forme de demi-lune, délivre son ultime secret, et emprisonne nos énergies. Intactes et conservées à Bruxelles.

56e minute, au rouge - Le silence. Immense, anxieux, béat et beau. Ne plus rien voir, manque de sucre, taches blanches sur fond noir, iris détourné. Percevoir le nombre de respirations, de chuchotements, de craquements de sièges. Décompte imaginaire du public.

Tant que possible, rester dans l’ombre, la prolonger, la modeler en une intime méditation, profonde, ressentir l’essaim sourd envahir le corps. Vibrer, spasmer, brûler. Espérer que l’union entre le silence et l’obscurité accompagne chaque pas prochain en procession lente, de douceur, en nouvelle étale.

Instant vide d’attente, dépouillé de tout mais le détachement se désagrège en urgence… la fatigue tombe, le dos affirme sa douleur, le genou droit cède un rien. Discrètement boiter jusqu’au bar, souffrir jusqu’au lit. Dormir deux jours en huit heures après la lecture de quelques lignes et un dernier regard sur la spirale tatouée au marqueur sur le coude droit. Elle a résisté, fière comme les reliefs de Gavrinis.

Avant, c’est jouissif, action et tension, souffle double du cœur. Enchaînement répété de gestes parfois précis, d’improvisations, d’esquisses de danses et de transe réelle, de moment d’auspice littoral. Sacre initié, immanence forte, corps ancré dans chaque fraction de temps. Le secret dans l’interstice.

Après, soulagement de l’explosion des mains longuement frappées, de faciès hagards et – quasi – en sanglots. Lentement le langage revient.

Igne Natura Renovatur Integra.
Codicille : Comment terminer ? J’ai tenté 5-6 débuts, imposteurs, vides, vidés, tristes, rebelles… mais non, la seule façon dont je peux partager avec vous ce regard intérieur, les yeux fermés, c’est en invoquant un rien des sentiments et des expériences physiques à la fin d’un spectacle, ici en l’occurrence "L’homme de l’écume" (adaptation de l’essai de Bruno Geneste) que j’ai mis en musique et vidéo, et scénographié. Igne Natura Renovatur Integra… j’espère porter longtemps la flamme intérieure provoquée par cet atelier ! Qu’il soit un éternel recommencement.

19. Coup d’étale


proposition de départ

7 mars 2018, Le Pouldu
Maerl, grès, galets… Fonds schisteux et granitiques, strates tranchantes. Ciselés sans pitié ni estran, envahis de lichens, oranges, bruns, gris, harmoniques hautement incidentes. Noirceur hypnotique de la Cabane d’Hippolyte veillée par L’Anse-de-Roche. Tableau en ressacs libertaires. Au cœur de la marée basse, les microcosmes complexes et en constant renouvellement foisonnent.

Pause étale.

Cœur battements lents, souffles longs, vertige oublié, pause du chaos houleux. Battement d’ailes de mouettes, poids et conscience des pas retrouvés. Amplitude neuve et éphémère du tout.

3 septembre 2018, Guidel
Marée basse, encore : onze heures trente et une minutes.

Dénivelé brisé par affront d’aplomb, par un sentier, lisse et parallèle à la Laïta… sereine, lumineuse, sur le fil des mythes morbihannais et finistérien. La rivière invite à la traversée sablonneuse. Ne pas nager n’importe où, n’importe quand, ne pas franchir les espaces faussement ouverts. Tout comme un Cordais ne court jamais… Les ailes de l’Ankoù se déploient trop vite pour fuir.

7 septembre 2018, Port Bali
Marée haute, enfin, chardons, lits de séneçon, de griffes de sorcières, de jussies, de vergerettes… Presser le pas sur la caillasse, cœur de pierre sur lit de mousse, nier les résineux et leurs sceptres, provoquer le vide, pister d’autres lichens. Oublier toute rationalité, hauteur d’âme et démesure, déséquilibre provoqué à même les arrêtes, quitter la lande et le langage, prier entre air, terre, feu et eau.

Centré.

Debout, tout indique les os brisés et la charpie : le retour de l’essoufflement, la pompe trop généreuse, le moindre capillaire proche du naufrage, le froid s’installe, trépane, l’écume se fait loi libertaire. Souhait inconscient de glisser vers une fatale bénédiction, verdict généreux.

Observer l’océan, la roche, observé par l’océan, la roche.

Combat de l’unité. Mourir prétentieux. Achever ce moment sur l’ultime beauté.

Codicille : J’arpente, fasciné, la côte bretonne depuis pas mal d’années. J’ai eu l’occasion de faire une résidence de création artistique à Moëlan-sur-Mer. Je me rendais tous les jours sur différents sites, dont le sublime Port-Bali, planqué pour celles et ceux au regard trop rapide. J’y ai vécu des instants puissamment métaphysiques, mystiques. Au bout d’une semaine, je me suis demandé qui observait qui…

Je n’étais plus seul, caméra à la main, j’étais au cœur du duel de regards de Le Bon, la Brute et le Truand

L’œil de l’océan, l’iris de la terre, mon propre regard, l’alchimie et la gnose.

Tous les jours j’ai pris un peu plus de risques, heureusement cette résidence a été assez courte, je ne suis pas certain que j’aurais pu poser les limites nécessaires pour ne pas basculer, littéralement.

Je me rends compte en rédigeant ces quelques lignes pour la proposition #19, que je ressens une double dose de nostalgie : la fin de l’atelier, et le souvenir des cette résidence qui donna naissance au spectacle L’homme de l’écume, adaptation d’un essai du poète Bruno Geneste.

18. Je me souviens, j’y étais !


proposition de départ

Je me souviens, j’y étais, quelque part autour de la fin des années 1980, quelque part en Flandre, quelque part dans mon corps. Plus jeune, pas forcément plus con, en mouvement constant, la tête qui bouge sans cesse, la démarche qui sautille, amplifiée par les longues tiges du Doc Martens, les muscles faciaux trahissant l’anxiété existentielle, tels des élastiques hystériques… mais pas le reste. Le reste feint l’immobilité, sans plus. Le reste fait le beau, joue au dur, se brise, se déchire un peu.

Je me souviens, j’y étais, du côté de Tielt peut-être ou dans un autre bled de Flandre. Boom ? Opwijk ?

Une salle paroissiale ? Pas grand-chose à en dire, une salle paroissiale c’est moche, prévu pour calmer la libido des jeunes chaperonnés, apeurés par les aînés et le regard de Dieu. Brun sur brun, ça ressemble à une monumentale peinture fécale, ça sent la foi et Artaud.

Tielt, Boom, Opwijk, garages, hangars, je me souviens, j’y étais : attente d’adrénaline, hors de contrôle dès le premier pas dans le lieu accueillant ce festival de hardcore. 6 groupes pour 100 francs belges, soit 2,5 euros ! Pas cher payé pour mater D.R.I., Suicidal Tendencies, L.A.R.M. et autres gloires locales.

Speed, sans limites sonores, esprit de cœurs joyeux et hérétiques, les débuts du mouvement straightedge.

Mais je me trompe, peut-être était-ce un squat, dans une cave, dans ma tête… J’attendais bières à la main un groupe brésilien à la chanteuse énorme, hargneuse, folle, hurleuse. La tronche dans les haut-parleurs, pas de contrôle sur les régies bricolées, électriquement douteuses, ça crachait grave, pâtée sonore pour chiens fous. Plus, plus de sueur, de décibels, de bière, de décibels, de sang, de décibels, de stage divin(g), de mosh. Parfois un skate traversait la scène pour s’encastrer dans une mâchoire ou une arcade sourcilière. More encore !

Une photo : moi, assis sur une table, pull noir, patch Hageland hardcore, et surtout, un magnifique doigt d’honneur en flamme, merci Zippo.

Je me souviens, j’y étais. Parfois je montais seul sur scène, je sautais. A l’époque ça rattrapait direct. Sauf une fois, je me souviens, j’y étais, j’ai sauté dos au public, personne. Tombé sur le dos. Eclairs, commotion légère, m’en souviens pas…

En plein festival, un ami me grimpe sur les épaules, diagonale du fou à travers la scène… Deux étages de mecs qui s’élancent d’un mètre cinquante. Ça va vite, ça tombe lourd. Mais la foule unie fait son office et sacre ce déluge exutoire prolongé par une semaine de surdité, d’acouphènes et d’extinction de voix.

Après chaque concert, les ecchymoses tatouaient cuisses, tibias, mollets, bras. Plus rarement la poitrine, et la face. Excuse parfaite pour éviter le cours de gymnastique en déclarant m’être fait tabasser.

Le rush tue la douleur, la salope ressuscitera, le rush te fait coller une amie contre un mur l’avant-bras sur la gorge, tu l’aimes, mais t’es chanteur, saoul, dans un groupe borderline, toujours à la limite de l’explosion. L’équipe gagnante : un bassiste stone incapable de jouer, un guitariste teigneux, accro au riffs speed et trash, le batteur lui n’a jamais compris ce qu’il foutait là. Moi, ben, je hurlais, je hurlais une colère dont j’entends encore l’écho à ce jour, je dansais ma tristesse, ma rage, je désarticulais mon corps à l’en briser, pari gagné.

J’ai vu Slayer en 1987, j’en suis ressorti le dos lacéré par les vestes en cuir recouvertes de clous et de vis. J’ai vu Slayer en 2017, j’en suis ressorti avec une sale gueule de bois, puis c’est tout. C’est ça avoir 48 ans. Putain, c’est moche.

Je me souviens, j’y étais, toi pas, du coup je t’en cause un peu.

Codicille : L’éclatement du vrai.

17. Poser ses balises…

proposition de départ

Je te le dis, mais ne le répète pas : je te rêve éveillé et endormi, je te rêve dans l’abstraction et le concret, libre dans ton architecture, je nous souhaite bonne route… il semblerait que finalement, notre rencontre ne restera pas sans suite. Alors, continuons le chemin, et discutons encore.

Si tu es d’accord, mais nous pouvons négocier, voilà ce que je prévois pour toi. Mais tout peut changer, même en cet instant précis.

1) En tes lignes, il n’y a pas de confiture et de coquelicots. Reste la boue, les lichens, la pierre plus tranchante qu’un coupe-chou, les vertiges, les frusques déchirées, les allures floues, les pochards, les imprécises et les imprécis, les anxieuses et les anxieux, l’histoire rédigée sur nos peaux, à l’encre et à la cicatrice, et le fantôme des hobos. C’est déjà un beau début de programme.

2) En tes lignes, pétrir une boue à partir de laquelle ne surgit ni Golem ni amour, mais de violents trompes-neurones. Certainement même. Et l’amour ne masque pas la face de la vérité, il se sacrifie plutôt que de mentir.

3) En tes lignes, ne jamais écrire à propos de l’amour, l’amour ça se vit, ça se ressent, ça ne se décrit pas, c’est trop immense, comme l’extase et le bonheur. Conscient c’est mort. Écrire à propos des gnons, et aimer ça.

4) Pas d’amour, pas de course d’elle vers elle, d’elle vers il, d’il vers elle, d’il vers il. Pas de musique joyeuse, de sensualité, pas de chabadabada, pas de jolis remous sur les cœurs et les corps et les émois et les draps et la folie douce. Pourquoi penser en terminant ce point 4 à Bukowski ?

5) Suivre la voie longue de l’intériorité, exprimer le regard "du dedans", du remous (émotionnel), de la vague forte, de l’océan implacable.

6) Patience et économie.

7) Pas de périmachin, pas de digressions longues comme des chaussures inexistantes sur la route du rien.

8) Passer maintenant à la beauté : elle n’est jamais simple.

9) Elle est juste dans son éphémère. Tout comme l’amour.

10) L’amour c’est sortir de la douche, une douche trop chaude, mais, que l’impression de malaise ressenti… c’est l’ivresse de voir "cellui" que aimée ou aimé. Mezcal, buvard et acide. La chaleur prend à la gorge, étouffe. Penser à l’oie gavée, gavée à la joie, penser à l’instant où elle suffoque. Pratiquer la manœuvre de Heimlich avant de s’évanouir.

11) L’amour c’est le rythme de la pluie sur un velux, un ciel tout gris, mais juste fermer les yeux peau contre peau, sous une couette fine, et partir hors de soi au son d’un extrait de l’album In Sides d’Orbital.

12) Ne jamais écrire - donc - à propos de l’amour.

13) Avoir parlé de la mort à plusieurs reprises, et continuer à le faire jusqu’à l’apaisement. Pour différentes raisons, et déraisons, sans vanité.

14) Aucune passion pour la mort.

15) Ni la vénérer ni l’exécrer.

16) Écrire un texte à propos de la mort, à propos de son ennui. Personne ne l’aime, la pauvre, elle pleure le mauvais tirage au sort. Elle doit tuer, mais sans joie, elle ressent de l’empathie pour chaque corps à l’arrêt, elle souffre. À une carte près elle aurait pu être le "fou suspendu », la Reine, la Force. Le fléau c’est l’arcane pourri.

17) Ne jamais écrire ce texte.

18) Aucune envie de rédiger à propos de l’Apocalypse.

19) Envie de se nourrir de la fin de siècles, de la fin de sens, des matières sans noblesse, des sourires dans joie, des regards Munchéens.

20) Attention : aucun effroi gratuit, aucune violence détaillée et sérieuse, aucun sadisme, ou alors dans le sous-texte et un éventuel discours politique discret.

21) Ne jamais être explicite (retenir ce point essentiel), quitte à passer au peloton d’exécution, au jugement. S’en foutre puissamment.

22) Décaler, toujours décaler, faire un pas de plus les yeux fermés, attendre une chute avec espoir.

23) Ne jamais écrire - donc - à propos de l’espoir.

Codicille : Bon, ben voilà, là j’ai envie d’écrire encore et encore sur ces "je ne le ferai pas", c’est un exercice merveilleux, cathartique, un dialogue avec l’inconscient. C’est fort, et probablement une étape majeure dans mon parcours au sein de cet atelier. Mais je vais m’en arrêter à ces quelques points.

16. Confrontation et flux…

proposition de départ

Journée type digressive constante… soit la traduction littérale de mon quotidien, et ses notes incessantes. Ce livre qui s’écrit dans les temps : rétroviseur, mouvement, face à l’horizon. Je ne peux que livrer ces pensées qui nourrissent chacun de mes gestes, chacune de mes actions, chacune de mes paroles, de mes gammes musicales, de mes vidéos. Personne ne sortira d’ici vivant, peu importe, de toute façon, nous revenons de la mort.

 Arrêter l’automutilation provoque l’envie de se ronger les ongles. Se ronger les ongles, est-ce d’ailleurs de l’automutilation ? Et l’envie de se ronger les ongles, c’est génétique ? Un enfant de 12 ans, mon fils, se ronge – devant témoin (moi en l’occurrence) — les ongles, et agite en permanence les jambes, c’est de la génétique automutilatrice ?

 Des mots tels que pourrir, mourir, souffrir, déchirer, briser séduisent moins "l’œil général" que coquelicot, confiture, douceur, caresse, amour. Malevitch et Schiele n’ont visiblement que peu eu à faire des confitures et des coquelicots, je le pense mais je peux me tromper.

 À ce propos quel est l’atavisme, d’une part, et la force d’entropie, d’autre part, contenue dans la charge émotionnelle de la rédaction d’un texte ? Son indicible ADN détermine, je le pense mais je peux me tromper, forcément, le lien entre instance narrative, l’émetteur et le récepteur. Sauf avis de décès pour cause d’hérésie littéraire ou démangeaison dues à l’insupportation (insupportable insubordination).

 Apprécier la justesse et la douceur du langage dur, un attribut systémique, tout comme le symbolisme. Quelles clés faut-il donner aux lecteurs ? Une porte fermée n’a-t-elle pas une puissance fantasmagorique que la réalité crue ne peut atteindre ?

 Van Gogh peignait-il réellement des coquelicots ou sa grille de lecture était-elle purement métaphysique ? J’ai croisé Malevitch et Van Gogh au Stedelijk Museum d’Amsterdam. Tous deux flirtaient, avec Karel Appel et des textures inexprimables. Au sous-sol, j’ai touché une œuvre de Jean Tinguely. J’étais heureux. Puis, lorsque j’ai fait une performance au MUDAM de Luxembourg, j’ai croisé à nouveau Tinguely, en plus grand, en plus fou.

 1) Attention à ne pas confondre le "dur, essence du petit teigneux de base", l’acte de rébellion élimé et la morsure nécessaire !
 2) Apprendre aussi – par prudence — à ronger les mots afin de se libérer l’existence. Quitte à y laisser une main.
 3) Mettre à l’épreuve de l’usure l’ensemble du texte, ses coutures et contours. Les signifiants les plus fragiles craquent rapidement, c’est génétique, ça ronge.
 4) Pour plus de détails, liste disponible sur demande.

 La touche Shift de mon laptop brille fort, usée — elle — par le passage de l’ongle de pouce trop long (penser à le ronger parfois, sauf si ça relève de l’automutilation). La touche "A" s’efface aussi. Ce clavier est unique et révèle la lumière jour après jour, c’est tout aussi métaphysique que la vision de Van Gogh. Silence ?

"Shift" n’a pas de valeur ASCII, c’est perturbant

La valeur ASCII de "A" = 129 en minuscule et 97 en majuscule.
Il faut comprendre l’importance de ce détail d’apparence trivial.
Tout est code.

Codicille : Je pourrais continuer longtemps, ici vous avez un échantillon de quelques minutes de réflexions… Peut-être est-ce d’un hermétisme total, mais s’il faut remonter à la source, aux sources d’un roman inexistant, et traduire pensées et émotions, autant y aller sans retenue. C’est ma vie ou pas, je m’en fous, toi aussi ?

15. La chute des dominés


proposition de départ
Le fringuant (Résumé de l’épisode#9) Pied droit, pied gauche, rapide. Inspiration en rythme. Foulée légère. Pied droit, pied gauche. Expirer en rythme, surtout. Foulée menteuse longue. Squat en vue, vision détestable. Des covalences adultères. Miroir de la ruine existentielle. Pitance à suicide pour animal galeux. Pied droit, pied gauche. Respiration au rythme d’idées mauvaises. Foulée de coton imprégné de sueur, de narcisse et de semence. Pied droit, pied gauche, gauche. Arythmie pitoyable. Squat odeur de non-lieu, trop proche. Foulée brisée, lierre d’autel et vœux brisés, course aride. Accélérer, fuir cet endroit intime putride.

Episode#15 :
Il descend deux bols de café fort, brûlant, l’ingurgite, le remue en son contenant et observe chaque forme brune-orange esquissée par la surdose de caféine. Il y voit du Rothko, du Klimt période pauvre, le Sant-Suaire et rit, il y voit l’empreinte du néant. Il s’y voit, empreint du néant. Il fait la vaisselle, rapidement, un bol, c’est tout. L’eau à 32°, l’odeur du savon de vaisselle, il efface Rothko, Klimt et le néant. Rincer en tournant dans le sens des aiguilles d’une mort, ni plus ni moins. Depuis sa naissance il tourne de droite à gauche, sans axe, la Terre tourne aussi mais pas de la même manière, il est cruel à l’intérieur, à l’image du monde et cela justifie amplement son existence de prédateur de roman de gare. Il tente pourtant de briller. En public, il sourit, salue, embrasse. Il colle la main aux fesses de Charlotte, l’une des coiffeuses du salon qu’il fréquente, elle aime ça. Lui s’en fout. Il trace des sillons sur son passage. Il touche discrètement le sein de sa manucure, Lidy, en une parodie de tendresse. Il sème la déroute. Il frôle innocemment la cuisse de son tailleur, Pascal, créateur de ses costumes ajustés sobres. Dominer la chair.

Il embrasse sa femme le matin, en fin d’après-midi, un peu le soir. Il la caresse, lui parle. Pareil avec ses deux enfants. C’est juste parfait vu de l’extérieur. Mais en réalité son enveloppe, il la porte lourd comme du béton armé, lisse comme du faux marbre, des matériaux froids et bon marché. Il court de faille en faille, couche avec des inconnus et des inconnues, parfois, pour de l’argent ou pas. Il ne supporte pas ça, baiser, toucher des corps indifférents et silencieux. Il s’en veut, puis s’admire. Ca prouve quelque chose dominer les corps, dominer son corps. Ses quadriceps puissants le fascinent. À chaque fois qu’il baisse son pantalon le regard se porte sur ses cuisses. Il pourrait ne pas avoir de sexe, et pourtant provoquer un orgasme. En tout cas il y croit, tellement, sincèrement. Pourtant c’est con.

Il essuie puis range le bol. Il enfourne deux chewing-gums Big Red, ça brûle, un incendie de cannelle sur lit de Lavazza Crema E Gusto. Feu sur le feu pour ouvrir la journée, selon l’usage, sur une courte montée de douleur. Sa langue picote, proche de l’endormissement. Il se dirige vers la chambre afin de choisir sa tenue de jogging. Coton ou dry-fit, et quelle couleur ? Combiner ces trois facteurs fait exploser les statistiques et pourtant cela se reproduit au quotidien. Il opte pour un dry-fit gris, de justesse, et ne supporte pas ce choix. Pantalon compressif, court, jusqu’aux mollets ou un simple short ? Va pour un compressif long et épais, malgré la chaleur, agrémenté d’un pantalon mi-cuisse large et beige. Aucune logique. Faut-il s’emballer l’abdomen dans du film plastique ? Oui, cela ne fait aucun doute, s’il veut arriver à un indice de masse graisseuse négatif. C’est impossible mais peu importe. Il fantasme, c’est son droit.

Choisir ses chaussures de course… 10 paires, est-ce trop ou pas assez ? Double gel, simple gel, le modèle simple et inconfortable, les chaussures militaires ? Passons.

Il reste concentré sur la pression ressentie sur les jambes, sur ses tétons qui durcissent et deviennent douloureux au contact du dry-fit, sur l’impression d’anesthésie au niveau de l’abdomen. Il noue ses lacets lentement. Rate plusieurs fois la manœuvre, il n’a jamais vraiment voulu apprendre. C’est con, de s’arrêter plusieurs fois par jour afin de refaire ses boucles de merde, auto glissantes. C’est ridicule, à l’image de sa vie.

Il se recentre, sort de la maison, trottine, accélère le pas. Il court pour se déchirer les fibres musculaires, se tuer les chevilles et genoux, le dos. Il faut qu’il paie : ses adultères, ces gestes cruels répétés, des corps pétris, son narcissisme, sa constante victimisation, sa médiocrité. Chaque pas le rapproche et l’éloigne de l’expiation, chaque pas lui dévoile le visage du rédempteur et lui crève les yeux. Il sue, halète, titube. Et au milieu des tous les possibles, une constante : il passe devant ce squat pourri, ce squat puant, tombeau des sans-abris et des toxicos, ouvre les yeux sur ce miroir et perçoit en ce tas de ruines putrides, le reflet de son existence.
Il accélère.

Codicille : J’avoue que cet exercice m’a posé beaucoup de problèmes… Même si j’utilise des formes et formules parfois "hermétiques", je pense — je dois me pencher sur la question – insuffler à me textes des ressentis et des émotions, douces ou dures, peu importe. M’écarter du sujet, balayer l’empathie, c’est compliqué pour moi. J’ai eu moins de difficultés à faire "parler le mort". J’ai l’impression, à la relecture de cette proposition, d’avoir fait remonter les sensations ressenties lorsque j’ai lu du Easton Ellis, du Ballard, du Palahniuk. J’ai repensé aussi aux performances du Survival Research Laboratories… Ce sont des expériences déstabilisantes sans réels points d’accroches et pourtant, fascinantes. Je pourrais citer aussi des cinéastes asiatiques assez barrés : Shin’ya Tsukamoto, Kim Ki-duk. Ou encore l’incroyable film Le Sabre du mal (1966) du réalisateur Kihachi Okamoto. Et comme bande-son ? Un album de Masami Akita / Merzbow ou du Sunn O)))

14. Vigor mortis


proposition de départ

Tac ! de terre et de caillasse. De temps infiniment compté en ondes souples et en torsades d’abîmes. D’instants aux cardinaux effacés. Alors. Alors que la tristesse transperce la terre d’une saline sauvagerie, un flocon : un lit de camp, un garage, ne plus bouger , cache-cache avec la vie. Elle compte jusqu’à l’infini avant de chercher. Tous les espaces, toutes les époques dérivent harmonieusement, en une chorégraphie universelle, synchrone, apaisée.

Et puis : tac ! Surgissent d’autres flocons, naissances, flocons Volvo Amazone bleu pétrole flocons argentiques : un enfant joufflu et petit, assis, sa mèche la plus haute ne dépasse pas le dessus du volant, il sourit depuis près de 49 ans. Flocons dans le lac glacé du plan élémentaire. Le pied de trois ou quatre ans, dans le ciment frais, le pied, s’enfonce, le rire. Pas de nivelage pour cette âme empreinte . L’imprésence partout.

Et puis merde : tac et puis tac. Coups de cailloux, tête-bêche anarchiste.
Volutes de fumée de fer à souder, de Boule d’or paquet mou - 25 kankerstok -, volutes du moteur de l’orgueil au carburateur malade, problèmes constants de valves. Puis, encore de bougies, de bougie aux pieds de la vierge des bois, dissimulée au bord d’une autoroute. Le repos moral des ogresses génitrices. Cum processit factura digiti Dei, soleil extatique face auquel se déploie généreusement le sein maternel, un accent germanique (O Tannenbaum, Wie treu sind deine Blätter ?), la caresse d’une main rugueuse d’ébéniste, l’odeur de la colle d’os, du vernis et la senteur du parler flamand. Blonde bière, légère, tranche de pain blanc, canapé. Père du père du père, unis, yeux fermés regard intérieur incrédules, à l’unisson filial récursif.

Et tac (leitmotiv étouffé) ! Rythmé lent, nicotine sur les doigts, le tanin dans le venin, le venin dans les mots et l’impossibilité de dire je t’aime. Une famille hypocrite sales ses pas, salés ses verbes crus, dépense ses plaies en peinture Rimmel. Cannibalisme taillé dans le clin d’oeil, flocons shrapnel : une poursuite couteau à la main dans un petit appartement, une crise d’angoisse, un rideau fermé trop longtemps, un corps immobile, un coma, un putain de coma, un noël sous tension, un noël surtension…

Cette histoire, plate, court d’un instant de juin à un autre de juillet, en 71 variations inconstantes. Il n’y a pas de place, pas assez dans cette absence de récit, c’est trop, c’est indécent. Mais qui le sait encore ? Qui a oublié l’ondée ? La tempête ? Certainement pas la forêt de sapins sur laquelle plane l’esprit des revenus enfants, espiègles morceaux de quidams. Libres de courir autour des troncs, et de désirer, juste désirer faire sauter un bout d’écorce, d’espionner les cendres et les urnes, la sève de la tristesse, de rêver en égrenant les lucioles secondes, les heures légendes, les mois d’humus... Les flocons ? Deux affichent l’uniforme des scouts marins, l’autre, cache son visage — son rire — derrière un carré de tissu blanc . Deux soudés se dessoudent, le troisième portera ce voile toute sa vie, à même le cœur et les yeux, les viscères et sa détresse. Une fierté.

Espressione, forza, fuoco, grazia, moton spirito… tenerezza : TAC !

Caresser du souvenir l’établi, embrasser du regard les voltmètres, les pinces, les tournevis, les ciseaux à bois, une chignole ancienne, la boîte de cigarillos bon marchés (qui sentent fort et mal) et les lingettes de Cologne (qui sentent fort et écœurant). Ces odeurs ne partent jamais pour nuancer chaque absence de présent. Pour jongler honteusement avec l’impudeur, le corps déchiré en fragments, en deux, en fragments, en milliards de particules, en épines de résineux déchiré luxembourgeois, déchiré ardennais, déchiré bruxellois. La question n’est pas là, car le sol et la pensée acide persistent.

Jamais plus il ne sera plus évoqué de flocons : assis sur une chaise dans un jardin, une fête, gonflé dans ce pull bon marché, un sourire de cœurs arrachés pour les générations à venir. C’est fini, ou presque. Puis elles arrivent, en effet, et s’échangent le cri, le cru, le dense, le foutu, le malpropre. Tentent de naviguer à vide dans une mer de nuit sans vie. C’est l’automne dans le monde, moi, je n’entends pas le tac final de la symphonie du fossoyeur, pas plus que je n’ai entendu les autres.

Je n’existe plus que dans la beauté de tous les flocons.

Codicille : La mort c’est l’inconnue, la mort on en parle, on la ritualise, on la met en scène, on s’en gausse, on en pleure. Ici, j’ai simplement voulu amplifier l’étrangeté de mon écriture, que j’assume pleinement, afin de restituer un sentiment : "la place du mort" est le tout, tous les instants, tous les lieux, plus que l’esprit qui plane librement, libéré. Et la voix s’émancipe des codes, des sens, des images rationnelles, du langage.

J’aurais pu continuer sur quelques pages, tant les flocons / souvenirs m’envahissent en relisant ce texte. J’y penserai un jour.

13. Ordre du renversement


proposition de départ

embrasser mains de 71 printemps
admirer peau maculée de 71 étés
veines et sillons de 71 automnes
accepter l’éternité des 71 hivers…

…Le fait que relire ces phrases taillées à même le vers fragmente l’oppression, serment ici presté, dans le but de régler les comptes et d’adoucir cette part de tristesse, de partager devant le monde, pour les enfants et à l’attention de la compagne et des amis, à nouveau, cet amalgame, pour en briser l’emphase, le fait que trembler ça libère, avec joie et ultime tendresse, embrasser la volonté salutaire, se faire que "Soi" résidus, action puissante sur l’unité cœurcorpsâme, invoquer une dernière fois, le fait que cela devienne une litanie d’amour pur, un séisme sans dégâts et le fixe immaculé façon William Seward Burroughs dans The Junky’s Christmas, texte brillant perdu au milieu d’autres dans un livre rangé dans la section Beat, exemplaire dédicacé par un pote (Curt avec un C comme Curt, pas un K comme le colonel Walter E. Kurtz d’Apocalypse Now), rencontré lors d’études universitaires en section Écriture et analyse cinématographiques, le fait qu’émerge maintenant la force d’avancer, l’ivresse de la conscience, et la possibilité de regarder sereinement le rayon de soleil surgi des fenêtres pour s’en réchauffer à l’extérieur et à l’intérieur, alors qu’au même instant la souris sous l’armoire de la cuisine pointe un museau défiant, moquer le matou brun taupe — hors tempo — car il chassera le souvenir du rongeur, le fait qu’il se pourrait que cette quiétude se manifeste aussi à travers le grattement de peau un rien desséchée du coude gauche et d’un acouphène, le fait qu’un nuage dévore le soleil et qu’il le régurgitera — statistiquement — dans quelques minutes, le fait qu’il s’amuse comme il peut, et, que ce matin la pluie tomba drue, fine, belle, ennuyeuse, hypnotique, le fait que ça évoque une pièce bâclée de Steve Reich, averse avérée trempée, entraînant dans sa verticalité descendante une question : cette pluie empêchera-t-elle de monter la sono du concert de ce soir, manque à gagner dur, empêchera-t-elle simplement de sortir pour les courses du jour, manque à dépenser, empêchera-t-elle de trouver la motivation pour préparer le matériel nécessaire au montage de cette sono, manque de stimulation, empêchera-t-elle simplement de sortir encore, manque de rien, se pourrait-il aussi que le souvenir cette petite angoisse récente se manifeste à travers le grattement de la peau un peu desséchée du coude droit, impossible de répliquer sur base de faits "qu’il se fassent ou se défassent que" ou pas, impossible de le savoir, tout comme l’imprédiction ressentie à propos d’un lumbago en devenir dû au stress et au manque de souplesse, le fait que tout cela amplifie l’ensemble de facteurs complexes à même de cadrer le déroulé de la journée au timing carton rouge, le fait que le mobile sonne, énervement immédiat, tension forcée, et affiche un nom classé dans la catégorie répondre minimum dans 5 sonneries, avant ce délai précis, ce serait précipité et vu qu’il est essentiel de suggérer à l’interlocuteur qu’il horripile avec cette manière indécente de sembler suçoter un reste de bouffe inexistant coincé entre ses incisives, ça fait se raidir les muscles et la joie, une pensée : "non, mais il est con ou il le fait exprès ?", le fait que la prochaine fois il se collera dix sonneries dans la gueule, oui, le fait que le pardon facile c’est théorique, une réalité de romans de gare et de magazines de philosophie pour nazes, vides de sens, pavés de mots creux, le fait que ce genre de propos file une énorme envie de bailler puis d’emballer l’arrière-goût maussade avant de le jeter à la poubelle, le fait que cette poubelle fascine : chrome, froide au toucher, marrante vu sa manière lysergique de déformer les visages proches de son dôme, surtout lorsque — tout à coup — un rayon de soleil surgit des fenêtres de la salle à manger et suscite une ouverture sur la symphonie florale et végétale du jardin sauvage, aux tomates épanouies, un peu, aux pommes nourricières de tant d’insectes que ça provoque le vertige, où basilic et sauge dégoulinent, où les rosiers trop grands tendent leurs fleurs vers les cieux afin d’invoquer la lumière, le fait qu’il est possible d’y percevoir un lien avec la chymie Rose+Croix, c’est audacieux, tout comme y distinguer des nuées de fables gnostiques, de mystérieux livres silencieux, des voltes du soufisme, le fait que le chat brun taupe couché depuis plus d’une demi-heure devant l’armoire de la cuisine — c’est déjà un moment de vie une demi-heure — prie aussi peut-être, le fait que dans leur ouvrage Les religions d’Afrique Noire - texte et traditions sacrées (édition Fayard de 1969), ces messieurs Louis-Vincent Thomas et René Luneau citent une prière d’un Nyamwezi de Tanzanie : "O chef, qui m’a laissé à ta mort en ce monde, je viens t’offrir les sacrifices ; la pluie a cessé depuis longtemps dans notre pays ; donne-nous de la pluie", c’est magnifique, mais le fait que ce soir il faut travailler pour éviter la fauche stimule l’ordre du renversement.

12 (bis) … particules neutres …


proposition de départ

douce chaleur caresse simultanément cuisse gauche d’une part cuisse droite de l’autre en crescendo à la gradation celsius de parfaite méditation initiale contact du tissu de jambes de pantalon dans les paumes de main droite d’une part et main gauche d’autre part en petites touches sensuelles initiées par d’imperceptibles mouvements sans buts autres que l’ascète statique

en un alignement parfait s’accordent gauche d’une part droite de l’autre les nerfs palmaires fémoraux tissulaires et dorsaux lombaires pour parcourir la distance en un temps et une géographie sans importance

dos droit formant avec le vaste intermédiaire un angle de quatre-vingt-dix degrés renforcé par les quarante-cinq degrés liants quadriceps paumes bras épaules espoir enivrement angles savants répétés cycliques

une charpente au port de tête variable allant du piqué de nez au regard droit malgré les yeux complètement fermés en une architecture agencée dans une tentative d’économie de mouvements afin de laisser monter lentement l’échange extérieur intérieur la respiration et la pensée au bord du vide

sur le siège le monde rentre en soi et déclenche une anamnèse de l’extase au niveau du plexus solaire puis s’écoule en ruissellement lent vers l’échine vers la moelle et les vertèbres pour vivre plus vivre du plus fort à la plus numineuse conscience de la puissance de l’être en embrasement

mort à la vie vivant à la mort défier le grain les pieds ancrés sur le sol la tête arrachée par le plaisir de cette montée de béatitude dissolu le corps seule la conscience du tout s’infiltre au point parfait d’équilibre avec l’ensemble de l’intérieur tellurique

ne plus rien exister que l’absence de la présence les idées en flux de plus en plus lent atteindre le silence à quai disparaître dans une profonde joie jusqu’au vertige avec prudence cela ne dure qu’un bref instant de confusion une éternité de seconde brisées

s’absorber entièrement rayonner en soi pour soi dévorer avec voracité sa proximité afin de lui restituer sa pleine agrégation

centrer le temps

Codicille : Voici une autre réalité, celle de la sérénité, du laisser-aller, l’action menant au giron méditatif. Pour ce faire, il est nécessaire de créer un espace de dialogue entre l’esprit, la pensée, le mot, les idées… et le corps. Rapprocher l’enveloppe et son univers mental le plus près possible de l’absence de mouvements, calmer le flux, ralentir le courant sans se forcer. Ne plus lutter contre soi… demande une énergie phénoménale.

12. …Chaos magnificat…


proposition de départ

picotements du bout des doigts chaleur de joues et saute imperceptiblement un détail de muscle puis tout bascule en mode perte

éclaircir d’une coupe claire la prochaine crise avec l’anticipation de l’angoisse et de la perte il faut l’espace nécessaire pour accueillir avec dévotion l’acte de possession imminente

battre en arythmie le cœur emballé par la perte du tout et de la pollution carbone immanente écumer avec soin la schizophrénie au parfum contaminé par le regard accusateur de la méduse

purification de l’âme et des reliquats parqués en sacs trop pleins de crasses grasses et de puanteurs suintantes importées de thulé
errant connement dans la dévastation des terres vaines sans plus de mots ni de vue à la croisée du monde
autiste balisé de textures cicatricielles d’intensités et formes diverses hémorragiques

chemin de ferraille mate et assourdie arrachant à chaque pas un rien de chair intérieure vive fascia exister l’hyperréalisme du réel double exister l’hyperréalisme de la crédulité triple exister l’hyperréalisme de la lumière forte et du son assourdissant monotype atonal gamme muette

respirer contraint avec une surprise feinte mais ça cesse toujours avant la mort depuis cinquante-et-un moments répétés des milliers de fois en une chorale démultipliée de cognitions

ne pas crever un rien de plus un rien de moins dans une magnifique portée d’absurde bouquet final et ne plus voir que le point du centre ne plus sentir que le point de la circonférence ne plus entendre que le point de l’abscisse ou de la chute sans plus bouger

con de le savoir con d’ignorer l’implacable ridicule du picotement des doigts déjà cité mais aussi l’embrassement du plexus et du tremblement de l’âme qui cogne encore plus fort à chaque charge contre les murs de cette prison sans gardien ni clé

jamais pitié ou clémence tendue vers le souffle coupé jamais céder le moindre espace de terrain accepter de vibrer inconditionnellement la montée mensongère vers l’inconnu

jusqu’à retrouver l’essence et l’initiale de l’ascèse perdue

Codicille : J’ai vécu très longtemps des épisodes de "crise d’angoisse", soit l’impression de suffoquer ou de plonger vers l’explosion cardiaque. Bien entendu, tout cela n’est qu’une sorte de mythe personnel et un système – bien rôdé - de croyance dévolue au culte de la perte de contrôle. C’est très complexe comme système, et quasi impossible à expliquer, certains pourraient qualifier ça de mystique. Il n’y a d’enfer et de paradis qu’en soi, ce bagage constamment transporté tant qu’il emballe la vie.

11. Équilibre de l’adagio.


proposition de départ

Le flou, au loin.

Aujourd’hui, passe une main soubresaute.

Puis une autre, sans plus de contrôle.

Puis une autre. Puis, un cri.

Pleurs et flou palmaire.

De la peur monotonale. Couché sans choix, terrifié par le grand, l’immense. Inconscience de soi, pas le vide du monde, non, envie incomprise de toucher ce tout indissocié sans langage révélé.

Animer dense le visage griffé d’ongles, petits, saigner au fer
ivre et récolter un sens pour oublier
l’amnésie initiale et le paradoxe intense
sentir l’écoulement de ne rien
comprendre, l’adirection reçue

Quatre pattes, regarder en sourires, regarder bas, moins, deux mains alternatives, puis les mêmes plus loin, en un mouvement continu, menu, un courir cabri plat.

User les genoux de grisante pesanteur, saloper les paumes de suie vitale.

Les empreintes mémorielles, les lignes et replis. Nourrir le mythe tactile personnel. Plus proche de l’amour et de la mort qu’hier, peur neutre, sans se retourner.

Pouce gri-gri.

Rire l’autre, rire soi, toucher fort, prendre, broyer le temps
l’illusion que sera toujours demain à l’infini
abuser du rien, tuer de beauté le sensible, la passante
geste meurtrier du sourire abouti

Bermuda effiloché, t-shirt pas propre. Photogramme sublimé.

Peur autre : de menace liquide rouge, de la vie qui s’en va, un peu mais ce n’est rien est dit.

Debout, plexus plaqué depuis la réalité de la mort du chat, il ne résista pas aux bars de roues.

La main, se la tenir, plutôt l’index, le bout, tatoué par la corde du diable. Saloperie paysanne, capitalisme du pauvre. Conscience de soi, de l’extrémité pulsative, de la puissance et de l’inconnue de l’écoulement.

Envie de baiser magique, de sparadrap à petits chats plats.

Ne passe trop vite
dit répété
litanie ridicule
illusion de figer
la douceur route pèlerine
carcan de l’héroïsme touché
œil tendu vers l’index

abonder souvent
abonder vide
abonder la seconde démultipliée

poser un geste de fier
gifler le mensonge
tu ne seras…

… rien de plus qu’une porte en plaqué gyproc, verre brisé pour la paume énervée, pour la paume haletante.

Une dispute.

Un départ inattendu, une première.

Course folle pour hurler attends, un essuie autour de la main, du sang jusqu’au coude… message jamais reçu.

Fracas, douleur, symétrie de blessures : un cercle sur la porte, intérieur rébus. Un cercle dans la paume, extérieur sans énigme. Dix-sept points de suture attestent, puis plus, nerf touché perdu à vie : sensation partielle de l’annulaire et de l’auriculaire.

Cicatrice agrandie chirurgie réparatoire vaine.

Un mensonge de plus, une peur de plus. Atèle bon marché et kiné sans espoir.

À la frontière du poignet de la main, ligne de vie difforme, arrêt à cale sous index. Un voyage sans fin, une histoire transportée à vue, à gant, à poche, pour toujours.

S’accélère
(…)
silence
(…)
bruit
(…)
vibration
(…)
effacement

Le jean moulant.

Punk ou quoi ?

Déchiré au genou, la peau. Alcool et présentation du sein. À pleine poigne, à portée de bouche.

L’existence s’affole, pivote.

Dans une mansarde poussiéreuse, une empreinte sur la fenêtre crasseuse. C’est fascinant la décrépitude, sens de la vue vraie. Promesse de ne Jamais oublier ce moment, tenue juste le temps du jouir.

S’aimer dur, s’aimer double, s’imaginer invincible, la main sur le sexe, pantalon tendu comme les idées.

Prise d’index cicatriciel, guidé en mouvements circulaires, aimé, léché amplement. Aimer chaque veine, les nommer furtivement et secrètement. Chaque tendon aussi, chaque articulation, mais un rien moins. Les craquements d’os harmoniques.

La main chaleur, douce, l’index demi-dieu sur vulve.

Puis pleurer, tout a été trop vite. L’instant ne survit pas à la pression des sentiments.

Ever fallen in love with someone
Ever fallen in love, in love with someone
Ever fallen in love, in love with someone
You shouldn’t have fallen in love with

(…) S’accélère double (…) silence peu sous angoisse (…) bruit dépressif (…)

La main sur l’argentique, fixer la douce à la crinière noire, sous la couverture, épaule et bras nus, lovée dans un profond sommeil.

À côté du matelas posé à même le sol, Retombées de sombrero.

Sur la couverture : image d’une douce à la crinière noire, épaule et bras nus, lovée dans un profond sommeil.

Mise en abîme de l’amour.

De la prose de Richard, et naissance en force de l’émoi.

L’index, déclenche la mémoire, format dix sur quinze. Devenu le plus beau marque-page de l’Univers, effleuré encore et encore, passant de roman en essai depuis vingt-cinq ans.

(…) C’est insoutenable (…) silence fort surangoisse (…) cacophonie dépressive (…)

La main chaude posée sur le front froid arrivé un juillet d’il y a quatorze ans.

Dans un garage.

Lèvres chaudes posées sur ce front froid et définitif.

Pas une larme, vide métaphysique.

Une prise de conscience, caresser une dernière fois, faire durer cet immense choc, après il ne restera que l’usure du visage, de la voix. Oindre de toute filiation transmise, guérir une plaie définitive à la seconde, la minute et pour le reste de ses jours.

Plus rien n’ira, plus rien n’ira pas, plus rien ne décompte.

Lire un texte et pleurer, le tenir tremblant la voix, écouter tout sangloté les mots de Jacques, la voix d’Arno :

Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu n’serais pas économe
De ciel bleu
Mais
Tu n’es pas l’bon Dieu
Toi, tu es beaucoup mieux
Tu étais un homme

Accueillir l’inévitable crash, des cicatrices, il y en aura encore et toujours. Ponctuation sauvage du texte écrit à chaque ride par le corps.

Il est mort
(…)
ce père
(…)
embrasser ses mains de 71 printemps
en admirer la peau fine de 71 étés
en topographier veines et sillons de 71 automnes
accepter l’éternel de ces 71 hivers
(…)

… équilibre de l’adagio…

Codicille : Ce texte sur les mains est devenu immédiatement une odyssée très personnelle, dans laquelle j’aborde quelques moments clés de ma vie (je ne donnerai pas le pourcentage de vérité et de fiction), à travers la cosmogonie de la paume et des doigts. Des outils primordiaux, inspiration pour la construction progressive "d’extension" du corps au gré de l’histoire humaine, mais aussi inspiration de la géométrie et du sens des proportions. N’oublions pas que les mesures anciennes se basaient sur le corps (coudées, pouces, pieds…). De la naissance à la mort, dans un monde hanté par le tout, je vous chuchote ici quelques confessions.

10 bis. Une rupture classique, dans un espace-temps non linéaire.


proposition de départ
Partie 1 — Gueule d’abois

Il se chausse assis agité de soubresauts nerveux, se lève, se retourne et fige le regard le temps nécessaire pour esquisser l’imprégnation d’un sentiment.

Tentative infructueuse
Une nausée plutôt qu’un souvenir
Du sang sur le t-shirt geek taille bedonnant

Sans concession pour l’action, il boit l’eau d’un robinet à même la plomberie copie art déco. Pour cela, il se penche, et ça fait mal sous cet angle. Il tente de ne pas se remettre, l’insoutenable, de ne pas flancher sur le plan de travail. C’est le flou, et c’est bien comme ça. Il a du sang sur les chaussures, sur les lacets, sous les ongles, dans la tête, dans les idées.

Mais nie car c’est trop tôt pour juger

Trouver une logique, fixer longtemps un plan, de travail, d’action.

Fixer encore le temps nécessaire pour imprégner un sentiment.
D’un micro mouvement de tête, un œil déjà contemple l’embrasement.

Partie -1 — Flash arrière

Hier
La veille au soir
Heure libre
Il cherche
et
Trouve l’altercation sauvage, dans un bar, tard.
Dernière séance.

Pleuvent en rafales drues des coups de poings, de tête. S’amorce le reflet du désespoir et la lame d’un couteau.
Il frissonne au noir, plonge dans le sale obscur de sa conscience évanouie.
Il estime avec lenteur la brisure faciale, la tuméfaction alcoolique.
Le couteau ne pèse plus rien le mouvement lancé.

Il vogue l’âme à la main, et enfonce jusqu’au dernier sang.

Partie 2 — pensées du moment

Toujours penché en angle douloureux vers robinet, à l’absurde, ce plan est trop long.

L’évier enfin abandonné.

Du plan de travail se diriger vers le salon.
Le traverser
et
Allumer la radio à lampes nasillardes.

nez douloureux,
nausées fortes
côtes défoncées

Il se prend le visage, entre les mains, le visage, pas le cou, le visage, pas les côtes, le visage.

Entre les mains, précisément ?
Et
entame une prière mutique en assise.

Pause : Rupture et alinéa

Il n’oublie le temps, la frustration, le martyr d’imbécile.
(Hier elle a rompu)
Il court maintenant nu dans sa peur
nu dans son cœur.
(le pacte implicite)
Il cœur pleuré, cœur haut.
(de celui qui possède sans aimer)
Qu’a-t-il fait ?
(de celui qui jouit sans victoire)

Partie 3 — Pensées du moment (retour)

Maintenant, il se tâte les poches, il parcourt la géographie du jeans crasseux.

Contenu : un jeu de clés, de la monnaie, un billet de banque souillée, sa carte d’identité… plus loin trou noir, magistral black-out.

Et un couteau sale de sang de caniveau, de larmes de caniveau, de douleur de caniveau, de vie volée.

Perdu : l’amour, l’amour propre, une chevalière en forme de crâne, et quelques lambeaux de peau sur la joue et le cuir chevelu.

Interlude

Il espère encore…
que ce soit un rêve.

reviennent des images de la pénétration
du corps
inconnu
ventre
gorge
bras

En allers retours rapides, lents, incontrôlés.

Pénétration du corps inconnu, tout sauf le vide de sa trahison à elle.

Couteau sale de sang de larmes, de douleur de gestes salauds, lâches.
Rumeurs internes de survie reptilienne, un geste con issu de l’imaginaire du minable ressenti du mal baisé, du plaqué.

Partie 3 bis — À vif (suite immédiate)

La bile crachée, immanente migraine extatique, il doit s’asseoir avant de tomber encore plus bas.

Pue la sueur rance de colère et d’alcool.

Il comprend le jour effacé de douleur. Hier.

Il était assis dans une salle de quartier, peuplée de trois spectateurs frissonnant devant :

…le tueur cogne \ barbelé charcute \ Ça doit être parce que je t’aime… \ camionnette pourrie \ effraye \ jouissance \ foutre crasseux \ question de violence \ classe innommable de la folie disséquée \ twist de merde…

Puis, il sort dans la rue. Peu de monde dans la rue, peu de monde perçoit sa démarche de zombie enragé. Il se dirige vers le Corto, un bar à gnons. Célèbre pour la qualité des mandales, du cocktail os brisés et caillots.

Ensuite.

Partie -1 – Déclencheur Flash arrière

Elle passe et décide de ne pas rentrer dans ce rade du double programme, à la moquette fièrement ternie.

Rupture du lapin.

Aucun remords. Ce mec est frustré, il baise comme il respire, mal, en apnées et trop vite. Sa seule fierté dans la vie : pénétrer.

La veille, dans un cadre de lit banal, elle n’avait pas pu finir, corps engourdi. L’amour effacé, un orgasme absent, plein d’ennui. Deux spectateurs seuls : elle et il.

Situation pourrie, jouissance feinte, du foutre dans la main, sur le ventre, sur les draps, sur le nid ensemencé de la honte.

Passé le cinéma... C’est fini.

Partie -1 – Déclencheur Flash arrière. Avant.

Sujet : Elle n’est pas venue.
Objet : désir de posséder.
Quête : amorce enfoncée, opposée.
Récit : ce soir, la bite en berne, il devient araignée, tisse à l’absinthe la toile, il prépare l’arrivée de l’Opposant. Visualiser le mal, faire mal, vite. Boire et cogner.

Adjuvant absent.

Il a tué le temps, et par frustration, un quidam de comptoir, par la rage. Puis il a couru, nu dans sa peur, nu dans son cœur, dans une nuit effacée.

Partie 4 — Vaine action

La porte défoncée des flics cognent. Il tente de comprendre vite démonté.
Hier, Hier, jour effacé.
Encore un peu plus de douleur, des flics cognent sous la foi de la matraque.

Parce que je t’aimais, pense-t-il.

Epilogue

Hier
Dans le caniveau, près du bar, sous la lune, un corps gardé à vie exsangue.

Abandonné par celui qui courut nu dans sa peur, nu dans son cœur.

Parce qu’il pensait aimer

Générique de fin / Codicille : Bon ben je pense que vous commencez à comprendre que j’aime le style libre, l’improvisation. Cette itération "bis" de la proposition#10, part d’un échange sur le groupe Facebook, d’où a émergé un mot qui ne cesse de peupler mon travail : fragment.

9. Apologies immondes du désir et fractal gordien.


proposition de départ
Le Gisant

L’oeil droit s’ouvre lentement.

Reprise de conscience endommagée. Les cils de la paupière gauche collés sur globe infecté. Des croûtes noires, sous les doigts, anciennement nommées sang en vie antérieure intraveineuse. Vision de brique, de peinture, de lierre, odeur de mérule, vision de cadres crucifiés et de fauteuils inhospitaliers. Goût terreux en bouche et rêve d’articulations rouillées.

L’oeil droit ouvert grand maintenant, seul mouvement.

Tentative de suicide sans avenir, dans une masure fantôme. Un cerveau amalgame, atomisé, usé dans le fond et sur les bords. Absence de cohérence. Une boîte de médicaments et une bouteille de whisky vide ornent la crasse. Plus rien que le silence de l’échec, l’ambiance de la moisissure, garnie d’une flaque bileuse alcoolisée, et d’une poignée de comprimés fondus.

Spasme nerveux, détente subite de la jambe droite percute un guéridon décharné. Chute de porcelaine.

Dans les entrailles du Contre-Texte extérmédiaire 8

Une tasse de thé abandonnée à son destin sans aucune importance vacille fort, trop, capitule.

Tombe.
Se brise.
Soupir et oubli.
L’angle de chute
Dépend de la perspective.

Le sautillant

Œil droit, œil gauche, mouvements rapides.
Œil droit, œil gauche, mouvements rapides.
Lucane, ver de terre, reflet, un gisant inerte.
Œil droit, œil gauche, mouvements rapides.
Œil droit, œil gauche, mouvements décidés.
Lucane, ver de terre, reflet, flaque de vomi.
Quatre sauts.
Becquer un comprimé.
Œil droit, œil gauche, mouvements rapides.
Deux comprimés.
Boit la bile, estomac bûcher.
Œil droit, œil gauche, mouvements lents.
Œil droit, œil gauche, mouvements trop lents.
Soubresaut décelé, bruit de fracas de faïence.
Tentative de fuite.
Œil droit, œil gauche, mouvements imperceptibles.
Augure fini.

Dans les entrailles du Contre-Texte extérmédiaire 8 (bis)

Une tasse de thé abandonnée à son destin sans aucune importance vacille fort, trop, capitule.
Tombe.
Se brise.
Soupir et oubli.
L’angle de chute
Dépend de la perspective.

Le fringant

Pied droit, pied gauche, rapide.
Inspiration en rythme. Foulée légère.
Pied droit, pied gauche, semelles à double gel.
Expirer en rythme, surtout. Foulée menteuse longue.
Squat en vue, vision détestable.
Des covalences adultères.
Miroir de la ruine existentielle.
Pitance à suicide pour animal galeux.
Souffrir laisse au pas.
Pied droit, pied gauche.
Respiration au rythme d’idées mauvaises.
Foulée de coton imprégné de sueur, de narcisse et de semence.
Pied droit, pied gauche, gauche. Arythmie pitoyable.
Squat odeur de non-lieu, trop proche.
Un bruit de bris, un mouvement derrière les murs pourris.
Foulée brisée, lierre d’autel et vœux brisés, course aride.
Accélérer, fuir cet endroit intime putride.

Le Gisant

Titube vers l’inconnu Le sautillant Bascule vers l’infini Le fringant Prend sa douche La tasse Centre de gravité

Le Gisant Centre de l’inconnue Le sautillant Titube vers la gravité Le fringant Bascule vers sa douche La tasse Brise le temps

Le Gisant Centre de gravité Le sautillant Titube vers l’inconnu Le fringant Bascule vers l’infini La tasse Prend sa douche…

Codicille : Tout se tient dans une logique gordienne. Bonne lecture.

8. De l’apologie du Monde réduite à l’expression du désir compulsif et inversement.


proposition de départ

Contexte Intérieur du Récit :

Amalgames atomiques, raclures de noyaux narguant protons ± électrons ± neutrons / Vide / valence \ Vide. Du hasard de nombreux chocs titanesques surgissent minablement des lieux communs de matières stables, devenues brique peinture, lierre, mérule, cadres suppliciés, fauteuils inhospitaliers. Goût d’humus et rêve de semence consumériste.

Contre-Texte Intermédiaire Du Récit :

Un taudis quidam aux murs distingués par les griffes d’implacables architectes végétaux, disciples du Bosch des mauvais jours. Adulateurs sporadiques du tachisme pourri. Ci-gisent : un reste de table, une horloge, une pile de vieux magazines cathodiques rescapés de la désintégration. Les particules stables encore longtemps vacillent.

Intérieur :

Une tasse de thé abandonnée au destin sans aucune importance. Résidu vert-de-gris cobalt aux lignes estuaires. Puis ramure d’estuaire ; puis estuaire de conscience ; puis, complexité d’estuaire de conscience. Avant de s’indéfinir. Large, superficielle ou profonde, son intensité ne détermine pas son histoire qui vacille.

Extérieur :

Motifs moches, caricature grossière de volutes élégantes, création de l’œil adipeux, épitaphe manufacturée. Nourrie au grain mauvais, suspicion d’éclats, pièges à lèvres distraites. Une mérule de vaisselier comme il en existe tant et plus en ce monde. Une tasse de thé abandonnée à son destin sans aucune importance vacille fort, trop, capitule.

Contre-Texte extérmédiaire :

Tombe.
Se brise.
Soupir et oubli.
L’angle de chute
Dépend de la perspective.

Contexte Extérieur Du Récit :

Plus rien que le silence de la moisissure usée dans le fond, sur les bord, absence de cohérence et chaos lent. Des heures abstraites d’hommes morts, de femmes mortes, de mouches mortes, de cloportes momifiés, de fantômes faucheux. Loi séculaire des particules amorphes, victimes du manque de chaleur.

Contre- Saint-Texte extérieur du récit :

Un Monde fatigué au déambulateur défraîchi porte en ses entrailles le feu, en sa coiffe l’air, en son sein l’eau, en son derme la Terre. Il ploie sous la charge de la pustule anthropoïde, saloperie de comédon en devenir d’acné infectée, promesse d’éruption, encore et encore. Dans deux pas ce monde se buttera sur un repli du tapis. Soupir, oubli et suicide.

Narrateur :
175000 remontées de ressorts.
350000 mouvements aller-retour.
Incassable et moche, stable, forte.
Une mécanique pauvre jamais épargnée.
L’horloge aura battu plus longtemps que ses proprios.

Je viens juste d’achever ce texte dans une sorte de "transe". Oublier l’illusion que le concret existe, que le réel existe, que la vérité existe. Remonter aux origines de l’origine du mensonge du sens. Il n’y a pas de sens, il n’y a que nos visions individuelles et nos restitutions. Dans la foulée j’ai pris en un geste réflexe l’album Matrix de Ryoji Ikeda. Une illusion sonore puissante.

7. rain check


proposition de départ

Lux sombra dans un sommeil boueux de mangrove et de labyrinthes ligneux. En eaux extrêmement sales, parsemées de rêves difficiles et épais, rares pestilences vulgaires. Epais comme une tourte à la sauge noire, fracassée dans un quart de litre de Sainte Moonshine.

Dans cette chute lente, Lux se dit dans un moment de lucidité : C’est impensable ce remugle, comme envisager un rendez-vous aveugle avec Satan ! Ce salaud ne me battra jamais aux cartes ! .

Lux but du regard la mangrove de haut en bas. Prenant puissamment conscience de chacune des bactéries, de chacune des radieuses larves, du chant des parasites, de l’aspérité de la noble écorce, des courageux rayons de lumière combattant les ténèbres. Il ressentait chacune des naissances et morts putrescibles.

Il faut avoir l’âme inexistante pour jouir d’autant de place en soi…

Enfin sa soif étanchée, Lux affirma en ces lieux hostiles sa bonté inspirée et naturelle, son attention expirée pour le moindre détail. Il s’agit d’un talent splendide, indicible, dont il avait hérité bien avant ce monde, avant l’avant, d’avant les concepts.

Lux fit ensuite son nid à la frontière de la magie noire et du lierre, à l’abri des sandwichs aux huitres.

Par réflexe de survie immédiate, la mangrove craque, grince, la révolte marécageuse gronde. Elle s’écrie effarouchée : Un exorciste en ces lieux ! Quel fils de chienne ourdit donc ce complot ?.

Lux s’abîma sur ce matelas purulent d’écailles épaisses, d’espaces amples de ténèbres belles et infinies, amples aussi de jupons amoraux. En cet endroit précis sur une berge noueuse, inconfortable, certes, Lux — en son immense générosité — accepta l’accolade dangereuse des caïmans, des ucas, des mantous, des facétieux périophtalmes et des quidams aux regards menaçants.

Avec calme et volupté.

Rassasié d’amour, Lux entama une sieste belle… Satan n’aurait qu’à se dégotter un nouveau partenaire de poker menteur !

Codicille : Je suis fasciné par le bayou, par les sortilèges, pas les eaux troubles, par les âmes à la dérive. Pourquoi le passé simple m’inspire cet écosystème onirique, et l’omniprésence du lierre ? Peut-être m’évoque-t-il l’inquiétant martèlement de la chanson We Got a Date d’Hasil Hadkins, litanie d’un culte impur, que je viens de réécouter pour la 10000e fois. Il fait franchement cru et fou ce soir, vous ne trouvez pas ?

6. Vladimir fils de Jean


proposition de départ

Hassan, le vieux des montagnes, le dieu des assassins pleure son chat. Ses larmes se figent, en parchemins éphémères, sous l’effet des nuées de poussière. Sagesse des rides et du scribe animiste

le vide douloureux hurle à gorge déployée, immense cri indicible

Hassan n’a jamais nommé son chat. Ce qui n’est pas nommé
ne vit
ne meurt

William, le vieux des outrages, dieu des manuels d’achronies révolutionnaires mensongères, pleure ses chats. Ses larmes ne coulent pas, trop de poudre dans le système, destinée aux insectes et aux rails

poudre des fluides figés

William pleure Allen : sec
William pleure Gregory : sec
William pleure gerbe Tanger et Andy

nommer c’est détruire, quelle jouissance !

Dieu pleure l’inanité enfin assumée de son nom être, il se morfond de la grâce des éternels psychanalytiques
tuer le vide ?
le concept ?
l’abstraction ?
comme tuer ?
tuer ?

nommer la fin tarde connement

Je suis Vladimir fils de Jean. La table meurt sous mes yeux, je l’ai nommée, la télévision meurt sous mes yeux, je l’ai nommée, mon laptop meurt sous mes yeux, le l’ai nommé, meurent le frigo, le canapé, l’amanite, le pélican, le brasier. Tous nommés génocides.

l’acte destructeur

Devenu Walter, je regarde lundi dernier afin qu’il meure, salaud boîte de crabe. Qu’il n’ait jamais existé

J’y suis, devenu Sid, j’ai 16 ans, lundi n’a pas existé. Je joue de la guitare basse, elle meurt enfouie sous un amalgame de souvenirs, je hurle dans un micro. Trop tard

Pour moi Gunther, ce lundi n’a pas existé

J’efface des larmes sèches devenues bâillement. Je brasse la poussière, la poudre et la force sortilège de la tristesse

Finalement toi afin que tu vives encore et pour toujours pour tous les lundis de l’histoire, tu ne seras pas nommée

En Vladimir, Walter, Sid, Gunther, le lierre pénètre les yeux, se glisse dans les oreilles, dans la bouche, dans le nez, dans la glotte, dans la chair, il fait douloureux au passage, il décrie, humilie, fait tomber lourd.

Le lierre et sa poussière, sa tendresse paternaliste insoutenable, le lierre et sa force implacable, le lierre qui ne grimpe ni ne descend. Obsession de lierre, obsession de serre, obsession de terre. Y revenir

ma gamme
suspendue comme le Temps
je suis le lierre Implacable
ce soir je suis Dangereux

Fuis
Codicille : Afin de tuer cet instant, il fallait que je l’écrive.
Afin de lutter, je liste une partie de mes noms dérives dérivées.

5 (supplément). Dodécathérapie contrapuntique


proposition de départ

1) Iris dilaté, il se coupa un doigt en 10 morceaux, et, sermonna l’hiver de ne pas disposer de plus d’heures de lucidité. Maintenant, ce fait établi, il passe au doigt suivant. Jusqu’à l’usure.

2) Iris dilaté, il sermonna l’hiver de ne pas disposer de plus d’heures de lucidité et se coupa un doigt en 10 morceaux. Maintenant la douleur établie, il mange 3 pommes vertes et meurt de 7 œdèmes de Quincke.

3) Iris dilaté, il découpe une pomme en 7 coudées, et en mange 3 doigts. Il sermonne son manque de lucidité en cet hiver, s’ennuie pour des mois. Renaîtra alors l’espoir goût de fraise et brocolis.

4) Iris dilaté, il hésite : fraise ou brocoli ? 10 doigts de soupe de fraise et une coupe de brocoli ? L’automne arrive, dépassé de justesse par l’hiver. Le printemps fait la sieste et la planche à découper boude l’action.

5) Iris dilaté, il s’en va l’œil pomme, flou. Ire et collyre aux tripes, rentre à la maison. Découpe en 10 morceaux inégaux le temps, en mange une bonne portion, et, repu, cède les restes aux chats voraces.

6) Iris dilaté, il caresse un chat qu’il découpe – ronronnant – en 10 parts égales, et s’en va semer en terres sacrées. Naissent 10 pommiers nains, aux fruits couleur miel d’acacia.

7) Iris dilaté, un soir d’hiver, un chat dilapide 10 vies en un coup de poker. De pommes il n’y en a pas, d’homme ou de femme, encore moins. Juste un couteau planqué sous les griffes.

8) Iris dilaté, l’hiver planque ses réserves de 10 pommes couleur miel d’acacia au plus profond de la tourmente. Dehors, pas un chat, pas un homme, pas une femme ne râle de cette neige anthracite et cherche le sel.

9) Iris dilaté macro, 10x.

10) Iris dilaté, fou de colère, elle se coupa un doigt en 10 morceaux qu’elle offrit en gage d’honneur à l’hiver, au chat, à l’homme, à la pomme, au couteau, au temps. Il restait un bout, mais peu importe.

Codicille : Et finalement, pourquoi ne pas tâter l’esprit des variations Goldberg, à la sauce OULIPO ?

5. claque bordeaux & 15 000 raisons


proposition de départ
tentative 1, claque bordeaux

0:15. Le troisième œil pleure une larme de sang, allergique à l’impact du loquet de porte… maintenant bloquée par un corps lové, recroquevillé, sanglotant, meurtri, bègue. La trouille ne va pas tarder pour le Mage. Mort imminente.

Une heure plus tôt : rires lourds, regards caresses indécents, paroles aphasiques. Mage.

0:16. Ça saigne toujours, fort, maintenant et pour un bon moment. Lacrymale hystérie post vodka coke vodka amphets vodka, triste trip low-cost. Mage étalé dans l’ambiance mate, dans la fragrance "urine savon de faïence", dans l’Euchriss, l’haleine de cigarette et de sueurs froides. Odeurs de peur, tonalité désespoir panique. Cœur ourdi déchiré, révolution perdue. Pieds calés contre porte, prière d’évaporation et résistance face à la poussée ennemie.

De l’autre côté l’envie de fracas, d’os broyés. Un Bélier, besoin de tuer ostentatoire.

0:17. Première marche de l’escalier : mouvement féminin d’ascension, chevelure belle, abondante, flamboyante. Hamilton sans le flou et le kitsch. Une pensée : sauver le Mage au corps en transe, mobile à la main brisé. Stopper le Bélier, sa charge furieuse contre la porte, répétée. Le bois craque, se fend, bois salaud. Invasion immanente, l’éclairage banal vacille cinq fois en trente-sept secondes. Huit fois en cinquante-trois secondes. Stop ! Odeur d’urine amplifiée. Peau tambour battant dans les tempes un rythme art brut orchestré par les nerfs aux abois. Coup hurleur sur coup sur coup sur coup sourd, lourd, annexe suffocante, urine amplifiée. Nausée.

Bélier persistant, écume à cran, ravageur trahi.
Illusion. Neurones embrasés.

Une heure plus tôt : vodka coke vodka amphets vodka, regards caresses sales chargés. Bélier

Une heure plus tôt : regards en coin, survoltés, prédateurs aux rires lourds, caresses orales indécentes aphasiques. Une allure rousse pâle belle, sans prétention, à l’amour imprécis : Elle

Une heure plus tôt : danse de séduction, niveau supérieur. Jeu d’arcade impact de poing. Explosion, de chair, l’intérieur coule. Réflexe d’escalier gravi sans bruit. Tapis épais, bordeaux, usé, moche, maculé de nicotine en cercles abrasifs, imprégné d’alcools coupés renversés, scarifié de foutre. L’ambiance du claque minable cheesy jazzy bourbier. Dix-huit marches grimpées en record angoissé. Porte ouverte, refermée. Trois-six-neuf-douze poussées, trois chocs charnières, combat épaule contre troisième œil…

Mage contre Bélier, connards en mode démons, résumé express d’humanité tiède insigne et médiocre.

Un ring miteux.
Coin gauche cocktail gogues.
Coin droit cocktail velours bordeaux,
remugle de poussière,
pensées en devenir black-out.

0:18. Cinquième marche, souffle rapide. Sueur sur rampe glissante, panique sur pore. Hurlement microscopique répondant à la panique symétrique du cri étouffé par la charge. Bois achevé, fatigué, bois stressé, bois burn-out craque. Trop de pression sociale, trop de pression d’acromion de Bélier. Pensée obsédante et souplesse rousse : arriver la première, une fois, juste une fois dans ce vide. Gagner une course, ne plus vivre risée, flamboyance sacrifiée sur l’autel normatif. Ne plus rien ressentir de gauche.

Crâne comateux, anévrisme potentiel.

L’épaule endolorie, la clavicule défaille.

Fractures symétriques.

Une heure plus tôt : dégoût, astrologie mauvaise entre le Mage et le Bélier. Défi de petits hommes, de petits esprits, défi d’espaces minuscules. Soudainement, un choc sourd sur tempe, rythme battu pas les phalanges à la chevalière mauvaise. Main droite vers corps qui se courbe. Choc suivi d’un sprint le long des tabourets renversés, course vers le couloir aveugle, tourner à gauche, montée les escaliers, vite.

Elle glisse, se relève, court, espère arriver à temps, louvoie sur fond de remontées de mauvais blancs. Agitation de rade moche, aimant à losers et dépressifs. Centre de temps de crises.

0:19. Dix-septième marche, ligne d’arrivée en vue. Chute lente, chorégraphie minable, à peine perceptible dans son impact. Si près du but.

Encore perdue à jamais.

Mage inconscient, envie de vodka coke vodka amphets vodka en écho, sons étouffés, un acouphène angélique apparaît beau, strident, numineux et l’emporte vers le mensonge de la rédemption. Là-bas il fera noir, vide, il fera absence.

La bile du Bélier sur tapis bordeaux évoque un Rorschach, craquement amplifié de sa clavicule rebelle. Envie de vodka coke vodka amphets vodka brisée par la subite hyperacousie. Trop incarné pour ne pas s’évanouir.

Cette banalité ne revivra pas, en voici le certificat de décès.
0:20. Mort officielle de l’instant.

Codicille : Embrasé par la vidéo explicative de cette 5e proposition, je me suis lâché… je décris en quelques minutes une dérive de machos défoncés jouant aux coqs devant une femme perdue dans sa tristesse. Je tente de briser autant les personnages que la syntaxe, de restituer pensée ivresse, speed, panique, un soupçon de rage et l’incompréhension d’une femme prise en otage par deux machos rétrogrades. C’est un exercice peu évident, au chrono et aux 5 sens déployés… Faut oser, quitte à y revenir et à regretter un peu.
tentative 2, gozaimasu motherfucker

Ça claque deux fois comme le bois fendu, comme la langue endolorie par la parole des oiseaux abattus, piercés par les nombreux souffleurs de mauvais actes. Actes désincarnés de l’Initié sec, craqué, royal destructeur. Ca claque trois fois, solde de chien en sac prisonnier de karma putride et condamné par l’invariance violente. Au-delà du mur, une voix au téléphone décrit en détail la précédence faussement innocente, le chien, le sac, les chocs exposants. Faussement innocente cette voix de femme, douce, chantante, pourfendeuse de langue, militante du génocide des oiseaux. Voix souffle rauque libérée de la main du chien, souffle lourd de la vision éclair répété. Tendre le noir affirmer le cercle dessiner l’angle, sois le Pourquoi et l’Omega. Danse lente imperceptible afin de recharger l’impact. Ça claque quatre fois pas de sursis pour le chien… Itaï !

Codicille : Une femme battue décide de se venger de l’archétype du mâle dominant, brutal. À bout, elle le torture, le colle au fond d’un sac… appelle à l’aide. L’homme entend tout de loin, comateux et "aveugle". Finie la parole "codée" du paternalisme facile, finie l’autojustification. IT’S PAYTIME MOTHERFUCKER !
tentative 3, 15 000 raisons

13h. Mercure haut, chaleur silencieuse. Les insectes vibrent à tour de rôle, chant collectif, Internationale mesquine, la sueur abonde en continu. Le temps pèse sur l’organisme en de longues journées intransigeantes de lumière. Chaque ombre s’efface au profit du sujet abasourdi, planquée lors d’une mêlée ouverte en maquis intime. Zénith terrassé au loin. Les feuilles meurent aussi, symphonie de la chute imperceptible. De petits clacs aventureux et suicidaires, loin, près, solo ou en grammes. Au creux du lit de poussière, un corps silencieux, yeux fermés, écoute le rien et observe sa conscience : le poids du vide pèse ici 34,5 kilos de moins qu’à Helsinki, 23,3 kilos de moins qu’à Hambourg, 17,5 kilos de moins que dans la coupe claire de la presqu’ile jouxtant Chalonnes-sur-Loire. Aucun souvenir de Mendoza et de Carthagène, de Varadero, pas plus d’Iguaçu et de Java, encore moins de Prague. Peu importe, le piano a disparu en ces contrées sous les haches — Allende, Pinochet, Bastista, Castro... —, enterré à côte des voix aux chœurs étrangers, souffrance et joie confondues.

14h. Mercure mortel, bouche sèche, peau brulée, sandale gauche défaite et tombée sans rigueur. Cuir craquelé de qualité révision des 5000 converties. Encore 15000 à parcourir, seul.

15h. Tentative de redressement infructueuse. La poitrine ne se soulève plus qu’une fois sur quatre, pour l’instant. Agir vite n’a jamais eu de sens, archétype foireux. Une carte à la main, pointe d’aiguilles à couleurs, souvenir de rayon de poussière en prose, en dégâts et jouissance constante.

16h. Survivre une dernière fois constamment.

Codicille : Je suis fasciné par la quête du silence de l’artiste belge Baudouin Oosterlynck. En des textes rigoureux, des dessins superbement « naïfs », cet ancien professeur de gymnastique et musicien « bruitiste », a décidé un jour de réaliser la cartographie de sa quête du silence. Des milliers de kilomètres, sous le plomb, couchés dans le creux des rus et rivières évaporées. Il observe et consigne la qualité du silence, le poids de l’air…

4. foi du vide et du rien


proposition de départ
foi du vide et du rien (rêverie et hymne doux

Les yeux mi-clos, le regard droit, admirer la poussière virevoltante, isoler un groupe de grains, puis moins, encore moins, jusqu’à trouver le grain parfait et s’y projeter. Voler dans la lumière, disparaître lorsqu’un nuage passe afin d’affirmer son existence par l’absence. Prolonger cet instant, noter chaque sensation dans un carnet absent et sénile, prolonger encore tant et si bien, supplier pour que cela ne s’arrête jamais. Prière agnosthéique d’apatride spirituel. Une guerre commence pour moins que ça, mais pas aujourd’hui, pas le dimanche.

Revenu du temple situé à 750 mètres de la maison.

750 mètres, une vie, cette distance, pour un cœur à double rythme : entrée lente, sortie rapide. Marcher louvoyant, marcher accroché aux poteaux, marcher observé par l’autre, méprisant. Marcher chaque pas essoufflé. Souvenir : il était une fois marcher louvoyant accroché aux poteaux chaque pas essoufflé coûte palet défibrillateur, pompe palmaire sur côtes, 1/2/3, 12/3, 123/, souffle de l’autre. /123123 palets sans richesses, dévasté par caillots destructeurs, sauvé brisé ridicule ou rien. Diagnostic 37 taille adulte, parti pointure 71. Beaucoup trop tôt. Salaud. Revivre à soi sans miracle. Ne rien changer. Ne pas croire surtout. Terre / Lune / Soleil. Terre Lune / Soleil. Souffle Psyche Nous. Psyche Soma, etc. Saveur du rêve redressé. S’en foutre, virevolter le plus longtemps possible, grain de poussière révélé par la lumière. Comprendre le vide, y plonger, y barboter, y flotter, l’aimer. Hourrah ! La foi du vide et du rien. Fresque évoquant les apparitions des saints catalans sur les voûtes d’une église cathare, pillée par Christ, petits personnages aux grands yeux dévots, perçus une fois franchie l’ombre et le froid du cœur de la roche.

Voyage statique pointe de la langue collée au palais. Léger mouvement du dos enrichi d’omoplates angéliques, tentative d’envol avortée. Yeux mi-clos. Sentir l’atterrissage, perdre le grain dans la foule de ses pairs. Corps chaud aux pieds brulant du désir de marcher. Vivre risquer sans résurrection. Surtout pas. Vivre bien, fort le lierre, aimer l’acier, les carrés, les triangles les rectangles, en cercles intimes et extérieurs.

Codicilles : Le souvenir est une arme redoutable… Morceau de bois, serre et ami déjà cités (héros récurrents ?), mon père en sursis, les pas en pays occitan. Tout s’entremêle en fragments, au gré du rêve de poussière, je ne maîtrise plus rien pour mon plus grand plaisir.
foi du vide et du rien (hymne dur

Les yeux écarquillés secs à se forcer, fustiger la poussière virevoltante le regard tremblant, mue d’humanité, haïr un groupe de grains, puis moins, encore moins, jusqu’à trouver le grain martyr et transpercer son flanc de l’iris.

Martyr idiot et Apocalypse pathétique.

Rager à bout de souffle dans la lumière, disparaître enfin lorsqu’un nuage passe et rapidement invoquer le bannissement de l’embellie. Prolonger cet instant de détestable jouissance, l’étirer, le distendre sur la roue et supplier pour que cela ne s’arrête jamais. Prier pour qu’une guerre nerveuse commence aujourd’hui dimanche de fin de juin.

Toxicomanie de la colère et ivresse de la vengeance
Dévot maudit idiot les yeux vides remplis de cavités
Talion du Scorpion

Rager louvoyant, rager accroché aux poteaux, cracher observé par l’autre, méprisant. Crasher chaque pas essoufflé. Souvenir : il était une fois rager louvoyant accroché aux poteaux chaque pas essoufflé coûte palet défibrillateur, pompe palmaire sur côtes, 1/2/3, 12/3, 123/, souffle de l’autre. /123123 palets sans, dévasté par caillots destructeurs ridicules.

Mourir de colère en sursaut libéré de tout maître
La foi du vide et du rien
La foi vide du rien

Codicille : Je ne peux générer la colère écrite que par le ressenti de la colère, invoquer le dur par le ressentir de la tension. Attention aux yeux ! Sur ce… un valium !

3. passeport triste


proposition de départ
amplitude nouvelle

7 heures plus tôt entre Québec et Montréal sur la 511 voiture mini blanche petite élégante, le conducteur aussi. Mince naturellement fier cheveu légèrement bouclé. Volcan de mots, de gestes, cœur à double rythme : entrée lente, sortie rapide. Pression schizophrène, valve métissée à décompte fatal. Constante in extremis constante. Patrimoine à 5 dimensions hérédité des bois de la neige du vent du feu des totems origamis. Mère, père, Soi trois visages emboîtés. Des rivières. Trois à droite, mots suspendus en minutes. Mars 2015 post Tempête. Apparaissent troupeaux de lieux-dits, amnésie de rétroviseur. Un mont un plat un espace grand, une syntaxe topographique fracassée. Décalage horaire sans indulgence. Banquette arrière, mini blanche, forme blonde volubile coincée, bagages et exiguïté, tend oreilles parle becs de lièvres. Sourcil gauche en suspension signale d’inquiétants haïkus sans début ni fin. Enigmes implacablement prophétiques, bord de coupe immense, centre de page. Sensibilité cadran indicateur rouge.127,5 mi-distance du dialogue, des forces, des récits, de l’air à renouveler, du sens. Apnée, transition, inversion, décompte. Instant imprécis. Passeport triste cachets passés, cachets futurs, frontière franchie. 6 heures plus tard Taipei Banana Line direction DAC, 101 couleurs françaises, 14 novembre 2015 là-bas. Petit-déjeuner sans saveur pâtes carton sauce brune, architecture grandes cités montréalaises. Décalage horaire sans indulgence. Moustiques tigres chikungunya thé vert latté ambiance 2046. Essaim de scooters sonars bouddhistes. Nuit, nuit asiatique américaine. Huit trisomiques lumineux une femme des sourires, de l’amour et des nouveaux dollars. Quelques. Photo de groupe karma feu vert. DAC. Huit voix un écran des fantômes dansent générativement : ronds, déployés, granitiques, cagiens... Arrière-salle forme noire mutique mandarin minnan hakka, anglais de partage coincé, bagage émotif et exiguïté sociale. Paroi gauche, paroi droite, sortie lente. Labyrinthe temporaire. DAC. 101 larmes. Sueur amusée, sutras, tablettes, encens. Yeux fermés regard intérieur. Nature et océan à portée de main mais Banana Line direction hôtel. Ici ou ailleurs, 9500 négations du plaisir. Passeport triste cachets passés, cachets futurs, frontière franchie. 2015. Ariège, basse montagne, horaire aligné. Dans le lac glacé plan élémentaire en soi dissolution. Passeport brûlé après le mirador, libre.

Codicille : Après choc, je partage des flashs, pas les détails – encore assez riche – de quelques voyages effectués en 2015. Le 13 novembre 2015, je me suis réveillé dans un hôtel à Taipei. Un ami vivait en direct le drame du Bataclan, j’étais à 9500 kilomètres de Paris. J’ai vu la tour 101 pleurer des larmes tricolores, je foulais enfin l’Asie, heureux, mais je voulais rentrer vite embrasser ma famille. J’étais sous le choc, loin, la crainte idiote de ne pouvoir revenir en Europe. La presse sous le joug chinois analysait étrangement l’événement, citait Poutine. Le décalage était total.
amplitude roman

7 heures plus tôt entre Québec et Montréal, en route sur la 511, assis, trois, dans une Mini Morris blanche, sport, large, frimeuse. Une petite mécanique toute aussi élégante que son conducteur, homme mince naturellement fier cheveu légèrement bouclé. En sa compagnie avis de Tempête déclenchée la veille au Musée national des beaux-arts du Québec sous-Rhizome produit. Crâne douloureux, bière, vin, bière, vin, absence, vain, absence, souvenirs automatistes jappe Gauvreau : "Moutravor Oeil sang du pur-sang Le gland a des offrandes pour les carmélites en fleurs Marche Oeilné Marche". Aurore Boréale migraineuse nauséeuse 250 fois 1000, tempe bat fort. Calvaire routier exponentiel amusé après une séance d’enregistrement, vieux Port. 2 voix, 3 prises, évoquer chapeau mou et moustache, blonde, bras cassé d’enfant, souffrance de l’indifférence, les cabines téléphoniques, le mercure à la fourche, le silence noir, la transparence cercueils... évocation d’images fortes d’une détonation 49 fois une troiscentsoixantaine. Trois ans ou presque. Mains vissées au volant, élégante conduite était volcan de mots, de gestes, cœur à double rythme : entrée lente, sortie rapide. Pression schizophrène, valve métissée à décompte fatal. Constante in extremis constante, menace épicurienne. Découle d’un patrimoine à 5 dimensions, hérédité des bois de la neige du vent du feu des totems origamis. Trois fois soi : Mère, père, être. Trois visages indiens. Croise des rivières, trois à droite, une erreur de jugement, y sont suspendus mots minutes, trois fois nécessaire. Elégante conduite baroud. Mars 2015 post Tempête. Apparaissent troupeaux de lieux-dits, amnésie de rétroviseur amnésie immédiate. Un mont un plat, un mont élevé, un espace grand, une syntaxe topographique fracassée pour le passeur européen. Décalage horaire sans indulgence. Rappelle hôtel, vélo, minuscule piscine, jacuzzi pauvre, 5 heures du matin. Froid, -25 x 1 vers brulerie et pain bleuet. Bénit par 7500 bonheurs. Banquette arrière de la mini Morris blanche, calée forme blonde volubile, coincée forme blonde volubile par les bagages et l’exiguïté. Un choix sensuel, oreilles tendues et becs de lièvres. 2 prises ce matin, hier Tempête vécue extérieur et intérieur haute sensibilité. Larmes, partagées presque. Une forme d’amour fraction de seconde. Blonde et sourcil gauche en suspension, signalétique des inquiétants haïkus sans début ni fin, des prolégomènes, énigmes implacablement prophétiques. Des petites matières premières noires, densité maximum, bord de coupe blancs immenses, centre de page. Pas plus économie du désespoir vaincu. Sensibilité cadran indicateur rouge. Principiels. 127,5 mi-distance du dialogue, des forces, des récits, de l’air à renouveler, du sens. Apnée, transition, inversion, décompte. Instant imprécis. Passeport triste cachets passés, cachets futurs, douloureux, frontière arrêt sanitaire. Temporiser. Impossible malheureusement.

Codicille : Mars 2015, après une performance à Québec et un passage en studio afin d’enregistrer les lectures d’amis poètes. Nous prenons la route à trois à bord d’une petite bagnole, une bombe, trop petite pour nos grandes gueules. Mais nous irons au bout des 270 et quelques kilomètres séparant Québec de Montréal.

2. Bearla


proposition de départ

C’est un endroit enragé par le déclin affectif. Vu d’ici, impossible de déterminer si le lierre tombe ou grimpe, ici la logique botanique a déserté par trop ennui. Il ne se passe rien d’autre que le temps compté en équinoxes bissextiles. Seule certitude furtive à souligner : le lierre enlace tendrement le métal d’une serre.

Cathédrale sans lieu ni loi.

Carcasse isolée d’un autre temps - perdu -, en son cimetière personnel, dépourvu de chair, de muscles, de tendons. De l’affirmation politique de tout son être de métal, de ses particules infinitésimales résistantes à la destruction… la serre approuve sans sommeil cette notion du temps binaire, mais la traduit en coudées subtiles et romanes basiques : en carrés, triangles et rectangles. De beaux volumes, certes, reproduits sur le sol, en reformations instables, au gré du jeu d’ombres et de lumière… mis en scène par un chapiteau d’arbres (autoproclamés) vertueux.

Hypocrites.

Pour le lierre cette serre représente le plein, l’amour, pour l’ombre et la lumière, le vide, l’amour. La boue passagère n’a pas d’avis, angoissée par la perte constante de la visquosité essentielle à son existence. Les arbres hautains ne se prononcent pas. Par moments, c’est beau cet abandon dans le silence, mais pas forcément toujours. Ca sent la nature par-là, le marais écarté, aussi la bagnole indifférente et proche du lieu-dit "graffitis à l’odeur d’échappements", puis le restaurant asiatique mort.

Tout un conflit en soi, moche, rude.

Orpheline et emmerdée par les voisins, la serre s’affirme, elle gueule et regueule à chaque maintenant… sans parole. Un spray de peinture rouge foncé a tenté de restituer un fragment à fortes coulées de ce discours mutique et aphasique.

Tracé maladroit.

Les yeux voilés liront "BEARLA", les autres riens. Deux camps c’est trop, trop pour ne pas provoquer des batailles d’experts ! "BEARLA" hurlent les uns, "RIEN" affirment sèchement les autres. Ca se castagne à la tombée du jour.

La boue panique.

Un jour proche les porcs vietnamiens aux poils drus parqués dans une zone non loin, vont débarquer et trancher définitivement ce sujet de discorde. Il n’y aura plus de débats, plus d’affrontements. Restera la solitude du multiple. C’est peut-être ça le sens de "BEARLA" : rien et sans appel.

Codicille : Je suis passé récemment –- par hasard — devant cette serre, je l’ai contemplée un long moment, puis photographiée. J’étais fasciné par ce volume, par le jeu d’ombre, par la scénographique générative et généreuse du moment. Puis aussi par un graffiti indéchiffrable. Je me suis senti explorateur et disciple de Champollion, coup de soleil.

1.1. _ hantés ou libres


proposition de départ

Matin de l’esprit neuf heureux du nouveau couvre-chef implanté par la pluie, par le vent, par l’ail des ours abondant, odoriférant, bien que déjà couché, il se fait tard, étonnamment tard pour croiser un étrange coléoptère — ou bien batracien — sur le chemin. Le sureau veille. Les saules se creusent, s’absorbent, l’un d’eux dessine un oeil. L’herbe s’organise, le lierre n’a pas de limites, imité par le houblon peu imaginatif. C’était la veille au soir de ce jour neuf, heureux, le jour de l’esprit au nouveau couvre-chef. La veille au soir avant le pont. Avant le tunnel en béton, sombre du soir, résonnant, rugissant, zone neutre, zone de transition temporaire. Sombre du soir amplifié. Pas assez cependant pour effacer les graffitis à l’odeur d’échappements. Pourtant, subitement, une question se pose : « sans lumière, sur un chemin de terre et de gravier, la différence entre un coléoptère et un batracien est-elle perceptible ? La manière dont il se déplaçait semble familière. Mais pas assez, pas assez pour acquérir aplomb et certitude ». Cette humilité de l’esprit vaut bien un couvre-chef neuf. C’est une affaire, une affaire d’esprit, grands et petits, visibles et invisibles, hantés ou libres. Cette humilité, certes moins belle que le champ de pommes de terres penchant vers la droite, vers la forêt ; moins belle que le champ de choux, montant vers la gauche citadine, puis déclinant vers une ancienne ferme… vaut malgré tout pour l’autre déclinaison : celle du jour. En oranger intense, en bleu ferme, agressé par un vert pollueur, en rougeoiements joyeux et dispersés, et tout ce que l’esprit veut y voir. Ce soir, tard, aux confins. En dessous du monde des voitures, en dessous de la ceinture, en dessous de la tristesse, en dessous de la journée. Demain sera joyeux.

Codicille : J’arrive du son, mais je ne suis pas musicien, je sculpte. Je débarque de la photo et de la vidéo, mais je ne suis pas plasticien, je taille, rabote. L’interdisciplinarité me convient, parfois, car sous crâne ça va souvent trop vite. L’écriture est mon enfer personnel. J’aime ça… mais les complexes me bloquent. J’ai pourtant envie de tenter le coup, en milieu bienveillant. Tenter d’acquérir un "skill" de plus. Humblement. Demain sera joyeux.

1.2. _ hantés ou libres, version bis


proposition de départ

Martin Serge Lancet commande un quatrième café. La serveuse le lui apporte, Martin Serge Lancet profite une fois de plus de la poitrine de la serveuse. Ne se rendant pas compte qu’il observe les proportions divines, la perfection du Monde, l’infini et le fini, le tout et le rien. En aura-t-il l’intuition un jour ? Peu probable, seule l’exotique de la courbe, le lieu commun charnel l’intéressent. Peut-être en aurait-il été autrement si Martin Lancet était mathématicien myope, géomètre fumiste, peintre castré, anarchiste singulier, chaman défroqué... C’est incertain et cela mérite une méditation, une stase dans un univers à l’harmonie inconfortable. Il n’en sera rien. C’est juste un mec habillé en costume classe passe-partout, cravate classe passe-partout, chaussures élégantes passe-partout, lunettes de soleil faussement négligées passe-partout. Il porte pour 2839 euros et 56 cents de fournitures passe-partout, c’est couteux la conformité. Enfin, cher pour Prosper, le glacier à l’autre bout de la place, cher pour Anne, la vendeuse de parfum décolorée, hors de pensée pour Jean, le sans-abri noir de crasse fatigué de tendre la main, fixant obsessivement son gobelet comme d’autres prient Dieu. Jean attend une réponse. Il ne lève plus les yeux au ciel, il n’en a plus la force. Bientôt il rejoindra la terre que la gravité de la situation le force à regarder jusqu’à la révélation. Plus tard. Quant à la serveuse, rebelle, elle observe le tourbillon de cheveux de Martin, cet endroit situé à mi course de son os pariétal droit, à 45° du point central imaginaire de son oreille droite, dans les bonnes conditions d’observation. De cet endroit magique se déploie un cyclone capillaire, unique en son genre, un semblant de vanité discrète, taillé avec savoir-faire passe-partout par les ciseaux d’une experte aux tarifs exorbitants. C’est merveilleux un tel tourbillon, de là ne peuvent surgir que de passionnantes tempêtes sous crâne, impossible qu’il en soit autrement. Pendant que Martin Serge Lancet affronte lâchement un torticolis, le prix à payer pour garder l’œil sur les proportions divines, l’esprit de la serveuse fuit vers l’Ouroboros encré quelques années plus tôt sur son avant-bras gauche. Une distance infranchissable pour toutes et tous, une distance métaphysique, ça fait loin. Ça permet d’observer le nuage devant le soleil, la subite chute imperceptible de température, la lumière belle, un instant, moins banal, un refuge, un lieu sacré et sans dimension. Sa fierté, ce tatouage, signifie qu’un jour le sans-abri, Jean Serplet dit Simon, contemplera à nouveau les étoiles, que Martin Serge Lancet découvrira le Nombre d’Or, que Prosper Marcelin, sourira au moment de tendre le douzième cornet avec petits compléments sucrés arc-en-ciel, que la vendeuse de parfum, Anne, simplement Anne, arrêtera de ressentir la nausée causée par le mélange dégueulasse des fragrances aliénées dans son magasin à l’éclairage fade et ennuyeux. Dans ce monde circulaire, la serveuse retrouve son identité, Marisette la sombre, surnom curieux qu’une mère amoureuse de sa fille lui donna un jour, il y a longtemps, vu les grands yeux noirs de Marisette, ses cheveux tout aussi noirs et mystérieux, vu son âme insondable, vu sa magnifique pigmentation de peau, foncée à point, douce et sans défauts. Ce surnom sa défunte génitrice l’a emporté dans la tombe, un 26 mai serpentaire et nuageux. La température a chuté ce jour-là, fortement. Marisette la sombre s’en souvient émue alors que Martin Serge Lancet dépose un généreux pourboire passe-partout sur la table, et part en tremblant. Il ne supporte pas la caféine.

Codicille : J’aime le foisonnement intime, le bourdonnement des riens, l’écho des sentiments. Tout est musique, tout est chorégraphique, tout est dans rien

 



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1ère mise en ligne 23 juin 2020 et dernière modification le 7 novembre 2020.
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