le roman de Martine Tollet

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Martine Tollet est conteuse et formatrice à l’art du conte. Elle a beaucoup cheminé aux côtés d’Henri Gougaud et de Bruno de La Salle. Elle anime « L’Atelier de la Parole » à Paris et « La datcha de l’Oeil de la Source » , une maison d’artistes dans la Haute Vallée de l’Aude. Après des études de théâtre et cinéma à l’insas, en Belgique, elle a longtemps travaillé à la RTBF comme réalisatrice de petites formes et scénariste d’une émission pour les enfants. Elle est l’auteure de nombreuses adaptations de contes et d’un roman : Chez Alexvoir son site martinetollet.com

20. LA MORT D’UN CROONER


Entrée du cimetière du Père-Lachaise, face à la rue de la Roquette.

Des gens attendent, parlent entre eux. Ils sont tous du quartier Charonne/ Faidherbe, ils se connaissent. Causent de l’accident qui est arrivé à ce pauvre Marino Marini, qui a succombé à la morsure de son crotale dont il voulait extraire le venin pour le vendre, comme chaque mois, à Lantoine, le pharmacien.

Pauline, la serveuse du Petit Baïona, s’étonne d’apprendre que le souriant Marino ait pu élever un serpent à sonnettes dans son deux-pièces, Seb, le patron du Pure Café, lui raconte comment Marino, autrefois chanteur de charme sur des bateaux de croisière sillonnant la Mer Baltique, perdit sa voix en découvrant dans ses couvertures, un crotale dissimulé là par vengeance par un amant jaloux. En effet, Marino venait de rompre avec le steward en question car il avait rencontré à Saint Péterbourg et embrassé à Gdansk, sous les fenêtres qui furent celles de Lech Walensa, l’autrefois belle Lucienne Charbonnier, professeur à l’Alliance française. Pour conjurer le sort, guérir en quelque sorte le mal par le mal, revenu à Paris Marino s’était mis à l’élevage des serpents dont il vendait le venin au prix de l’or., ce qui lui permettait de mener une petite vie pépère en compagnie de sa chiwawa.

L’autrefois belle Lucienne Charbonnier est là aussi, appuyée contre le mur. Mantille noire sur ses cheveux blancs, jupe écossaise et bas bleus, elle lit la Pravda avec ostentation et mépris total pour ses voisins.

Lantoine, le blond pharmacien, qui ne se contente pas de vendre du Doliprane mais triture volontiers des substances dans l’arrière-boutique de son officine ( à quel usage ? allez savoir !) marche de long en large parmi la foule en criant : « C’est pas ma faute, je lui avait bien dit de mettre ses bottes en caoutchouc. On a pas idée de faire ça en charentaises ! » . « Bah, ça lui apprendra ! » répond stupidement le marchand de fromages en tablier noir orné d’un dessin de vache, avant de se mettre la main sur la bouche en murmurant : « Oh merde ! » . Il regrette surtout ses mots parce qu’ il se rend compte qu’il a été filmé par Mustafa dit Petit Mouss, le journaliste de Brut qui diffuse en direct sur Facebook avec son téléphone. Petit Mouss vient en effet d’arriver et de se mêler à la foule après avoir balancé sa trottinette électrique dans le caniveau.

Le corbillard arrive, pénètre dans le cimetière, s’arrête au début de l’allée devant l’employée. La porte du fourgon s’ouvre. Six gars s’avancent, sortant de la foule. Ils sont chargés de porter le cercueil jusque’à la tombe. Ce sont les six Pakis qui travaillent à la plonge dans les restos du quartier et s’entassent la nuit dans un appartement pourri de cafards et de souris qu’un marchand de sommeil illettré de la rue Godefroy Cavaignac leur loue bien cher. ( six autres Pakis qui partagent l’appartement des premiers sont des vendeurs de roses la nuit aux terrasses, nous les verrons plus tard, formeront une haie d’honneur, des bouquets plein les bras, car ils aimaient Marino qui leur achetait souvent des roses rouges … pour qui ? pour qui ?)

Le cortège se forme.

Une petite fille apparaît de derrière la tombe d’Alfred de Musset et court se mettre au premier rang. Elle est vêtue d’une robe des années 1920, avec des bottines à boutons et un ruban dans les cheveux. Le convoyeur du corbillard vient lui déposer dans les bras un coussin de velours noir sur lequel est posée Marina, la chinawa édentée de Marino qui porte un lacet de crêpe noir entortillé à son collier en strass. Cette enfant est la réplique vivante d’une petite fille représentée sur une photo de famille accrochée au mur du salon de Marino. ( Cette photo sera évoquée dans un flash back lorsque les pompiers découvrent Marino mourant. Marino dans un dernier souffle murmurera, à l’adresse de la photo : « Tante Augusta, ma tata Gugu, tu me l’avais pourtant dit : méfie-toi de Mélanie, la crotale ! »

La fantômatique Augusta se place donc au premier rang derrière le cercueil et les autres personnes se répartissent derrière elle.

Il y a d’abord Luce Charbonnier entourée de Lantoine et de Seb . Elle pleure dans un mouchoir soviétique ( en coton brodé d’une faucille et d’un marteau).
Vient ensuite, Frida Serradilla, l’ex- actrice de films pornos mexicains et actuelle gérante du resto « La Belle Équipe ». Elle porte une minerve suite à un accident de tram à la Porte Dorée. Le tram a freiné trop brutalement et Frida est tombée. Son compagnon la soutient. C’est un homme assez âgé. Un tchèque nommé Jaroslav Chocolatch. Il a piqué sa maîtresse à Cyril, l’Occitan infernal, le pâtissier sélect de la rue Titon qui lui-même lui avait piqué ses secrets de fabrication de gourmandises au chocolat. Oeil pour oeil…on ne chatouille pas impunément un Pragois en colère.

Puis Pauline, Gauthier Languereau l’éboueur et Shirin Rooze. Pauline interroge Shirin sur les suites du vol de son sac à main. Shirin raconte ses soucis pour refaire ses papiers et Gauthier demande comment l’incident s’est produit.
Derrière eux, la petite Chloé Crenn écoute et se remémore la scène du vol du sac à main, qu’elle a observé accroupie dans la rue Charrière avec son lièvre blanc. Elle avait d’ailleurs l’intention de s’emparer de ce sac quand quelqu’un lui a brûlé la politesse ( Qui ? Mais qui ? le saura-t-on ?) Elle est entourée des trois cuisiniers ukrainiens du Pure café, ceux que Seb insulte quotidiennement avec les trois mots de russe appris de son grand-père, quand il y a un coup de feu en salle ou que le bortch est trop salé. Le grand-père en question, prince en exil, n’était pas chauffeur de taxi mais joueur de scie dans un cabaret.
Gauthier se met à rêver. Il se remémore l’enterrement de son papa Ernest à Vendôme et ce petit homme chauve ressemblant à Michel Blanc jeune, qui est venu marcher à ses côtés et soudain lui a dit : « je suis Porphyre Pinchon, je suis ton père ! ».

Soudain quelqu’un crie : « un peu de silence, v’la la Reine des Pommes ». Surgi alors sur son vélo électrique la maire de Paris, vêtue de son tailleur couleur Granny Smith. Elle revient d’avoir salué le premier radis récolté dans le potager partagé installé sur le toit d’un HLM de la rue Richard Lenoir. Elle remonte toute la queue, dépasse le corbillard et pédale jusqu’au trou qui attend Marino. Elle doit y faire un discours, genre oraison funèbre, car Marino est un héros du 13 novembre 2015, il a bravé se jour-là tous les dangers pour secourir les blessés de l’attentat contre la « Belle Équipe » — alors que les forces ( dites )de l’ordre étaient planquées à surveiller à trois rues la résidence de Manuel Vals, mais ça, la dame ne le dira évidemment pas !).

Tout ce petit monde se rassemble autour d’elle. Elle parle, l’obscurité gagne. Bientôt la scène disparaît dans la brume et s’efface.

Petit Mouss part en travelling arrière et revient à la porte du cimetière. Il ramasse sa trottinette et s’en va.

Martine Tollet referme la porte du cimetière, le chat omniscient Zhoskales vient se frotter à ses jambes. La pigeonne Onésime vole au-dessus de sa tête.
Ils traversent le boulevard, s’engagent dans la rue de la Roquette et disparaissent dans la nuit.

Codicille : Comme d’hab, je ne sais pas si je réponds à la consigne ou si je suis à côté de la plaque. Quoi qu’il en soit, c’est ce parcours-là qui m’est venu en fermant les yeux. Foisonnant. Comme un désir de tourner la séquence finale d’un film au réalisme déjanté. Il me semble qu’un monde s’est construit, presque à mon insu. Plein de personnages frappent à la porte et me disent : « Et moi, tu m’engages, dis ! Je ferai ceci, je ferai cela ». Holà, du calme ! Castex, cher Jean, baisse un peu l’abat-jour et confine-moi encore un peu que j’aie le temps d’écrire ce roman !

19. EXTRAIT DU JOURNAL DE LUCIENNE CHARBONNIER


proposition de départ

16 juin 2020

Encore une fois tombée du lit avant sonnerie réveil. La barbe.

Douche, dents, peigné mes trois poils avec les doigts. Renfilé les frusques d’hier sauf le slip : on ne sait jamais, m’arriverait un pépin, mieux vaut avoir la raie propre.

M’en vais boire mon café à la Belle Equipe. Ah le porteur de journaux est passé : la Pravda est dans la boîte aux lettres. Vais pouvoir faire les mots croisés en terrasse, histoire d’entretenir mes neurones et de prouver à tous ces piliers de comptoir que la Luce elle cause russe pour de bon.

Nobody dans la rue que des anonymes pressés de larguer leurs lardons à l’école communale. Le rideau de fer d’Anthony pas encore levé. Quand je pense qu’avant c’était un devin qui créchait là.

Et merde, la Belle Equipe est encore fermé. L’italienne qui ressemble-à-Frida- Kahlo -mais-ne- le- sait -pas, n’est pas encore arrivée.Y a du laisser-aller. Y paraît qu’elle sort avec Le Cyril , ça doit être pour ça. Elle s’y croit, en haut de l’affiche, déjà.

Le Petit Baïona a étalé tables et chaises loin sur le trottoir mais j’irai pas. Préfère marcher un peu. Vais tout de même pas attendre la Frida assise sur le bord de la jardinière.

Le Pure Café est ouvert. Marino et Marina, sa chiwawa édentée sont attablés. J’irai pas. Seb m’énerve avec ses trois mots de russe qu’il me sert chaque fois avec le café. Tiens, quand on parle du loup ! Voilà le devin qui sort du Franprix ! Savais pas qu’il rôdait encore dans le quartier. L’ai consulté une fois, m’a dit que des conneries.

La Chocolaterie est ouverte, la boulangerie aussi. Faut acheter son croissant à la boulangerie pour aller le bouffer avec le kawa à la chocolaterie parce qu’à la chocolaterie ils vendent que des chocolatines. C’est tout de même un peu tordu parce que les deux appartiennent au même. Le Cyril.

Tiens voilà la Frida du pauvre qui sort avec un paquet de croissants pour son bistrot. Regarde ailleurs, Lucienne ! Le Cyril est sur le pas de son resto le Chardonoux et lui fait un petit signe de la main. C’est donc vrai ce qu’on raconte !

M’en fous mais tout de même, cette nana pas si belle que ça et en plus plus vieille que lui.

 

18. Sauf le pinard


proposition de départ

Je vais commencer par le codicille. Je suis mal à l’aise avec cette notion de vrai. Un fait se produit. Dix personnes en sont les protagonistes ou les témoins. Interrogeons-les, nous aurons dix versions, différentes et parfois contradictoires., selon le point de vue à partir duquel l’événement a été observé, les croyances du locuteur, ses appartenances, sa culture… Bref, chacun sa vérité. Peut-on avancer que le vrai serait la synthèse des différents points de vue ? Pas sûr, il reste en général un angle mort. Ce qui démontrerait que l’auteur omniscient, pour en revenir au premier exercice, ne sait pas vraiment complètement tout et là est peut-être le plaisir de faire avancer une histoire. Il y a un conte qui dit cela, c’est L’ouistiti des frères Grimm.Je résume : Une princesse a une tour garnie de douze fenêtres, ce qui lui permet de voir tout sur terre, sous terre, jusqu’au fond de la mer. Pour échapper à sa clairvoyance et gagner sa main, un prétendant se transforme en ouistiti qui s’installe dans sa nuque, sous sa tresse.

Donc, tentons de nous en tenir au faits !

Le fait est que le 16 juin 2020 j’avais rendez-vous avec le coiffeur Monsieur Anthony à 9h.

Je suis sortie de chez moi, au 22 rue Godefroy Cavaignac, vers 8h30 avec l’intention d’aller boire un café et manger un croissant dans mon bistro habituel : « La Belle Equipe ». Ce café étant encore fermé, j’ai pris place à la terrasse du bar voisin : « Le Petit Baïona » tenu par Pauline. Nous étions au début du déconfinement et les bars n’avaient reçu l’autorisation d’ouvrir que depuis quelques jours, et encore, ne pouvaient-ils accueillir leur clients qu’en terrasse. La terrasse de Petit Baïona s’étendait très largement sur le grand trottoir de la rue de Charonne qui avait été refait et élargi l’été précédent. Pauline m’a indiqué une table proche de la vitrine et m’a apporté ma commande : un croissant et un café allongé . Je l’ai payée tout de suite et j’ai ensuite accroché mon sac au dossier de ma chaise en gardant le téléphone portable sur la table pour surveiller l’heure de mon rendez-vous chez le coiffeur. Répondant à un exercice d’écriture, je me suis mise à observer la rue avec une attention soutenue en essayant de privilégier les impressions sensibles sur la réflexion. A 8h50, je me suis levée pour me rendre chez le coiffeur. Voulant saisir mon sac, j’ai constaté qu’il avait disparu. Mettant les mains dans les poches de ma veste, je n’y ai pas trouvé mon trousseau de clés ni la moindre monnaie. J’ai prévenu Pauline. Elle m’a dit d’aller rapidement voir dans les poubelles de la petite rue adjacente avant que ne passe le camion de ramassage et sinon d’aller au commissariat. J’ai fait les poubelles sans résultat. J’ai repris le chemin de chez moi en espérant que mon voisin Frede avait toujours le double de mes clés, confié il y a bien longtemps. J’ai croisé Monsieur Anthony qui m’attendait en fumant une cigarette sur son seuil. Je lui ai rapidement raconté l’incident. Il a immédiatement proposé de me prêter de l’argent pour me dépanner. J’ai refusé. J’ai appelé Frede. Il avait mes clés, je suis montée au troisième les chercher. Chez moi, j’ai ouvert l’ordinateur pour bloquer mes cartes de banque. J’ai cherché mon passeport qui heureusement n’était pas dans mon sac volé mais à la maison. Je suis allée au commissariat passage Dallerey. Je n’avais plus de masque, car à l’époque les gens n’avaient pas d’autres masques que ceux qu’ils s’étaient fabriqués eux-mêmes. Le flic de faction m’en a donné un pour que je puisse entrer dans le commissariat. Attente. Déclinaison de l’identité et du motif de la visite . Enfin un inspecteur est venu me chercher et m’a guidé dans un dédale jusqu’à son bureau partagé avec deux autres flics. Il s’ est installé derrière un écran en plexiglas, a pris ma déposition et au bout d’un moment m’a dit que je pouvais enlever mon masque. Je suis rentrée chez moi. Un peu plus tard, mon portable a sonné. C’était une policière de la patrouille. Elle m’a demandé si j’aivais perdu mon sac et m’a dit qu’il avait été retrouvé dans un abribus près de l’hôpital Saint-Antoine, par un chauffeur de taxi. Elle a supposé que ce sac était à moi car une de mes cartes de visite s’y trouvait avec l’adresse et le numéro de téléphone. J’ai montré mon passeport. Elle m’a demandé comme seconde preuve la marque de ma voiture . La marque était sur la clé. Je n’avais même pas réalisé que ma clé de voiture était aussi dans mon sac. Cette voiture m’attendait à 800 km sur le parking de la gare de Carcassonne, à 40 km de ma maison de campagne où je devais retourner le lendemain. Ces flics de la patrouille n’étaient pas au courant de ma déposition au commissariat. Dans mon sac, il restait donc mes clés de l’appartement parisien, la clé de voiture et la clé de la maison de Couiza. Mon portefeuille s’y trouvait aussi, vidé de ma carte d’identité belge et de mes cartes de banque, ma carte Vitale, ma carte de Mutuelle ainsi que de cartes non essentielles. Plus d’argent, plus de tickets de métro. Par contre il restait le permis de conduire belge et la carte de Monoprix. Envolés aussi tous les petits objets, miroir, peigne, rouge à lèvres, stylos et surtout les lunettes : les lunettes de lecture et les lunettes de vue de loin indispensables pour conduire la voiture. Tout cela inventorié il me fallait de l’argent. Pas l’ombre d’un billet à la maison. Je suis partie à pied dans mon agence bancaire qui se trouve à Montgallet, proche du lieu où je vivais avant. Là, je me suis expliquée avec ma conseillère et lui ai demandé de pouvoir retirer 1000 euros d’argent liquide en attendant que de nouvelles cartes me parviennent. Je savais que j’allais devoir attendre longtemps ces cartes car mon compte en banque principal, qui alimente les autres, se trouve en Belgique pour des raisons administratives que je ne développerai pas ici. Donc, devant prendre le train le lendemain pour ma cambrousse dans l’Aude, je devais pouvoir tenir. La banquière me proposa de retirer 250 € à la fois pendant plusieurs semaines, ce que j’ai refusé. De l’argent en poche, je suis allée déjeuner à la Belle Équipe et j’ai arrosé mon repas d’un petit verre de rouge, ce qui est contraire à mes habitudes.

Tout est vrai sauf le verre de rouge. Enfin je ne me souviens plus si j’ai vraiment bu ce verre de vin. Je commence à broder. Je m’arrête là.

17. ne pas


proposition de départ

Je ne veux pas que mon roman
 soit une comédie sentimentale genre Harlequin. D’ailleurs je n’en connais pas les codes car si je les connaissais j’aurais, j’avoue, déjà tenté l’expérience. Sous pseudo, ça va sans dire.

 soit une romance érotique, je laisse cela à Marie Minelli alias Marlène Schiappa, je n’aspire pas à gérer un ministère.

 soit un récit de science-fiction, les mondes parallèles me fascinent mais ce sera pour une autre fois.

 soit un conte merveilleux. Je crois que j’ai déjà donné suffisamment dans le genre.

 soit une histoire édifiante. Sainte Rita protège moi de la tentation

 soit un catalogue touristique, quoiqu’il semblerait que je sois douée pour la chose. Mon père me le disait, en lisant ma rédaction écrite à huit ans sur le thème des vacances : « tu écris comme un catalogue touristique ».

 soit une méthode de guitare pour gauchers. Raté je ne sais pas jouer de la guitare de la main gauche ( ni d’ailleurs de la droite).

 soit un récit initiatique. Ou tu fais très bien et personne ne s’en aperçoit ou ton livre fait bailler à la trentième page.
• soit un rapport de police. Ceci dit, il en sera un peu question, du rapport de police.

 soit un polar. Ah, là ce sera à vérifier à l’arrivée.

 soit un récit d’ expédition dans des contrées lointaines. Si c’était mon ambition, force me faudrait d’y renoncer, la faute à la pandémie. Nous nous contenterons d’un périmètre exigu.

 soit un manuel de jardinage, bien que je sois douée pour la culture des adventices, je garderai pour moi mes précieuses observations.

 soit un livre de cuisine, je ne veux pas être la cause de disputes dans les ménages. Les petits relents de cramé ne sont pas du goût de tout le monde. En particulier de ceux qui ont toujours mangé plus savoureux à la table de leur maman.

 soit un manuel de savoir-vivre. J’ai jamais réussi à avaler ma soupe en tenant ma cuillère de la main droite sans inonder ma serviette.

16. Monsieur Zorkhales chat omniscient, roi du macadam du carrefour Charonne/Faidherbe, Paris 11ème à propos de roman non encore rédigé de Madame Shirin Rooze qui s’intitule « l’angle mort »


proposition de départ

J’ai assez d’estime pour vous lecteurs et ne vous infligerai donc pas des notes de bas de pages de ce roman encore inexistant, pour vous expliquer ce que sont les rues Charonne, Cavaignac et Faidherbe dans le 11ème arrondissement. Si ces détails vous intéressent, vous consulterez Wikipédia et Google maps. De la même façon vous trouverez sur Internet des renseignements pertinents sur le Palais de la Femme, le disquaire « Le Silence de la Rue », et les brasseries « La Belle Equipe » et « Le Petit Baïona ». Si vous souhaitez déjeuner, choisissez plutôt « La Belle Equipe » leur plat du jour est en général savoureux.

Le personnage de Gauthier Languereau a passé les premières années de sa vie à Vendôme, Loir-et-Cher. C’est une ville bien connue de l’auteure qui y a travaillé pendant quinze ans. Par contre, rien ne prouve que le vieux cinéma du Faubourg Chartrain s’appelait le Ronsard. Ce n’est cependant pas exclu, à moins que ce ne soit le Balzac, du nom de l’autre écrivain célèbre honoré dans le coin.

Il ne vous aura pas échappé que l’éboueur porte le nom de l’éditeur de Bécassine et que son géniteur supposé s’appelle Porphyre Pinchon comme le dessinateur de Bécassine. Ne cherchez pas, il n’y a là rien à comprendre de subtil. Ce genre de détails fait se marrer l’auteure, c’est aussi bête que ça.

La planque de Bertrand ? Non, je ne suis pas indic, adressez-vous ailleurs. Pareil pour la hutte de son frère Vincent. Aux dernières nouvelles reçues par l’intermédiaire de ma complice, la culbutante belge Onésime, pigeonne de son état, les deux frères sont toujours confinés mais se portent bien. Ils ne sont pas encore au bout de leurs provisions. Par contre, la bande d’extrême droite qu’ils fuyaient est écrouée et ils n’en savent rien car les piles de leurs transistors sont à plat.

L’auteure a l’habitude de s’occuper de plusieurs choses à la fois dans sa vie quotidienne. De même dans ses écrits, elle change parfois complètement de sujet pour investiguer sur sa famille et ses aïeux. Ces pages n’ont rien à faire ici, et si j’en avais le pouvoir, je lui conseillerais d’intégrer ces passages à l’autre roman qu’elle écrit.

Ce préambule étant posé, j’ai le plaisir de vous informer que je détiens des informations sur l’enchaînement des événement dont l’auteure ne parle pas dans son roman, soit par pudeur, soit par paresse, soit par peur d’emmerder son monde. Son chat Félix Chagall, bien qu’encore jeune, possède lui aussi un haut potentiel. C’est pourquoi j’en ai fait mon apprenti. Je lui ai donné pour mission de s’imprégner de tout ce que Madame Rooze confie à son journal intime et de me le transmettre par télépathie.

Quand l’auteure portera son roman à l’éditeur je publierai en parallèle la face cachée des événements. Ma partie n’aura rien à envier à la sienne. Je vous conseille de vous tenir au jus.

15. Pinchon, le scribe du Loir-et-Cher


proposition de départ

Monsieur Pinchon est employé au service de l’état-civil à la Mairie de Vendôme. Monsieur Pinchon tient les registres de la population. Naissances, décès, mariages, divorces sont consignés par ses soins et à l’encre, de sa belle écriture appliquée, dans les grands livres qui se serrent sur les étagères. Monsieur Pichon est un homme ponctuel et discret. Pantalon gris, veston Prince de Galles porté la plupart du temps sur les épaules sans enfiler les manches. Maigres cheveux, lunettes cerclées, en hiver loden et casquette. Chair blanchâtre et un peu molle de vieux garçon.

Le bureau de Monsieur Pinchon donne sur la grande cour carrée de l’Hôtel de Ville. Il est seul à l’occuper. Nul n’y pénètre sans avoir frappé et attendu la permission d’entrer. Comme il n’est pas accablé de travail, Monsieur Pinchon passe son temps à fouiller les archives pour dresser les arbres généalogiques des vieilles familles vendômoises. Personne ne lui en fait la commande et les gens concernées par ces investigations en ignorent tout.

Monsieur Pinchon sait qu’il travaille pour la postérité. Quand tout ces individus seront poussière, ses livres à lui, seuls, resteront la preuve de leur passage sur terre. Il établit ces arbres sur de grands rouleaux de papier récupérés à l’imprimerie et ces rouleaux, il les enferment dans une armoire métallique dont il garde scrupuleusement la clé en poche.
Monsieur Pinchon déjeune à la cantine municipale comme les secrétaires, les flics, les hommes de la voirie les professeurs de musique du conservatoire et parfois le Maire lui-même. Mais Monsieur Pinchon ne s’assied jamais en compagnie des autres. Il mange dans la petite salle arrière, seul à une table où il ne viendrait à l’idée de personne de le déranger. De quoi lui parlerait-on d’ailleurs ?

Monsieur Pinchon habite la maison du jardinier dans le parc d’une belle propriété du centre ville. Il y dispose d’un accès au bord du Loir avec une barque pour se promener sur la rivière mais Monsieur Pinchon n’en profite jamais.
Monsieur Pinchon, le samedi soir, retrouve Louise Languerau dans une chambre qu’il loue au mois, à ce seul usage, dans un hôtel borgne situé derrière la gare. Le vendredi, Ernest, le mari de Louise Languereau, travaille tard car c’est le jour de la programmation nocturne au cinéma Le Ronsard et Ernest est le projectionniste du cinéma. Donc Louise sort ce soir là en compagnie , dit-elle, de ses copines, et rejoint Monsieur Pinchon dans la chambre au couvre-lit en chenille rose et au sommier grinçant. Il la prend en levrette, pas un regard, pas un baiser. Louise y trouve semble-t-il son content : Pinchon c’est son plan-cul. Le samedi Monsieur Pinchon va confesser son péché de luxure à l’église de la Madeleine dont le curé est dur d’oreille et le dimanche, il assiste à la messe et ne manque pas de communier.
Lorsque Louise Languereau tomba enceinte en octobre 1979, Monsieur Pinchon s’inquiéta. Ernest Languereau honorait-il suffisamment souvent son épouse pour ne pas douter de sa paternité ?

Codicille : Ce personnage est une silhouette furtive surgie dans un exercice précédent, le père présumé de l’éboueur Gauthier Languereau. Ce Pinchon me semble être un autiste, un maniaque. Il est dépourvu d’empathie pour ses semblables et ne provoque aucune empathie. Il y a une histoire qui rôde mais qui ne m’est pas encore claire et qu’à vrai dire je n’ai pas creusée en profitant de chaque exercice. Sans doute ai-je eu tort.

14. Carolina T. de Lubbeek en Brabant


proposition de départ

C’est moi, Caroline, née Maria Carolina T. à Lubbeek en Brabant, en 1843, dans la ferme familiale et décédée en 1880 dans cette même ferme. Morte des suites d’un coup de pied dans le ventre que me donna mon frère Pierre, dans l’étable, alors que je m’apprêtais à traire les vaches. J’étais enceinte de cinq mois. Il y avait déjà Sylvestre, mon grand qui allait sur ses six ans. Pierre ne voulait pas d’un deuxième enfant de père inconnu dans la famille. Pourtant je travaillais dur pour élever mon gamin et la ferme, une grosse ferme prospère,
m’appartenait autant qu’à Pierre. Nos parents étaient morts depuis plusieurs années, ma soeur Thérèse aussi et notre frère aîné, Albert, parti défricher le Canada, nous avait cédé sa part d’héritage.

A vingt ans, j’avais refusé d’épouser Louis Noppen, le voisin. Je ne voulais pas d’un mariage arrangé dans le seul but de réunir des terres. J’aspirais à autre chose. Je lisais des histoires le soir dans ma chambre, je les achetais au colporteur plutôt que des rubans ou des colifichets. Le curé m’avait dit que cela me ferait tourner la tête. Il n’avait pas eu tort. Je rêvais d’un grand amour. Je voulais un grand amour, fût-ce au prix de ma tranquillité. Mais les grands amours ne sont pas des histoires douces.

J’avais vingt-sept ans, et je gouvernais la maisonnée lorsque Pierre, qui était mon cadet de trois ans, épousa Barbara Noppen, la soeur de Louis. On dit qu’il ne faut pas mettre deux coqs sur le même fumier et d’expérience, c’est bien vrai. Mais deux femmes devant le même fourneau, cela ne marche pas mieux. Barbara, toute jeune, avait déjà l’étoffe d’une maîtresse-femme. Elle était mariée, j’étais fille, il a fallu que je m’écarte.

Je suis allée me faire embaucher comme servante au château de B., tout proche, une sorte de forteresse médiévale qui appartenait à une famille d’aristocrates très en vue. J’ai commencé aux cuisines. Un jour, la comtesse Elisabeth m’a croisée au potager. Elle parlait très bien flamand, je connaissais mal le français. Je cultivais dans un coin du jardin un carré de simples. Je connaissais bien l’usage des herbes. Elle me demanda conseil : elle souffrait de migraines depuis sa jeunesse. Je lui promis une tisane composée de plantes séchées et lui conseillai, en attendant, une décoction de reine des prés. J’avais compris à la vue de ses cernes bruns qu’elle avait le foie fragile. Elle suivit me conseils et se porta mieux. Quelques mois plus tard, elle eut besoin de remplacer sa femme de chambre et me proposa la place. Quel changement ! Toujours proprette, bien habillée, bien coiffée, je passais mes journées dans l’aile où la famille de B. avait ses appartements. Mes mains autrefois rougies par les vaisselles devinrent douces et blanches. Il faut ici que je dise, sans pour autant me vanter, que j’étais plutôt belle fille, dotée d’une fière crinière rousse, et que ce fut probablement la raison pour laquelle la comtesse me choisit. Délicate et sophistiquée, elle n’aurait pas supporté un laideron dans son entourage immédiat.

La comtesse avait quatre enfants. Léo était l’aîné. C’était un dandy toujours en culotte d’équitation, qui passait ses journées à lire, à fumer , à écrire des poèmes et à soigner ses chevaux et ses chiens de chasse. Il était célibataire alors que ses cadets étaient déjà tous mariés. Quand nous nous sommes connus, il avait trente ans, deux ans de plus que moi.
Il n’y a pas de mots pour dire ce qui s’est passé entre nous. Tout sauf une misérable histoire de fils de famille qui culbute une servante dans sa chambre de bonne. Nous sommes partis en feu dès les premiers regards. C’était comme si nous nous connaissions de toute éternité. L’un comme l’autre nous avons tenté de fuir cette attirance impossible à vivre au grand jour. Mais échappe-t-on à son destin ? L’amour non assouvi est une torture. L’amour dans les marges de la société en est une autre. Il y avait un pavillon de chasse dans les bois. Léo en avait fait sa garçonnière. Il s’y réfugiait pour lire et pour écrire. Nous avons pris l’habitude de nous y retrouver lorsque mon travail au château m’en laissait la liberté.

Je suis tombée enceinte. Notre histoire allait éclater au grand jour même si, bien sûr, notre liaison n’était plus un secret pour sa famille ni pour la mienne. La comtesse s’en mêla. Pas question bien entendu que Léo « répare » en m’épousant, comme tout homme de mon milieu l’aurait fait. Un gentilhomme, et qui plus est un aîné de lignée, héritier du titre, n’épouse pas une fille de ferme. Pas question non plus qu’il reconnaisse son enfant et vive avec moi en concubinage comme il l’aurait souhaité. Elisabeth me pria froidement de retourner mettre mon bébé au monde dans la ferme de mon frère. Léo, bien qu’il eût déjà trente-deux ans, se soumit aux convenances de sa caste et s’enfonça dans la mélancolie. S’il avait eu plus de caractère, plus d’audace, nous aurions pu fuir, construire notre vie ailleurs, rejoindre Albert au Canada par exemple. Mais il se plia, me promettant seulement de ne jamais en épouser une autre.

Louis Noppen, qui n’était pas un mauvais bougre et qui sans doute, au-delà des arrangements pour la terre, était plus amoureux de moi que je ne le pensais, me proposa de me prendre comme femme et de reconnaître l’enfant. Une autre, dans la détresse où je me trouvais face à Pierre et Barbara, aurait sans doute accepté. Nous aurions été deux couples égaux à gérer notre domaine. Mais, contre toute raison, je ne pouvais accepter. Mon coeur se serait brisé. J’étais définitivement, viscéralement, la compagne de Léo et ceci malgré sa lâcheté.

Sylvestre est né et moi je suis devenue la servante de mon frère dans ma propre maison.

Je continuais à fréquenter Léo. Il ne s’était effectivement pas marié. Son caractère s’était enténébré, il recherchait de plus en plus la solitude. On l’apercevait parfois, parlant seul à haute voix, dans la campagne, s’adressant aux vaches, aux arbres, aux oiseaux. Sa seule passion était son élevage de chiens de race. Mon amour pour lui s’était adouci transformé en une sorte de tendresse protectrice. J’essayais d’éviter qu’il ne perde pied.

Malgré notre prudence, je suis tombée enceinte à nouveau. J’étais plus âgée, plus sûre de moi. Je me savais seule et sans soutien réel. J’étais bien décidée à affronter mon frère et à imposer, chez moi , car j’étais chez moi, ce deuxième enfant.

C’est Barbara qui découvrit mon état. Elle me surprit un matin à vomir à l’heure de la traite. Je ne supportais pas l’odeur doucereuse du lait. Elle-même avait le ventre sec. Elle me détestait depuis toujours, elle se mit à me haïr. Nous nous disputions à propos de tout et de rien. Elle houspillait Sylvestre. Elle serinait des propos malveillants sur moi, la nuit, à l’oreille de Pierre. Mon frère se laissa convaincre que ce bâtard à naître serait une charge supplémentaire pour lui et qu’après tout, il n’avait pas à élever les enfants d’un autre.
Alors arriva ce qui est arrivé.

J’ai perdu le bébé. La délivrance ne s’est pas faite complètement. J’ai attrapé la fièvre. Ils m’ont laissée sans soins. J’ai envoyé Sylvestre chercher son père. Léo est arrivé. Avec le médecin, mais c’était trop tard. Je suis morte dans ses bras.
Pierre et Barbara ont raconté que c’était une vache qui m’avait frappée d’un coup de sabot et ce fut entendu comme ça.

Léo s’est occupé de l’éducation de son fils mais de loin et sans jamais l’adopter. Quelques années plus tard, il a cédé son titre à son frère cadet, a vendu son château et a consacré le restant de sa vie à son élevage de chiens.

Codicille : J’ai décidé pour cet exercice, de faire parler une de mes arrière-grand-mère, une femme dont je ne savais pas grand chose. Des bribes de souvenirs de conversations entre adultes auxquelles je n’étais pas conviée, quelques écrits de mon père, des recherches généalogiques dans des arbres qui ne sont pas les miens. Le fil d’histoire qui m’est venu n’est certainement pas authentique, c’est une version, je prends le parti de la considérer plus vraie que vraie. Ces pages d’écriture sont en lien avec mon travail personnel de cette année 2020, travail qui prend appui sur des photos de famille.

13. le fait est qu’Annie Cordy est décédée hier à l’âge de nonante-deux ans


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et le fait est que ce matin en ouvrant sa page FB sur son ordinateur Catherine Roze, apprenant cette nouvelle via un post de la RTBF, a senti dans son petit coeur d’artichaut, son coeur de midinette, se déclencher un tsunami imprévisible et si redoutable qu’il lui a fallu sortir de sa poche le mouchoir blanc — enfin le kleenex propre pour être précise — pour éponger la larme qui se répandait sur sa joue au souvenir de ces moments partagés le samedi soir avec les enfants en pyjama à regarder à la télé les clowneries d’Annie vieillissante autant qu’étonnante dans Frida Oumpapa, la Bonne du Curé ou Tata Yoyo et le fait qu’à y songer c’est tout un pan de sa jeunesse qui s’est poussé à l’avant-scène de la mémoire car le fait est qu’il arriva qu’une fois, Annie Cordy joue magistralement à contre-emploi dans un film belge intitulé « Rue Haute » et le fait est que ce film fut réalisé par André Ernotte sur un sénar d’Elliot Tiber et que ce fut une réussite nonobstant le fait qu’André n’avait jamais réalisé le moindre film auparavant, et en tirant ce fil le fait est que Catherine découvre qu’Elliot Tiber a raconté sa vie à New-York avec André à l’époque où le Sida tuait et que ce livre intitulé « After Woodstock » a paru en 2016, soit dix-sept ans près la mort d’André Ernotte lui-même, à l’âge de cinquante-cinq ans, André dont elle avait fait la connaissance en 1964, alors qu’il projetait de monter avec ses camarades apprentis-comédiens, une adaptation de l’ « L’Écume des Jours » de Boris Vian, livre dont il avait tout juste terminé la lecture dans la nuit et qu’il venait dans un seul élan d’avoir eu le courage, le culot, l’audace ou l’innocence d’aller demander un coup de pouce pour cette mise en scène, au directeur de l’École et que cela lui avait été accordé sans discussion et le fait est que Catherine ne sait pas vraiment si André était mort lui aussi du Sida comme tant de leurs amis ou si c’est seulement quelque chose qu’elle avait entendu vaguement au détour d’une conversation car le fait est qu’à cette époque — l’année de la mort d’André — elle ne le fréquentait plus depuis longtemps vu qu’il était parti vivre en Amérique avec Elliot Tiber mais le fait est qu’en pelotonnant ses souvenirs Catherine se rappelle parfaitement avoir travaillé avec André dans la distribution de « Jeu de l’Amour et de la Mort », adaptation du roman de Romain Roland monté en 1967 au Théâtre du Parc par le tchèque Alfred Radok, à la veille du Printemps de Prague et que cette mise en scène hors normes avait profondément secoué la conception-même du théâtre pour de nombreux jeunes artistes engagés sur ce projet et pendant qu’elle se souvient de tout cela, Catherine Roze est assaillie par des dizaines de mouches, de ces mouches qui piquent et que l’on croyait en voie d’extinction à cause de l’effondrement de l’écosystème et le fait est qu’elle est tellement agacée, Catherine, qu’elle ne trouve rien de mieux que d’aller chercher dans le placard sous l’évier de la cuisine une bombe d’insecticide soit disant bio et qu’elle prend soudain un plaisir sadique à gazer ces insectes et à les regarder agoniser en tourbillonnant sur le dos avant de tomber inertes — et le fait est que cela lui fait mal et honte de gazer, fût-ce une mouche, mais qu’elle accomplit quand même ce petit forfait peu reluisant, jetant soudain son croûton au nazillon qui sommeille au fond du terrier du lapin — ceci dit le fait est qu’en jetant à la corbeille son kleenex mouillé de la larme pour Annie Cordy , Catherine vient à se rappeler que la vedette s’appelait de son nom véritable Léonie Correman et qu’elle était la fille d’un patron de bistro que son propre père Roger Roze fréquentait à l’occasion et qu’ainsi le fait est qu’en 1950 Roger transporta à Paris dans ses fouilles une liasse de billets de banque envoyés par papa à la petite Léonie qui faisait ses débuts au Lido

12. corps immobile balloté sur le dos du rêve


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immobile

corps immobile entre les draps corps harassé-baigné enfin tranquille entre les draps blancs et blancs sont les cheveux mouillés sur l’oreiller

les épaules enfin déposées tremblent

douleur à ce pied qui a trop arpenté le pavé parisien en traînant la valise jusqu’à la gare de Lyon

petit corps chaud compatissant contre grand corps immobile harassé le chat venu se coucher contre la jambe ronronne

paupières closes le corps -bateau quitte le port ou c’est peut-être un corps-train

vogue et file trois coquelicots fleurissent sur le talus est-ce qu’il dort le grand corps harassé immobile

vent chuinte dans le feuillage du mûrier du jardin qui est-ce qui arpente l’étrange gare de Bordeaux à peine vue sinon jamais

le coq chante qui est-ce qui marche et c’était quand sur les pavés de la rue Sans-Souci à Ixelles les rues ne sont plus à pavés nus aujourd’hui dormirait-il ce grand corps immobile

l’eau chante dans les tuyaux du chauffage central le froid est revenu coule le sang dans les veines-tuyaux du grand corps immobile

il doit sauter du quai ce grand corps pour rejoindre une barge qui traverse le Vieux Port vers l’autre rive sauter de plusieurs mètres avec un chou sous un bras et un balluchon de vêtements d’enfant sous l’autre il a peur un instant et la barge s’éloigne sans lui est-ce un rêve peu tranquille

le coq a chanté le chat gratte le sommier le corps immobile émerge de la houle et s’ébroue

Codicille : compte-rendu brut de l’exercice pratiqué sous l’effet de la fatigue par une nuit de lune.

11. Les mains de ma mère


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La deuxième photo, également format paysage, est un portrait plan poitrine de la jeune mariée. Elle est assise à une table de restaurant et porte à sa bouche, de la main droite, une coquille d’huître. Une grosse bague garnit son annulaire.

Je reconnais cette lourde bague au doigt de ma mère. Un bijou de facture moderne, typique des années 40. Un mélange d’or jaune et d’or blanc. La pierre est bleue, une aigue-marine. Elle m’en a fait cadeau pour mes vingt ans. Je l’ai toujours, elle est rangée… A dire vrai, je ne sais où...

Les mains de ma mère étaient fines et élégantes. Elles le sont restées au fil des années malgré le ménage, les lessives, les enfants, les logements privés de confort. Seul le froid, un hiver, les a saccagées. Probablement ce terrible hiver 1956 où il gelait si fort qu’on traversait la Loire à gué. Elle avait des engelures, c’était si pénible de la voir souffrir. Elle enduisait ses doigts de crème et les bandait. Mon père, exceptionnellement, faisait alors la vaisselle. Sinon, la vaisselle, elle l’a toujours faite sans que cela abîme ses beaux ongles taillés en amande et vernis de rose. Elle aimait le contact de l’eau tiède. Quand j’ai été assez grande pour ne pas casser, je me suis mise à l’aider en essuyant. C’était des moments de partage, de confidences loin des oreilles masculines car mon père se plongeait dans son journal au salon et mon frère s’enfermait dans sa chambre. Être côte à côte sans se regarder, cela aidait. Quelques jours avant de mourir, elle s’est fait faire encore une fois la manucure et un shampoing colorant pour cacher ses repousses. Je ne lui ai jamais vu les cheveux blancs.
Ils lui ont croisé les doigts. J’ai posé la main sur ces mains inertes et glacées, ces mains à qui je devais d’être vivante. Ces mains qui m’avaient bercée, nourrie, lavée, caressée, consolée. Entre ses doigts joints j’ai glissé — elle me l’avait demandé — une poignée de terre qu’elle avait rapportée de Jérusalem.

Codicille : C’est un passage de mon travail personnel que je viens d’écrire il y a deux ou trois jours. Le thème de l’exercice y correspond si bien que je ne me sens pas le désir d’écrire quelque chose d’autre sur les mains en ce moment.

9. Rien que pour lui


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1

... Une porte entrouverte vers un espace que je ne connais pas. Se faufiler discrètement tout en prenant garde à ne pas se laisser enfermer. Du parquet comme dans la chambre mais celui-ci est brut. Des cartons, des sacs, des ballots. Ça sent l’odeur de Leïla par ici. Oui, ça vient de ce petit cube sur l’étagère à côté des lainages. Je vais me faire un lit dans ces lainages bien doux, enfin si la porte reste entrouverte bien sûr. Par là c’est l’odeur du laurier du jardin. Normal, il y a des feuilles de laurier séchées sur cette autre planche. Toutes ces robes qui pendent serrées les unes contre les autres. J’ai déjà vu des femmes s’en revêtir les semaines où il y a plein de monde dans la maison ( ça m’agace grave ces invasions mais je fais bonne figure). Tiens, de l’autre côté de ce boyau il y a une autre porte. Fermée, celle-là. Restons prudent, sortons d’ici. Oh, une araignée ! Je me la bouffe et je sors après.

2

… Entre deux des quatre chambres du premier étage, un placard permet de ranger vêtements, chapeaux et chaussures hors-saison. Un petit plus qui améliorera votre confort dans cette maison ancienne située à la périphérie du village de Couiza dans la Haute Vallée de l’Aude. Prix : nous consulter.

3

Se retrouver coincé dans un placard à double issue au milieu d’une invraisemblable collection de costumes de théâtre, de masques, de bijoux de pacotille et autres bagatelles, une situation digne d’un vaudeville à la Feydeau.

Codicille : Ce placard me fait rêver. Aurais-je acheté la maison rien que pour lui ? Non, tout de même, faut pas pousser !

8. INT/EXT


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extérieurs

Place des deux Rennes. Un beau rectangle. Emplacement bétonné au milieu, vide de tout décor. Peut accueillir le marché. Sur la longueur : six platanes, trois de chaque côté. Six réverbères aussi. Deux cafés qui se font face, avec de larges terrasses dehors, des tables, des chaises, des parasols. Un laurier-rose rose dans un grand pot. D’autres plantes plus insignifiantes. En largeur, au fond, une scène en béton, très haute. Avec une bâche en guise de toit et des montants pour d’ éventuels projos. Sur l’autre côté en largeur, c’est la rue, la grand rue de la mairie. Tout le trafic vers Bugarach y passe. La place est bordée de maisons anciennes.

Gendarmerie de Couiza. Une enseigne bleu/blanc/rouge qui s’ éclaire la nuit. Un grand jardin avec un cèdre sur la pelouse. Au fond, le logement des brigadiers : un immeuble récent, crépi de beige, sur deux étages. A gauche une construction plus basse : la gendarmerie proprement dite. Un portail sécurisé. Une sonnette et un parlophone. Six boîtes aux lettres. Tout autour une haie de laurine. derrière un grillage. Et une plaque sur ce grillage : « domaine militaire, défense d’entrer ». Devant ou presque, vers la droite et sur la chaussée contre le trottoir trois grands bacs verts pour collecter les poubelles des habitations proches.

Caserne des pompiers. En retrait de la chaussée, précédée d’un large parking, le pignon d’un bâtiment qui s’allonge loin dans la ruelle adjacente et là sont les garages des ambulances et des gros véhicules pour lutter contre le feu . Sur ce pignon il est écrit en lettres rouges « Centre de secours Couiza — caserne Paul Jean ». A front de rue le panneau indiquant les numéros d’urgence 18 et 112 surmonté de l’enseigne S.D.I.S. Aude.

La terrasse de la datcha. Elle est à l’arrière de la maison et occupe toute la largeur du bâtiment.On y accède par la cuisine ou par la salle de travail. Parquet de bois. Toit d’ éternit caché par une sorte de paillasse verte. Donne sur le jardin. A droite une petite serre dont les vitres ont disparu. A gauche un évier de jardin en marbre. Une glycine enroulée autour d’un montant. Des gros géraniums sur les murets. Table et huit chaises. Quatre fauteuils de jardin en toile bleue comme sont bleus les volets. Des couronnes de fleurs suspendues ça et là et une ardoise indiquant « Chat lunatique ».

intérieurs

Chambre 1 Un grand lit surmonté d’un baldaquin de toile blanche. Un lustre en forme de lanterne orientale à dominante bleue. Une table de chevet. Une coiffeuse et sa chaise. Une cheminée de marbre gris. Des estampes japonaises aux murs. Des doubles rideaux violets en soie doublés de toile blanche. Vue sur le jardin et plus loin, sur la colline de Rennes-le-Château.

Chambre 2 Un grand lit. La table de chevet est un écritoire indien ancien en teck. Une commode avec quatre tiroirs et un grand miroir mobile ovale en chêne .Un autre miroir contre le mur : c’est une ancienne porte de garde-robe. Un lustre en forme de lanterne orientale à dominante rouge. Des rideaux en lin beige. Un tapis iranien et sur le tapis un safu. Un petit meuble pour écrire et sa chaise. Au mur, une estampe japonaise. Vue sur le jardin.

Chambre 3 Un clic-clac ouvert en permanence comme un lit. Un panier d’osier haut avec une lampe de chevet. Un portant et des cintres. Une étagère métallique sur laquelle sont rangées des affaires de peinture, des couleurs, des pinceaux, des toiles brutes enroulées, des magazines à découper. Une grande table et deux chaises. Une porte-fenêtre ouvrant vers la rue et offrant un petit balcon. Vue magnifique sur la gendarmerie nationale. Des volets pliants rouge foncé. Le lustre est en forme de petite assiette. Un manteau de cheminée noir. Des beaux livres sur cette cheminée.

Le placard. Il court derrière l’escalier et s’ouvre à la fois sur la chambre 2 et sur la chambre 3 par des portes discrètes fermant avec des verrous. Sur un mur une longue tringle sur laquelle sont suspendus des costumes de théâtre. Sir l’autre mur des étagères sur lesquelles sont entassés d’autres vêtements destinés au jeu ainsi que de multiples accessoires. Ce placard est le petit secret de la maison, permettant de passer en catimini d’une chambre à l’autre sans emprunter le grand couloir central au parquet craquant.

Codicille : Très occupée par mon travail ces deux dernières semaines, j’ai écrit ceci rapidement. C’est une prise de note et les sujets sont dans mon environnement immédiat. Texte proche des indications qui figureraient dans un scénario. Aucune recherche d’écriture.

7. « Gauthier Languereau ».


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Il naquit Languereau. Son père le prénomma Gauthier.

La main de l’officier de l’état civil Pinchon reste un instant suspendue dans un vide sidéral, retenant la plume prête à accomplir l’irréparable. Le fonctionnaire lève les yeux par dessus ses lunettes rondes pour regarder le nouveau père dans la figure.
— T’es sûr, Ernest ?
— C’est pas dans le calendrier peut-être ?
— Ça fait un peu Bécassine, si tu veux mon avis !

Ledit Ernest hausse les épaules :
— Vais tout de même pas l’appeler Porphyre comme toi !
— C’est toi qui vois !
— C’est tout vu ! Tu marques Gauthier ! Il en fera quelque chose d’un nom pareil !
— Le lui souhaite.

Il se penche vers la salle :
— C’est qui les témoins ?

Deux ivrognes à moitié assoupis sur les chaises en plastique blanc secouent leurs puces et s’approchent du comptoir pour signer le papelard sur l’honneur. Nous sommes à Vendôme le 15 mai 1980.

Fin du générique. Ernest Languereau coupa le projecteur et alluma les lampes de service.

La salle est déjà vide. Les spectateurs s’égaient dans les couloirs ou font la queue aux toilettes. Ernest baîlle et se gratte le crâne. Il se penche au petit carreau. Où est le gamin ?

Gauthier dort en boule au milieu du septième rang.. C’est vrai qu’il est 22 heures et que c’est la cinquième fois qu’il est installé devant « Messaline, impératrice et putain ».. Mais depuis que Louise s’est tirée à Blois avec Porphyre Pinchon, Ernest n’a pas le choix : Gauthier, il le traîne avec lui au cinéma, que le film soit enfants admis ou non. Qui d’ailleurs viendrait faire l’inspection au Ronsard, ce cinéma miteux du Faubourg Chartrain menacé de faillite ?
— Au lit, gamin !

Y a pas à aller loin, l’appartement est juste au-dessus.

Gauthier se rendort sitôt dans ses draps. Son devoir de calcul n’est pas terminé, par contre il sait tout sur l’entourage de l’empereur Caligula. Mais ce n’est pas au programme.

Nous sommes à Vendôme, le 15 mai 1990. Ah oui, c’est son anniversaire à Gauthier Languereau. Il a reçu ce matin une carte de sa mère.

Après avoir cassé la vitre de la Passat, Nicolas fit une torche avec La Nouvelle République. Il l’imbibe d’alcool à brûler. Gauthier sort son briquet orange de la poche arrière de son jeans troué. Le pouce sur la molette, le coeur dans la gorge.
— Vas-y Bécassine !
C’est Nathalie, elle le regarde, les yeux brillants, les lèvres gonflées. Cette fille-là, la serrer contre lui ! Un coup sec sur le métal. La flamme jaillit. Nicolas approche le tortillon. Embrasement immédiat. Il jette la torche sur le siège avant par le carreau ouvert. Les trois ados s’écartent pour contempler le spectacle. Sirènes, police, pompiers. Embarqués au poste.

Vendôme, quartier des Rottes., le 15 mai 1995.

Gauthier Languereau libella proprement et en euros sa dernière tranche d’amende et poussa un soupir de soulagement. Cinq ans qu’il paie mois après mois pour sa connerie de gamin. Sans compter les dix-huit mois de travaux d’intérêt général qu’il a tirés. Tout ça pour les yeux brillants et les lèvres entrouvertes de cette Nathalie. Jamais elle n’a voulu coucher avec lui. Une allumeuse, au propre comme au figuré. Elle l’appelait Bécassine. Elle lui chantait « Bécassine c’est ma cousine ». Il ferme son carnet de chèques et dépose son stylo sur la table. La fenêtre est ouverte et le vent agite le rideau. Dans le square à côté, des jeunes tapent leur ballon contre le grillage pour le plaisir de faire du bruit. Deux ans qu’il travaille au service de la voirie. Nettoyer au karcher les WC publics, ramasser les crottes de chien, aspirer les feuilles mortes. Non, il n’est pas à plaindre. Il aurait pu mal tourner comme Nicolas qui est en taule pour vol à la tire. Arracher le collier à une vieille dame en pleine rue, franchement, c’est inexcusable !

Paris, 12ème arrondissement, le 15 mai 2000.

Gauthier gara le minibus de l’agence de voyage bien en vue sur le parking de l’aéroport de Chinguetti . Il coupe le contact et regarde l’heure. L’avion n’as pas encore atterri. Il a dix bonnes minutes devant lui. Boire un coca après ces kilomètres dans le désert ! A peine entré dans l’aérogare, quelqu’un le happe par le bras. C’est Mohamed Lamine, un gars qui travaille à l’ambassade, un copain.
— Ça va Gauthier !
— La pleine forme mon ami !
— Tu n’as pas écouté les nouvelles ?
— Non, pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ?
— Quatre français assassinés sur la route de Nouakshott ce matin à l’aube !
— Daech ?
— Daech !
— Merde !
— Faut rentrer en France, mon frère !
— Mes touristes ?
— Ils vont faire un aller/retour et tu embarques avec eux. La France rapatrie ses ressortissants. On les garde ici en transit jusqu’à ce soir et toi, tu vas ramasser ton bardas.

Chinguetti, le 15 mai 2005

Sandrine extirpa du carton la robe verte à parements noirs et l’étala sur le canapé à côté de la coiffe et du tablier blanc.

Gauthier contemple l’attirail l’oeil arrondi de stupeur
— Où t’as déniché ça ?
— Ma pote costumière. On a choisi la plus grande taille, viens voir si ça te va.
— Tu plaisantes ! Je ne vais tout de même pas m’habiller en Bécassine !
— On étaient d’accord, Gauthier !
— J’ai cru que tu plaisantais !
— Je te l’ai pourtant expliqué. Si tu veux te débarrasser de l’injonction de Pinchon, il faut jouer à la vivre.
— Donc me mettre en Bécassine !
— Oui et nous irons danser ensemble à l’Imprévu sur le play-back de Chantal Goya.
— L’imprévu ! C’est une boîte gay !
— So what ! Chantal Goya est leur nouvelle icône.
— Et toi tu vas faire Chantal Goya, bien sûr !
— Oui, mets ton costume, on va répéter la chorégraphie.

Paris, 20ème arrondissement, le 15 mai 2010

Gauthier Languereau regarda l’image que lui renvoyait le miroir de la loge, comme s’il se voyait pour la première fois.

D’un geste sec, il s’arrache le bonnet blanc de la tête et le jette par terre. De ses deux mains ouvertes il brouille son maquillage abîmé par la sueur. Il a revêtu ses vêtements civils : un chino bleu, un polo jaune, une veste imperméable. Il entasse son costume de scène dans son sac à dos, sans précaution aucune. Il y ajoute en pagaille les objets de toilette présents sur la coiffeuse et il s’en va, laissant la clé sur la porte ouverte de la loge.

Il quitte l’Aigle par l’entrée de service. La rue des Lombards est toute bruissante de fêtards. Il fend la foule et marche à grandes enjambées vers la Seine. Il s’engage sur le Pont au Change, s’arrête au milieu, contemple un instant les flots aux reflets noirâtres et puis tranquillement, se déleste du sac à dos et le balance dans le fleuve.
— Adieu Bécassine !

Il est 2h du mat’. A 6 heures il embauche à la Propreté de Paris.

Paris, le Marais, le 15 mai 2015.

Il accrocha la poubelle au camion, actionna la manette et provoqua, avec un plaisir non dissimulé, ce fracas de verre brisé qui arrache les paresseux à leur sommeil. Son acte de bravoure accompli — car il s’agit bien de bravoure, en cette période de confinement — Gauthier saute sur le marche-pied et fait signe au chauffeur d’avancer. Le gros camion s’ébranle. Depuis quelques jours, Gauthier et ses pairs se font applaudir par les gens aux fenêtres, au même titre que les soignants. Quand il marche dans la rue, vêtu de son uniforme vert et jaune, les gens lui sourient, et même, satisfaction suprême, de jolies femmes lui disent bonjour. De transparent qu’il était, le voilà devenu héros. Sur son camion, il se sent l’envergure d’un Ben Hur. Oh non, c’est pas qu’il se prend pour Charlton Heston. Il est Gauthier Languereau, future vedette du prochain film de François Ruffin. En effet, l’indomptable député lui a proposé, pas plus tard qu’hier, le rôle principal dans son prochain long métrage.

Paris, 11ème arrondissement, 15 mai 2020.

6. le nom du chat


proposition de départ

Le chat porte le nom de Zhoskales, le roi Zhoskales pour être précis. C’est un chat noir omniscient. Il a un large réseau dont fait partie Félix Chagall, le chat noir et blanc de Shirin Rooze. Il travaille en partenariat avec Onésime, une culbutante belge ( pigeonne), originaire d’Anvers, dont le plumage est également noir. Peu d’humains le savent mais les animaux noirs ou noir et blanc sont doués de facultés exceptionnelles, ils sont HP en quelque sorte. Cette particularité concerne aussi quelques chiens bâtards et bien sûr beaucoup de vaches laitières, mais il est rare de croiser une vache dans le quartier Bastille.

Zhoskales est très en colère d’avoir appris que Le Mousse méprise les chats. Il va lui en cuire, à Le Mousse et pas plus tard qu’au fil de cette histoire.
Pauline : c’est la gérante du Petit Baïona. Je la connais depuis vingt ans. Avant elle travaillait dans un autre café près du métro Faidherbe et j’allais chaque jeudi m’en jeter un sur le zinc avant d’aller raconter une histoire sur Radio Aligre. C’est une femme corpulente et hyper lax qui étonne par son agilité à se faufiler de profil entre les tables, les mains chargées d’assiettes. Je lui invente un nom de famille pioché au hasard sur Wikipédia : Kerjan ce qui indiquerait des origines bretonnes.

Gauthier : C’est l’éboueur, le briseur de verre, le Ben-Hur des camions poubelle. C’est un personnage de composition inventé à partir d’observations. Ce prénom à consonance médiévale semble à-priori mal lui convenir. Pourtant il se vit comme le héros d’une future épopée orchestrée par François Ruffin. Le prénom m’est assez familier. Il est porté par l’un de mes jeunes amis, un garçon très cultivé, mélomane, bien élevé, de bonne famille auvergnate. Un contraste avec mon éboueur ? Pas si sûr. L’éboueur est peut-être mélomane lui aussi, client assidu du disquaire « Le Silence de la Rue » où il achète des vinyls des Charbonniers de l’Enfer. Un nom de famille, soyons simple : Languereau. Cela nous rappellera nos livres de Bécassine. Gauthier collectionne les vieux « Bécassine » qu’il dégotte dans les poubelles. Peut-être qu’à ses heures il se vit en drag queen et s’habille en Bécassine pour faire du strip-tease. dans les Fest Noz de Basse-Bretagne. Mais ça c’est sa vie secrète qu’il vaudrait mieux que François Ruffin ignore. Encore que, François Ruffin pourrait en être très secoué s’il l’apprenait et concocterait une proposition de loi qu’il défendrait à l’Assemblée Nationale en bégayant : « chacun devrait avoir droit au respect de sa double vie ». Pour une fois la loi serait adoptée avec le soutien inconditionnel de Marlène Schiappa et de Darmanin.

La vioque aux cheveux blancs qui s’est fait dérober son sac à main est surnommée dans le quartier La Dame aux Camélias parce qu’elle porte volontiers de grands chapeaux ornés de fleurs blanches. Sur sa carte d’identité son nom est illisible. Elle se fait appeler Lalka Berberova, Berberov étant le nom de son ex-mari, un ex-dissident Bulgare. Il arrive aussi qu’elle se présente comme étant la vraie Shirin Rooze.

Monsieur Anthony c’est le grand échalas, coiffeur de son état ( ça c’est vrai).D’origine italienne, il se prénommerait en réalité Antonio et son nom de famille est Gennaro. Il se nourrit de spaghettis bolo mais il ne grossit pas, c’est trop injuste. ( noms pêchés sur Wikipedia).

Lucie : une autre vioque. Celle-ci ne sait pas quoi faire de sa peau depuis qu’elle est à la retraite. Elle navigue de bistros en restos, copinant avec les serveurs car ce sont les seuls qui acceptent de l’écouter ( un peu, commerce oblige) car elle est absolument chiante, du genre « moi je sais tout et mieux que tout le monde ». Ancienne traductrice du russe et de quelques langues en voie de disparition de Sibérie orientale, elle lit la Pravda aux terrasses de café. Son nom de famille inventé : Charbonnier ( contraste avec Lucie, ombre et lumière). On la surnomme Charbon . Elle travaillait autrefois comme correctrice dans une Maison d’Edition. Comme elle était portée sur la bibine son chef lui avait interdit de boire au bureau. Elle avait contourné l’affaire en mettant de la vodka dans une théière. A présent, elle serait sobre. Personne ne sait comment elle se comporte après le coucher du soleil.

Marino Marini : la soixantaine. Porte des chemises roses et transporte sa chienne, une chiwawa édentée du nom de Marina, dans un porte-chien en bandoulière. Le dos très cambré, il semble prêt à offrir son postérieur proéminent à qui se proposerait de l’entuber. D’origine italienne , il a eu autrefois son heure de gloire comme chanteur de charme sur les bateaux de croisière pour rombières nanties. Fonctionnant à voile et à vapeur, gigolo à ses heures, il a perdu sa belle voix de ténor le jour où il a découvert un crotale dans sa couchette. Un coup fourré d’un amant délaissé travaillant au ménage des cabines.

Marina : Chiwawa femelle, elle porte un collier en strass. Marino dit qu’elle est sa petite femme. Elle n’est pas du tout surdouée, elle, mais plutôt complètement à la masse depuis qu’elle a été vaccinée contre la rage avec un vaccin contenant de l’aluminium, vaccin administré pour pouvoir voyager sur les bateaux de croisière. Vaccin contre la rage alors qu’elle n’a plus depuis longtemps de dents pour mordre, un comble.

Seb : Gérant du Pure Café fréquenté par Marino et Marina. Nom complet Sevastian Beresovski. Descendant d’un prétendu prince qui jouait de la scie musicale à Paris dans les cabarets russes des années ’20. Mais il se fout de ses origines et ne connait que trois mots de russe, des insanités qu’il réserve aux Ukrainiens qui font la plonge dans sa cuisine.

Alice Crenn : dite « la petite voleuse ». Originaire de Rennes, elle a abandonné ses études de psycho pour suivre dans la Haute Vallée de l’Aude un magnétiseur qui l’a fait vivre dans une grotte avant de la plaquer pour une autre. Elle a 21 ans, 1,50 m et s’habille en taille 34. Elle habite à présent dans une cave communiquant avec les égouts et a pour compagnon un lièvre blanc vif comme foudre mais pas HP, qu’elle a dressé à dérober les sacs déposés par terre aux pieds de leurs propriétaires, sur les terrasses de café. Parfois elle mendie devant la supérette Casino pour améliorer l’ordinaire. Crenn est le nom d’une gamine troglodyte qui a arraché l’an dernier dans mon jardin, les haies de buis bouffés par la pyrale. Et Alice choisit comme disposition à une vie aventureuse en compagnie d’un lièvre blanc.

Frida Serradilla ( nom inventé mais la gérante de la Belle équipe ressemble à Frida Kahlo pour de vrai mais ignore l’existence de cette artiste)) : Mexicaine, ex actrice de porno mexicain. Gérante de la Belle Équipe. S’efforce de ressembler à Frida Khalo. Lui ressemble d’ailleurs. Aura peut-être un accident de tramway à la Porte Dorée. Serait la nouvelle maîtresse de Cyril Lignac mais c’est peut-être une rumeur sans fondement.
Cyril Lignac ( lui-même, son vrai nom) : Pâtissier doué, homme d’affaires avisé, beau gosse typé occitan. Navigue rue Paul Bert entre son restaurant étoilé, sa boulangerie et sa chocolaterie. Tient ses secrets de pâtissier d’un réfugié tchèque, Jaroslav Chocolatch. Serait l’amant de Frida Serradilla mais que ne raconte-t-on pas dans le quartier.

La maire Hidalgo : dite aussi « la Reine des Pommes » depuis qu’elle ne se promène plus à Paris qu’en tailleur vert Granny Smith. Silhouette.

François Ruffin ( lui-même) : Silhouette. Tourne un film caméra à l’épaule sur l’entreprise Veolia chargée de la propreté à Paris.

Aïssa Coulibaly : Ivoirienne, vendeuse dans la chocolaterie de Cyril Lignac. Bipolaire. Belle femme, épouse d’un ouvrier du bâtiment, Brahim Coulibaly. Kidnappe François Bon avec la complicité d’Alice Crenn.

Le Mousse : un type qui traverse les rues désertes de Paris, la nuit, en trottinette, une Go-Pro fixé sur son casque de cycliste. Se fera enlever par Aïssa et Alice, manipulées subtilement par le chat Zhoskales et sera enfermé dans la réserve de chocolats jusqu’à ce que sa chaîne qui l’emploie paient une rançon.
Cendrine dite Constance Bonassieux : anime des stages de cuisine. Organise volontiers des concerts de casseroles ou casserolades, pour lesquels elle prête son matériel. Elle le fait quand Hidalgo est dans le coin à inaugurer des potagers sur les toits.

Arlette Dupond dite Triptone : fantôme. Sa présence se détecte par une soudaine et forte odeur de gauloises bleues. Officiellement fille de Dupond le détective cher à Hergé mais peut-être fille de son homologue Dupont. Triptone aidera Le Mousse à s’enfuir contre la promesse de parler de Bakounine dans ses videos.

Achille Loria : fantôme. Économiste italien ayant existé. Il revient pour défendre son idée-fixe qui n’a eu en son temps aucun succès : répandre de la glu sur les ailes des avions pour attraper en grande quantité des oiseaux et résoudre ainsi le problème de la faim dans le monde (véridique ). Compagnon de Triptone dans le monde des âmes errantes.
Pomovirus : Virus de la pomme de terre qui s’est transmis à l’homme par l’ingestion de frites. L’épidémie a commencé en Belgique où on a eu les premiers cas dans l’Ilot Sacré à Bruxelles, au restaurant « Chez Léon ». Le virus fascine la pomme de terre qui coupée en frites, se dore à point toute seule sans passer par le bain bouillant dans la graisse de boeuf. Les humains atteints perdent tout sens critique et se laissent manipuler.

Mélina Papadopoulou : étudiante grecque. Obèse. Danse la nuit à poils dans les rues de Paris . C’est un rituel qu’elle pratique souvent avec succès pour obtenir les faveurs du ciel. A d’autres moments, elle vole en GAV.

Codicille : Voilà bien un jeu qui m’a plu, entre Wikipédia, le réel , mes souvenirs et mes rêveries. J’ai été vraiment emportée dans une suite de scènes jubilatoires. Je ne sais pas encore bien dans quelle intrigue ce petit monde-là va se trouver embarqué.

5. ouvre la porte


proposition de départ
1

Mister Brown prend la pauvre petite chose à pleine main — la gauche—tandis que sa main droite se saisit du couteau pointu allongé sur la nappe bleue, et pourfend le ventre mou de sa victime avant de la jeter agonisante sur l’assiette. Le couteau s’empare d’un escargot de beurre à sa portée et en farcit le ventre béant avant de se coucher à son tour sur l’assiette. Alors des deux mains Mister Brown resserre les lèvres de la plaie, ouvre grand la bouche, mord de ses grandes dents, arrache et déchire ce croissant acheté à prix d’or chez Cyril Lignac.

2

Ceinturé dans sa poussette-canne, l’enfant, comme à sa triste habitude, geint, les yeux à la hauteur des genoux de sa mère. Elle est assise, jambes croisées haut, devant un guéridon de bistrot, sur le trottoir de la rue de Charonne. Devant elle un café dit « allongé » dans une tasse blanche estampillée « Richard » et sur une soucoupe garnie d’une serviette en papier noir, le croissant au beurre du matin. L’enfant grinche. La mère dépose son téléphone et de ses longs doigts d’albâtre aux ongles peints en rouge, elle arrache un peu du ventre du croissant et le tend vers l’enfant qui aussitôt ouvre grand la bouche.

3

Le chiwawa édenté de Marino est assis sur une chaise à côté de Marino lui-même, à la terrasse du Pure Café rue de Chanzy avec vue imprenable sur « Le Silence de la Rue », la boutique du disquaire. Seb le serveur dépose un croissant au beurre devant le chien et devant Matino un petit café noir accompagné, sur la soucoupe, d’une cuillère et d’un morceau de sucre roux. Le chiwawa avance le museau vers ce morceau de sucre mais d’un doigt impératif Marino lui signifie qu’il n’en est pas question et il ajoute : « le sucre rend les chiens aveugles, déjà que tu n ‘as plus de dents ! ». Alors le chiwawa prend le croissant dans sa gueule sans dents, saute sur le sol et va le bouffer sous la table.

4

C’est Gauthier l’éboueur qui a fini son office de briseur de verre. Il souffle à la terrasse de Monsieur Edgar devant un petit noir arrosé de cognac qu’il ne boit pas encore. Il tourne la petit cuillère dans la tasse pour dissiper la mousse car le café d’Edgar fait de la mousse. Puis il lèche la cuillère, la dépose, boit une gorgée et enfin, il tend la main vers le gros gras grand croissant qui lui fait de l’oeil sur l’assiette à fleurs bleues et en trois coups de dents, il l’engloutit.

5

La vieille Luce fait des miettes sur son pantalon à fleurs. Son masque bleu traîne sur la table en formica jaune que Cendrine a placée sur le trottoir, tout contre sa vitrine, avec la chaise assortie parce qu’en ce moment avec le covid on peut déborder grave sur le trottoir la mère Hidalgo est d’accord. Le café est servi dans une tasse verte et quand elle a fini son croissant, Luce s’essuie la bouche avec ses doigts et lampe son café en faisant du bruit.

6

Anthony n’est plus un enfant mais là, devant son croissant, ce grand échalas qui fait métier de coiffeur, mange d’abord délicatement les deux bouts de la viennoiserie — délicatement c’est-à-dire en ne se servant que du pouce et de l’index et laissant les autres doigts former un joli petit éventail — souvenir de ce temps où les bouts des croissants étaient souvent secs et durs et où l’on gardait le tendre milieu pour la fin.

7

Ventripotent, en short honolulu et chaussettes blanches, il ne touche à rien de ce petit déjeuner parisien qui de toute évidence ne le nourrira pas à sa faim. Car ici pas d’oeufs brouillés ni de pan cakes. Alors il immortalise en rafales ce croissant doré avec en arrière-plan cette minuscule tasse de café. Paris est une fête, comme disait l’autre !

8

Le gars est assis par terre dans la ruelle, les genoux serrés contre sa poitrine. Derrière lui, sur le mur, des lambeaux de papiers, protestations à demi arrachées des Femen. Il tire sur une clope qu’il a roulée. Il la tient, cette cigarette, non pas entre l’index et le majeur comme à peu près tout le monde, mis entre le pouce et l’index comme les voyous d’antan. C’est un vieux gars mal rasé. Il regarde l’américain photographier son croissant et soudain, il crache par terre.

9

On dit que ce sont les femmes qui causent qui causent à étourdir leur monde mais là, non, c’est lui, c’est ce blond aux joues creuses juché sur le tabouret de bar de La Belle Équipe. Il raconte des trucs de l’époque de son service militaire quand le kebab coûtait cinq balles et tout en parlant de la sauce andalouse il avale son croissant à la croûte vernissée.

10

Elle est debout depuis cinq heures du mat’. Enroulée dans son grand tablier blanc, son petit calot blanc duquel émerge sa queue de cheval sur la tête, avec sa pince en métal, elle les prend sur la claie et les emballe soigneusement pour les clients dans de jolis papiers blancs qu’elle ferme en tournant joliment les coins. Mais son estomac gargouille. Ira-t-elle se cacher pour en engloutir un, de croissant ?

Ah oui, faut pas oublier de codiciller ! Cette aventure, depuis le début, est bizarre. Je ne quitte pas ou presque pas les rues de Paris et tous ces personnages s’imposent, m’amusent, voudraient bien que je leur accorde un peu plus de temps, que je déploie leurs histoires, leurs minuscules histoires. Je suis comme tirée vers quelque chose dont l’intrigue m’échappe. C’est surtout beaucoup de plaisir, de la jubilation.

4. seule en douceur


proposition de départ
seule en douceur

Elle n’a d’yeux que pour la rue cette dame en robe rose et cheveux blancs qui savoure nonchalamment son kawa à la terrasse du Baïona au coin de la rue de Charonne et de la rue Charrière. Elle tourne et tourne la tête pour jouir pleinement de ce début de journée entre les livraisons matinales et les mamans à bébés. Je me tiens cachée dans l’angle mort de son regard. Elle a suspendu son sac bleu au dossier de la chaise. Il est abandonné ou presque quand elle se penche en avant pour observer le manège de l’apprenti cuisinier qui se tient les mains dans les poches pour éviter si possible d’aider le livreur qui lui amène de la nourriture sur des palettes couvertes de toile noire et molle. Le camion chargé de la collecte des bouteilles s’arrête pour vider les bacs à couvercles blancs. On dirait que l’éboueur jouit du bruit qu’il produit. Et voilà qu’il saute sur le marche-pied et se tient au camion pareil à Ben-Hur sur son char. La dame a maintenant tourné complètement la tête pour suivre le manège de l’éboueur et son dos est complètement décollé du dossier de la chaise. Ce serait le moment où jamais, je bondirais comme une chatte, j’attraperais l’anse du sac et je m’encourrais à toutes jambes vers le fond de la rue Charrière. Arrivée dans le jardin Majorelle, je m’assoirais calmement sur un banc et ferais l’inventaire de mon butin du matin.

Un peu de monnaie de quoi acheter un sandwich et des cibiches, et puis des papiers d’identité et des cartes de banque. Tout cela serait bon à prendre. Je lui laisserais ses mouchoirs pour pleurer, son permis et ses clés. Je glisserais le sac à mon épaule et je m’en irais d’un pas tranquille vers le Faubourg Saint-Antoine. A l’arrêt du 86 je me mêlerais aux voyageurs qui attendent et je déposerais par terre à mes pieds le sac de la dame comme si de rien n’était, pour remonter la bretelle de mon soutif qui aurait glissé sur mon épaule frêle. Le bus serait là, je monterais et paierais honnêtement ma place avec un ticket de la dame et irais m’assoir sur les sièges verts tout à l’arrière. J’irais me faire tourner la tête sur les manèges de la Foire du Trône, mangerais des glaces et de la barbe à papa. Et demain je me cacherais de nouveau aux petites heures près d’un bistro. Ça vaudrais mieux que je d’aller faire la manche à la porte du Casino. Pourtant, c’est ce que je m’en vais faire.

seule en rudesse

J’suis planquée dans l’encoignure. J’ matte les assoiffés de l’aube, ceusses qui tournent pas le coin sans s’arrêter au bar avaler bouillant l’expresso au comptoir. Moi j’ai la peau du ventre qui colle à la peau du dos et pas un kopeck à claquer. Tiens, la vioque, là, elle s’empiffre solide et se flanque des miettes partout sur sa robe rose. A parier qu’elle bâfre sans même le savourer, son putain de croissant. Elle s’occupe que du trafic de la rue. On la croirait au cinéma. Son sac est accroché au dossier de sa chaise et son dos ne s’appuie pas au dossier de la chaise. Elle sentirait rien j’te parie si je la lui chouravait sa besace. Elle zieute le gros qui sue dans son T-shirt et expose au monde sa raie de fesses à pousser et tirer sa palette chargée de bectance tandis que le gringalet d’aide-cuistot, bien rasé et propret, le regarde faire, mains dans les poches. Fracas de verre cassé. Au cul du camion de ramassage un grand mec en jaune exécute un impeccable numéro. Et un et deux bacs pleins — manette—dihing, gling, gliing — manette — retour bacs trottoir— et hop sur le marche-pied. Se tient à peine d’une main quand s’ébranle le camion. J’parie que s’il osait, il saluerait la foule comme Macron au 14 juillet. La vioque rêve, va savoir, aux grands bras rudes de l’éboueur. J’aurais à l’instant qu’à bondir et lui rafler ses affaires. Courir dans la ruelle. Faire l’inventaire tranquille au square comme une qui cherche son mouchoir. Lui taxer ses sous et ses cartes. Lui laisser ses clés faut pas être trop vache. Aller lourder la sacoche devant l’hosto. Sauter dans le 86 direction la grande roue de la Foire du Trône et s’empiffrer de frites et de barbe à papa. J’ose ou j’ose pas ? Should I stay ou should I go ? C’est ça ou la manche devant Casino. RRRHAAH

Exercice très amusant pour lequel j’ai pris plaisir à jouer sur les sonorités, en particulier pour le « rude » qui est scandé et que je vous lirais bien à haute voix. J’ai aussi profité de l’occasion pour développer la silhouette du supposé voleur , en l’occurrence une « voleuse » qui n’ose pas voler, qui rêve de voler , qui observe la vieille en train d’observer. Détaillé aussi l’éboueur, le commis de cuisine et le livreur qui peu à peu s’affirment comme des personnages de nouvelle ou même de roman. La « voleuse » dans un prochain épisode va se faire coiffer au poteau par un vrai picpocket. Aventure et fantaisie. Joie.

3. quitter la ville


Quitter la ville — en bref

6h du matin. Vincent cheveux en bouclettes dorées, s’accoude à la fenêtre de son sixième étage. Au nord, vers Montmartre, le ciel s’est embrasé. Il arrivent, ils ont pénétré la ville par surprise . Échappée d’une zone de non-droit, c’est la horde des Banlieues Perdues . Casques garnis de cornes de vaches, armures en tôles de bagnole, roulement de cuillers sur vieux éviers en inox suspendus à leurs épaules par des chaînes. Ces gars traquent et pourchassent les métis noirs aux yeux clairs. En vertu de quoi ? Une idéologie qui échappe à la raison. Quand ils en attrapent un, ils le frappent à mort en pleine rue puis ils allument une caisse et se soulent à l’alcool de chien en dansant autour du cadavre. Le préfet de police, ses flashes ball, ses grenades et ses insecticides est impuissant contre ces bandes ou préfère laisser penser qu’il est impuissant. Certains murmurent qu’il y aurait comme une accointance entre ces vauriens et le gouvernement. Faire accepter des lois liberticides implique que plane un climat de terreur. On s’agrippe au pouvoir comme on peut ! Vincent est un blond aux yeux verts. Père Breton, mère Ethiopienne, il a la peau couleur café. Son portable frémit. Un SMS de Bertrand, son frère : « File. Moi peux plus passer. Me cache ». Bertrand vit à Pigalle dans une ruelle discrète appelée cité des Platanes. Cela fait quelques semaines que les frères Legrand se préparent à éviter la ratonnade. Complices, ils ont établi des plans, plan A, plan B et même plan C. Bertrand a une cache sous son rez-de-chaussée. Trappe invisible ou presque . Cellule bien achalandée en sardines, riz et bidons d’eau. Lits de camp. De la place pour deux et de quoi tenir au moins trois semaines. Vincent qui vit à Bastille ne peut pas prendre le risque de remonter la ville pour rejoindre son frère dans la cache. Pour lui ce sera donc le plan B. Il lui faut un véhicule, un velib’ vite, avant qu’il n’y en ait plus aucun disponible à la station Faidherbe. Il dévale l’escalier, débouche dans la cour, galope . Ouf, il en reste ! Retour à l’immeuble. Il monte boucler son sac à dos : pas d’ordinateur mais trois gros bouquins, du linge de rechange, une trousse de toilette. Il sort d’un tiroir un rouleau de billets de banque bien serré et le dissimule dans une poche interne qu’il a cousue dans la jambe de son jeans, coupe les radiateurs, vérifie que le gaz est éteint, attrape ses lunettes, ferme la porte à clé. Son atelier de sculpteur est dans la cour.Il consulte son portable. Ne pas perdre de temps. Cependant, comment songer à se lancer dans cette aventure incertaine sans la bénédiction de ses esprits tutélaires. Son rouleau de protection personnel, réalisé sur mesure par un chaman d’Addis-Abeba est suspendu au-dessus de son établi. Il le décroche, le roule…Mirza la chatte grise s’est réveillée et contente de le voir là si tôt matin, se frotte à ses jambes pour quémander tout à la fois une caresse et sa pitance. Vincent lui remplit sa gamelle de croquettes, hésite à déposer le récipient par terre. Semble danser d’un pied sur l’autre. Se décide, ouvre la porte et place l’écuelle dans la cour au pied de la descente d’eau pluviale. Il referme sa porte, fourre la clé dans son sac, lève la jambe pour enfourcher sa bécane. La chatte ne mange pas, elle le regarde fixement. Il s’en aperçoit, murmure : « allez mange, Mirza mange. C’est la dernière fois que je te donne.Dorénavant faudra te débrouiller sans moi. Je sais pas quand je reviendrai. J’espère que les voisins auront pitié de toi. » La chatte le regarde. Ses yeux ressemblent à des agates. Vincent ne bouge plus. Il se souvient du petit corps chaud de cette bête contre lui, la nuit, durant le confinement du Covid. Il ouvre son sac à dos, en retire un bouquin, deux bouquins, tous les bouquins, ramasse Mirza et l’installe à leur place. Le sac, il l’enfile maintenant contre sa poitrine : « Il ne faut pas que tu bouges Mirza, tu m’entends ! On va se sauver tous les deux. Jamais moi sans toi, je te l’avais promis quand je t’ai recueillie. Quel pauvre mec je suis de l’avoir presque oublié ». Vincent s’éloigne à forts coups de pédale vers la Porte Dorée. L’aube se lève, des fenêtres s’éclairent, la chatte ronronne doucement. Dans le bois de Vincennes est un lieu sûr qu’ils ont préparé soigneusement, Bertrand et lui. Caché dans les feuillages, une hutte de branchages avec de quoi boire, manger, se coucher au sec.

( à suivre)

Quitter la ville — en long

Vincent se réveille aux aurores d’un sommeil agité. Il a rêvé qu’une baleine l’avalait, qu’il était prisonnier dans son vaste ventre et qu’à chaque instant des trombes d’eau lui tombaient dessus au risque de le noyer. D’ailleurs il est trempé, son T-shirt est mouillé de mauvaise sueur. Il se lève un peu chancelant, passe une main dans ses boucles dorées, se frotte les yeux . 6 h sur l’écran du portable. Bien trop tôt, le réveil ne sonnera qu’à 7h30. Quel temps fait-il en ce lundi de mai ? Il s’approche de la fenêtre. Une fenêtre dans les toits au sixième étage d’un modeste immeuble parisien de la rue de Charonne. Il faut de bonnes jambes et le coeur bien accroché pour grimper jusque là trois ou quatre fois par jour. Mais Vincent n’a pas trente ans et si le logement est un peu rudimentaire, avec WC sur le pallier, le loyer en est raisonnable. Quant à la vue, elle est digne d’une carte postale. Il ne cesse de s’émerveiller de son Paris. Là-bas, le Sacré-Coeur. Mais non ! Que se passe-t-il ? Cet embrasement du côté de Pigalle ! Bertrand ! Bertrand, son frère presque jumeau, à peine un an d’écart, vit à Montmartre dans une ruelle qui donne sur le Boulevard de Clichy. Un rez-de-chaussée avec devant un jardinet d’un mètre de large dans lequel pousse par on ne sait quel miracle, un polownia, un arbre qui fleurit en bleu. Montmartre brûle. Ils sont donc arrivés jusque là, ceux de la horde des Banlieues Perdues. Entrés par surprise du côté nord. Bertrand ! Siri, appelle Bertrand Legrand ! J’appelle Bertrand Legrand répond la machine. Ça sonne ! Allo Bertrand ? Bertrand est descendu dans la cache sous son appartement. Une trappe à peine visible dissimulée dans les carreaux de ciment de la cuisine. Depuis quelques semaines que règne la terreur provoquée par ces individus sans foi ni loi qui se proclament descendants d’Attila, Les frères Legrand ont entrepris l’aménagement de cette cache, à peine éclairée par un soupirail. Ils y ont rassemblé sur des étagères métalliques, de quoi survivre quelques semaines : de l’eau en bonbonnes, du riz, des pâtes, des sardines. Un réchaud de camping, deux lits de camps. La Horde des Banlieues Perdues est constituée d’un ramassis de crapules d’extrême-droite issus de zones de non-droit qui pratiquent la ratonnade. Ils envahissent les quartiers à grand bruit de ferraille. Accoutrés de casques de moto garnis de cornes de vaches, ils portent des cuirasses taillées dans de la tôle de vieilles bagnoles et font du boucan en frappant avec des cuillères sur des éviers en inox qu’ils portent devant eux en bandoulière. Leur cible, les métis noirs aux yeux clairs. Pourquoi ? Aucune justification aussi aberrante soit-elle. Quand ils en coincent un, ils le frappent à mort puis allument un feu de joie en incendiant une voiture et dansent autour du cadavre en buvant de l’alcool de chien, de cet alcool frelaté qui rend fou.

(à suivre)

Codicille : J’ai passé ma vie à écrire court pour des raisons professionnelles. J’ai donc vraiment du mal à étirer le propos et à me départir de l’idée qu’en allongeant la sauce, je fais de la daube ( très culinaire ma réflexion !). Donc, je trouve cet exercice profitable et si j’avais plus de temps, je poursuivrais la version longue. Comme la #4 se pointe et que j’ai d’autres projets sur le feu ( encore la cuisine !), je laisse ces textes à ce point-ci. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à commencer cette version longue car les images, je les ai il me suffit de prendre le temps de les décrire. N.B. C’est faire ça, écrire un codicille ?

2. sous l’araignée, la poire


Vu de l’extérieur, c’est le fond de la supérette du village, rayon boucherie. Le jeune boucher/charcutier , cheveux trop longs sous son calot, emballe un mètre de merguez pour un vieux lourdaud en short et chaussettes blanches qui pourrait bien être le maire. Un gars en T-shirt jaune se dandine en attendant son tour. Corps émacié d’un gros fumeur de hash. Et son tour, le voilà. J’ veux de la viande rouge. Il agite les mains. Grands gestes mal coordonnés. Il montre un bout de bidoche à l’étal. Ça c’est du porc, Fernand ! Ah, alors donne-moi ça, c’est quoi ? Du paleron c’est pour le pot-au-feu. J’ t’ai dit de la viande rouge, Kevin, putaing. J’ veux ça ! C’est du steak haché, ça te va ? Ah non, beurk, donne-moi plutôt ça ! La poire ! Comment la poire ? La poire, sous l’araignée ! Ah ça, faut l’entendre ! La poire sous l’araignée, c’est la première fois que quelqu’un ose ! Je me plaindrai à ton patron, Kevin. Ton patron et moi on a fait…ensemble. Tu va dérouiller, je te le dis, moi ! Sombre histoire.

1. l’angle mort


Quartier populaire, 11ème arrondissement, Paris. 8h40 femme cheveux blancs en pagaille — Covid—sort de son immeuble. Passe devant la vitrine éteinte d’Antony, le coiffeur.
— Trop tôt pour le coiffeur. Alors café/croissant.

« La Belle équipe « , bistrot habituel, fermé — Covid.
— Avec ce Covid rien n’est pareil. Café ! A côté, « Petit Baïona » ouvert. Chaises et tables étalées loin sur le trottoir. Défense de pénétrer dedans — Covid.

Pauline, serveuse, enroulée dans son tablier bleu :
— J’ai l’air d’une truie. Avec ce confinement. Pour perdre ça, des kilomètres à faire avec le chien.
— Je peux m’assoir ici ? C’est pas trop loin pour vous ?
— Mettez-vous où vous voulez, ça me fera marcher. J’ai pris 5 kg.
— Avec le Covid ? Oui, moi aussi ! C’est vrai, j’ai pris du bide mais elle, elle a toujours été grosse, depuis le temps que je la connais ! Un café bien serré et un croissant svp.
— C’est parti. Je la connais depuis longtemps, c’est vrai qu’elle a pris du bide, ça me console.

Deux ouvriers noirs de peau peau casqués de blancs, uniforme de travail marron marchent côte à côte vers un bâtiment en réfection.

Premier ouvrier :
— Je l’aurais bien baisée ce matin, Aïssa !

Deuxième ouvrier :
— Aujourd’hui remplacer cette poutre cramée. Maman à Bamako. Covid arrive.
Papa pressé, chiard dans la poussette, tennis jaunes aux pieds et sacoche en bandoulière :
— Ce rapport à finir pour ce soir. Vie de chien. La mer qu’on voit danser.
Jeune femme en tailleur fait claquer ses talons hauts, dépasse le papa sans le voir :
— Je l’aurai, je l’aurai, je l’aurai. Fut-ce au prix de mon sang, je l’aurai !
Une camionnette blanche s’arrête en double-file. Chauffeur en descend. Ventripotent dans son t-shirt mouillé de sueur. Aide-cuisinier du resto voisin attend sur le trottoir, propret dans sa veste blanche sanglée d’un long tablier bleu marine.

Passe le camion des poubelles. Ramassage du verre.

L’éboueur en jaune :
— J’adore faire du bruit, j’adore entendre tout ce verre qui se brise. J’adore sortir les bourges de leurs plumes.

La femme aux cheveux blancs :
— Quel bruit ce verre qui se brise.

Pauline :
— Voilà .
— Combien ? Je vous paie tout de suite.
— 3€50. J’espère qu’elle a la monnaie. Un gros billet, à cette heure. Ah oui, elle a la monnaie.

L’éboueur en jaune saute sur le marchepied du camion-poubelle qui s’ébranle et il se tient fièrement à une poignée. Prêt à saluer la foule. Sentiment que la rue lui appartient :
— Suis un héros, un héros, un héros. L’on dit à la télé.

Le conducteur du camion-poubelle :
— Gauthier se la joue encore. Cow-boy de mes deux, va !

L’éboueur en jaune :
— Si ça se trouve, Ruffin va me prendre pour dans son prochain film.

Le chauffeur de la camionnette blanche a sorti du camion un chariot chargé de palettes emballées de plastique noir. Il sue et tout son corps est tendu pour faire franchir à l’engin le bord du trottoir :
— Putain mon dos ! Pourrait pousser un peu l’autre, là. Hé, tu m’aides un peu gamin ?
L’aide-cuisinier se décide mollement à donner un coup de main. A deux, ils poussent et tirent le chariot de l’autre côté de la rue. Le bus s’arrête.

Le chauffeur masqué :
— Ayé. Comme d’abitu-ude.

Dans le bus, la blonde debout, masquée :
— Pfff ! J’vais être en retard !

Le voyou planqué :
— Un coup facile. Dommage que son téléphone soit sur la table. Allez, zou !

Un motard chausse son casque. Deux hommes s’assoient face à face après s’être entrechoqué les coudes— Covid.

La femme aux cheveux blancs consulte son téléphone.
— C’est l’heure.

Elle se lève, veut ramasser son sac à main. Plus de sac.
— Mon sac ! Mais qu’est-ce que…pas mis par terre. L’ai plus. Non, l’ai plus. Volé ? Volé ! Mes clés ? Pas en poche ! Plus rien . Pas un sou, pas de clé, plus de papiers… Pauline, on m’a volé mon sac je crois !
— Ah pourtant vous l’aviez. M’avez payée.
— Heureusement ! Manquerait plus que ça !
— Allez voir dans les poubelles. Sinon commissariat.

Une anecdote vécue et d’autant plus étonnante qu’elle s’est produite durant les quelques minutes où la protagoniste principale se la jouait auteure omnisciente en oubliant qu’il existe en toute circonstance, un angle mort. C’est peut-être de là, de cet angle mort que pourrait surgir l’élément déclencheur qui ferait d’une anecdote une histoire.

 



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1ère mise en ligne 23 juin 2020 et dernière modification le 4 novembre 2020.
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