le roman de Laure Cassan

–> AUSSI DANS CETTE RUBRIQUE

 bio et liens...

un début de quelque chose


proposition de départ

Pour vivre il faut voir, entendre, sentir. Lui là, assis à la même table tous les jours de l’année, il ne voit pas, il n’entend pas, il ne sent pas. Il sait. Tous les jours. Même table. Bel endroit pour se faire croire qu’ont vit. Des gens qui entrent, des gens qui sortent. Tout le temps. Tabliers qui dansent, dents qui apparaissent et puis disparaissent, plateaux qui glissent, léger déséquilibre, à peine une seconde, et retrouvent l’horizon, talonnettes qui claquent, porte tourniquet,... Alors, illusion de mouvement. Voire de vitalité. Pense que le mouvement des autres est le sien. Pense. Veut pas trop se mélanger. Pas trop trop. Pas du tout. Pas avec les autres. Savent pas eux. Pensent pas bien. Gigotent. Mais lui, même place, tous les jours. Pense encore, que l’endroit est authentique. A cause des boiseries ? Non non. Voit pas, sent pas les boiseries, ça non. Non non. Authentique parce qu’avant. Avant. Avant c’était bien. Les cerveaux d’avant quand même... ça manque. Qu’il pense. Dans son costume noir. Tout noir. Tout en noir il est habillé. Comme ses cheveux. Un petit visage blanc. Des petites mains blanches qui dépassent de ses manches. Pas de couleur. Si. Un trou dans sa chaussure. Tout petit le trou. Et dedans le trou, un bout de chaussette turquoise. C’est tout. Il sait. Pas besoin de voir entendre sentir puisque son cerveau fait des ponts des liens. Pas besoin d’éprouver. Pas besoin de l’espace. Pourtant besoin de venir à la même table tous les jours. (Une table est un espace. Paradoxal.) Pas trop trop pas du tout envie de se mélanger mais. Il parle avec un Autre. Tout l’inverse de Lui. Vit trop ! L’Autre ! Enfin... Non, pas trop. Pense que c’est un traitre. Traitre ! Pas de noir ! Pas de petit visage et petites mains blanches ! Pas de trou dans la chaussure et dedans pas de bout turquoise ! Chemise... Deux boutons du haut défaits... Poils qui dépassent... Poitrine qui se soulève... Signe de respiration ! Signe de vie ! Traitre ! Mais. Respect. Il sait aussi. Lu quelques livres. Il sait un peu. Un tout petit peu, le traitre. L’Autre. Assez pour discuter. Discute... Discute... Encore discute... Depuis vingt ans. Discute. Un jour que le temps n’existait pas parce qu’il ressemblait trop au temps de tous les jours, s’est passé quelque chose. Oh la la. Comme tous les jours, dans sa tête, calme plat : je suis Dieu, je suis Dieu et... je suis Dieu. Ah mais je suis Dieu ! Je suis Dieu. Dieu ! En boucle. Toujours. Pas de vagues. Jamais. Et celui qui vit, avec ses poils, il ne disait rien. Rien du tout. Il écoutait il entendait. Comme tous les jours. A un moment, la lumière du soleil se tape sur son verre. Lumière déviée dans le coin de son oeil. Pendant qu’il pensait avec toute sa peau, avec tous ses poils. Il pensait : je vois Dieu, j’entends Dieu, je sens la présence de Dieu. Mais j’aimerais voir, entendre, sentir plus. Plus plus plus. Si j’ouvre bien grand les yeux et les oreilles, si je dresse tous mes poils et mon cerveau, je vais vivre plus plus plus. Et à ce moment-là, la lumière arrive dans le coin de son oeil. Alors il se lève. Avec ses jambes. Avait oublié que la chaise était indépendante. Bien content, il sort de l’endroit authentique mon cul. Prêt pour un grand long voyage. Et Lui, Dieu, bouche ouverte, a une déflagration dans son cerveau. Son cerveau tout nickel, si prompt à faire des ponts des liens. Déflagration. Des bouts de cerveau (rouges), traînent partout dans sa tête. C’est le début. Peut-être. Dépendra s’il veut bien. S’il veut bien un début. Un début de quelque chose.

J’ai beaucoup de mal à identifier d’où sort ce texte. A un moment j’ai un peu pensé à Molloy de Beckett, que j’ai lu il y a longtemps. Aussi un peu à Dante, à Lagarce. Mais je me sens incapable de faire de vrais liens. Je ne sais pas non plus si je réponds vraiment à la proposition d’exercice. J’ai évité de penser « début de roman », pour tenter d’être davantage dans la désinhibition.

 



Tiers Livre Éditeur, la revue – mentions légales.
Droits & copyrights réservés à l'auteur du texte, qui reste libre en permanence de son éventuel retrait.
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 juin 2020.
Cette page a reçu 296 visites hors robots et flux (compteur à 1 minute).