contribution auteur | Laurence Baudot

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J’aime la nouvelle ; à lire, à écrire.
Paradoxe embêtant : je fais écrire les autres, mais n’écris presque plus moi-même. Ma bonne résolution pour 2019 est donc de m ‘y remettre vraiment.
Passionnée de psychogénéalogie, j’ai coécrit un livre sur le sujet : « Sur la piste de nos ancêtres » (Dervy, 2008).
Mon site : graphogenealogic.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 5

Par le hublot, son regard impatient s’est déjà posé au sol. New York, revêtu de blanc se rapproche rapidement. En arrière plan la voix de l’hôtesse récite ses instructions. Le bruissement des passagers qui s’ébrouent, rassemblent leurs affaires et se préparent à débarquer ne couvre pas complètement les paroles qu’elle se répète intérieurement, ces mots entendus au téléphone avant d’entreprendre ce voyage…. Je viendrai te chercher... Une voix chaude, rassurante... Elle range son livre dans son sac, essaye d’allonger un peu ses jambes engourdies, tandis que ses oreilles douloureuses captent quelques bribes du brouhaha ambiant. Anglais et français se mêlent dans une rumeur lointaine, fragments épars de conversations étouffées...des pleurs d’enfant..le choc d’un objet qui tombe... un juron. Puis plus rien, aucun son ne l’atteint plus...une chanson lui revient en mémoire... sa voix… cet accent si particulier qu’il a parfois...Enfin ses oreilles se débouchent brutalement, la porte s’ouvre, elle se lève et suit les autres passagers... Sourires vides des hôtesses... Thank you for flying with us... have a nice stay.

proposition n° 4

Vastitude, si le mot existait c’est celui que j’utiliserais pour décrire la sensation d’espace ressentie en Amérique du Nord. Vu du ciel ou d’en bas, c’est la possibilité de défricher du regard des étendues gigantesques même si elles sont peuplées de gratte-ciel. Ici on respire, l’espace n’est plus limité. Cet infini des paysages se ressent déjà par le hublot de l’avion quand se devinent les premières maisons le long de la côte blanchie par la neige. Ensuite c’est la force de la lumière qui s’impose. Finis la grisaille et le flou. Entre les bleus du ciel et de l’océan mêlés, l’éclat du soleil rebondit au sol sur des nappes irisées pour devenir aveuglant en se reflétant sur les parois de verre et d’acier des buildings de Manhattan.

Une femme retourne sur les lieux de son adolescence. Il faudrait comprendre ce qui la pousse à entreprendre ce voyage, après tant d’années à tenter d’oublier pour se construire ailleurs. L’effondrement a eu lieu, le sien, celui des tours jumelles et combien d’autres encore...C’est une tentative naîve de retrouver ce qu’elle a perdu. Il faudra tenter de comprendre ce qu’elle cherche. Elle croit qu’un homme l’attend. Mais viendra-t-il au rendez-vous ? Elle va retourner sur les lieux, essayer de comprendre, remonter le cours des évènements pour s’approcher de l’origine du désastre.

Cette femme qui retourne se fracasser sur le passé c’est moi. Il faut parfois revenir en arrière pour essayer de mieux comprendre même si c’est douloureux et que la réponse ne se trouve pas forcément là. Se confronter à des émotions ensevelies, les faire resurgir pour tenter de les digérer. Faire un détour pour essayer d’avancer.

Ce pourrait être une nouvelle. Ou juste un fragment. L’arrivée sur New York, la vue de l’avion qui s’approche, la première respiration sur le sol américain, ving-cinq après l’avoir quitté. Les poumons qui s’emplissent d’un air nouveau, une étincelle de vie. Si on va plus loin, il faudra montrer les lieux revisités, les amis retrouvés et la trahison encore un fois. Ou bien ce pourrait être un chapitre (le premier ?) d’un livre qui s’inscrirait dans l’histoire de vie d’un parcours à la fois banal et singulier. Des allers-retours entre passé et présent. Une famille qui implose, les séquelles ou sequels, ce n’est pas la matière qui manque, le champ est vaste… Reste à chosir, trier parmi les scènes possibles, structurer l’ensemble...

proposition n° 3

Plusieurs légendes entourent la vie de Nicolas Flamel.
Selon la première, véritable alchimiste, il consacra sa vie à la recherche de la pierre philosophale, en perça le secret à la suite d’un pélerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle et utilisa l’or fabriqué pour faire la charité.
Selon la seconde version, commerçant avisé et san scrupule, il s’enrichit dans l’immobilier au détriment des pauvres qu’il logeait et des juifs qu’il spolia ; pour dissimuler ses exactions il prétendit avoir découvert la pierre philosophale.
Selon la troisième, Pernelle, sa femme, était la véritable alchimiste ; oeuvrant sans relâche dans l’ombre de son mari elle parvint à transformer le plomb en or, laissant Nicolas s’attribuer la paternité de son labeur.
Selon la quatrième, c’est parce qu’il était parti de rien pour se hisser au rang de bourgeois aisé par son travail d’écrivain-public, libraire et copiste puis en épousant une veuve fortunée, que la rumeur amplifia sa richesse et lui attribua une origine alchimique.
Restent ce mystère qui plane encore sur la plus vieille maison de Paris, les monuments financés par Nicolas et Pernelle, la tour Saint Jacques et l’énigme de la transmutation peut-être résolue en cheminant sur la route étoilée.

proposition n° 2

Assis à sa table, Edgar écrit. Ses doigts engourdis par le froid hésitent et retiennent sa plume. Il lève les yeux, son regard, attiré par les premières lueurs de l’aube, s’échappe de la petite chambre dans laquelle il grelotte. Il a pourtant ranimé le poële en se levant, mais l’atmosphère reste glaciale. Dehors la neige tombe doucement dans la pénombre qui s’estompe. Encore imprégné des rêves de la nuit, Edgar cherche les mots pour transcrire les images qui l’obsèdent. Si sa main tremble un peu, de froid ou d’une ivresse fièvreuse, de sa plume jaillit une écriture fine et délicate, aux formes précises. Dentelle noire sur la page blanche, l’encre sèche, la plume s’immobilise en quête de la mélodie idéale. La vision qui anime Edgar se fond dans le paysage hivernal qu’il aperçoit de sa fenêtre. Le soleil éclabousse maintenant l’épaisse parure nacrée, dont l’éclat trop fort blesse les yeux. Pour fuir ce flamboiement, Edgar replonge dans son manuscrit.

Soudain, il croit entendre tousser derrière lui. Est-ce Virginia qui se réveille, ou le fantôme de cette tendre épouse qui veille sur lui ? A moins que ce ne soient les rires étouffés de quelques démons funestes. Il ne sait plus, préfère ne pas savoir, ne se retourne pas, mais poursuit ce songe qui le hante. Une tache apparue sur sa feuille témoigne des larmes versées, de la mort qui rôde constamment autour de lui. Il s’agite sur sa chaise, il a trop chaud à présent. Il faut ouvrir la fenêtre, sentir le vent glacé apaiser ce volcan en ébullition, ce terrifiant maëlstrom qui tourbillonne sous son front inquiet. Face à lui la silhouette frêle d’un arbre nu se détache sur le ciel. Comme un clin d’oeil, un corbeau se pose sur une branche et le toise avant de s’envoler dans un croassement déchirant. La lumière s’est adoucie, teintée de rose par le crépuscule naissant. Sur la neige Edgar croit discerner les ailes ciselées d’un ange ou peut-être n’est-ce que l’ombre d’un nuage. Sa vue se brouille. La fenêtre se referme sur Edgar et ses spectres. Dehors les étoiles dansent dans le ciel. Au loin, des rayons de lune opalescents éclairent le cimetière où des fleurs prodigieuses naissent entre les tombes.
Edgar est fatigué, il relit les pages noircies.

Le jour est passé ou peut-être n’était-ce qu’un rêve dans un rêve.

proposition n° 1

Par la fenêtre défilent le long de la route des paysages ennuyeux. Dans ce matin d’hiver, la petite fille ensommeillée laisse passer sans le voir cet arrière-plan de grisaille. Le silence fermé de la mère s’éclipse sous l’air populaire qui s’échappe de l’auto-radio. L’esprit de la fillette vagabonde, nostalgique d’un futur qui n’arrive pas.

Des adolescentes excitées reviennent de la plage. Trop de soleil, trop de vagues au goût salé, trop d’effervescence à pérorer sur les garçons. Elles chantent à tue-tête, encore envivrées du parfum de l’océan, quand la voiture fait un bond, percutée sur la droite et atterrit dans un jardin. Fin de la fête.

Personne ne parle. Chacun est seul, malgré la présence de l’autre. Se parler n’est pas de l’ordre du possible. Deux souffrances muettes se déplacent côte à côte dans le même véhicule, dont l’habitacle crée une caisse de résonnance à ce silence si dense qu’il enserre et oppresse la poitrine de l’adolescente figée à côté de ce conducteur étranger, son père.

Au petit matin, apercevoir par le hublot la côte et les premières maisons de Long Island blanchies par la neige, ressentir joie et inquiétude alors que l’avion descend vers JFK airport et que l’on revient pour la première fois au pays de l’adolescence.

Sur la piste de danse, une jeune fille se démène au rythme saccadé de la musique disco, seule au milieu de la foule, ivre, une cigarette entre les doigts, occupée à essayer d’oublier en faisant semblant de s’amuser.



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1ère mise en ligne 4 janvier 2019 et dernière modification le 4 mars 2019.
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