contribution auteur | Lucien Nouis

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proposition n° 1

Il pleure sur le volant de sa voiture, les mains en haut du volant, côte-à-côte, index contre index, le front dessus, sur le dos des mains, puis les yeux sur la jointure des phalanges, comme pour en empêcher l’épanchement. Après un long moment, il se relève, par les épaules d’abord, puis lève la tête, la laisse tomber en arrière, accomplit ce mouvement qu’il aurait cru impossible. C’est une rue déserte. Il y a des haies de troène, des murets, des façades crépies, des rideaux blancs, des toits d’ardoises. Tout est plat, sans ombre. Des gouttes se mettent à tomber sur le pare-brise, sur la tôle du capot, sur l’asphalte, sur les feuilles.

Ils s’embrassent dans la rue, c’est après le réveillon de Noël, alors qu’ils sont depuis longtemps séparés, divorcés, et elle les regarde avec rage, de la fenêtre éclairée du salon, étouffant dans la chaleur qu’ils viennent de quitter après s’être levés ensemble, avoir pris leurs manteaux ensemble, dit au-revoir à tout le monde ensemble, pas à pas dans le couloir reculant vers la porte donnant sur le perron, leur nièce de neuf ans, scandalisée de cette inconstance, de cette trahison.

Dans un bâtiment bas, de la largeur de la piscine, il y a huit cabines pour se changer, des toilettes, le comptoir d’un vestiaire-buvette. Des adolescents en tee-shirts et maillots vendent des entrées, des boissons, des glaces, prennent et rendent les habits dans des paniers en plastique bleu, contre des bracelets élastiques portant chacun un médaillon de fer blanc sur lequel un numéro a été buriné. C’est une piscine en plein air, presque sur la berge de la rivière. Il y a un morceau de gazon en pente, des roseaux qui bruissent à chaque coup de vent. On peut s’allonger à l’ombre, le long d’un grillage tendu d’une toile verte attachée par des œillets, du genre qu’on appelle « brise vue », où le soleil fait comme des têtes d’épingle. Par-dessus les cris des enfants qui sautent et jouent à s’éclabousser, on entend des coups de raquette venus d’invisibles cours de tennis. Un filet d’eau tombe de la tuyauterie qui surmonte le pédiluve, sur le côté, pour la douche obligatoire. Ce ne sont plus que quelques gouttes que le vent sème sur le ciment, car la personne qui avait poussé le bouton est déjà loin, presque dans l’eau, à demi tournée sur l’échelle en métal, mais il regarde encore dans cette direction, et comme son regard devient lointain, il la reconnaît, contre le vert de la pelouse, endormie sur un transat. Elle est si pâle, si immobile, les yeux fermés comme pour toujours, sur ces tubes en plastique blanc, cette toile bleue, qu’on croirait une statue attendant d’être transportée vers un musée ou un jardin.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 décembre 2018.
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