contribution auteur | Elisabeth Saint-Michel

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J’ai rejoint l’atelier Tiers Livre en décembre 2018.

J’anime des ateliers d’écriture à Villeneuve d’Ascq (Hauts de France) depuis une dizaine d’années à travers l’association Filigrane.

Heureuse de faire écrire les autres, j’aime aussi participer à des ateliers d’écriture et en ai suivis à ALEPH, à Paris.

J’ai publié trois bouquins. Un roman ( CAPTIFS) aux éditions l’Harmattan, puis un recueil de nouvelles et de nouveau un roman ( PUTAIN DE DIMANCHE ET L’HOTEL DES POSSIBLES), malheureusement très mal distribués.

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Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 9

source de l’apocryphe
Que voudrait-elle que je fasse ? Que je descende ? Que je recueille cette femme au creux de mon épaule ? Mais une femme nue, dans la rue et au cœur de la nuit, n’est pas un chaton. Mathilde est penchée à la fenêtre. Cela ne sert à rien de lui dire de se recoucher, je la sens à l’affût. Cette femme ne la regarde pourtant pas et n’attend rien d’elle, c’est elle-même qui le dit. Elle fixe la maison dont elle a été chassée peut-être, d’où elle s’est enfuie ou qui l’a effrayée au point de la quitter sans même se couvrir. La nuit est si calme. Aucun bruit ne monte jusqu’à notre chambre, moteurs, voix ou claquements de porte. Rien. À côté de moi, la place de Mathilde refroidit, les draps se rétractent. Sa chaleur me manque tandis qu’elle doit m’accuser d’indifférence, attendre de moi un geste fort, tranquille et rassurant. Quand je finis par la rejoindre contre la balustrade, la vision que j’ai est saisissante. Un tableau de Delvaux se déploie devant moi. Une jeune femme nue est appuyée contre un réverbère, ses grands yeux énigmatiques sont posés sur la masure que nous avons en vis-à-vis. Au dessus du toit, un croissant de lune se détache sur la toile et accentue l’impression, quelques branches aussi, qui s’évadent du jardin. –- Jocelyn... Mathilde se serre contre moi, soulagée que je sois venu à elle. – Ça ne te fait pas penser à Delvaux ? Sa posture, son regard ? – Tu es fou … –- Il manque un squelette, et un chandelier peut-être... Un sourire étouffé, un rire même. Elle m’embrasse. Quand nous relevons la tête, le corps de la femme s’est affaissé et épouse le bitume. Mathilde enfile un jean. –- Je descends.

proposition n° 8

Sa vie, elle se l’invente. Elle n’a que celle-là à raconter.

Dix ans, et quoi ? Des petits coups frappés quotidiennement sur les vitres des voitures pour espérer trois sous. Des chaussures fabriquées en Chine qui laissent les pieds froids dans les petites chaussettes en hiver, humides quand il pleut et trempés de sueur en été. Une vie sans issue, une route barrée. Garder au fond de sa poche un petit bonbon qui est tombé du ciel ou qu’on a trouvé sur une bande blanche du passage piétons. Un mioche qui n’a pas osé le ramasser, un mioche que sa mère tirait par la manche en lui disant on n’a pas le temps et c’est sale de toute façon. Garder ce bonbon comme un trésor qui colle aux doigts, qui noircit, le conserver pour ce soir, quand on aura fermé la tente et qu’au fond du sac de couchage on fermera les yeux en laissant le sucre se répandre dans la bouche.

Madame Cousin a toujours été une femme méritante, présente quand on a eu besoin d’elle. C’est le genre de personne à se couper en quatre pour ses voisins, ses amis – vous même, qu’elle ne connaît pas –- et si quatre n’y suffit pas, elle se coupe en huit, ne compte ni le temps ni l’argent qu’elle sort de son porte-monnaie en perles noires noires tissé serré. Madame Cousin dépanne, reçoit les confidences, jamais ne les trahit. Sa vie c’est ça, cette disponibilité sans limites, mère universelle sans enfant. Le jour où on a frappé à sa porte avec un petit bonhomme perdu qu’on avait trouvé dans le quartier, elle a cru le plus beau jour de sa vie arrivé. -– Ici, il sera bien, en attendant... Ici il sera bien, c’est ce qu’elle a retenu. Quelques heures plus tard, une assistante sociale est venue chez elle. Elle l’a remerciée, l’aurait presque embrassée. Mais le petit est reparti. –- C’est préférable, madame Cousin. Il sera avec des professionnels. Sa vie alors, s’est arrêtée. Oui, elle s’est arrêtée là. Comme ça.

proposition n° 7

Plus qu’un lieu feutré avec des photos punaisées sur un pêle-mêle, des objets familiers que je toucherais et un abat-jour aux couleurs chaudes, c’est une enveloppe. C’est le souffle de l’autre qui dort encore, c’est le chien qui s’impatiente et s’ébroue, c’est Agnès Obel qui orchestre harpes et violoncelles et, de sa voix, hypnotise l’atmosphère, c’est une voiture qui passe et que, déjà, on n’entend plus, c’est le chat, jaloux, qui ronronne et tente de régner. C’est l’odeur du café, le goût du café, la couleur du café, sa surface noire qui s’immobilise quand la tasse se pose, que tout se pose. Plus qu’un lieu, ce sont des lieux. Un dessous de couette encore chaud de sommeil, un bureau chaleureux où conversent à voix basses, quelques auteurs aguerris, une chambre, autre que la mienne où je passe la nuit. C’est, face à la mer, en haut d’une colline, une maison où je me réfugie parfois, hors du temps et hors de tout. Mes mots y ont leurs habitudes et n’y sont pas timides. Plus qu’un lieu, c’est un remue-ménage intérieur, toutes portes ouvertes.

proposition n° 6

Sur le manteau de la femme, une tache minuscule. Est-ce vraiment une tache, un défaut du tissu, un trou peut-être ? Non, à mieux y regarder, c’est une chiffonnade de fil, provenant sans doute d’un autre habit. Quelqu’un qu’elle aura rencontré, qui l’aura frôlée. Sur l’océan noir du caban, un peu en dessous de la poche, le filament s’étale comme un ver désordonné, entortillé sur lui-même. Jaune d’or, il pourrait être un postillon du soleil s’il n’était tant sur la réserve. Note de couleur sur une partition monocorde, il brille, ce fil perdu, détaché de son tissu d’origine, exilé en terre inconnue. sans trame, sans motif, sans ses frères de coton. Si la femme met sa main dans sa poche, il s’accrochera à ses doigts, c’est sûr. Que fera-t-elle alors de lui ? Elle le frottera peut-être jusqu’à l’écraser dans sa paume, elle l’entortillera autour de son index, elle en fera une petite lanière ratatinée, elle le cassera avant de disperser ses lambeaux au vent et il laissera un fin trait rouge à la jointure de son pouce. Ou elle frottera simplement son manteau pour le faire tomber. Il se noiera alors dans une flaque grise pour disparaître à jamais.

proposition n° 5

Sur les carreaux, de la buée et, au delà, un brouillard résistant aux couteaux tentés de lui faire sa fête. Sur le terre-plein, trois poissons rouges. Leurs bouches s’arrondissent, vides de sons : un homme, enlacé à un accordéon usé, ne joue pas ; à ses pieds, deux mioches pataugent consciencieusement dans la boue. Les paroles du père, aussitôt sorties de sa gueule carrée, s’embarbouillent dans l’humidité. Les mots des enfants sont des nuages de vapeur. Les petits font face au géant. Ils s’égosillent devant lui qui les survole des yeux, le regard dans d’autres nébuleuses. Changement de feu. Avancée de cinq mètres dans une brise carbonée. ...pas pris... rien... L’enfant soutient. L’aîné. ...non, pas touché...laissé là je te dis. Le là qu’il désigne, c’est le pied d’un arbuste. La main gauche du père s’impatiente, pianote sur la carcasse de l’instrument. Il se tourne vers la petite fille. Elle y va, au pied du tronc chétif, retourne un sac, le vide sur le sol, le secoue comme pour en tirer des miettes. ...non, quoi... jamais dit ça... confiance... fait exprès... répète un peu ! ...où alors … ? L’enfant baisse les yeux. ...pas juste... Il crache. C’est le garçon. Coup d’accélérateur. Gagner cinq mètres encore. Ils sont derrière moi. Leurs écailles sont en alerte. La mère, venue d’on ne sait quel trottoir, traverse et serre dans sa main sans doute ce qu’ils cherchaient.

proposition n° 4

Tourcoing. On vient de me confier les clés d’une ancienne filature, un corps d’usine encore fier, une ossature solide. Une stature qui a de la gueule et qui en impose, même si depuis longtemps, les métiers à tisser se sont tus. Des murs hauts, de grandes fenêtres aux vitres brisées pour la plupart. Par là s’engouffrent les pigeons, les feuilles et la mélancolie. Tout est intact. La voix des ouvrières, si on ferme les yeux, bourdonne depuis la rue, s’approche, s’intensifie. Elles sont cent, deux cents devant la porte principale. Je m’engouffre avec elles.
À l’intérieur du bâtiment, le silence est gigantesque. Au sol, une accumulation amenée par l’abandon. En l’air un espace monumental et saisissant, la toiture offre un point de vue sur le ciel. Les yeux clos de nouveau, le bruit rapplique peu à peu. Les filles, les femmes ne parlent plus, c’est impossible. Ou bien elles hurlent. Les machines claquent, résonnent et cadencent le temps dans une orgie sonore. Je ressors.
Protégée maintenant par une clôture et un portail sécurisé, la filature ne semble pas émue du destin qui l’attend. On va intervenir sur ses entrailles pour faire d’elle de grands appartements. Ses plans sont déjà numérisés et disponibles en 3D pour qui veut les voir.

Un bruissement d’ailes, deux oiseaux s’envolent de la cathédrale de briques et se posent sur un minuscule parterre abandonné au milieu des ronces. C’est là que l’enfant a été trouvé. À l’arrière, la clôture n’est pas solide, on le voit. Elle est malmenée par des gamins en quête de sensations. Franchir le grillage, se retrouver au pied de l’ancienne usine dans un terrain de jeu somptueux et inquiétant, d’un lieu interdit se faire un royaume. Le petit se portait bien. C’était un petit bonhomme, à peine plus qu’un bébé, sachant tout juste marcher et pas encore parler. Ce sont des plus grands que lui qui l’ont surpris, à quatre pattes sur l’herbe pelée. Sur ses petites mains, de la crasse ancienne qu’il réveillait avec des restes de rosée. De la bande qui a déniché ce petit d’homme sur ce territoire soustrait au monde, personne ne le connaissait. Des adultes sont arrivés, qu’on a appelés pour le voir, l’examiner, tenter de l’interroger. Mais il n’était ni le fils, ni le frère de quiconque. Rien. Dans les journaux, on a publié sa photo. Des médecins ont cherché des traces de maltraitances ou d’abus. Des psychologues ont tenté de lui faire dire des choses que le langage ne lui permettait pas encore de révéler.
Des bras l’ont rassuré, entouré. Puis une enquête facile a établi que sa mère se réfugiait avec lui dans l’usine, dans ce qui avait du être un bureau. La mère de l’enfant faisait la manche au feu rouge à la sortie du centre commercial. Elle s’est fait renverser par une voiture. Personne, durant les quatre semaines où elle a été dans le coma, n’a réclamé le petit.

Il y a cinq ans que c’est arrivé. Dans le quartier, l’histoire est encore dans tous les esprits. Je n’y habite pas, je ne fais, régulièrement, qu’y passer. Le hasard fait que j’ai à m’attarder à l’endroit exact où un enfant et sa mère ont séjourné plusieurs mois, on le sait aujourd’hui. L’énorme usine en jachère a prêté son flanc à leur installation précaire. C’est en venant sur les lieux, bien après les faits, que je me rends compte que moi, je les avais occultés, relégués dans les zones blanches que la mémoire développe quand elle crache discrètement ce qu’elle ne veut pas conserver.
Des larmes me montent aux yeux, étrangères à l’émotion de la mère filmée et photographiée quand elle a retrouvé son fils après sa sortie de l’hôpital, sans lien avec leur destin qui a pris un tour nouveau et la solidarité qui s’est manifestée.
Cette femme, au feu, je l’ai vue, souvent sans lui prêter attention, le feu ne reste pas longtemps au rouge. Aux carrefours, il y en a bien d’autres qu’elle, des femmes, parfois avec un gamin emmitouflé faisant corps avec elles, parfois immensément seules ou avec un compagnon qui arpente le trottoir d’en face. Mais ce matin là, c’est elle que j’ai vu tomber. Renversée par la voiture qui me suivait. Son corps s’est affaissé. Dans le rétroviseur intérieur, elle a perdu l’équilibre, s’est écroulée. C’était un matin pluvieux. Elle avait laissé le petit à l’abri. Sur le petit miroir devenu écran, le conducteur de la voiture s’est arrêté, est descendu, puis un cycliste. Je me souviens de mon agitation hésitante et de mon coup d’accélérateur.
Au creux de ma main, je serre un éclat de verre ramassé tout à l’heure dans le grand atelier. Les larmes, c’est ma colère qui tambourine.

C’est une histoire banale, un fait divers dans lequel je n’ai aucun rôle, dans lequel je ne suis pas intervenue. Une histoire qui n’est pourtant pas sans héroïnes ni héros de tous poils. Car les gestes ont afflué quand on a compris qui était l’enfant. Un mot dit pour elle à la messe, à la mosquée, pour qu’elle sorte du coma, qu’elle revienne parmi les vivants. Des nouvelles prises au foyer qui a hébergé le petit. Une cagnotte, des vêtements, des propositions de logement, d’emploi même. Des élus émus. Moi, non seulement mon argent et mon temps se sont renfrognés, mais j’ai cherché par tous les moyens à ne plus en entendre parler. Je me suis rendue sourde et aveugle.
Où est ce chœur de femmes que j’entendais tout à l’heure ? Et ce bruit de machines qui couvrait mon cri ?
Ma mission ne fait que commencer. Je dois coordonner le début des travaux, veiller à la sécurisation des lieux. La vie me tend-elle une perche ou me met-elle à l’épreuve ? Cela me permettra-t-il de parler ou d’écrire là-dessus, sans tout ramener à moi et expliquer qu’une image insistante m’empêche de dormir ? Apprendrai-je à évoquer la totale paralysie qui m’a ligotée sans la faire passer pour un égoïsme sans borne ? Quels mots pour expliquer que, derrière un mur, il y a une femme en panique ? Que sur mes joues coulent enfin des larmes que j’ai maudites de ne pas se montrer.
J’ai eu l’impression qu’écrire me libérerait. Mais je n’ai produit que des pages vides de paroles et de sens. Elles décrivent un chapitre unique et racorni.
Un parasite dans mon âme.

proposition n° 3

Lorsque le Petit Prince, gosse intemporel, insaisissable et tombé du ciel, après bien des échanges avec un aviateur perdu au cœur de grands espaces de sable, après bien des considérations énigmatiques avec un renard, après un voyage initiatique riche, décide d’en finir avec sa découverte de la Terre, il fait ses adieux et décide de repartir sur sa planète, minuscule oasis où l’attendent une fleur singulièrement cabotine et des couchers de soleil à gogo. Il demande alors l’assistance d’un serpent qui accepte de le mordre à la cheville. Ne reste du garçon que son corps sur le sol.

Dans une autre version de ce départ, on raconte bien autre chose. Le garçon attend la nuit et reçoit des signaux lumineux à intervalles réguliers, signaux extra-terrestres se dit l’aviateur qui essaie de les identifier. Il n’a pas tort car le réverbère qui produit ce qui ressemble à une petite boule de feu, est installé bien loin du désert, dans une autre dimension de l’imaginaire. La toile grise et étoilée du ciel nocturne en est troublée. Au quatrième appel, la lumière se distord jusqu’à former une échelle tremblotante mais suffisamment robuste pour supporter la charge d’un personnage en quête de ses racines.

Une troisième version évoque un engin qui descend le chercher. Une petite navette ne pouvant accueillir qu’un passager. L’aviateur, ami de l’adolescent a essayé, sans succès, d’apercevoir le conducteur,curieux d’étudier de plus près son appareil. Mais la machine a plané au dessus du sol juste assez de temps pour que le Petit Prince monte à bord et est repartie comme une flèche vers les zones interstellaires, telle les fusées fantômes qu’on apercevait parfois dans les airs. De la reprise d’altitude sont restées de minuscules particules de poudre qui se sont mélangées au sable.

La dernière version du départ du Petit Prince qui m’ait été contée est particulièrement surprenante. En effet, dans cette variante, l’enfant n’est pas reparti sur sa planète, c’est sa planète qui est venue à lui. Elle était si petite qu’elle se déplaçait aisément dans l’espace et avait finit par atterrir à ses pieds, au beau milieu du désert. Sans y prêter attention, on la remarquait à peine. Mais lui la reconnut d’instinct, grâce à mille et un détails qui en faisaient un caillou distinct de tous les autres. Le garçon resta finalement sur son astre d’origine mais le laissa sur terre.
Cela lui a rendu facile la traversée de bien des métaphores.

Quant au lieu exact où s’est déroulée cette histoire, quel qu’en fût le dénouement, il reste un mystère et, à ce titre, mérite d’être protégé de trop de curiosité.

proposition n° 2

On vous voit de dos. À la croisée des bois, dans une verrière abandonnées aux arbres foisonnants, une véranda qui abritait jadis des amours fauves et oubliées. La végétation entre par tous les pores du verre, à portée d’yeux ce ne sont que lianes, racines et feuilles mordorées. Sur la table de travail, le froid commence à s’infiltrer et à étourdir l’encre, il mène le silence à son point d’orgue.

Je vous imagine ici. Autour d’une tasse de café, vos doigts s’enveloppent de la chaleur du liquide brûlant et amer. Plongée dans la noirceur, sans respiration. La nature devient remuante et on entend à présent geindre sa colère, affolante. Le vent se laisse aller à la tempête, la pluie gifle les vitres. L’endroit est saisissant et tonne.
C’est le lieu de rendez-vous des enfants ébahis par la haine, des passeurs d’histoires éternelles, c’est le lieu des fulgurances du souvenir. De toute part, on observe des trouées dans les cimes, des cicatrices sur les troncs et des âmes aux blessures échancrées.

L’encre se fluidifie. D’ici, vous voyez passer les loups, les ogres, les dévoreurs de tout poil et les innocences perdues. Je mets mes pas dans leurs traces. Vous me jetez un regard curieux avant de vous détourner.

proposition n° 1

C’est un corps d’usine, large, haut, encore robuste. Les vitres en sont brisées et laissent béantes d’énormes trouées abandonnées au vent. Quand on s’y penche, écartant les pigeons qui y sont domiciliés, ce sont de grandes salles, cathédrales dans lesquelles le temps a passé. Au sol, des feuilles, des morceaux de verre qui doivent crisser sous les pieds, une épaisse couche de poussière accumulée, des papiers qui se sont envolés jusque là. A des rampes métalliques rongées par l’oubli s’arrimaient des machines. La fabrique chante encore. De ses entrailles s’élèvent des chœurs d’hommes et d’acier.

Une toile, une page blanche, un terrain vierge. À déchiffrer, à défricher, à semer, à barioler, à consommer, à consumer sans mesure.

Feu rouge. Une petite fille mal peignée, sa main se tend. Elle demande de l’argent. Non de la tête. L’enfant tire la langue, je la tire en retour. Surprise. Gros yeux qui tournent, sourcils soulevés. Rires. Pieds de nez, la langue de plus belle. Franche rigolade, pitreries. Feu vert. L’enfant a disparu.



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1ère mise en ligne 23 décembre 2018 et dernière modification le 26 février 2019.
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