contribution auteur | Isabelle Ferré

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Sur sa route de géographe, urbaniste ou journaliste, elle entretient avec les villes une relation complice et inspirante, un jeu de cache-cache propice à la fiction, à l’étonnement. Son site : isabelleferre.fr ou le blog macao écritures.

Ses contributions à l’atelier ville.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _5 _6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 1

Toujours au même endroit. Le pied de l’arbre, si gros si vieux ses racines ressortent et le fauteuil en bois peine à rester droit, il faut caler ses pieds dans la mousse. Ça sent le terreau et l’humus, l’aiguille de pin. L’ouest fait face, il règne comme une incertitude bienheureuse dans le jardin sauvage. Toujours à cet endroit s’asseoir et tenir fermement la tasse de café noir ou bien le verre de vin tannique. La table à écrire non loin attend, qu’elle attende. Il y a comme un son dans le fond de silence, bruissement de feuille ou d’oiseau, moment suspendu aux branches de ce colosse. On pourrait dessiner dans la terre l’espace nécessaire à ce moment unique et mille fois répété, fait d’un rien bienfaisant. Espace d’une chaise surplombée d’une branche maitresse. Une place au monde.

Drôlement bien, cette plaque ! Ovale, jaune, avec des ventouses pour mieux la fixer sur le pare-brise. Un sésame ouvrant droit à stationner n’importe où. Pourquoi et comment… on ne demande pas ça quand on a quatre cinq ans, ébloui par cet objet magique certainement sorti de la lampe de cet Aladin de père. Plaque perdue parfois dans le bazar de la bagnole, son coffre plein à ras-bord d’objets contondants, bidons graisseux, outils et clous, roue de secours pompes à vélos. Plaque roulant sous les pieds du voyageur de droite, place du mort, vaut mieux la laisser glisser et se concentrer sur la route. Que dit-elle ? Elle a sa vie cette insigne mystérieuse et quand arrivent les 6 ans c’est le moment de rêver à ses trois lettres, un code, des initiales, un message venu d’une lointaine tribu que Lui seul connait, ce conducteur de père ? G.I.G ? Guerrier Inter Galactique ?

C’est une impression fugace, de celles qui traversent comme un coup de vent lorsqu’on a laissé deux fenêtres ouvertes. Courant d’air relevant le rideau sage sur un mur lézardé. Je suis assise en face d’elle. Bus 2L. Le chandail moulant de qualité incertaine met en valeur son buste de femme, la naissance de sa poitrine. Le blouson de faux cuir encore élégant, un sac amolli mais joliment tanné sur ses genoux. Malgré mes efforts, mon regard est sans cesse ramené à ce point focal en haut du sternum, avant le bombé visible de ses seins … le trou du cathéter sous la peau transparente. Aucun artifice ni dissimulation, la chose est là sans détournement, qui dit « bah oui faut faire avec c’est ainsi, dehors-dedans c’est de la vie on essaie. Pourquoi aliéner son corps dans l’ombre d’habits informes ? ». La grande vitre du bus sur laquelle elle s’appuie renvoie le reflet de sa gorge nue, peau tachée de rousseur, qui a vécu déjà l’empreinte et des hommes et du temps.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 décembre 2018.
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