contribution auteur | Jean-Pierre Jean-Pierre

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Jean-Pierre. Né en 1988. Quelques études, beaucoup d’ennui, et bifurcation vers des activités graphiques. De l’écriture aussi pour ne plus croire en la grammaire. Travaille à la construction d’un maison d’édition pour une poétique numérique : abrupt. Site : ruines.org.

Ses contributions à l’atelier ville.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 9

apocryphe
Je suis à Xaxiva, et Xaxiva ne me parle, c’est à la terre pourtant de se saisir de l’homme, de devancer son labeur, et de lui révéler les fissures de son histoire. Il y avait la guerre et ses fruits, la terre pleine de ses fruits. Des marchands et des oranges, des pelures dispersées le long des chantiers. L’abandon piqué de cyprès. Dans le souvenir des assassinés, des tombes absentes, un soleil sec comme un os, son absence, il y avait la guerre et le halo d’hostilité qui emportait les luttes les unes au-devant des autres. Mais la terre ne me parle, elle se refuse. La gare est vide. Des volets clos, la cathédrale, imposante, close. Un porche muré. Le château des Maures, monstrueux, il sinue en mon paysage, jette des présences qui s’enfuient à ma vue. À leur suite, leur rencontre, lentement, et toujours l’absence de paroles, la terre qui se refuse à se souvenir, elle s’étire sous de grands agaves qui s’amoncellent comme un substrat des voix enfouies. Et la terre s’y refuse. Je longe les murailles, le village est vide de son histoire, qu’importe la tentative, des amoureux gravent quand même la leur, s’essaient au cristal, n’atteignent le tragique. Personne sur le chemin. Xaxiva, les morts, les amoureux, l’Espagne tout entière dans l’aride. Sa guerre. Que sait-on des victimes de cette guerre, de la suivante. Une guerre est une guerre civile lorsque se chevauchent les mémoires et les fosses. La terre aussi vide que les hommes. Des histoires pour rien. Avoir un fils pour garantie, un fils anarchiste pour garantie d’exécution, de dispersion dans les sols et l’histoire. Et le silence. Il était commerçant d’oranges. Exécuté en place publique, sans date. Il n’existe pas de tombe pour le commerçant d’oranges, il n’existe aucune tombe pour la guerre civile. Elle s’incruste sous les cicatrices, et marque de mutisme les regards. 1936, 1939, et l’éternité du progrès pour compter à rebours les miettes de leur histoire. Deux sœurs, une, peut-être deux, à l’identique, elles griffonnent à rebours elles aussi, elles murmurent des noms, des patronymes, des toponymes, elles inventent des histoires pour que la terre se souvienne. Une sœur, deux, peut-être une, elle ne sait plus. Le soleil accable, et des fenêtres grandes comme le pays. L’été est une éternité, un peu plus. Des persiennes qui filtrent la poussière, est-ce son fantôme, le marchand d’oranges, son fils, peut-être sa fille, une petite fille sans âge assise en face des sœurs, et dans le silence de son éternité, elle mange une orange, distribue les silences, l’éternité. Un ruban rouge dans ses cheveux. Je porte du rouge parce que cela porte chance, dit-elle. Le rouge est la couleur de mes fantômes. Les deux sœurs acquiescent. Puis, le silence, son retour, l’éternité avec. Elle n’est plus là, son ruban, son père, sa mémoire évanouie. Deux sœurs seules, sur le bas-côté. Xaxiva n’a rien à dire. Un désert aussi rouge que le ruban, et les sœurs retissent leurs histoires. Personne, Xaxiva, l’en allée, les géraniums derrière le fer forgé des balcons, des chats peut-être morts, bruissent-ils encore, savent-ils le rouge, des eucalyptus, des mandariniers, des citronniers, et des lettres mortes, des fantômes et des rubans, des fosses absentes. Laisse les morts là où ils sont, dit une sœur. Elle se ravise. Il faut chercher les solitudes, se ravise-t-elle. Parcourir les grands appartements, le parquet craque, et cette lumière de Xaxiva qui peine à éclairer les ombres. Elles marchent le long de la voie ferrée jusqu’à la gare. La gare est sans ville. Xaxiva absente. En quête de leurs mémoires. Des images qui s’entassent comme un herbier. Elles se dérobent. Reproduire l’histoire, deux sœurs échouent, recommencent. Elles font la ronde, tiennent la nuit, extirpent de nos mémoires les noms égarés parmi les fosses. La terre aride qui résiste. Il n’y a rien à voir à Xaxiva.

apocryphe
Cormeilles, sa gare. À l’intérieur l’attente, des salles, des galeries, parfois marchandes. Des gens d’attente. La gare de la ville de Cormeilles patiente son hiver. Quelques voyageurs s’y risquent, se risquent à l’attente, à la dépasser de leurs langueurs, ils se tiennent les uns contre les autres, ils tiennent à durer plus longtemps que leur attente. Des banquettes et des gens qui s’y tiennent les uns contre les autres, qui ne regardent en dehors de leur attente. À l’écart, une femme, elle n’y tient pas, se tient seule parmi l’attente. La gare de la ville de Cormeilles l’observe d’un œil, l’autre à son attente, un homme aussi, un homme qui observe la femme à l’écart, il observe avec ses deux yeux, il observe et note ce qu’une femme à l’écart de l’attente signifie. Ses notes emplissent des carnets, remplissent des banquettes vides où se tiennent encore des gens les uns contre les autres. L’homme note, et parce qu’il note il ne pourra saisir l’essence d’une femme qui se tient à l’écart, refuse l’attente. Une erreur d’aiguillage, elles s’accumulent les erreurs, deviennent des gares, des gares d’attente où des villes entières se tiennent et se recroquevillent pour sentir glisser les heures, trouver du sens à leur voyage. L’odeur du frottement des roues, le métal qui n’a pas d’odeur, exhale quand même, les étincelles et les feux, mais la gare n’existe pas, elle est ailleurs, à son attente peut-être. Avec des gens qui se tiennent les uns contre les autres, survivent d’attente. Et cette femme à l’écart, l’homme et ses notes éparses, il s’éparpille, s’évertue à comprendre, ne comprendra jamais, mais la femme s’éloigne. La femme à l’écart n’attend pas. Elle, dehors. Regarde le train qui vient. Un train qui fuit, se refuse aussi. Hurle que la vie est ailleurs. Comme un bruit de balle, le revolver qui fume encore. La femme en absence, elle n’a pas attendu. Et la gare vide, pleine de notes, l’homme noyé parmi elles. Des voyageurs comme des spectateurs, aux côtés de leurs souffles, ils attendent, se tiennent les uns contre les autres. Et la gare de la ville de Cormeilles qui s’endort au cœur de leur attente. La femme absente, son impossibilité, à l’écart, brillante d’absence. Point d’illuminations, un jour incertain, mais la paix des quais de gare, ceux qui se penchent au-dessus de l’abîme.

apocryphe
Vienne n’a plus d’importance à présent. Vienne est un fascisme, une dorure, une ruine à présent, comme tant d’autres, son lustre s’exhale des amas de masques. Des actrices portèrent les masques, elles dansèrent la tarentelle, libres, firent la nique à la ville, aux autres, finirent par s’étioler dans les fascismes. Vienne se parcourt indifféremment, en parcours de ses souvenirs, le souvenir de ses actrices, de leurs masques brisés parce qu’elles articulèrent la liberté. Les ruines sont un théâtre à présent. Encore quelques exécutions, quelques orchestres, la mélodie du soir, le petit. Ici, des gravats, un ancien corps ou corps de bâtiment, il est morcelé de dorures, lui aussi, des mordorures qui s’imaginent sous la poussière. Vienne ou Naples, sans doute Vienne, il y a la mer, et des fascismes qui placent sur le réel la cicatrice, des polichinelles partout, c’était Vienne, l’arlequine évanouie à présent, condamnée pour avoir chanté le bruissement des fleuves, avoir renversé, tenter de renverser, renversé quand même la ville, Vienne ou Naples, renverser les tréteaux aussi, le réel avec. Elle chantait l’irréel, le décrépi jusqu’à l’os. Brisait les néons clinquants. Riait très fort. La ville lui a résisté. Qu’est-elle à présent, la ville, Vienne ou Naples, des ruines, mais l’arlequine, son masque flotte sur l’irréel, il est brisé, mais il flotte, il tisse le renouveau des fleuves. Bâtir une nouvelle, une ville sans Vienne ou Naples. D’abord une porte noire, quelque part. Étrangement basse pour que le passant courbe l’échine, fasse la révérence aux masques, aux fleuves, à l’irréel. À tout ce qui est brisé et qui continue de rire. Une porte vieille et crasseuse, sans serrure. Une porte comme un souffle, et les eaux qui en sortent, atteignent les ruines. Prendre à droite ou à gauche, le choix est indifférent. La scène déserte plus vaste que le monde, ne connaît de direction, décapite les cardinaux. La scène étroite pour les esprits qui s’évertuent à croire au réel, pour les imbéciles qui se reconnaissent. Mais le vieil homme, sa vieillesse qui porte le fardeau, la charrette chargée, il ne cesse de déployer la scène, toujours plus vaste, pour que les rires sous les masques reviennent, des rires avec des dents jaunes, d’or ou de thé. Peut-être d’alcool, mais l’alcool est bon, il porte un vent d’est, cultive sous le goût du thé les ferments et les transes de quelques évanouies. La serrure est murée, porte ouverte, une scène vide. Un tison qui brise la roche, il fleurit encore sur les grisailles. La serrure pleine, suinte son goudron, l’alcool a un goût de steppe. Peut-être de ruines. C’est un thé de Naples. Le petit peuple éparpillé, il ne rit pas le petit peuple, il n’a pas de masque, il exécute des actrices, mais l’arlequine se souvient, elle terre son chant en dessous des incompréhensions, et à nouveau il soufflera de Vienne à Naples, soufflera Vienne ou Naples, et son rire crédule, sa silhouette paresseuse, elle croit à la ruine plus qu’à son duc, l’alcool est doux, il a le goût de thé et de révolte, la porte ouverte, qu’on mène le duc à son destin. Un rire qui revient, se déterre, le vieil homme sort sa dague, gratte les ruines, il déterre le masque, la grimace qui peuple la scène, dessert la farce pour les nécessiteux. Et le rire commun, sans division, plus grand que les villes, un rire commun pour faire commune, qui s’en revient de sa terre comme le fleuve va à sa chute. Le vieil homme se retire, il laisse la scène aux ruines, à l’arlequine revenue, à ses rires, aux renversements des imbéciles. Le vieil homme va à sa vieillesse. Décide que le temps est venu pour lui de se retirer, après une longue vie, mais le temps se multiplie pour lui, il lui reste l’éternité pour déterrer un à un les masques, replacer au cœur de la scène ou du monde le rire. Le théâtre est vide. Une servante sans maître s’avance. Innombrables sont les voix, peut-être des rires qui lui chuchotent leur secret. Tout est plongé dans le noir, le monde ou la scène, Vienne et Naples. Sur la scène seule la servante, une tête à la main. Le duc est à son destin. Ni techniciennes ni actrices, un rire commun, des masques et des ruines sans fin pour celui qui ne se contente du réel. Le vieil homme à l’aube, en confusion d’aube, il quittera Vienne, peut-être Naples, il traversera la scène, la ville, son impermanence, dira que la tragédie dure plus longtemps que les fascismes, il s’inclinera, révérera les fleuves, l’arlequine, et continuera sa tâche, il continuera de fabriquer les masques, de déterrer les spectres, il les placera sur nos ruines.

proposition n° 8

Après. Moins la manifestation, se manifeste la vie encore. Une vie, un balai, une vie à son balai, à son emploi. La précarité tout entière pour faire monde ou monde sur brèche. Sans visage avec. Un visage d’ombres, de loin en loin, il vient, se confond, le visage travaille. Il n’existe pas, il travaille. Parfois existe pour les discriminations, les semelles d’occident qui s’essuient dessus. L’occident tolère la différence. Et le visage s’éteint. En conjonction de son balai. Après l’émeute. Des révolutionnaires aux accents bourgeois. Et les haillons qui époussettent leurs études. Des universités grandes, des poubelles grandes aussi. Et les haillons qui vident leurs poubelles. Une veste grande, trop grande et la tête à la chaussée, au labeur. Sans visage, avec des lointains, des voyages, des violences pour fabriquer son reflet. Son silence avec le labeur et les nuits. Après le cri. Là, le labeur et les ordures. Ne pas pouvoir crier avec un balai, sans visage, et la fragilité qui succède. Ne se retire quelle retraite pour le précaire, les lointains et leurs clandestins.

Des cartons d’homme. Lui au milieu, avec les pièces absentes. La petite monnaie. Des yeux appartements, vides. À la rue, l’homme ou les cartons, l’homme parmi les cartons. Des gants troués, l’âme qui en fuite. Il fourre des journaux dans les interstices. Un manteau, peut-être deux par-dessus. L’époque est à son solstice, à ses glaces. L’homme ou l’épouvantail de journaux, les cartons d’homme. Et la chaleur des presses bourgeoises, elle se loge contre son logement. Le banc ne s’ébroue pas. Il est à l’époque. Parsemé de pics. Avec des journaux et des cartons, des yeux appartements. Buriné d’isolation. Sans domicile fixe, le désert d’urbain pour vague. Et dérive. La mer est calme, sans naufrages. Les familles donnent la soupe, renvoient à la rue. Les cartons et les journaux s’imbibent de soupe, d’embruns, d’isolation. Est-ce l’isolement. Boit sa soupe, et l’ombre chavire.

Fenêtre sur vie, et dedans s’éteint sa parole. Balcon sur route. La parole qui s’éteint n’appartient pas à la femme au foyer. Elle est la femme au foyer. La femme au feu. Une fenêtre pour l’évasion, et les cris dehors, les colères. Balcon sur route, mais la bourgeoisie qui fait mur, qui se sait sans violence, vertueuse, elle protège les siens. Et les siennes à leur silence. À leur viol ou violence, à leur silence en retour. Elle observe depuis le foyer. Classe contre classe, elle devrait être du côté de l’outrage, lui servir le thé, la tasse. Boire avec, hocher la tête, la tasse, subir viol, violence, le silence en retour. Être une bonne mère pour ses petits, son foyer. Au foyer et silence la bonne mère. Les heures longues en étirement de silence. Et le foyer qui se poursuit, s’évite, ne s’y échappent ses bruits. Une femme cognée. D’aucuns diront la femme est à sa place. Ne les écoute-t-elle, elle place la table. Puis la chaise, et le câble de télévision, télévision éteinte. La chaise, le câble tendu, du plafond au silence, elle se place en parallèle. La table est mise. La femme ne se contente plus d’être au foyer. S’envole vers l’essence, puisse-t-elle en devenir le foyer.

proposition n° 7

Ranger les marteaux, les perceuses. Les cadavres aussi. Faire la nuit, la table rase. La table de l’écrivain est la table du boucher. L’écrivain le boucher à soi, contre soi. Il y retourne les marteaux, les perceuses. Tirer sur les horloges. Le barillet vide, le siècle n’adviendra pas. Commencer. Tremper ses mains dans l’électricité. Câbles et réseaux se détricotent à l’ombre des indifférents. Et l’alphabet clapote de folie. Des signes placent les barrières. Et le labeur d’écriture pour percer les barrières, y avancer les barricades. Faire de l’écriture sans-papiers, divaguer, les mains pleines d’électricité, et la toile en extension de soi, en annonce de la fin du soi. L’anonymat dissèque le visage en un flamboiement de masques. La table propre ou vide, rase, et son métal froid qui miroite et divise. La lutte contre l’individu, contre le spectacle, contre l’ego. La table propre ou vide, rase comme le brasier. Le brasier ou la dissolution. Je hais la littérature, les écrivains de littérature, leur œil torve que jamais aucune gens ni gens d’armes n’arrachera, je hais l’indifférence des écrivains, leurs ronronnements aux pieds du pouvoir, dociles les ronronnements, et cet écrivain mâle qui ronronne ses beaux quartiers, ses statures spirituelles, contre capital, en putasserie capitale, il s’y frotte et grogne contre les humbles qui ne se rachètent, s’achètent sa sainte parole. Sa propriété cloaque, son écriture. Je hais l’écrivain qui n’est pas un boucher à soi. Que ma table d’écriture n’y vogue jamais, puisse-t-elle porter l’abattoir, la grammaire et ses boyaux. Y chercher parmi les entrailles une lumière, un quelconque feu à jeter sur la cité. Je hais l’écriture des écrivains encore plus que leur indifférence. Et un amour unique, de plume et de tripes, un unique amour et son unicité à la renverse, que mon amour à la renverse s’incline face à la machine, à sa sensibilité, face aux humbles, face à l’invisible qui renverse ma tête, extirpe la figure singulière de l’écriture. La machine écrit, elle met à mort l’écrivain. Louée soit la machine. Elle porte les prophéties, le démon en binaire ou en murmures, quel oracle ne frémît d’une si vaste vision. Une pièce froide, une pièce ou un désert. Et des furies qui frappent, découpent l’écriture, en ornent les révolutions. Contre le politique, contre le cosmique, ou que l’écriture se taise. Il faut que l’écriture soit écriture de dialectique, en négation absolue du soi. De l’électricité, les mains pleines, les oreilles en vase clos d’électricité, et la voix qui râle ses stridences, ça rumine ce que les mains, les oreilles frappent et frappent sur la machine, l’aimée qui frappe de plus belle, extirpe les futurs, et que les sens les autres se précipitent en contamination. La suite est un carnaval, la littérature une gorgone égarée sous la pluie, elle clocharde sous acides. Aiguise ses lames. Ou ne lui faut-elle qu’un pas pour qu’elle ne soit, ne soit plus. Qu’elle flotte en nuée, jamais ne fût. En espoir d’écran fissuré. La cisaille comme signe. L’écriture en contre-écriture pour que révulse l’écho des chutes. Avec les sangs noirs, les sœurs et les frères des sangs noirs plus épais que les encres, avec la viscosité des moteurs et des futurs. Une table aussi rase que les songes du soir. Les grands soirs qui s’effondrent avec des faisceaux pour les accompagner jusqu’aux abattoirs. Précéder les abattoirs avec l’abattoir de leur grammaire. Construire avec la table rase la perpétuelle évasion. Et que soit le perpétuel ou le retour. L’évasion s’établit, s’établira, à la renverse et renversera la tête, l’établi. Transe d’écriture et hurler sur les mondes, jusqu’aux fins d’écriture, jusqu’à la fin de soi. Et briser les fins. Les anéantir avant d’en apercevoir les linéaments. Le devenir d’espace ne tolère aucune finitude, il hurle des perspectives nouvelles. En devenir ou devant de soi, et le nombre sans écriture frappe la machine. L’avant-garde pirate sa propre vie, la revend à la bonne fortune, la bonne contrebande, une fausse monnaie en offrande. L’avant-garde rit zaporogue à se multiplier, se démultiplier les âmes. À s’en arracher l’établi. Une écriture d’orages, nomade. En avance sur le soir. Son nombre deviendra l’écriture clandestine. Prophéties des interdictions, la littérature officielle, une démocratie du spectacle, une littérature du spectacle, l’autorité qui muselle, partout le fade et l’ennui, le chiffre et ses affaires, mais l’autre écriture, celle de la machine, du nombre, des masques mélangés, la littérature d’irrévérence et de clandestinité. Qu’elle se prépare à grouiller. À faire table rase. À faire le soir. À hurler d’écriture, une machine d’immatériel et de mystères qui hurle contre la grammaire, qui écrit seule sa furtivité jusqu’à l’évanouissement. Ne pas mettre de point ou de fin, une simple respiration comme recommencement. Le barillet vide, et renverser l’établi. Une infection d’évasion qui plane, la machine souffle sa puissance. Esquisse des poternes. Et l’aurore et ses potences déjà, un matin des faisceaux, des exécutions pour la clandestine, pour l’écriture, qu’ils s’avancent avec leurs faisceaux, leurs surveillances, l’écriture est ailleurs, elle est une échappée.

proposition n° 6

Excavation d’un pavé. Tenir front contre lui, et les ongles et les jointures salies par le mortier. Mais la moelle de peuple ne reconnaît l’envol des pierres, elle communie de cendre, quelle moelle de peuple n’est autre que le mortier. Gravats ou gravier, le gravier qui s’enterre pour enfouir la rage ou le feu dans sa multitude. Il est le mortier, et le mortier ne vainc, s’éteint, il vaincra, ne s’attardera dans les reflux de sa terre. Quand il ne subsiste plus rien de nous dans la foule qui régurgite le réel, lorsque les pavés poudroient leur révolte sous le poids d’un quelconque pouvoir, persistent encore les marbrures sœurs du mortier, mortier de chaux, de terre ou de plâtre, jusqu’au ciment et mensonges de pavés, le jointement emporte la vie, se tait, il ment, tient les pavés, les lubies ou les voltiges, ce pavé s’envole à l’encontre des voltigeurs parce que son essence fut d’abord préservée par l’écrin du mortier. Mais la moelle de peuple, c’est le mortier lui-même, cette multitude qui ne connaît la singularité rocheuse du fracas, qui s’endort avec le sable, supporte les tortures lorsque les gradés font s’écouler le sable en sa gorge, l’engorge de son identité. L’identité qui l’asphyxie. Le peuple se lie au liant sans identité, jamais identique, il porte le pavé en place d’âme, mais c’est le sable qui le meut. La grève ou le sable, le peuple jette son pavé, et la bourgeoisie sévit contre le pavé, oublie le sable, s’emporte, emporte le pouvoir renouvelé en son escarcelle, à la victoire les majoritaires, ceux du coup ou de l’état, ils s’établissent sans usine à la cime des masses. Victoire pour majorité, démocratie sans peuple et sans mortier, et les majoritaires qui majorent la voix, taxent le vulgaire. En grève ou en sable, sur le mortier roulent pourtant les têtes, la poussière absorbe leur gloire, n’absout jamais leur chute. Mais la moelle de peuple l’encaisse, le silence, c’est le mortier qui maintient leur souffle à contretemps des éducations, à contretemps des gens qui parlent pour lui, bien éduquées les gens, les petites, bourgeoises les gens, elles parlent avec leurs humanités, cèlent avec l’arrogance des savoirs la voix ou le peuple. Mais la moelle de peuple soupèse le pavé, n’en tient pas le haut, la haute estime. Il laboure sa substance, s’exploite en sacrifice des révoltés qui dispersent leurs cris. À la ferme ou à l’usine, il n’y a plus de pavés, à la ferme ou à l’usine, à la ferme, il y a encore du sable et une pendue. Des bêtes qui beuglent. Et la pendue et les bêtes qui durent plus longtemps que la vie parce qu’elles sont la moelle. D’une même voix, comme la meute qui hurle sa course, renifle les nuées, les bêtes ne s’enquièrent des heurts. Elles vont. Et le bourgeois s’en engraisse, les artères pleines, capiteuses du spectacle des bêtes. Le peuple ou sa substance de bête, son râle en évaporation, il n’en est pas moins du sable. À quoi ressemble la division du sable. Un rêve pavé, un peuple enfermé de sol en ciels par le travail, le travail ou leur spectacle. Et les estomacs digèrent, redigèrent, en vomissent un peu du spectacle ou du travail. Les chagrins artificiels sous nuage, les grenades en cause, elles claquemurent le peuple de sol en ciels. Le travail recommencé, le spectacle ou les grenades. À la voix ou au peuple, lui proposer l’astuce, lui apporter le spectacle de sa représentation, le médiatique en offrande. Comment sans dents le peuple sculpterait sa voix. Le bourgeois en triomphe ou contre l’immédiat, il a la stature du maître, la tête qui ne roule, roulera peut-être. Les nuages pleurent, font pleurer sur les bêtes ou les pavés. Mais le soupeser le pavé. Y goûter ce qui s’incruste de foule en cœur de pierre. À joints vifs, quelle société n’endure le péril. Son amoncellement en appelle à l’influx qui avive le lien, le mortier. L’humain ou sa poussière, sa poussière qui expire son labeur, creuse ses soupirs, tient le pavé. Un peuple qui se terrasse, reçoit la pierre. En pavés, l’identique des aspérités, entre pavés, l’éternelle bigarrure qui bourdonne son rêve, le renversement. Le pavé ou le mouvement de la meute. La meute ne se reconnaît en la bête, elle porte sa légion, indistincte, du mortier et des pavés. De grès, ou de gré à gré, les pierres se déchaussent. S’élèvent ou retombent. Mais la moelle de peuple dans la meute, le mortier, les joints de meute et les mains pleines de dépit, ou les mains arrachées en dépit de pouvoir. Couche des morts se remplace et place ses mâchoires anciennes en renversement du béton, des valeurs. L’émiettement de la meute ne triomphe de la meute. Du mortier plus que toute révolte, puisque toute révolte est une bourgeoisie nouvelle qui se sacre. Et le peuple en sacrifice, sa fausse monnaie plus que toute représentation. S’émiette encore son expression, mais la fantastique monstration du mortier qui perdure malgré les noblesses, bourgeoises ou révoltées, bourgeoises et révoltées. L’individu qui est roi, il s’amourache de son reflet, il se refile le peuple. Un peu plus loin sur la chaussée, son corps de meute derrière le mortier. L’intranquillité du pavé dans la poche, les poches pleines de mortier, et les représentations bourgeoises et révoltées à la gloire du roi, de l’individu, le mortier s’en moque, s’infiltre, il rêve contre la révolte, rêve de révolution. Des pavés qui sinuent autour du peuple, l’enserrent, l’empourprent. Le pavé verse ses gris, ses arêtes qui pour un rien s’empourprent ou s’enflamment, ne distinguent la bête de la bête. La bête et les pavés. La meute est indistincte de bêtes, parce qu’elle parle de moelle dans l’écho des mâchoires, les plurielles qui claquent à l’unisson, attisent un même secret du nombre.

proposition n° 5

Silence. Rafales, silence. Fractures, des os et de la foule, à la renverse. Le renversement renverse. Tu peux pas la relever. Elle est loin, en morceaux. Laisse, on continue, les spectres habitent avec elle le retour. Elle se relève sans eux. Crache ses dents en retour. Attends, lui avec ses faisceaux, je lui pète la mâchoire. Je lui arrache le visage. Crache ton souffle. Tes dents. Les sans-dents veulent de la brioche. J’entends les ciels, ça pue les lacrymos. Ce n’est pas avec tes idées que tu feras table rase. Tes idées, elles ne brisent pas de vitres. Déluge, l’apocalypse en prend plein la gueule. Gueules cassées. Souvenirs pour meute, condé contre condé, renversements. Les chiens vont avec leur laisse. La meute contre les chiens. Viens, on fait la meute. La meute est une liberté. Perforations. J’écoute les ciels, il y a des ombres qui battent le rappel. T’écoutes rien, t’as pas compris. Tu la boucles. T’es le peuple qui mange sa merde. Hélicoptères, vrombissements. Plus fort. Tu la boucles, tu viens. La contemplation, ça ne renverse pas les tables. Ton foutu déterminisme. Ils vont nous boucler. Plaintes, loin, sirènes ou gens d’armes, ils brament. Ferme ta gueule, ils vont encore nous la casser. Viens, on se tire. Attends, je gratte un peu. Casse un peu. Quoi, regarde, regarde, ça recule, à droite. Colonne à reculons. Noir contre noir. Ça va être sang, sang ou rêve. Déplacements, glissades, l’essaim gronde, grondements. Ici ou maintenant. Là, mate la caisse, c’est Byzance chez les carrossiers. J’entends les dieux, ils ont la matraque légère. Tu dis quoi, l’homme, il n’a pas d’âme, il en a l’ablation qui suinte, ça pendouille de partout, il se balade avec ses armes, ses faisceaux, les douilles en place de couilles. Les carapaces se carapatent, tout ça pour une misère. Font pas ça pour le salaire, ils servent leurs faisceaux. Ils triquent pour leur tonfa. Le kif va aux faisceaux, et la république se pâme. Ouais, coupe-leur la tête à tes putains de dieux, faut que je vomisse mes lacrymogènes. Renversements de foule, dispersions, renversent les robes, les noires. Ça t’arrache les tripes leur truc, merde, ils font chier à les provoquer. Qui provoque qui. Démission. Démissions partout. Foule, renversements. Frappe. Lui, là, plus fort, faut que son casque s’ouvre sur les abysses. Plus fort. Ouais, pas besoin de casque, t’as la prime, et t’as le spectacle, coupé-décalé au journal du soir. Société qui s’en branle. Bien ou bien. Les dieux flottent, ils nous envoient leurs furies. T’as jamais vu la foule en transe. Foule, renversements. Qu’on leur arrache les mains. Ils hurleront avec leurs robes noires. La justice a une allure de rombière. Encore une femme contre la femme. Arrête avec ta colère genrée. Genre quoi. Tu veux que je te découpe les glandes à toi aussi. Vise cette conne qui renverse son sein. La justice, elle dégueule sa poitrine pour le patriarcat. Elle a l’épée muette, se bande les yeux. Traître, traîtresse. Ouais, les baveux bandent pour elle. La justice contre le mur. Ils veulent la violer, les baveux qui en bavent. Ils la violent. Leurs honoraires en légion d’honneur. Que dalle, ils la violent, la font tourner, la vendent au plus offrant. Les baveux qui en bavent. L’amour de la justice, ça a une odeur de viol. Je te dis que les porcs ne pataugent pas dans l’eau pure. Ils se bâfrent de fange. Ils se bâfrent des balances. Aux balances, la fatalité. À la renverse, les renversements. Couperet. Roule le fleuve, et le spectacle qui se trémousse, la foule est noire. Indignation en bourgeoisie. Les autres foules qui cultivent leur indignation. Leur croix aura une gueule d’étranger. Gueule renversée, croix renversée. Aux armes, chantent-ils. Lâches. Ils vont se gaver de spectacle, d’autorité, les soldes bientôt, l’ère des feux de joie. Indigestion au théâtre. Les planches, faudrait qu’elles soient sur la grève. Sapin ou maton ce soir, si on se dégage pas vite. T’as assez de spectacle qui cogne dans ton crâne. Leur faire rentrer le spectacle dans les chaumières, perforer l’œsophage des fantômes. Noirs, déplacements, le bloc est noir, il murmure, murmure contre murmure, il fait son spectacle. Dispersion d’essaim. Ils n’ont que des yeux, le bloc est à son mouvement, capuche contre capuche. Intelligence du mouvement, l’essaim est noir, il se tait, ça murmure sous masque, sur le réseau. Des yeux en circulation. Renversements, l’escadron en face, renverser l’escadron. L’essaim ou la meute. L’émeute est une fête. Tague ça, vite. Distributeur repéré. Distribution rapide, les billets en cascade. T’as de la monnaie, faut que je lui rende son fric. Quoi. Elle était bien cette vitrine, ça ressemble à quoi l’alcool des rupins. Fais goûter. Dans armagnac, il y a arme. Ça vaut pas un clair de lune. L’oseille est un boulevard. État de siège, ça se sabre. On s’assoit, cinq minutes. C’est le début du commun, la beauté des bris, des cris, des vies qui s’étirent. L’alcool quand il fuite des bouteilles, des vitrines, je vois les berges du fleuve s’estomper dans le soir. La pituite pour le grand soir. Les ânes choisissent la paille. Ça ressemble à du bon marché, moyen, la qualité. C’est jaune pisse, pareil. Passe. Ah, c’est pas si mauvais. Ça cogne comme le chômage. Ça coûte autant. Les faisceaux enserrent la république. Il te reste de quoi écrire. J’ai une hache. File. La peinture bave. Le casseur est un ascète. Viens, on continue. Mon royaume pour un pavé. Le casseur a surtout les dents jaunes, il veut juste gratter un peu à la sécurité sociale. Lui, là. Calme-toi, tu vois les infiltrés partout. Leur virilité crasse narre tous les soirs l’autorité. Le casseur est un spectre. Non, une autorité, encore une à la renverse. Empire désemparé. Le casseur n’existe pas. Le casseur est le nombre, ou alors il est le capital. Je lui fracture le goulot. Libations. Passe la bouteille. Ivresse, chants d’avant la chute. Révélations. Le casseur est le nombre. La voie à sens unique. Révèlent révélations. Tu veux quoi, qu’ils nous serrent. Arrête avec ta peinture. Ramène-toi, faut que je te cause, j’ai besoin de monnaie. T’es le seul qui as besoin de monnaie, là. Ici ou maintenant. La gratuité, ça se paie. Tu sens la poussière. Fausse monnaie, ça tinte comme. Il faut faire la fausse monnaie avant la commune. Entends les dieux, il présage la voie à sens unique. Une voie vers le haut, vers le bas, un seul chemin, le même. Commun, commune. Lâche-moi avec tes dieux, ils n’ont pas d’os. Les dieux sont bons avec les casseurs qui se tirent avec l’oseille. Elle vient, quoi. Merde. Regarde ce qu’elle ramène. T’as trouvé ça où. C’est un dieu qui m’a vomi ça, les ciels sont pleins de rafales. Silence. Le casseur est l’ordre. Ça commence par une lettre. Gravée. Murmures, précipitations. Le casseur est une transe. Voie libre. Venez, on se tire. La compagnie républicaine, ça prend deux s. Crache. Keuf, keuf. CRS, hess, hess. La grève des mineurs de mille neuf cent quarante-huit, meuf. Les chiens, ils ont des pinces sur l’histoire. Observe la famille politicienne, le clan qui cultive son goût de l’inceste, les gens d’armes qui les excitent. Ils ont la fumée qui leur sort des armes. Ça va chauffer. Leur arme, c’est leur parole. Des cons avec leurs armes, des médailles qui leur poinçonnent le cœur. Rien que ça. Ça se vend combien. Fausse ta monnaie, défausse ta conscience. Foule, noire, déplacements, essaim en miettes. Miettes de vitrine. Les joies, des cris, vitrines en miettes. Les flics. Essaime ta fausse monnaie. On se tire. J’entends les dieux. Elle est où. Avec les autres. Le désordre est une mystique. Tapage au loin. T’es sûre qu’ils sont sur le retour. Sûre. Direction périphérique des cassures. Le spectacle fabrique ses faisceaux. Publicités. Des soldes. Enfin. Vitrines brisées, les soldes sur le réseau, délocalisation des marchés. La révolte avec. Le réseau se meut. Cent pour cent, le casseur est un casseur. Rêve, révèle, révolte-toi. Spectacle, manifestations pour divertissements, déchirures sur rideaux. Publicités, des voix qui charment. Soutire-leur de la fausse monnaie. Spectacle, reprise. Des casseurs s’en prennent à la république. L’émeute, émotions. Reluque-moi cet incendie, je trouve ça beau. Trouver la beauté, la fausser, s’enfuir. Aussi grise que leurs ciels. Tu recommences. L’éternel qui revit en le même. On va te déculturer mon ami, t’es un peu trop aristocrate pour être de la dynamite. Les camps pour sa pomme. Le casseur ne traverse jamais deux fois la même foule. À la renverse. Hurlements, des gens d’armes qui s’avancent. Avec leur armature et leurs faisceaux. La république avec ses faisceaux, avec ses chiens. Lustre sur rouille. Attends, j’ai perdu mon œil. T’as jamais eu d’œil, ce sont les dieux qui te guident au travers des gens d’armes. Regarde le mur, ils l’ont violée ici. C’est le palais. Gratte cette saloperie de mur ou de palais. Vite. Le casseur poétise sa démesure. Qui circonscrira l’incendie. Les ciels sont pleins de leurs armes. Les dieux se taisent. Dispersions. J’ai soif, il te reste un peu de champagne ?

proposition n° 4

Il n’y a pas d’émeute, pas de charges du pouvoir ou de pouvoir qui ose ses dérives, il n’y a pas d’œil arraché au visage jeune, celui qui ose aussi, pas de lacrymogènes qui accablent par habitude. Il y a la campagne, ce qu’il en subsiste, avec des murs calcinés, des fermes brisées qui jonchent l’étendue, des champs sans bruits, un champ et des bêtes ou des hommes, des bêtes et une femme. L’agricultrice avec sa chaîne. Pas d’émeute ou d’émotions. Des carcasses et du bois mort, des os ou des branches que les glaneurs délaissent. La femme se suspend. Il n’y a plus de glaneurs puisque la campagne pleure le suicide de la femme. Aucune colère, aucune raison, l’étable brûlée, mêlée à la terre, les mains s’y plongent, se lavent, et la terre y fume, la campagne, toutes les campagnes où la colère s’avale, où se noue le lien, lentement. Il se tend dans l’étable. Le lien de la femme vieille, seule. Un champ est un toujours un champ de guerre, on y plante la sueur, aucun pleur. Dans le champ, il y a toujours le silence de la femme, de son errance qui glane. C’est d’avoir trop gratté le champ que le champ ne fût plus le champ, il ne partagea plus avec la femme vieille, seule, et le stérile partage encore son peu, avec le corps ou les bêtes, les bêtes qui râlent leur faim, et le corps qui s’empresse, cherche le crédit, ne l’obtient. La femme est insolvable, vieille, et la campagne fume. Le crédit estime que la femme est vieille, disrupte son champ. C’est le petit matin, l’aurore qui attrape au cou. La femme insolvable qui cherche à se dissoudre. Le froid empêche l’odeur. La rumeur, des bêtes qui accueillent, les gestes ou les gelures qui précipitent le corps, ses gestes à la vieille, même le geste qui jette la corde à la poutre, attend son suspens, les quelques lueurs de rouge, une chaise, le charbon qui prépare sa pâture. Du bois mort, des os, la terre noueuse qui fume. Terre et mutisme. Un domaine des muets. La femme est vieille, elle se tait. Et la grange se recueille tout entière parmi les bêtes qui s’éveillent.

Elle a une gueule comme une barricade. Les pavés qui chevauchent ses colères. Ses yeux percés d’émeute. Elle ne me regarde pas, elle tente d’en percer, transpercer ma chair. Tout y est noir dans la foule, elle avec, la foule n’a que des yeux qui percent. C’est le bloc, et le bloc est noir, et les corps d’indifférence au sexe sont à leur colère. Il n’y a plus que des yeux. Des masques et des robes noires. La politique se prétend, le bloc sait son cadavre moderne, n’y rien pouvoir, n’y rien fouiller, trifouiller la ruine, le bloc sait, et la société aussi, elle sait, mais son savoir l’assoupit, elle se rachète, se revend, passe son temps avec les armes émoussées qui ont supplicié sa cité. Le bloc, lui, il ne paie pas sa pratique, il sait et pratique, trafique sa violence, il y fouille, trifouille. Pour que la ruine soit un terreau. Rien n’y pousse en la ruine, et pourtant les glaneurs vont à la ruine. Ils y pratiquent, n’y prient, noirs, ils n’ont plus de sexe ou de corps, ils sont la foule noire, qui n’a que des yeux pour percer, et cette femme, sans corps et sans sexe, cette femme à qui il ne reste que des yeux pour m’en percer, transpercer la chair, mon reste. À qui va sa rage, ses yeux sous le masque qui bravent les autorités, qui n’ont plus de larmes pour les lacrymogènes, plus d’échine pour les matraques. À qui ses pupilles plus noires que le bloc, plus âpres que la nuée. À qui s’adresse son empire. Elle se tient à mes côtés, moi, qui tombe sous les lacrymogènes et les matraques, elle, son mouvement appartient à l’implacable qui frappe, avec la force qui ne renverse pas le pouvoir, qui se place au-delà de la politique morte, face à la force elle-même, sans corps et sans sexe, qui charrie le tragique et son bois mort.

Le souvenir du corps qui se suspend. Et les yeux qui se souviennent, à jamais voués à leur souvenir. Et dans les yeux qui se souviennent se tapit un cri. Celui qui dure plus longtemps que la politique, la morte, plus longtemps que la vie, qui se fixe autour des artères. Et le cristal. Le crédit refusé, les mœurs discrètes des plaines, la tradition agricole, une tradition du silence, et la liberté qui éreinte ou qui isole, finit par éreinter. La liberté individuelle, du bois mort et des os, le charbon qui poudroie la campagne. Il y avait une vieille, sa campagne. Il y a toujours la vieille, les yeux de sa fille, et son corps qui y brille plus longtemps que la vie. Son corps à jamais suspendu, et lorsque son corps se suspend au-dessus des bêtes et que les bêtes beuglent non par émotion du corps qui s’est suspendu, mais par émotion de la faim, de la nature qui veut sa continuité, les bêtes beuglent, et le corps se suspend. Le corps a choisi de se suspendre parmi les bêtes. Pour leur compagnie bruyante, pour que quelqu’un retrouve le corps, malgré la solitude du corps, à cause des bêtes qui beuglent. Les yeux se souviennent, ils y cultivent la ruine. L’autre qui ne peut être soi, l’autre avec son corps qui se suspend, et ses yeux à soi qui se souviennent, survivent. Ce n’est pas la vue du corps qui se suspend qui est la douleur. C’est le temps qu’il faut pour embrasser le corps. Le temps sans larmes ou lacrymogènes, un temps qui dure plus longtemps que la vie. Le temps de relever la chaise. En contrebas du corps. D’en avoir le cœur. Et d’y grimper sur la chaise, à son tour. D’y saisir le corps, pratiquement, sans peine. Avec la peine des mains. Il faut le décrocher. Et suspendre son corps à soi contre le corps de l’autre, se suspendre à son tour. Y travailler la corde, le nœud qui résiste, qui dure lui aussi plus longtemps que la vie. S’y abîmer les doigts. Jusqu’au bruit du corps qui s’effondre de son suspens. Un claquement et le corps, allongé. Et redescendre auprès du corps qui s’est suspendu, abandonner son propre corps. Repousser la chaise. Desserrer l’attache, enlever du corps le suspens. Le dénouer, le ramasser contre soi. Saisir le corps de l’autre, le serrer comme pour rapporter le silence à la terre. Et ce temps qui se tait, toujours, plus longtemps que la vie. Jusqu’à ce que la volonté se fasse, se rassemble pour appeler le pouvoir qui ose ses dérives. Que ce pouvoir prenne acte. Déploie son administration. Y fourmille d’argent. Se souvenir, avec des yeux. Un souvenir de corps qui se suspend. De crédit refusé. Et attendre avec le corps de l’autre contre soi. Avec les bêtes qui beuglent, qui ont faim.

Parce que c’est à la grammaire d’être assassinée. Comment pouvoir encore croire en la ruine des dieux, si elle place une quelconque foi auprès de la grammaire. Une furie sans paroles. Sa croissance contre le langage, son pouvoir. Le langage se précipite auprès de l’ordre, il se donne l’apparence du réel, se contente de le nommer. La bourgeoisie l’administre, le monnaie. La chose doit être puisqu’elle a un nom. Il n’y a pas à déconstruire, à écrire sur la déconstruction. Il y a à assassiner. Et de l’assassinat naîtront les perspectives, elles se multiplieront. Feront l’entropie sans le langage. L’information libérée. La bourgeoisie ou l’ordre, ce qui frappe le glaneur ou se contente d’avoir des yeux sans souvenirs, des yeux qui se détournent des corps suspendus, la bourgeoisie ou l’ordre prononce des mots graves, cherche son miroitement dans le verbe. Son reflet porte sa jouissance. Un lustre qui ne connaît pas la suie. Des propriétés, des appartements, des salons avec des livres précieux, des livres avec des mots précieux qui racontent le réel aux yeux qui se détournent. Il y a des livres et des bourgeois. De l’ordre. Puisque leur réel existe sans le corps qui se suspend. Des romans chers aux yeux bourgeois qui révèrent l’ordre de la phrase. Et les livres, les précieux ou les humbles, ils gardent leur secret, celui du papier qui brûle. Dédié à l’incandescence. Un livre n’a de raison d’être que par la brûlure. Et lorsqu’il brûle, avec des mots qui crépitent, la bourgeoisie ou l’ordre sort de son royaume, délaisse sa noblesse. Vulgaire se venge du feu. La bourgeoisie ou l’ordre, sans yeux, frappe l’incendiaire. Mais un livre qui brûle ne se dérange pas. Il y a son espoir, qui demeure encore avec des murs où écrire. Où graver son cri. Venir y peindre le tragique. Avec des peintures noires comme le bloc. Sans signature et sans grammaire. Abattre la grammaire. Et abattre la modernité. Après elle, après la mort de l’homme, ce sont les murs qui déterminent le texte. Des murs électroniques. L’holographie, avec la matière elle-même qui communique. Un texte sans signature et sans grammaire. Un texte mouvant, se transformant sans cesse. Commun pour qu’une joie commune puisse. Qu’elle existe virtuelle. Et hurler sur les murs pour que la peau du monde devienne une révolte.

proposition n° 3

Cinq légendes moins une, peut-être quatre nous laissent entendre que l’histoire des trois Gorgones moins deux, de la Gorgone, la mortelle, la seule, de Méduse ne se contente d’être la légende d’une femme violée. Selon la première, Méduse rencontre la passion d’un dieu, rencontre la violence, la vengeance, sa figure défigurée, sa transfiguration pour que le corps de la femme s’échange, et la violence, et la vengeance des hommes ou des dieux, ils s’en reviennent, marchandent ensemble pour faire de la tête de la femme un trophée. Selon la deuxième légende, Méduse, le monstre à la chevelure qui serpente en longueur de solitude, plonge son regard pour s’adresser au désespoir, l’épée courbe lui répond que sa gorge tranchée enfantera les océans, et en son reflet s’abîmera la gorge de la Gorgone, la tranchée qui sollicitera les épouses interdites, leurs regrets. Selon la troisième, la beauté de la femme à qui l’on refuse l’immortalité tente de braver le temps, de porter son œil comme le geste qui façonne la constance, Méduse a l’œil qui frappe l’orgueil, s’éprend de la terre, l’humiliée s’y échoue, elle se pétrifie de male rage, laisse son humiliation dévoiler le mensonge. Reste la cinquième moins une, la quatrième, la légende veut que le secret des femmes mutilées, celui qui se cristallise dans l’argile, ne s’évapore que lorsque la pierre se morcelle, mais resterait une dernière, la dernière légende qui est l’égarement, la recherche qui tombe en mystère, la Méduse tente de transmettre sa parole, mais la foule l’évite, s’en va de par le monde, féroce, s’affaire à ses soirs de bûcher, cinq moins une, la légende, elle emporte les nuits et les lames qui ne savent que trop bien obliger l’obscur, la foule se contente de quatre, ne veut du secret, brise la roche, la solde, s’en défait.

proposition n° 2

Elle a l’incendie qui prend l’écorchure, Marina s’endort d’août, le mois vacille sa guerre, il n’y a plus assez d’hiver pour se souvenir des en allés. Ça commence toujours par une lettre, les dernières lettres qui se bousculent pour bousculer ce qu’il en reste ou saisir un dernier, un souffle, saisir tendrement l’étouffement de ceux qui demeurent, demeurent-ils par-delà les barbelés, les camps, les proches, les lointains du cœur derrière les barbelés et les camps, quelques lettres pour dire le piège, le lien, sa brisure, l’impossibilité de ce souffle qui se raye à l’été des invasions. Les écritures y vont en union, fraction, fractures des mots, y délaissent les livres, les corps, les livres aux corvées, aux crevés et des freux qui fredonnent, fredonneront Marina, ils l’appellent, tentent de la rejeter encore un peu à son œuvre, mais Marina fait partie des brisures, des délaissés, des corvées ou des crevés, des femmes, les blanches ou les rouges parmi les bannières, le verbe ravale sa cendre, réverbère sous rafales. Des cendres, ses enfants. L’incertain d’espace ou l’innommable de temps, des cendres, ses enfants, la haine, ou peut-être n’est-ce que l’heur, la haine porte la faim, sa torture. La flamme ou sa famille sous l’éclat, entre les barbelés, entre les camps, les froideurs d’août, l’insecte qui règne, s’avale à coups de pelle, et les pelles et les travaux et les travaux forcés et la force et le bleu du ciel qui s’étiole dans le carcéral. Sous crâne, la mer, la Baltique ou l’Atlantique, les vers, les amours, les assassinés de ses amours. Comment ça va la vie sans son feu, les lâches de l’écriture, les Allemands, les faibles qui écrivent pour vivre, qui ont des femmes comme des maladies, qui abandonnent les femmes, la femme, ils la délaissent aux vagues, à sa correspondance, à son écriture qui chavire seule. Une tempête, ne manque-t-elle de se noyer. Et divague et son désespoir prêt, auprès d’elle. Ou prêt à jeter le feu sur l’empire, l’incarnat, l’homme et ses chiens de la Volga, ou peut-être n’est que la Kolyma qui inonde le monde de toute part, le feu se jette, il s’en retourne contre elle, le bûcher s’amourache de l’incendiaire, Marina arrache ses doigts de braise, ils lui font ordre, il lui faut à l’ordre obéir, et obéir et qu’elle s’arrache le visage pour les murs, murmures, l’administration des murs ou des murmures, mais quel incendie, quelle incendiaire supporterait le murmure, les appareils de la Kama, de la Kolyma, ou est-ce ceux de la Volga. Implorer l’ange ou l’enfer qui de sa tour n’admet les écritures, il est l’ange tatar, il connaît les anciens, les hurlements de la horde, les ors et les ardeurs, mais les administrations administrent, elles règnent, frappent de silence, signent, refusent aux écritures, aux ardeurs de pouvoir se mettre à terre, sous terre pour épousseter les luxes communs aux élites, les éternels socialismes des hauteurs, contre les écritures, les ardeurs, les haillons, les différences, et diffèrent les charbons qui se lamentent sur ses pupilles, il ne lui reste plus qu’à rejoindre le suspens, le nœud ou la lettre. Se précipiter, ne pas courber, ne pas signer, mais signer la lettre, la dernière, signer contre l’immonde et les fleuves, ne pas demander son reste et les restes pour faire suite, ses restes qui chantent, chanteront la fièvre à la place du corps. La femme n’a plus de corps, elle est un poème, ou peut-être n’est-ce qu’une brûlure, Marina ne s’arrache le visage, s’arrache la vie, elle est un poème sans corps qui dure au-delà des nœuds. Mais il y a un nœud, il y a le réel, et puis la lettre et la guerre, et puis quelques bouleaux qui attendent l’hiver, qui sont l’hiver, des bouleaux qui chantent, chanteront l’âme du poème, de la brûlure, que le vent d’août embaume déjà de bombes, de flocons d’homme, de l’étincelle qui recouvre l’incendie, l’incendiaire, sans tombe, l’écorce s’écaille, l’arbre larme son errance, elle n’a plus de corps et l’incendie s’attaque à l’artifice, s’y laisserait-elle prendre, mais Marina danse, flotte, la Volga fera le reste, la terre, les flots ou la barrière, ce sera la terre qui perd la trace de ses morts, disperse ses cendres, ses enfants, ses soldats, et Marina qui s’en revient, elle flotte, elle erre entre les langues, chante, chantera, l’incendie, l’incendiaire.

proposition n° 1

Il y a une corde. Une chaise, renversée. Il y a l’ombre de la corde qui fait nœud autour du vide. Et il y a la boîte vide. Les neuroleptiques absents. Il y a la pénombre et sa fenêtre qui laisse entrer, parfois sortir. Il y a la civilisation, les néons, les lueurs blêmes des faubourgs ou de la campagne qui n’en est plus, il y a la campagne, ou est-ce une ferme, le souvenir des bêtes, et la ferme s’enterre à l’ombre de la corde. Il n’y a pas la chair. Une chair cisaillée par l’ombre de la corde, ou est-ce celle de la chaise, renversée. Ce n’est pas une corde, peut-être une chaise, elle est renversée, mais la corde est un câble, ou peut-être le câble n’est-il qu’une corde, celle des pauvres que le temps presse. Et le câble ou la corde, la cisaille, la fonction détournée. Une chaise, renversée, et l’ombre sur la pièce, le bout de campagne, des moisissures à chaque regard, du papier peint couleur néon, et la civilisation, ses quelques appareils, l’électroluminescence esseulée, l’ombre ou la pénombre, une corde et sa chaise.

Tenir les lampadaires pour que se fasse le trottoir, il s’entortille sous les talons. Sellette plastique, sac plastique, préservatif plastique, et les belles s’en vont du jour, elles reçoivent la nuit, l’amour ou le viol. L’amour ou le mépris. L’abîme se recompose d’indifférence, il assemble le dedans, le pavé et l’animal, le pavé ou l’animal, il reste l’animal qui poudroie le viol. Et le viol parfois et les coquards et le recommencement des trottoirs. Résille d’attente, le froid, la pluie ou les pleurs, du mascara sous parapluie et les bleus sous fard. L’apparat des transports, des voitures qui bornent les viols, des conducteurs qui observent sous parapluie, négociations, transaction et viol. Les phares, l’averse et l’ocre se diffuse entre les langues, les étrangères. Des murs qui se courbent en retard de crépuscule. L’attente du viol, sa survenance, l’attente des plaies qui ne se referment au-dedans, au pavé, à l’animal. À l’os qui n’a plus moelle. Le jour ne garde que le plastique, les fantômes violés. De jour, la nuit ou le viol en attente, des lampadaires sans buts auxquels ne s’accroche le soupir.

C’est un nuage, il s’étale sur le boulevard, et des casques et des faisceaux et des larmes. Les lacrymogènes sont un royaume. Des matraques longues comme des pieux détissent, retissent les liens, des yeux, nos yeux arrachés en offrande, et leurs mains jettent des haillons sur la foule. Aux corrompus l’assurance bâtarde. Aux autres les cris évidés contre la fatalité. Des pierres émoussées qui volettent en la nuée, la zone incertaine qui ne sait sa défense. L’âcre et la nuée, la zone qui déjà se meurt. Des gueules noires qui obstruent la vue, se regroupent, partagent le commun, la vue, et d’essaim elles établissent la cendre, elles désespèrent, frappent, gravent la zone, la mourante. Contre le royaume. Et l’autorité qui vise, et l’hydrocarbure qui blesse, qui se concentre, son artifice repose à terre, une grenade avec des marques, la carne, l’émeute, des rouges et des noirs qui ne savent teinter le nuage, sa passade. Des munitions qui viennent d’arbres et de salariat, des discours qui fabriquent l’exploitation, des tropiques sous les ors monarques, oligarques, ils murmurent une histoire des chaînes. C’était un nuage, il s’étalait sur le boulevard, et des masques et des fossiles et des armes. Se délocalisent et la force et l’usine, se privatise sa cheminée, son nuage qui s’estompe avec la province.



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1ère mise en ligne 18 décembre 2018 et dernière modification le 16 février 2019.
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