Emmanuelle Bouillier | Rue de La Boétie

–> AUSSI DANS CETTE RUBRIQUE
Ecrire, oui mais autre chose que des notes, des courriers, des rapports et autres power-point. Ecrire pour raconter ce que je ne connais pas, ce qui vient de je ne sais où, ce qui passe par le coeur et l’émotion. Son blog : Miss Tour Eiffel écrit.
proposition n° 1

Il y a 24 ans déjà. Dans cette rue, rue de la Boétie, cette grande artère qui traverse Paris, au numéro 8. Son premier poste. Sa première expérience professionnelle. L’appartement Haussmannien transformé en bureau, un long couloir, les bureaux à droite et à gauche, une cheminée dans chaque pièce. Emma se souvient du bureau de la directrice : un salon immense, une ancienne salle de bal, 2 cheminées, un parquet de hongrie, des miroirs et des moulures au plafond.

24 ans plus tard, la voici à nouveau dans le quartier, pas exactement rue de la Boétie, mais pas très loin, à deux rues parallèles. Alors Emma s’était réjouie en pensant, « je vais retrouver cette rue, c’est un peu comme si je recommençais à vivre une partie de ma vie, comme si j’allais voir comme dans un film tout ce que j’avais vécu ».

Le premier jour, Emma a pensé que ça serait bien d’aller voir la rue de ses débuts professionnels. Le deuxième jour, elle a pensé, qu’elle trouverait le temps, que rien ne la pressait d’aller voir. Puis, elle a oublié de se souvenir, comme si se replonger dans le passé, était amusant quand on y pensait, mais pas quand on le fait. Alors, elle évitait la rue de la Boétie, elle passait ailleurs, elle n’allait pas jusque-là.

Aujourd’hui, elle se sent prête à remonter dans le passé, à retourner la rue, celle de ses débuts, celle de sa jeunesse, celle du temps passé de sa vie.

Elle est en bas, au n°8 de la rue de la la Boétie. Elle reconnaît le tabac du coin, les feux à traverser, les bus qui roulent à toute allure, le trafic assourdissant. Les immeubles Hausmanniens se dressent fièrement en conquérants victorieux de la rue. Les pierres de taille moins grises que dans son souvenir donnent un air propret à la rue.

Elle se souvient, au 8, il y avait la gardienne, il fallait traverser la cour, monter au deuxième étage, mettre la clé dans la serrure et au fond du couloir sur la droite, il y avait son bureau. 4 mètres de hauteur de plafond. La table de l’ordinateur était proche de la fenêtre. La fenêtre donnait sur la rue. Valérie s’occupait de développer la marque à l’export. Son bureau faisait face à Emma. Evelyne développait son activité dans les grands magasins. Elle officiait au fond de la pièce face à la fenêtre. Carole s’occupait du développement commercial, et disparaissait dans son bureau au fond du troisième couloir à gauche pour appeler les clients au téléphone. Elle se souvient du parquet qui craque, sous ses pieds, de ce couloir interminable, du dédale des pièces les unes après les autres, en enfilade. Emma se dresse sur la pointe des pieds de son trottoir, dans l’espoir d’entrevoir qui occupe le bureau désormais.

Emma se souvient de l’odeur de beurre chaud des croissants du matin juste avant de pousser la grande porte. La boutique du boulanger a disparu. Elle est remplacée par un organisme de crédit. Le magasin de vêtements, de l’autre côté de la rue, celui dont elle apercevait la vitrine de la fenêtre de son bureau. Disparu lui aussi. Le marchand de robes s’est transformé en sushi bar.

21 rue de la Boétie, une plaque rappelle qu’une grande galerie d’art y présentait les peintres les plus modernes de l’époque, avant la deuxième guerre mondiale, avant que les Allemands réquisitionnent les oeuvres d’art. Au 23 rue de la Boétie vivait Picasso. Pas de plaque. Un restaurant italien à droite, un chinois à gauche. Emma ne reconnaît plus rien. Et le restaurant qui lui servait de cantine ? Ou est-il ? Disparu ? C’était le seul de la rue, il y a 24 ans. Aujourd’hui, on peut acheter des sandwich, des salades, des plats fermiers en directs, des plats chinois, japonais, vietnamiens, italiens, à droite, à gauche, s’assoir à une terrasse, puis à une autre, rentrer dans le magasin, manger sur le pouce ou assis, d’un côté du trottoir, de l’autre côté.

La pharmacie est restée. Elle est là au coin à l’angle de la rue de la Boétie et de la rue Percier, en face du métro. Son décor intérieur n’a pas changé. Emma pousse la porte. Le carillon est le même, elle s’en souvient. On n’entend plus cette mélodie aujourd’hui. L’escalier intérieur attend les clients.

proposition n° 2

Au 8 de la rue, se trouve un immeuble hausmannien, de cinq étages. Une lourde porte cochère vert foncé freine les envies de découvertes des passants qui n’auraient pas été habilités par le code à composer sur la plaque de cuivre flamboyante de propreté.

La poignée ronde de la porte ne se tourne pas, elle est seulement décorative.

La porte atteint le haut de l’entresol de l’immeuble. On devait y faire entrer des carrioles trainées par des chevaux. Plus de cheval aujourd’hui. La porte garde sa majesté. La façade du rez de chaussée et du 1er étage est striée de longues pierres horizontales et régulières. Elles donnent un aspect de solidité et de tradition à l’ensemble.

A gauche de la porte cochère, un traiteur haut de gamme propose ses plats cuisinés.

Des pâtés et tourtes en croute, des farandoles de légumes, des plats en sauce se disputent les honneurs de la vitrine. La façade colorée de bleu turquoise évoqueraient presque les vacances, comme une trouée d’île exotique dans cette façade historique et typiquement parisienne.

A droite de la porte cochère, se trouve un appartement de rez de chaussée, certainement la loge de la gardienne. les fenêtres sont doublées de panneaux acryliques transparents, qui isolent du bruit et gardent la lumière.

Les étages sont pourvus de balcons devant chaque fenêtre. Seuls les deuxièmes et cinquième étage possèdent des balcons filants tout autour de l’étage. Le balcon du troisième étage au dessus de la porte cochère déborde de géraniums rouges descendants. On ne voit plus la fenêtre. La trouée de verdure colorée dans le monde urbain pollué.

Les pierres de taille blanchies témoignent d’un ravalement récent. Des têtes d’angelot au deuxième étage, directement sculptés dans la pierre, sourient aux passants qui lèveraient la tête. Ils soutiennent les balcons du troisième étage, au dessous du géranium.

Les étages supérieurs sont identiques les uns aux autres. Mêmes balcons, mêmes fenêtres, mêmes voilages. On ne sait rien de ce qui s’y passe. Des familles habitent-elles l’immeuble ? Est-il transformé en diverses sociétés de bourse ou de cabinets d’avocats ? Quelle vie se déroule derrière ces voilages ?

proposition n° 3

C’est une longue avenue, de plus d’un kilomètre. L’une des artères centrales de la ville. Elle porte le nom d’un écrivain disparu depuis longtemps, un moraliste précise la plaque de rue, sans doute du 17ème siècle. La rue est large, plus de 20m séparent les immeubles d’un trottoir à l’autre. Une distance règlementaire et typique de ces rues construites par l’ancien préfet de la Seine, ce baron qui a transformé la capitale mais aussi, on le sait moins des villes de province.

La rue est majestueuse, fière, elle a un premier air de passé flamboyant, de rue chargée d’histoire, de rue dont on se dit qu’elle connaît la vie, et qu’elle l’a vue se dérouler.

Les immeubles sont de 5 étages. Pas plus. De lourdes portes cochères rythment chaque nouvelle entrée. Des balcons aux deuxièmes et 5èmes étages. Des pierres de taille, de couleur beige. Les façades ont été nettoyées et donnent un air propret.

Ces immeubles sont pourvus de rez de chaussée de couleurs inattendues, noir brillant, bleu turquoise, orange incontournable, ou vert campagne. Des commerces alimentaires de restauration rapide, salades, sandwiches, nourriture fermière, exotique, chinoise, japonaise, péruvienne, se sont installés en bas des immeubles e et colorent les façades de modernité agressive. Pas de restaurant élégant, ou de bistrot français typique. Seulement des comptoirs où apparaissent des plats à choisir, déjà emballés dans des des frigidaires, des jus mixés de fruits et de légumes aseptisés. Les serveurs et les préparateurs de commandes sont jeunes, moins de 25 ans, ils mixent des jus, notes vos demandes, rajoutent des sauces et proposent le paiement sans contact.

La rue est animée et particulièrement à l’heure de pause des bureaux, elle grouille de monde, de ceux qui ne savent pas comment cheminer sur les trottoirs, encombrés de scooters garés, de palissades, de tables et de chaises surgies de nulle part. La ville de Paris est en travaux, elle rénove pour se préparer à accueillir les jeux olympiques, alors, elle refait les trottoirs, creuse des trous dans les trottoirs, change les tuyaux de chauffage urbain, de câble numérique, d’électricité.

Les piétons descendent sur la chaussée pour se frayer un passage au milieu des travaux, des barrières et des panneaux infranchissables. Ils manquent à chaque instant de se faire écraser par les bus et les taxis klaxonnants lancés à toute vitesse sur la rue, invincibles et réfractaires à tout arrêt qu’imposeraient les feux tricolores. Les moteurs vrombissent. Ils rassurent par leur présence. On sait qu’une voiture est là. Les scooters et trottinettes électriques, constituent eux un vrai un danger par leur silence, qu’on n’entend pas arriver et qui surgit de nulle part triomphant. Malika avance d’un pas décidé rue de la Boétie. Elle a rendez-vous d’affaires important dans une heure. Un contrat à conclure. Perchée sur ses hauts talons, elle avance avec difficulté et se dirige vers la station Miromesnil. Ecouteurs dans les oreilles, téléphone à écran géant dans le sac et micro à la main, elle dicte à son assistante, les dossiers qu’elle doit lui préparer pour son retour. La conversation terminée, Malika appelle la nounou de son fils et donne ses instructions pour la soirée. Malika traverse. Elle passera prendre un sandwich, au comptoir fermier. Ce sera facile de le grignoter dans le métro. Les voitures attendent que le feu passe au vert. Heureusement Malika avait fini de traverser.
Soudain, comme dans une course automobile, les trois rangées de voiture et de bus démarrent. A celui qui prendra le plus de vitesse. Gaz d’échappement, vrombissement de moteur, clochette de bus, ponctuent constituent le début de cette symphonie. Le brouhaha de la rue se mêle harmonieusement au un halo de poussière et de brume.

proposition n°4

Tous les immeubles de la rue sont identiques. Rien ne les distingue les uns des autres. Tous bâtis sur le même modèle, et sans doute avec le même architecte. Cela donne une vue d’ensemble, une vue d’unité, d’élégance urbaine. Une vie identique à tous les pas de porte, à tous les étages. Mais cela rappelle ce qui se fait aujourd’hui, dans les lotissements de banlieue, où toutes les maisons se ressemblent, partagent un mur mitoyen et confondent les visiteurs.

Dans la rue, ce sont les magasins de restauration rapide, la banque à la façade rouge et grise, la Poste en jaune traditionnel, qui scandent la rue et différencient le lieu.
Plusieurs rues petites et secondaires la croisent. les rues sur la droite sont en sens unique et montent vers la colline du 17ème arrondissement. Curieusement, la foule grouillante ne parvient pas jusque là. Elle reste rue de la Boétie.

Les feux régulent la circulation automobile. On les retrouve à chaque croisement. Au rouge, la chaussée s’immobilise alors, dans une brume âcre et grisâtre de pollution. Les fourmis grouillantes des passants se ruent et traversent pour passer sur l’autre trottoir, de l’autre côté de la chaussée, là où le soleil de midi écrase les pavés. Quand le feu tourne au vert, la circulation automobile reprend ses droits, les voitures, les taxis, les bus vrombissent, démarrent, accélèrent et usent de leur droit de priorité. La course est lancée.

C’est entre 11h30 et 14h30, qu’il serait nécessaire d’organiser la circulation sur les trottoirs. Sandrine tente de se frayer un chemin sur le trottoir. C’est mercredi, elle ne travaille pas aujourd’hui et veut amener son fils dans un coin de verdure parisienne. Direction Parc Monceau. Elle pensait faire simple et a pris une poussette pour éviter à son fils trop de marche. Mais là c’est elle qui souffre. Elle croise sur son chemin, les fumeurs qui s’intoxiquent en bas des immeubles et les femmes pressées de celles, qui courent faire leur courses, entre le Monoprix, et la Poste, de celles qui déjeunent sur le pouce d’un sandwich avalé rapidement.

Ces reines de l’efficacité slaloment, glissent, traversent où c’est possible, et parfois dans les passages piétons le téléphone dans le sac, le haut parleur du casque à la main, et continuent leurs conversations racontant le diner de la veille, le comportement du mari, le problème de mathématique de la fille, et l’abus du supérieur hiérarchique.
Elles ne regardent pas les immeubles, elles ne lèvent pas la tête, ne voient pas le lieu chargé d’histoire. Elle ne connaissent cette rue que pour ses commerces qui lui permettent de gagner du temps sur leur agenda durant l’heure de pause du déjeuner.

proposition n° 5

Il suffit d’appuyer sur le bouton central de la plaque de cuivre du code, pour entendre le déclic de la porte cochère qui s’ouvre. Derrière la porte, un long couloir se dévoile. De la pierre au sol, du marbre sur les murs. On est aveuglé au premier abord, car soudain plongé dans l’obscurité. Puis, la lumière du couloir s’enclenche automatiquement, au mouvement et illumine le décor.

Dans le couloir, de part et d’autre, à droite, comme à gauche, une porte de verre pourvue d’un interphone empêche l’accès aux étages et rappellent la modernité de l’époque. Pas de noms sur les boutons. Juste des numéros. De grandes plaques sont accrochées au mur, et donnent la liste des sociétés installées dans l’immeuble, avec le numéro qui leur est associé.

La température de ce côté de la porte est différente de celle de l’autre côté : l’atmosphère est fraîche. Les pierres gardent la température constante. Plus d’odeur de gaz d’échappement, plus de bruit de bus lancés à toute vitesse. Le mouvement de la ville est laissé dans la rue. La vie moderne s’est arrêtée derrière la porte cochère. Ici, dans ce rez de chaussée, on est retourné en arrière. Une autre époque. A la fin du siècle dernier.

La cour est aménagée de sorte, que des petites établis apparaissent au fond. Des écuries d’autrefois. Il n’y a plus d’animaux aujourd’hui, les plantes les ont remplacées. Des géraniums de toutes les couleurs, des blancs, des roses, des rouges, des grimpants, des descendants. Ils sont arrangés par couleur, comme si un peintre impressionniste avait déposé avec son pinceau des buissons de touches de peinture. Des arbustes de rhododendrons complètent la nature inattendue de la cour. Du lierre grimpe au deuxième étage et recouvre la façade intérieure de la cour. La terre est encore humide et exhale l’odeur lointaines des champs, après une nuit de pluie. La gardienne surveille le comportement des intrus derrière son rideau. Elle ne bouge pas, ne demande rien et attend.

proposition n° 7

Au carrefour des rue Cambacérès et de la Boétie, alors qu’elle attendait au feu, immobile, engourdie au milieu de ses pensées, elle vit cette femme singulière. Elle portait une étole de tulle blanc qui flottait au vent, me rappelant les navigateurs à l’assaut de l’inconnu : grande, brune aux cheveux courts, la quarantaine, un grand manteau léger. Elle portait son sac à main en bandoulière ce qui laissait ses mains libres. Elles les tenaient devant elle, comme si elle implorait des créatures invisibles. Emma la voyait s’arrêter devant les immeubles et scruter les balcons, comme un marin l’horizon. Elle cherchait une adresse, un numéro de la rue ?

Au feu, alors qu’elle se décidait à traverser, elle vit la femme singulière changer d’immeuble et de balcon à scruter. Ses mains s’agitaient comme dans un ballet lent et gracieux. Des bracelets blanc entouraient ses poignets et s’élevaient dans les airs comme autant de tourbillons de fleurs de jasmin que prolongeait son écharpe de tulle blanc.

Que cherchait-elle ? Au 14, au premier étage, une forêt de géraniums rouges, avec de grandes feuilles vertes masquaient les fenêtres. Emma était déjà passée devant, quelquefois, sans rien remarquer de particulier. Elle suivit le regard de la femme et découvrit, au dernier étage de l’immeuble, certainement sur une terrasse en surplomb, un cèdre gigantesque, une forêt en haut d’un immeuble Hausmanien, sur une terrasse invisible.

Les yeux de la femme continuaient de passer d’un balcon et d’un immeuble à un autre. Emma la suivit pour comprendre, la femme remonta vers le boulevard Hausmann, tourna à droite, puis à gauche, toujours avec la même attention sur les balcons. Puis, elle quitta son navire de conquête pour observer une entrée d’école. Elle montait sur la pointe des pieds, trépignait comme une enfant qui veut absolument savoir qui est dans la cour, qui on peut voir jouer. Elle oscillait entre la surprise et l’étonnement. Sa joie enfantine était émouvante et inattendue. Qu’avait-elle découvert ? Qu’avait-elle retrouvé ?

proposition n° 8

La pluie a commencé à tomber, sage et heureuse. Quelques gouttes éparses. Rien d’alarmant. Rien ne change.

La pluie s’intensifie et se charge de missions urbaines : humidifier les trottoir, laver la chaussée, chasser l’odeur d’urine humaine et animale des coins de rue, effacer les poussières des trottoirs, remplir les caniveaux, charrier les papiers, nettoyer la ville.

La pluie s’est mise à ruisseler. A tomber dru. Un rideau de fer. La rue change d’atmosphère. Les gouttes tombées du ciel martèlent les toits d’ardoises des immeubles de la rue. Le vacarme des lourdes gouttes scandent un rythme de tambour, comme un témoignage du passé colonial.

Ce n’est pas une bruine qui tombe, ni une pluie plaintive, mais une pluie d’attaque. De celles des fins d’été. De celles des pays tropicaux. De celles qui changent l’odeur des paysages. De celles qui permettent à la nature citadine de reprendre ses droits.

Les passants surpris courent se réfugier sous les enseignes des magasins et à l’entrée du métro. Ils regardent le ciel d’un air plaintif en attendant la fin de la colère. Des parapluies colorés apparaissent sur les trottoirs. C’est l’anarchie de couleurs, de formes et de tailles. Aucun n’est droit, ils se chevauchent les uns derrière les autres, et se cognent quand ils se croisent ou se doublent.

Le chant des klaxons se fait plus vigoureux et se complète avec celui des pneus qui crissent dans les flaques. Malheur au passant sur le bord du trottoir. Il finit invariablement éclaboussé du passage du bolide qui croit utile de se presser.

Emma regarde la rue, postée rue Cambacérès devant le feu, juste avant de traverser. Le feu est passé au rouge. Elle regarde la chaussée se parer de brillance et de lumière de pluie. Elle traverse le fleuve et marche sur l’eau.

proposition n° 9

Le feu devient vert pour les piétons. Emma pose le pied droit sur le passage piétons. Un long crissement de pneus suivi d’un choc assourdissant de tôle froissé arrête son pas. La vie semble s’être suspendue. Le silence. Puis un klaxon qui hurle. Les passants se sont arrêtés, les têtes se sont tournées vers le bruit, les cous se tendent, les regards convergent, des murmures bruissent, et se demandent si quelqu’un est blessé. Même Marion a enlevé ses écouteurs après avoir dit à son interlocuteur,

— Il s’est passé un truc grave, je te rappelle.

Emma s’entend respirer.

Le conducteur de bus baisse la vitre et demande « tout va bien là dedans ? ».
Le taxi noir embouti descend de sa voiture, claque la portière, regarde l’étendu des dégâts et hurle

— Merde, comment je vais travailler ? Non, mais faites-vous soigner, le feu est rouge, on s’arrête. Tu l’as eu où ton permis ? et ponctue son cri d’un coup de pied dans le pneu de la voiture fautive et incontrôlable.

Une portière claque à nouveau et une voix aiguë répond

— Ferme la ta gueule gros con ! T’avais qu’à avancer avec ta voiture de merde brillante !

Les passants restent bouche bée. Un klaxon lointain se fait entendre. Le bus avance vers le feu, prêt à démarrer quand ce sera vert, pour ne pas être là quand la bagarre éclatera et que les conducteurs en seront venus aux mains.

Le serveur du bar à l’angle de la rue sort et clame avec autorité :

— Vous allez vous calmer tous les deux, j’ai appelé les flics, ils vont vous régler votre sort. Alors fermez-là et signez votre constat.

Les conducteurs lui répondent que l’autre a commencé en premier et qu’ils ne font que se défendre. Les passants ont repris leur course sur le trottoir encombré. Le bus s’est éloigné. Les voitures passent en file indienne dans le couloir étroit qui leur est laissé, doucement, les moteurs ronronnent sans puissance. Le brouhaha reprend ses droits.

proposition n°10

En 1994, elle ne voyait rien de la rue impressionnante, rien de la rue chargée d’histoire. Elle ne regardait pas les immeubles, elle ne s’extasiait pas devant l’architecture du 19ème siècle. Elle n’imaginait les familles qui avait habité ces lieux de hauts plafonds et de parquet de Hongrie. Elle n’était pas intéressée par l’architecture, elle ne voyait pas en quoi les immeubles de la rue étaient majestueux. Elle ne voyait que du gris. Du gris sur les façades des immeubles, du gris des pots d’échappement, de la tristesse de la rue passante. Elle sentait les fumées, elle voyait le brouillard. A chaque inhalation d’air dans la rue, elle ressentait ses poumons se tapisser de noir et de gris,, comme les immeubles ternes, moches, et décrépis.

Elle prenait le bus 80 et s’arrêtait un peu plus haut. Elle n’était pas contente de marcher sur ses trottoirs, de passer à côtés des voitures lancées à toute vitesse. Elle aimait juste, pouvoir toucher le bouton de la porte, faire semblant de le tourner alors qu’il ne bougeait pas. Sentir le contact froid du cuivre sur sa main chaude. Avoir du mal à l’attraper à pleine mains. Pousser la lourde porte, entrer dans la cour, c’était quitter la rue, être protégé des clameurs. Accéder à une autre vie. Entraîner avec soi des odeurs de croissants chauds et de beurre fondus ? Pas les odeurs artificielles qu’elle sentait au métro Invalides, dans lequel un point de vente de viennoiseries parfumait les couloirs de cette odeur censée donner envie aux passants d’acheter.

Les croissants de la boulangerie du 8 rue de la Boétie, avaient une odeur plus subtile, une odeur de partage, de cafés chauds pris avec les collègues le matin, pour se souhaiter la bienvenue.

proposition n° 11

En 1994, les commerces étaient gris, comme le reste des immeubles de la rue. Un marchand de couteaux, un marchand de chaussures orthopédiques, des drogueries de produits insipides et incolores et très utiles pour les ménagères soucieuses de la propreté de leur appartement. Les façades des immeubles Hausmanniens commençaient à se délabrer. Grises, noires et neutres. Des bouts de mur qui se détachaient des façades. Rien qui puisse rappeler le faste du Second Empire. Rien en vitrine qui donne envie d’entrer ou de s’attarder dans les magasins. Et de fait, ces commerces étaient vides, inhabités, non visités.

Il ya 24 ans, en plus du bar-tabac, à l’angle de la rue Cambacérès, la rue comprenait deux restaurants, qui amenaient un peu de couleur et de vie. Un bistrot parisien habillé de rouge, de ces bistrots typiques qu’on trouvait dans tous les quartiers, avec du monde aux tables, du bruit, de la vaisselle et des verres qui s’entrechoquent, un service rapide, un nuage de fumée pour l’ambiance, dans lequel apparaissaient les hommes d’affaires cravatés. Des repas d’affaires, des négociations de haut vol, au milieu des volutes de cigares et entre deux bouchées de boeuf bourguignon et de veau marengo.
La consommation de cigarettes était bannie « Aux repas d’Annie ». Pas d’hommes d’affaires pressés, pas de contrat signés, une nourriture maison, dans des barquettes d’aluminium, de la simplicité et du silence. Annie chuchotait, en présentant ses lasagnes aux épinards, ses hachis-parmentier de canard, ses tartes aux fruits de saison. Pour commander, il fallait gravir quelques marches et monter dans la mezzanine. La moquette couleur vert bouteille couvrait le sol et les murs, créant une unité, un repère, une caverne, une entrée dans une forêt imaginaire protectrice contre le reste de la vie citadine, derrière la porte.

Des jeunes cadres, des employés se côtoyaient, mangeant discrètement et en silence leur repas. Pas de repas partagé. Mais des repas juxtaposés. Quelques tables à deux meublaient la pièce. Aucune table à 4. En revanche, un comptoir faisait le tour du restaurant. Les tabourets face au mur étaient pris d’assaut. Il en restait quelques uns qui faisaient face à la rue. « Aux repas d’Annie », on y croisait des habitués. Des hochements de tête pour se saluer et montrer qu’on se reconnaissait.

proposition n° 12

Emma habitait dans le quartier de la Motte-Piquet, alors pour se rendre rue de la Boétie, soit elle prenait le bus 80, risquait les embouteillages, le mal au coeur, et les conduites hiératiques des chauffeurs de bus, soit elle prenait le métro, ligne 8 et descendait à Concorde.

Pour commencer son voyage, elle savait qu’une partie de bataille s’ouvrait devant elle. A l’ouverture des portes, les passagers se pressaient, jouait des coudes, de peur de rester sur le quai. Dans le compartiment, il y avait les lecteurs, ceux qui mettent leur livre à l’horizontal, afin de créer un espace minimal devant eux, pour réguler la distance avec les passagers trop collants. Il y avait ceux qui écoutaient leur walkman et se créaient une bulle de protection de musique pour ne pas sentir la proximité coincés qu’ils étaient dans leur boîte à sardines. Les autres passagers étaient soit accaparés par leurs réflexions, soit par le vide de leurs pensées. L’apnée et le défilé des stations permettait alors de survivre.

L’odeur de beurre artificiel indiquait aux voyageurs le passage à la station Invalides. Pas besoin de lever le nez de son livre, pas besoin du coup d’oeil inquisiteur sur le quai, pour savoir où s’est arrêté le métro, il n’y avait qu’à être attentif aux odeurs et à suivre ses intuitions olfactives. Chacun pouvait alors se préparer à la descente à la station Concorde.

Les portes s’ouvraient. Du compartiment se faufiler entre les immobiles, rêveurs, mélomanes et malpolis en tous genres. Sortir triomphant en inspirant la poussière de la victoire et poser le pied sur le quai. Se mettre rapidement dans la queue pour avancer parmi les autres, sans déborder de la ligne ou sans se faire pousser. Gravir les escaliers, le nez plongé dans les chaussures pour éviter d’être à hauteur des odeurs des postérieurs plus ou moins propres des passagers, tourner à gauche, avancer, tourner encore à gauche, passer les portillons. Puis à nouveau à gauche, sortir place de la Concorde. Respirer avant les escaliers, regarder ses pieds. Avancer, voir le personnel d’accueil de l’hôtel Crillon, baisser les yeux devant les policiers en faction devant l’ambassade des Etats Unis, leur obéir et rester sur le trottoir. Longer l’hôtel, passer devant l’entrée du personnel, croiser les employés et manoeuvres, tous habillés de noir, impeccables d’élégance bon marché, dépasser la guérite du policier d’élite, oser poser un pas sur la chaussée et continuer à avancer, toujours les uns après les autres, en file indienne, comme des ouvriers allant à l’usine, tête baissée, sans regard oblique, ayant oublié la convivialité.

proposition n° 13

Elle avait l’habitude de prendre la ligne 8 et de descendre à la station Concorde. Elle aurait pu changer à Invalides, prendre la 13 et descendre à Miromesnil pour avancer rue de la Boétie et regarder autour d’elle, essayer de retrouver le numéro de l’immeuble dans lequel elle avait passé près de deux ans. Elle avait pris un nouveau poste au mois de novembre. En mars de l’année suivante, elle se demandait toujours le matin, si elle allait changer de ligne ou si elle allait se laisser guider par le flot des passagers. Elle n’avait toujours pas foulé de ses pieds la rue de la Boétie, ou si vite, pour entrer dans un restaurant et en sortir le plus rapidement possible, comme si cela lui était interdit, comme si c’était trop tôt, comme s’il fallait du temps pour regarder le temps qui passe, pour s’observer avancer dans sa propre histoire, se voir accepter son vieillissement.
Plus elle y pensait, plus toute cette histoire de rue et d’adresse du 8 rue de la Boétie, lui donnait un sentiment de fatigue d’esprit. Etait-ce vraiment au 8 de la rue qu’elle devait s’intéresser. Pourquoi dès qu’elle évoquait cette partie de sa vie, cette portion de la rue, pourquoi le tableau qu’elle en avait été flou. Tout d’un coup, la photo des événements ressemblait à un vieux cliché en noir et blanc pris par une main tremblante et inexpérimentée. Son cerveau devenait engourdi et bégayait les mêmes questions sur ce qu’elle avait fait de sa vie, et en quoi ses rêves de jeunesse s’étaient réalisés. En même temps, elle savait que ce n’était pas les bonnes questions. Etait-ce au 8 ? au 6 ? au 10 ? Une certitude, cela c’était passé dans cette partie de la rue, celle qui donne vers l’église St Augustin. Elle ne voyait pas l’image d’elle-même marchant rue de la Boétie pour retrouver son bureau d’autrefois, ce par quoi tout avait commencé. En revanche, elle se voyait au carrefour, celui du bar-tabac, elle se le rappelait. Elle n’aimait pas l’ambiance qui se dégageait de ces impressions, mais elle avait du mal à s’en détacher, à s’en affranchir, et les dépasser. Alors, elle restait là, à s’observer immobile, et paralysée, debout hésitante devant le passage piéton, regardant droit devant elle, la porte d’entrée d’un immeuble devant le passage piéton. Elle savait qu’en retrouvant le lieu dans lequel elle avait commencé à travailler pour la première fois, elle verrait des fantômes de son passer, assisterait à une projection de film, un défilé d’images une vision d’elle-même dans la jeunesse de l’espoir, dans l’envie de mordre à pleines dents, dans le futur à construire, des acteurs interprétant un rôle ou des images d’elle mêmes. Ses questions tourbillonnaient dans un cerveau en ébullition tandis que sa nuque de plus en plus douloureuse ouvrait la voix aux épaules et aux dos qui se raidissaient.

Son nouveau poste se trouvait rue Cambacérès, un nom de famille de magistrats et de politiciens célèbres sous Napoléon et le second Empire. Il y a 24 ans, elle n’en savait rien, elle ne s’était même pas posé la question de savoir comment on donnait des noms de rues et qui étaient tous ces gens. 24 ans plus tard, elle traversait la rue Cambacérès, en sachant qui était Jean-Jacques et elle suivait les trottoirs pavés de vieilles pierres inchangées depuis 300 ans et restait au carrefour, entre la rue de la Boétie et la rue Cambacérès, devant le tabac, au feu, entre les palissades de travaux grises et vertes et le trottoir. A gauche, elle savait qu’il y avait le restaurant, la pharmacie, la station de métro Miromesnil et la Poste. A droite, il y avait le Monoprix et surtout l’immeuble dans lequel la jeune elle-même était coincée depuis des années à refaire les mêmes gestes, à répondre au téléphone et à marcher sur les moquettes grisées des parquets gémissants.

proposition n° 14

Elle a déjà tenté de sourire aux policiers devant l’ambassade américaine, un sourire, un petit geste de la main. Pas de réponses. Jamais de réponses. En revanche, si elle ose poser le bout du pied sur la chaussée, un hurlement lui rappelle la consigne, de rester sur le trottoir.

Elle ne sait pas si ce sont les mêmes policiers qu’elle croise tous les jours à la même heure. Il se ressemblent tous, sous leur gilet pare-balle noir, leurs gestes sont raides comme le nom de cette police d’élite, engoncée sous le poids de 15 kilos de vêtements. Ils portent un casque qui ne couvre que le haut du crâne, pas de visière, mais un air de militaire. Leur armement mitraillette et pistolets, sont fait de noir. Tout a l’air lourd. Tout est noir. L’été certains portent des lunettes de soleil. L’hiver, ils se laissent faire sous la pluie dévorante.

Les portiers de l’hôtel Crillon portent un canotier, qui les protègent de la pluie comme du soleil. Il sont équipés d’un fil en tire-bouchon qui sort de leur oreille et qui se coince derrière le lobe. Le micro est fixé à la droite du gilet. Comme des présentateurs et animateurs sur les émissions de télévision. Comme des agents secrets en surveillance. Comme des indicateurs au courant de tout ce qui se passe place de la Concorde et qui rendent compte. Ce portier-ci est d’origine asiatique, l’autre à sa droite d’origine africaine, le troisième arabe. Pas de barbe. Pas de cheveux longs. Une rigueur, une propreté, une excellence de surveillance. Alors qu’à côté d’eux, déambulent les policiers, dont certains portent des barbes comme les hipsters les plus à la mode et d’autres ont même des cheveux longs effilochés, comme le chanteur Renaud dans les années 80.
L’image de la gardienne rue du Faubourg St Honoré correspond à l’image traditionnelle que l’on s’en fait : cheveux gris coupés courts, taille moyenne, des lunettes, un âge dont on ne sait donner un chiffre. Elle a revêtu son uniforme de travail, un tablier-robe de femme de ménage ou de gardienne, bleu à petites fleurs roses, de ceux qu’on retrouve dans les hypermarchés, au rayon casseroles, entretien de la maison. Très certainement, elle l’enfile par la tête. Elle néglige de nouer les rubans qui lieraient le pans du tablier entre eux, et coup ils pendent le ont de ses jambes. C’est sa seule touche d’originalité, sa seule manifestation de différence. Elle est plus discrète que ses « collègues » des rues précédentes, pourtant elle fait le même travail qu’eux. Elle regarde qui passe et qui fait quoi, de ses yeux bleus océans, et la différence avec eux, c’est qu’elle reconnaît les travailleurs du matin, ceux qui avancent tous les jours, pendant qu’elle balaie, nettoie son trottoir et arrose les plantes.

proposition n° 15

Tu sors de chez toi à 8h20 chaque jour, tu restes sur le pas de la porte, tu regardes le ciel, tu respires l’air du matin, un coup d’oeil à droite, puis un autre à gauche, tu descends la marche pour te retrouver sur le trottoir, tu prends à droite, puis encore à droite, et c’est le moment où je bondis de ma cachette derrière le muret, pour te suivre dans tes pérégrinations matinales, ton cheminement jusqu’à la station de métro, les escaliers, l’attente sur le quai, le compartiment dans lequel tu te faufiles et où je t’accompagne, je te vois hésiter à la station Invalides, une fois tu es descendue du métro à cette station, j’ai pensé que tu allais te laisser tenter par une viennoiserie au beurre, mais non, tu as fait quelques pas sur le quai et tu as attendu la rame suivante, tu ne m’as pas démasqué pour autant, tu ne me vois pas, tu ne sais même pas que j’existe et que je te suis depuis quelques temps, depuis que j’ai été licencié et que je n’ai pas voulu dire la vérité à ma femme, depuis que je me lève tous les matins sans raison professionnelle, mais non tu n’as pas cherché à me semer, tu n’as même pas regardé dans ma direction, tu es montée dans le métro suivant et tu es descendue à Concorde, alors que pendant des mois, tu descendais à Madeleine, puis tu prenais la ligne 14, mais après plusieurs jours de filature, j’ai compris que tu avais changé de poste, et que dorénavant tu descendais à Concorde pour aller rue Cambacérès, j’aime bien cette rue, et le bar-tabac est devenu mon quartier général d’attente, c’est comme ça que je te vois régulièrement immobile, figée devant le passage piéton, au feu, et que je me demande ce que tu fais, pourquoi tu ne tournes la tête ni à droite, ni à gauche, et pourquoi tu restes là, les bras ballants devant la rue, à regarder les bus filer à toute allure, à écouter les klaxons des conducteurs hargneux, et à gêner les passants pressés à l’heure du déjeuner.

proposition n° 16

C’est un quartier d’hommes d’affaires : il faut les voir avec leurs costumes gris, leur cravate, pas du bon marché, mais des vêtements chers et hauts de gamme. Il y a des jeunes et des moins jeunes. De toutes les façons, à mon âge, on est consultant, auto-entrepreneur, on se cache chez soi, mais on n’est pas dehors à fumer des clopes ou à courir, on s’accroche à son travail, on sourit à tout le monde et les survivants jouent dans la cour des hypocrites.

Alors, cette femme, qui habite à côté de chez moi et que je suis tous les matins, je ne comprends pas bien quel est son travail et pourquoi elle vient là plusieurs fois par semaine à l’heure du déjeuner, à rester comme ça debout devant le passage piéton. Aucun intérêt de rester coincée dans le bruit, la circulation, à regarder les façades des immeubles. La rue a été ravalée, ça se voit, les pierres sont d’une jolie couleur beige, mais enfin, ce quartier d’affaires, est vide de toute vie. Pas de fleurs au balcons, pas d’arbres, des fenêtres sales, des voilages partout. On ne voit rien. Un arrondissement, sans commerces, avec de moins en sans d’habitants, c’est même l’un des arrondissements les moins peuplés de Paris et les plus désertés, à 13.000 euros le m2. Pas accessible. A moins d’ouvrir un cabinet d’avocats.

Quant à la voisine, celle que je suis presque tous les matins, sans qu’elle se rende compte de quoi que ce soit, elle ne ressemble pas à une avocate d’affaires. Elle a l’air perdue dans ses pensée. De mon bar-tabac, je la vois 3 fois par semaine regarder immobile, en face d’elle, de l’autre côté de la rue.
Je croyais que suivre les femmes au hasard, relevait d’une tendance un peu psychopathe, mais moi c’est rien à côté d’elle, quand elle est devant le passage pour piétons, la plus dérangée de nous deux, c’est elle, raide, paralysée sur le trottoir, à rester là comme ça pendant plusieurs minutes, sans bouger. Elle ne rentre jamais dans le bar-tabac. Elle reste devant la vitrine, on la voit de dos, avec son sac qu’elle garde sous le bras bien serré contre elle. Ses cheveux attachés en queue de cheval, ses lunettes recouvrant ses yeux. Avec les habitués, on rigole, on dit « tient il est 12h30, la femme bizarre est là ». Paulo a déjà essayé de lui parler, elle avait les yeux fixes et dilatés, comme une somnambule, elle l’a regardé de haut en bas, elle ne lui a pas répondu, elle a tourné la tête dans l’autre sens, mais elle est restée là avec le bar-tabac dans le dos, à l’angle des rues de la Boétie et Cambacérès. Elle scrute devant elle. On dirait qu’elle attend que quelqu’un arrive.

proposition n° 17

C’était il y a 24 ans, pour la première fois Emma avait dirigé ses pas rue de la Boétie. Elle disait n’y être jamais revenue, en 24 ans, c’était un peu se mentir à elle-même. Bien sûr qu’elle était déjà revenue, en taxi, en voiture, à vélo, pour traverser Paris, pour éviter la place de la Madeleine, pour aller salle Gaveau par exemple. Elle avait eu un abonnement pendant 5 ans, et assistait à des concerts 4 fois par mois. Donc évidemment, qu’elle était revenue rue de la Boétie. Elle était déjà passée de très nombreuses fois devant les numéros de la rue, sans rien reconnaître, sans même se dire, « tiens j’ai travaillé à cet endroit autrefois », c’était différent les précédentes fois, ses pensées étaient neutres, sans interrogations sur son passé, elle ne s’en souvenait pas.

Le grand-père de sa meilleure amie, Pascale, venait de mourir et pour soutenir la famille elle était allée à l’enterrement. Elle avait pris le métro et était descendue à la station St Augustin. Elle était passée devant le Monoprix de la rue de la Boétie, elle avait souri à l’évocation silencieuse des souvenirs et du temps passé dans le seul lieu de commerce en 1994. Evidemment, la tristesse de la cérémonie, n’était pas propice à une visite touristique de la rue de la Boétie, elle avait vite rejoint le parvis de l’église, pour assister au tableau de la douleur, les sanglots secouaient les dames à voilette, la famille avait l’air pâle et décomposé de ceux qui souffrent. Elle avait suivi le cortège et était s’était recueillie au cimetière des Batignolles en pestant contre la farce des cérémonies religieuses, qui l’empêchait de faire du tourisme souvenir dans son ancien quartier.

Il y a 24 ans, Emma se tenait devant le bar-tabac rue de la Boétie. Elle venait de s’acheter un paquet de cigarettes, elle attendait que le feu passe au vert pour les piétons, et une homme s’était penché vers elle, pour lui demander du feu. Il avait une haleine d’habitué à l’alcool fort, sa gauloise tenait entre ses doigts jaunis, et il ne la regardait pas vraiment, comme s’il avait besoin de lire sur ses lèvres, plutôt que de regarder ses yeux. Sans âge, sans pour autant avoir dépassé la limite de l’âge de la cirrhose, il attendait à ses côtés qu’elle lui présente un briquet salvateur, un feu qui lui permettrait d’engager une conversation mine de rien, le feu qui devait encore brûler dans son coeur, et le feu de ses poumons, qui le consumerait peu à peu, et il lui parla du temps, en lui demandant si elle travaillait dans la rue, et si il pouvait l’inviter à boire un verre.

proposition n° 18

Son cerveau s’engourdissait et bégayait les mêmes questions sur ce qu’elle avait fait de sa vie, et en quoi ses rêves de jeunesse s’étaient réalisés…. remonter le passé… regardait derrière soi… voir défiler les mais, les anciens collègues, les anciens clients … se rappeler des moments marquants… revivre des passages…. des scènes… pourquoi les avoir oubliés ?… pourquoi les avoir enfouis… pourquoi revivre ces instants ? … s’engourdir à revivre les scènes de sa vie… pourquoi celles-là et pas d’autres ?…pourquoi à ce moment là précis, en novembre n’était-elle pas prête, à affronter le film, le théâtre des événements…. faire apparaître tel un magicien des personnages oubliés… des personnes marquantes…et pourquoi avait-elle choisi le bureau près de la fenêtre, pourquoi Valérie engloutissait-elle tous les jours un paquet de biscuits, barquettes à l’abricot… cela avait-il un sens de humer l’odeur du croissant chaud de la boulangerie proustienne en bas de l’immeuble, il y a 24 ans… de se rappeler l’odeur de celui du métro Invalides…de les comparer… pourquoi 24 ans plus tard tout cela devait-il prendre un sens… et le travail qu’elle faisait alors, était-il satisfaisant ?… en gardait-elle un bon souvenir… ou un mauvais souvenir… oui ou non…pourquoi faire apparaître les acteurs du film passé…. était-il un nanar des années 90… oui ou non…. ou son premier pas professionnel dans « un monde sans pitié », était-elle le double d’Hippolyte…aurait-elle voulu faire comme lui…partir à l’autre bout du monde…seule ou en couple…. quels étaient ses rêves…plus jeune… un monde d’argent… un monde de réussite… de montres de grands prix… de voitures de luxe et de diamant de femmes mariée… à quoi tenait la réussite de sa vie…. aux signes extérieurs de richesse… oui ou non…. aux signes intérieurs de richesse.. ça veut dire quoi… la richesse intérieure… c’est pour ceux qui n’ont pas de métier satisfaisant… et un métier où l’on est reconnu comme expert, et que le supérieur hiérarchique vient tout détruire au dernier moment, alors qu’on y a travaillé 6 mois… est-ce cela réussir sa vie… oui ou non…. qu’est ce qu’elle croyait, la jeune là, à répondre au téléphone à ses clients…à les écouter se plaindre…. que vendre était simple…il suffisait de former des vendeurs, leur rendre visite… les motiver… écouter… appliquer une nouvelle stratégie marketing…leur donner des outils de publicité sur le lieu de vente… on jouait à la marchande…était cela réussir sa vie…. avait-elle fait les bons choix… comment aurait-elle pu faire autrement… que savait-elle alors ?…. aurait-elle du dire non… non je ne veux pas venir dans cette société ?…. oui, je veux rester dans cette société… quel choix aurait-elle pu faire… alors… oui ou non…. les ruminations bègues de son cerveau engourdissaient ses membres tandis qu’elle restait plantée devant le passage pour piétons, tournant le dos au bar-tabac de la rue.

proposition n° 19

C’était en 2005, soit 10 ans plus tard, 10 années après lesquelles tout cela s’était passé, après ces événements. Emma se promenait et profitait de cette journée de repos pour déambuler le nez en l’air à hurler l’air du printemps. Le champ de mars exhalait des odeurs d’herbe coupée, de terre mouillée, tandis que les magnolias roses étendaient leurs branches et se recouvraient de fleurs délicates. Avec la Tour Eiffel dans le dos, le manège en bois à gauche, le pont à traverser, le Palais de Chaillot qui la regardait droit devant elle, Emma se préparait à traverser le rue.

Une sensation de vertiges l’envahit, une nausée prit possession de son corps sans qu’elle sache pourquoi. Ni grossesse suspecte, ni grippe maligne. Une sensation d’étouffement, une sueur chaude, pas pour quelque-chose de précis, pas pour un souvenir exactement, mais plutôt pour l’émotion d’un souvenir.
Elle restait sur place, au moment où le vertige l’avait saisie, pour passer de la Tour Eiffel aux quais. Tout son corps était immobile, des orteils à la racine des cheveux. Son teint avait viré au jaune olive, comme la couleur d’une vieille statue de cire du musée Grévin, une de celles qui ne sont pas entretenues, et dont les yeux fixes, les pupilles dilatées font frissonner le simple visiteur.
Devant elle, les voitures défilaient comme lors d’une compétition automobile, klaxons agressifs, freinages et accélérations, dans un bruit de crissement de pneus, de brouillard des gaz issus des pots d’échappement. Le sol grondait, remplis des vibrations de la circulation.

Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, son cerveau lui demandait d’avancer, son corps ne répondait pas, elle avait conscience d’être paralysée sans savoir pourquoi, sans savoir ce qui l’avait plongé dans cet état, et comment en sortir. Etait-ce ce couple qui se tenait par la main ? Etait-ce cette famille étrangère en visite ? Etait-ce ces chiens qui courraient ? Etait-ce le flot de voiture ? Qu’avaient-ils dit ? La même chose ? des mots différents ? qu’avait-elle entendu ? qu’avait-elle vu pour la plonger dans cet état de catalepsie ?
Les passants la regardaient et ne voyaient qu’une personne sans âge, vêtue simplement, d’un jeans et d’un tee-shirt blanc, avec un blouson noir, une personne d’allure plutôt jeune, sans l’être pour autant.

Elle restait figée sur place, le regard fixé sur une automobile, de l’autre côté de la rue, comme si la voiture noire scintillante arrêtée en plein milieu de la chaussée était une énigme, qu’il lui fallait affronter ce jour là et dont elle n’était pas capable.

Quelqu’un lui adressa gentiment la parole, il avait un costume de policier et devait donc en être un, il réussit à la tirer de sa rêverie. Il lui prit le bras et la fit se déplacer avec lenteur mais sans hésitation, comme une somnambule, au milieu du tohu bohu. Elle regagna la trottoir, de l’autre côté, sur le quai.

proposition n° 20

A minuit, la rue est plus calme qu’en journée, la plupart des bureaux sont fermés, et taxis et noctambules ont bien d’autres chemins, plus animés et plus rapides à utiliser. Ça circule peu mais vite. La nuit, on traverse la rue de la Boétie, on ne s’y arrête pas. Le quartier, la rue sont déserts, les magasins sont fermés, on entend au loin la circulation, ailleurs, dans d’autres quartiers. Il ne s’y passe rien de visible au regard. En revanche, si on tend l’oreille, on entend les esprits chuchoter et rejouer par les ombres les scènes hantées de la vie passée.

On entend les jardiniers bêcher la terre, arroser, couper et préparer les arbres et les fleurs pour le roi, dans ce qui était autrefois la rue de la pépinière tandis que les talons des bottes martèlent le pavé, les voitures fantômes de la police de sécurité sillonnent la rue des Saussaies, signal d’une prochaine descente. Les habitants se terrent derrière les volets des appartements, soit pour se cacher, soit pour voir le résultat de leurs oeuvres, tandis que la milice hurle des mots dorénavant connus pour emmener des familles entières, saisir les meubles, leurs possessions et faire tout disparaître dans des trains, soit en direction des camps dans le premier cas, soit en direction des banques et de coffres pour réchauffer des richesses déjà entreposées.

Puis c’est le choc violent et sourd accompagné d’un hurlement à l’angle des deux rues. Les ombres du monde parallèle se figent. On crie, « ne le touchez pas », on lui parle, « Monsieur, vous m’entendez, les secours vont arriver très vite ». On entend le bruit des fenêtres qui s’ouvrent, des murmures. L’homme respire encore, son casque de moto a roulé dans le caniveau un peu plus loin, il ne dit rien, la chaussée se couvre d’une flaque rouge foncée visqueuse, la femme lui prend la main et lui demande de patienter. Elle lui sourit, comme on sourit à un enfant qui s’est fait mal et qu’on veut consoler avant le baiser salvateur, celui qui guérit tous les maux du corps. Le conducteur de la voiture jure en sanglotant qu’il ne l’avait pas vu, que jamais il n’aurait imaginé, que le scooter a surgi de nulle part. C’est d’ailleurs bien ce qu’il se reprochera tout le restant de sa vie.

Les fantômes se rapprochent, la foule est compacte. Ils se regardent, se penchent, gémissent, chuchotent, prient. Ils sont rejoints par d’autres esprits d’époques différentes. Chacun a son mot à dire. Les murmurent se mélangent et ne forment plus qu’une seule lamentation qui s’étire pour ne finir qu’à l’aube.

Une légère brise se lève, elle tourne dans la rue et rejoint doucement le n°8, elle se glisse, sous la porte cochère, monte les escaliers, et pénètre dans l’appartement fermé du 2ème étage. Elle continue sa course légère, glisse comme sur une piste skiable, de temps en temps, une lame de parquet laisse échapper un craquement, une plainte.

proposition n° 21

murs blanc, plafond blanc. repeint récemment, pas de taches, pas de fissures, beau mat et net. C’est un lieu d’écriture de vacances. Au loin, on aperçoit la mer, pas le même bleu que le ciel. Du bleu, du bleu canard, partout, en touches, velours pour des coussins, métal pour les tables, tissu pour les chaises. Du bleu fondu de noir, bleu avec des tâches blanches décolorées, des rayures superficielles. Une rayure creusée, métal noir, bord blanc, et bleu canard autour. Blanc pour des étagères de bois : des tâches de couleurs, rouges, jaunes, bleu, vert, blanc. des livres pour enfants lus et relus, couvertures déchirés, couverture scotchées. des livres sagement alignés pour adultes. Une roue à plat, une deuxième roue à plat elle aussi, le gonfleur. posé contre le mur, noir en métal de la rouille, de la peinture écaillée, noir et blanc, panier en métal, la selle déchirée, de la mousse beige sort du trou de cuir, un panier vide en attente. du bleu canard posé sur du gris, du velours posé sur du coton, un coussin sur le canapé. Une jambe qui dépasse, un ordinateur posé sur les cuisses, assise en tailleur, des mots, des phrases, des lignes effacées. Des boutons de fleurs, de toute tailles, le plus gros va s’ouvrir, pétales blanches et roses, des racines à profusion toutes sorties et pointant vers le jour, vers l’avenir prête à saisir leur chance d’humidité, des tiges chargées de boutons en devenir, sur le moment d’éclore. Encore du vert, sous forme de feuille pointues dirigées vers le ciel. De vieilles feuilles avec un bout jaune, et marron, de nouvelles pousses vert pâle, presque translucide, droites vers le ciel. de grandes vitres, des tâches d’eau, des taches de sable, et derrière l’horizon : des pétales roses et rouges, des impatiences, du vert, du lierre grimpant. Le ciel chargé de nuages, du coton épais, une trouée de ciel bleu foncé, plus loin bleu clair.

proposition n° 21 bis

C’est un lieu d’écriture de vacances. La Normandie, au bord de la mer. Une ville d’autrefois, de celles qui ont connu leur apogée avant la grande dépression des années 30. Une ville qui garde encore les cicatrices du passage des envahisseurs qui après s’être installés, et avoir réquisitionnés, ont été obligés de fuir, laissant derrière eux une ville bombardée. Puis reconstruite. Plus de fermes dans la ville. A la place, des immeubles des années 70. Une résidence, un dernier étage. Le calme. Le silence. Le bruit des mouettes. Elle jacassent, crient, se disputent, rigolent, hurlent. Elles volent et regardent de leur oeil rond ce qui se passe dans les appartements. Parfois des voitures. Pas de klaxons. Très loin, le train 2 fois par jour. Un grand salon. Un mobilier de vacances : des tables de jardin bleu canard, des chaises assorties, des rideaux de la même couleur, achetés au même endroit, une décoration d’apaisement. Quelques livres bien rangés dans des étagères blanches, auteurs contemporains, et pourtant comptant beaucoup, des essais, des livres pour enfants. Quelques DVD, vestiges d’une vie ancienne de possession. Des livres de voyages, des dépliants sur la Normandie comptants pour rien. Un vélo noir posé contre le mur, les pneus à plat, la pompe à vélo qui attend une âme charitable qui regonflera le prestige du roulant. Un panier noir en fil de fer posé sur le vélo, attend le signal du départ d’une randonnée. Des plantes, six pots d’orchidées, des fleurs blanches, roses, des racines à profusion toutes sorties et pointant vers le jour, vers l’avenir prête à saisir leur chance d’humidité, des tiges chargées de boutons en devenir, sur le moment d’éclore. Un Aréca, la plante rescapée du camp de travaux de rénovation de l’appartement, 5 mois de plâtres, de poussière, de peinture, du blanc, du solide, pas d’eau. Aujourd’hui, la plante revit, malgré les quelques feuilles dont le bout est encore tatoué de l’horreur. Elle reprend de l’énergie avec ses soeurs orchidées, de nouvelles pousses droites vers le ciel. Le bout de balcon rempli d’impatiences roses et rouges, de lierre grimpant, d’air frais pur et chargé d’embruns. La vue sur la colline, le bois, les immeubles en face. Voir le ciel, changeant, bleu, plein de nuages, menaçants ou passants, se laisser bercer par le roucoulement de la tourterelle. Entendre le bruit des sabots des chevaux qui mènent vers la plage pour la promenade à marée basse. Le lieu de vie : le canapé, un canapé gris dans lequel on s’enfonce. Le canapé du pays des envahisseurs de la Normandie, de ceux qui du Nord de l’Europe aux quatre coins du monde ont voyagé. Les coussins en velours bleu canard dans lesquels on s’enfonce, on dort, on lit, on regarde des films, on rit, on mange, on joue, on pleure, on voit, et on écrit. Assis en tailleur, l’ordinateur posé sur les genoux, la séance d’écriture commence. Rien à taper. à dire. Rien ne vient. Effacer. Recommencer. Ouvrir Itunes, écouter de la musique. Classique, jazz, rock, pop, anglais, français. Tout dépend du hasard. De la musique avant tout. Se laisser bercer, par le cri des mouettes, ou par celui de la musique. Ecrire, tout dire, tout ce qui vient, tout ce qu’on ne sait pas, tout ce qui sort, des mots, des phrases, des histoires venues d’un endroit du cerveau, de la mémoire, de celle des autres, être un passeur d’histoires, un passeur de phrases, écrire. Ecrire en tailleur avec l’ordinateur sur les genoux. Sur la canapé, mais dans le train, dans l’avion, au bord de la plage, sur une île, dans un parc, au soleil, sous la pluie, dans le vent. Mais écrire en tailleur, l’ordinateur posé sur les genoux, avec la musique qui accompagne.

proposition n° 22

C’est une grande pièce. Une armoire sert pour la famille, 6 portes de vêtements, de chaussures, de linges, d’étagères. Le papier peint de la chambre est rose à rayures fines, blanches et beige. Les plafonds sont très hauts. Des posters au mur à droite. Des joueurs de tennis. Connors. Borg. Sur le mur de gauche, une carte du monde. Je joue à la balle contre le mur. J’ai fait un trou dans le mur. Il est caché par un poster. L’homme joue sur le gazon. Une boule japonaise comme lustre. Papier déchiré. Boule toujours de travers. Des étagères, des livres, des poupées. Plus de poupées que de livres. Des vêtements de poupée. Des peluches douces floconneuses. La chambre est tellement grande qu’elle a deux lits. La situation est bizarre : l’un et l’autre ne sont plus ensembles. Ils ont partagé la descendance. Je suis la plus petite, je suis avec celle que l’un appelle « l’autre ». L’aînée est avec l’un. Et l’autre pleure de l’absence, même si la séparation a été décidée et choisie par elle. C’est ma chambre, je dors seule, le deuxième lit n’est pas nécessaire. Elle a son lit pour quand elle vient. Il est pour la visiteuse, celle qui n’est pas là tous les jours, dont l’autre est séparée. Celle dont la présence se matérialise pour les vacances. Sa place est là si elle veut. Un bureau blanc avec des tiroirs. Cadeau de Noël. Sur le bureau des livres sont posés. bibliothèque rose, bibliothèque verte, bibliothèque en or. Le club des cinq, Alice, sans famille. Un petit livre avec des feuilles blanches vierges, sans rien d’écrit, réservé aux dessins et à l’écriture, avec une couverture rose assortie aux murs de la chambre. Un cadenas referme le livre. Un agenda secret dans lequel je peux poser, écrire ce que je veux. Parfois un mot, une phrase, une couleur. Ecrit. Posé. Lu. Un mot qui évoque la vie, un mot qui évoque l’imaginaire, une couleur qui raconte l’histoire. La cour de récréation, les amies, la maîtresse, les devoirs, le lapin. Mais aussi les poupées et les peluches. Des histoires. La clé est cachée dans le tiroir droit et haut du bureau. L’aînée est venue passer ses vacances. Mauvaise cachette. Clé à tous vents, à toutes indiscrétions. Secrets rompus, secrets disparus, secrets discutés, moqués, tournés en dérision. Fin de l’écriture. Serment de fermeture. Serment de ne rien donner à paraître. Serment d’accepter. Ne plus rien écrire. Pour longtemps, pour toujours. Ou presque.

proposition n° 23

Depuis l’angle des rues de la Boétie et Cambacérès : le trottoir est composé de pavés très anciens, irréguliers, de taille différente, trottoir n’est pas plane. Tout est bancal, rien n’est droit. Le carrefour. Le bar-tabac. Des bandes blanches larges au sol, pour les piétons, on passe de l’autre côté. Rien n’est pareil. Le décor change. Le bâtiment est ancien. Il est beau. Mais plus récent. Pas Haussmannien. Belle époque. La pierre est beige, jaune, blanc velouté, ancienne. Pierre de taille. Douce au toucher. Au 1er étage. Un oriel. Renaissance. Surprenant. L’Italie. Pas adapté à la rue. Neuf, restauré.

Depuis l’Eglise St Augustin : une longue avenue, droite, dont on ne voit pas la fin. Le Monoprix à gauche, Berteil à droite, existe depuis 1840. Institution de la mode pour homme. Une chaussée large, un revêtement neuf. Une des plus anciennes rues de Paris. Immeubles refaits, nettoyés. Du monde qui grouille. A droite, à gauche sur les trottoirs. Des bus qui roulent sans freiner. Un terrain de jeu automobile. Rue chargée d’histoire.

Vue d’en haut : une rue droite qui trace de l’Eglise au champs Elysées. Une des plus longues de Paris. Plusieurs kilomètres. Baron Hausmann. des îlots d’immeubles, des cours à l’intérieur. Dissimulées. Des arbres, des voitures. Régulier. Droit. Organisé. Homogène. Des toits en ardoise, couverture en zinc. des toits terrasses cachés au regard. des carrés, séries d’îlots, d’immeubles mitoyens qui se rejoignent en cours d’immeuble.

Depuis l’angle des rues Boétie et d’Argenson : vue imprenable sur un bar-tabac, le Derby. Déco inchangée depuis au moins 40 ans. A l’ancienne. Comme autrefois. Comme un retour en enfance, façade rouge, publicité sur toutes les fenêtres, tables rondes, comptoir de zinc, sol en petits carreaux gris comme dans les cuisines de nos grands mères. Nappes blanches à petits carreaux rouges. Les clients : des habitués qui viennent tous les jours et qui s’attablent comme le feraient des fantômes invisibles de tous. Bières et cafés au bar. Vin blanc. Ouvriers. Postiers. Costume cravate. Suite sur le trottoir. Tonneau en hauteur. Coin fumeur. Au milieu de la circulation, de la poussière, des gaz d’échappement.

Depuis le métro Miromesnil : l’entrée en bas d’un immeuble, des M jaunes en façades, le nom de la station écrites en lettres métalliques sur l’immeuble. Aucune entrée semblable. Puis le regard coule vers la rue de la Boétie, en direction de l’église St Augustin, des tâches de couleur, des magasins de nourriture, sandwich, américains, italiens, français, de la ferme, sushis péruviens, chaussons chinois. Des travaux, des palissages vertes et grises, des trottoirs encombrés, des scooters sur le trottoir, des tables des chaises. Les gens slaloment.

proposition n° 24

En arrivant par la rue Cambacérès, elle marchait lentement avec attention perchée sur ses hauts talons. De gros pavés du 19ème siècle se rejoignaient, en irrégularité, creux et reliefs inattendus, agencés de couleurs différentes brillants, mats, alternants les bleus, gris, ou verts, sur un trottoir en pente douce vers la chaussée, sans doute volontairement créé pour éviter l’eau stagnante, sur un terrain affaissé rendant l’opération particulièrement tendue. Elle s’était déjà tordue la cheville rue Cambacérès. Elle était par terre. Impossible de se lever. Personne pour lui tendre la main. Une chaleur de honte avait envahit son corps, des gouttes de sueurs s’étaient rassemblées dans son cou pour la recouvrir jusqu’au dos. Un policier en faction l’avait regardée, ce genre de coup d’oeil, où elle avait compris que la compassion n’était pas du tout présente. La raison de son affaissement : c’était à cause du lieu, de la rue, de cette ville, de ce qui se passait. Ces rues sont chargées de moments d’histoire : d’anciens hôtels particuliers construits sur des terrains de la pépinière royale. En passant dans cette rue, elle avait entendu de loin en loin, les cris des jardiniers, le bruit des chevaux sur le pavé et hop, sa cheville avait lâché. Trop d’images, trop de bruits, trop d’émotions qui lui remontaient dans les veines, jusqu’à la tête lui avaient fait perdre l’équilibre.

Arrivée au bout de la rue, ses pas lui faisaient traverser la rue Cambacérès, pour attendre que le feu passe au vert devant le bar-tabac, qui à l’image des magasins de la rue de la Boétie n’avait pas changé depuis les années 70. La devanture du magasin était rouge, quelques tables rondes, avec des chaises traînaient sur le trottoir abritées de la pluie et du soleil par le store déroulé. Un tonneau en plein milieu de la chaussée permettaient aux fumeurs de partager la consommation de leurs bières au milieu du halo de leur fumée. Les bandes blanches de la chaussée ramenaient invariablement Emma à son expérience londonienne, de traversée d’Abbey road, quand elle était adolescente. Rien de tel à Paris, en regardant le passage. En revanche, de l’autre côté de la rue de la Boétie, il y avait cet immeuble ancien, noir, gris abandonné et dont on se demandait qui pourrait le restaurer tant il était mochement dégradé. Ce n’était pas un immeuble Hausmannien, ni un hôtel particulier. C’était un immeuble différent. Un de ceux qui la ramenait invariablement dans son enfance niçoise, avec ses palais italiens, ses architectures élégantes. Une fenêtre qui sortait de la façade. Une décoration riche et rococo autour de cette avancée. Un air de romance florentine. Elle y apercevait la jeune femme vêtue de robe ancienne, qui guettait les mouvements de la rue. Et à droite, après avoir marché quelques temps le long des immeubles sans vie, gris et sales, sur le trottoir composé de grands dallages rectilignes et réguliers, elle se dirigeait à pas vif vers son bureau au N°8, où l’attendait le boulanger en bas de l’immeuble et ses odeurs de croissants chauds.

proposition n° 25

Il est très désagréable d’avancer rue Cambacérès. Mais pourquoi les travaux n’ont pas agrandis ces trottoirs en pente, avec des dallages tellement anciens, qu’ils sont remplis de trous et de bosses irrégulières. Elle est déjà tombée dans cette rue. Son corps s’en souvient. Sa cheville aussi. Curieux sentiment vague. Elle se méfie maintenant. Elle avance prudemment. Instinctivement. Elle ne sait plus quand cela était arrivé. De jour. De nuit. Les bras chargés de dossiers. Oui. Le contenu était étalé par terre, elle ne bougeait plus. La douleur de la cheville l’empêchait de se relever. C’était il y a 24 ans. Quelle saison. Sa mémoire est insondable. Elle ne sait plus. Il ne pleuvait pas. Cela aurait rajouté un obstacle qui somme toute n’était pas nécessaire. Personne ne l’avait aidé. Il y avait quelques costumés-cravatés qui l’avaient enjambée sans se pencher pour la relever. L’obstacle est passé. Sa cheville est resté droite. Elle arrive au carrefour et ses signaux d’alerte se réveillent. Le carrefour entre les rues de la Boétie et Cambacérès est toujours chargé de travaux, de palissages grises et vertes, de pancartes de la mairie de Paris qui préviennent de la durée estimée des travaux. C’est une plaisanterie. Les dates ne sont jamais respectées. Le grand jeu est d’éviter la palissade coupable de trajectoires déviées. Alors elle reste sur ce carrefour à se demander si elle va traverser ou non. Que fait-elle. Va-t-elle se diriger vers le lieu de sa jeunesse. Est ce utile. Que cherche-t-elle. Est ce que cela a de l’importance. Finalement combien de temps est-elle restée à travailler dans ce bureau. Qu’a-t-elle vu de sa fenêtre. Ce bruit sourd l’a hanté pendant longtemps. Elle n’a rien vu. Elle a juste entendu. Cet accident a-t-il déclenché son départ. Qu’attendait-elle de la situation. Qu’a-t-elle fait des rêves qui l’habitaient alors. Les rêves d’aujourd’hui ont-ils évolué ou sont-ils toujours les mêmes. Des concessions. Certes. Des adaptations. Du changement. Pas vraiment elle est toujours elle-même fidèle à ses idéaux. Sait-elle ce qu’elle va retrouver. Et en ce qui concerne l’immeuble. comment être sûre du numéro de la rue. Aller voir. Aller se rendre compte. Regarder. Traîner. Ouvrir la porte. Qu’est ce qui la paralyse autant. Qu’est ce qui l’empêche de se retrouver devant la porte. Découvrir des vestiges du passé. Des choses à cacher. Des histoires à se dissimuler. A réinventer. Des regrets. Des remords. Le passé. Douleur. Ou Bonheur. Elle frissonne. Elle ne se souvient pas pourquoi devant ce bar-tabac, son corps tremble. Elle l’écoute dans pouvoir comprendre ce qui se joue. L’immeuble en face d’elle d’elle la fascine. Il est beau, la pierre de taille est bien nettoyée. Cet immeuble ne convient pas à cette rue Hausmannienne. Il est trop différent dans son style. Et ce bar-tabac est mal fréquenté. Il n’est pas du style d’un quartier d’affaires. On n’a pas envie de rester devant. Alors, quelle raison la paralyse devant ce carrefour, à hésiter. Cette attitude est elle symbolique d’elle-même, de ses doutes, de ses interrogations. Et pourquoi cette fenêtre lui fait-elle penser à des palais florentins. Comment savoir si elle en a vu déjà auparavant. Certainement pas en vrai. Elle s’en souviendrait. Elle a du voir cette architecture en peinture. sur des tableaux. elle devra vérifier à quoi cela l’a fait penser. Mais quand elle pense Italie, elle se remémore son enfance à Nice. Elle y est restée de 4 à 18 ans. Suffisamment pour avoir envie de changer de vie. Suffisamment pour tourner la porte et choisir un autre destin. Et ce premier poste il y a 24 ans, celui où elle a fait ses armes, elle en a tiré les mêmes conclusions. Partir. Changer. Il lui faudra affronter son passé. Se souvenir. Elle ne sait même plus si elle en est capable. Quelques bribes remontent à sa mémoire. Le couloir interminable qui menait aux grands bureaux, les cheminées, les plafonds, les stucs, les lustres.

proposition n° 26

Quand a-t-elle eu la révélation de l’existence de la ville. Aussi loin que la mémoire remonte, elle a compris cette dimension de la ville à plusieurs reprise. La première fois elle était petite fille, de 6 ans. Elle a pris son vélo et elle s’est aventurée dans les rues. Elle avait déjà fait le chemin à plusieurs reprises en suivant ses parents et pensait le refaire à l’identique. Rien ne s’est passé comme prévu. Elle a enfourché son vélo et s’est mise à pédaler. Dans les petites rues tranquillement, dans les grandes rues rapidement, au milieu de la circulation, dépassée par les bus à deux étages lancés à toutes vitesse, qui la frôlaient, jusqu’au frisson. Elle était grisée par le sentiment de liberté, les maisons qui défilaient, les pavés qui succédaient aux chaussées de bitumes, le trafic d’importance, suivi de périodes de calme automobile. Seule sur son vélo, elle devenait héroïne de ses histoires d’enfant, elle pédalait, glissait et s’élevait dans les airs pour admirer le paysage à ses pieds, le dédale des rues, la succession des maisons et des immeubles, la sensation de l’enchevêtrement des habitants les uns au dessus des autres. Le vent dans le visage, les cheveux doucement emmêlés par la vitesse, grisée par la sensation réelle de l’indépendance, elle a continué à pédaler sans savoir où elle allait, sans reconnaître la ville interminable. Jusqu’à la fatigue, jusqu’à l’envie de boire, jusqu’à s’avouer qu’elle ne savait pas où le vélo l’avait amené. Par hasard, elle a rencontré un ami de ses parents. Elle s’est approchée pour lui dire bonjour et lui demander son chemin de retour. L’homme effrayé, lui a dit alors « mais tu es très loin de chez toi, je ne peux pas te laisser toute seule ». Alors, il l’a emmené chez lui, elle s’est retrouvée dans la cuisine avec les enfants de la famille, à prendre un goûter, puis l’ami a pris sa voiture et la emmenée avec son vélo de retour chez elle.

La deuxième fois où elle a pris conscience de la ville et de son envahissement, c’était pour ses 20 ans, alors qu’elle voyageait à New York et qu’elle se promenait dans Manhattan. Une sensation de vertige du monde grouillant sur la 4ème avenue s’est emparée d’elle. Vertige de l’immensité des gratte ciels. Sensation de n’être que fourmis avançant en colonne de blocs en blocs, selon un rythme régulier, avec un pas réglé sur celui de ses congénères. Comme dans un défilé militaire. Comme dans un pays totalitaire. Comme dans un endroit où tu dois te conformer aux comportement attendus. Comme dans un pays où la pensée et la liberté ne sont possibles qu’en s’éloignant des autres. En s’écartant. En réalisant des boucles.

Une ville, bordées de magasins surgissant à droite, puis à gauche, de toute part. Des clients, touristes ou pas, les bras chargés de paquets, de courses, d’achats en tous genres. Les homeless, les premiers qu’elle voyait alors, dont les journaux commençaient à décrire la misère, toujours disponibles pour ouvrir les portes, surveiller les voitures, mettre la pièce dans le parcmètre, accompagner le visiteur jusqu’au métro. Des salutations polies. des sourires échangés, de ceux qui prennent le temps de regarder, d’être, de surveiller. Broadway street interminable. Et puis La ville américaine impressionnante de vision et d’ouverture sur l’océan, de monde et d’immensité. Battery Park et ses prédicateurs. Plus de repères, une ville, une mégapole.

proposition n° 27

Elle s’arrête à la station de métro Concorde. Les portes s’ouvrent. Elle va se faufiler au milieu des voyageurs immobiles. Il y a ceux qui s’accrochent à leur portable pour ne pas bouger, ceux qui sont plongés dans la lecture de leurs livres et qui n’entendent rien, et puis il y a ceux qui sont malpolis, qui ne bougeront pas pour laisser descendre de la rame les voyageurs arrivés à destination. Elle pousse les indésirables sur son chemin, et descend triomphante sur le quai, victorieuse de cette première bataille. Les visages du matin sont chiffonnés, gris et verdâtres en ce mois de novembre. Les mouchoirs humides sortent des poches. Les nouveaux manteaux sont de sortie, sans que les écharpes les aient déjà rejoints. La station est toute pimpante, refaite récemment, les murs sont couverts de petits carreaux blancs aux coins bizeautés, typiques du métro parisien dès 1900. Le nom de la station est inscrit sur une tôle émaillée bleue. Presque un air de vacances. Les photos des îles des cyclades sont des mêmes blanc et bleu et permettent au parisien de s’évader par la pensée. La foule compacte sur le quai remet chacun dans la queue pour avancer parmi les autres, sans déborder de la ligne ou sans se faire pousser. Gravir les escaliers, le nez plongé dans les chaussures, éviter d’être à hauteur des odeurs des postérieurs plus ou moins propres des passagers, tourner à gauche, avancer, tourner encore à gauche, passer les portillons. Puis à nouveau à gauche, sortir place de la Concorde. Respirer avant les escaliers, regarder ses pieds. Avancer, voir le personnel d’accueil de l’hôtel Crillon, baisser les yeux devant les policiers en faction devant l’ambassade des Etats Unis, leur obéir et rester sur le trottoir. Longer l’hôtel, passer devant l’entrée du personnel, croiser les employés et manoeuvres, tous habillés de noir, impeccables d’élégance bon marché, dépasser la guérite du policier d’élite, oser poser un pas sur la chaussée et continuer à avancer, toujours les uns après les autres, en file indienne, comme des ouvriers allant à l’usine, tête baissée.

proposition n° 28

« Je n‘en peux plus de Paris, on ne peut pas circuler en voiture, le métro et le bus sont bondés. Je veux essayer autre chose ». Emma ne supporte plus de prendre le bus, les bifurcations dues aux travaux, les stations vélib’ nouvelles, le chauffage urbain, la chaussée et ses nids de poule, le gaz, dans ce qui reste du gruyère parisien. Le métro est bondé à toute heure et plus particulièrement le matin. La promiscuité quotidienne la fatigue. Est-ce une main, est-ce un sac qui la frôle avec insistance. Plus de Vélib, plus d’autolib. La parisienne est énervée. Elle se souvient du slogan des grandes grèves en 1995, époque où elle devait RATP, « rentrer avec tes pieds ». Marcher beaucoup, c’est une solution. Etre moderne, changer, s’adapter à la ville, essayer de nouveaux systèmes de déplacements, c’est ce que pratique Emma depuis 30 ans qu’elle sillonne les rues de sa ville. En ce moment, ce qui est à la mode c’est la trottinette électrique. Alors elle a téléchargé l’application sur son téléphone, a enregistré sa carte bleue, versé de l’argent. Ce matin, ce lundi, premier jour du mois, premier jour à son nouveau travail, devant la porte de son immeuble, elle allume le téléphone, géolocalise la trottinette, en déniche une, à deux pâtés de maison, déverrouille le système, scanne le code QR de l’engin, arrime son sac et part à l’abordage de la grande ville. Au début, peu assurée, sur le Galion, elle navigue sur les trottoirs et file à toutes voiles dehors, à 4-5 noeuds. Elle slalome entre les cartables des enfants, les mains serrées des parents avec les plus petits et évite leur abordage. Elle glisse entre les poubelles vertes oubliées des gardiennes, les scooters garés sauvagement en plein milieu du trottoir et les plus âgées, tirant leurs chariot à roulettes vers le marché. Attendant de traverser, une parisienne la prend à partie et lui reproche l’utilisation des trottoirs qui devraient rester destinés aux seuls piétons. Emma profite du changement de feu pour rejoindre le flot des voitures sur la chaussée. Direction, le Champ de mars. Elle s’insère dans le marquage au sol de circulation des vélos, à contre-sens des voitures et remonte la rue de Lourmel à fond, jusqu’au boulevard de Grenelle, évitant les piétons qui traversent sans regarder de son côté. Biiiip. Utilité du klaxon. Elle passe sous le métro aérien, évite le stand de fruits et légumes, traverse le parc Dupleix, choisit la voix en pente, plutôt que les escaliers. Encore quelques rues à traverser. Elle connaît l’arrondissement et évite le plus possible les rues chargées de taxis Toyota hybrides, camionnettes et chauffeurs particuliers dans leurs voitures noires rutilantes. Bonne nouvelle, la figure de proue tout terrain continue sa route sur les chemins de terre du parc. Un chien la prend en chasse et court avec elle le long de l’allée cavalière du Champ de mars. Elle arrive au pied de la Tour Eiffel majestueuse qui se dresse devant le fleuve scintillant. Les péniches laissent derrière elle un sillon de vaguelettes, qu’attrapent les rayons du soleil. Ils s’étendent, s’étirent, tandis qu’Emma continue sa traversée de la ville. Elle dépasse un ou deux joggers égarés. Cela fait quelque temps déjà qu’ils sont moins nombreux à courir sur le haut des quais, maintenant que le bas des quais est interdit à la circulation automobile, ils ont la possibilité de descendre directement pour continuer leur course effrénée. Emma glisse cheveux aux vents sous les marronniers qui arrivent à recréer une petite forêt le long de la Seine. Elle s’emplit les poumons d’odeurs de terre humide et continue de patiner. Elle tourne au pont Alexandre III, passe devant le Petit palais, côté trottoir et s’élance avenue de Marigny en direction de la rue Cambacérès. Un bus la dépasse. Il manque de la renverser. Un taxi impatient klaxonne pour se frayer un passage, un policier siffle pour lui indiquer que c’est son tour et qu’elle doit se dépêcher. Elle accoste enfin rue Cambacérès, prend la photo de sa trottinette, l’envoie d’un clic et signale à son application qu’elle a fini son trajet et qu’elle amarre son moyen de transport en bon état, dans la rue. Avant d’entrer dans son immeuble de bureau, Emma jette un coup d’oeil en direction de la rue de la Boétie, cette rue chargée de souvenirs, dont elle se promet qu’elle ira la visiter un de ces jours.

proposition n° 29

En partant le matin à 8h00 de chez elle, elle croisait le jeune étudiant à la station de métro, au départ sur la ligne 8. La première impression qu’elle eut en le voyant un matin, c’est qu’il avait un air sérieux et appliqué, fiches et cahiers à la main, en train de répéter ses cours. Il avait un côté enfantin, en même temps on n’arrivait pas à savoir quel était son âge. Il était seul dans le métro, alors que d’autres jeunes, se retrouvaient sur le chemin en cours de route dans les rames et échangeaient leurs impressions du jour.
Il portait sur son visage l’air sérieux des voyageurs habitués du métro, travailleurs et ouvriers en costume cravate, heureux parisiens habitués des transports en commun. Ses cheveux en bataille indiquaient, que non désespérément non, sa brosse à cheveux ne lissait rien sur le dessus de sa tête. Ses boucles écrasées par la nuit, auréolaient son visage d’une couronne angélique. Il révisait ses leçons sur le quai. Parfois il apprenait son cours, ça se voyait, il répétait sa leçon tout en marchant sur le quai. Rien ne filtrait. On ne savait pas s’il s’agissait de poésie, d’algèbre ou de mathématiques. Il souriait quelque soit le jour, quelque soit son sujet, tout en étant concentré. Il murmurait ses leçons à lui-même, comme une formule magique qui lui donnerait le pouvoir d’exercer son charme sur le monde. Elle le regardait d’un air bienveillant, comme le faisaient les autres voyageurs du métro de 8h00. Elle aurait aimé lui parler, percer son mystère. Savoir s’il était particulièrement intelligent ou s’il était un apprenti comédien narcissique. Elle aimait regarder la délicatesse de ses joues imberbes, ses lèvres douces charnues, son visage de poupon. Il préparait une thèse de doctorat. Il inventait une nouvelle recette de cuisine, réservée aux initiés de son école. Il apprenait ses tables de multiplication. Jamais, elle ne le vit accompagné d’un camarade qui aurait pu lui dire qui il était, à quelle école, université, centre de recherche il se destinait. Qui était-il. Vers quel lycée se dirigeait-il. Elle descendait au métro Concorde. Il restait dans le métro. Elle ne savait pas ce qu’il faisait après son départ.

proposition n° 30

« Attention : réunion dans le bureau de la directrice à 10h » annonçait le service commercial. C’était bon signe. Un nouveau contrat, un nouveau client, de l’argent en perspective, une commande, un futur qui promettait d’être un développement des affaires. C’était la préparation d’une fête. L’annonce avec solennité par la directrice de l’agence. On attendait en queue bien rangée et disciplinée devant la porte du bureau de la directrice. A l’heure prévue, le plus courageux ouvrait frappait de quelques coups la porte. On attendait la réponse. Elle disait d’une voix distraite. « Entrez ». C’était le signal. Cette petite femme aux cheveux grisonnants coupés courts, comme une héroïne des années 1930, emmitouflée dans ses grands pull-overs superposés à maille très fine, aux manches larges, de couleur gris, bleu, et gris-bleu nous accueillait à bras ouverts d’un tonitruant « bienvenue », ses pieds nus enfoncés dans le moelleux de la moquette en laine dont le sol de son bureau était recouvert. Ailleurs, dans les couloirs et les bureaux, les sols étaient recouverts de bouts de moquette rapée. Cette réunion était l’occasion de lui serrer la main, de se sentir valorisé et flatté de son accueil. La cérémonie première passée, elle nous proposait du thé et des viennoiseries, de celles qui avaient été achetées à la boulangerie juste en bas de l’immeuble, celle à la façade bleue et dont les croissants exhalaient leur odeur de beurre du matin. On se tenait bras ballants, à siroter le thé dans des tasses de porcelaine, essayant de ne pas laisser trop de miettes sur la moquette épaisse du bureau. La directrice bienveillante nous parlait et présentait les résultats de la société. Elle expliquait le nouvel événement et en quoi elle était contente pour l’avenir. Son enthousiasme se mesurait au mouvement des doigts de pieds. Calme, explicative, les doigts de pieds allongés, elle s’enfonçait de part et d’autre, régulière dans la moquette. Enthousiasmée par ses propos, ses doigts de pieds devenaient des crochets, qui donnaient l’impression qu’elle se surélevait et prenait appui sur la pointe des pieds, on voyait alors ses talons. La réunion durait invariablement 30 minutes. On savait alors, que se dessinerait la promesse d’un verre à prendre tous ensemble à la sortie du bureau, dans un des bars anglais de la rue des Saussaies. Les uns prévenaient leurs conjoints, les autres leur nounou, de la rentrée plus tardive ce soir-là et la fête pourrait se dérouler sous les meilleurs auspices.

La comptable terminait tôt le soir. Elle avait le temps de passer chez elle, de se changer et de se préparer pour rejoindre ses collègues à 19H. Elle était la seule à pouvoir s’offrir le luxe de ce départ. Elle habitait juste à côté. Les autres quittaient ensemble le bureau se promettant de ne pas venir trop tôt le lendemain, car on savait qu’une longue soirée arrosée s’annonçait. En file indienne, deux par deux, Ils quittaient la rue de la Boétie, traversaient le carrefour devant le bar-tabac et descendaient la rue Cambacérès jusqu’à la place des Saussaies. Le chemin inverse de celui qu’Emma ferait 24 ans plus tard.

proposition n° 31

Elle était au bureau, c’était en juin, un jour de soleil et de chaleur. En face d’elle, Valérie venait de terminer une vente à l’export et pour s’en féliciter, avalait des biscuits barquettes abricot accompagné d’un thé chaud. Evelyne riait au fond de la pièce de la bonne idée, du prochain partenariat commercial qu’elle était en train de créer. Toutes trois formaient une joyeuse équipe, en bonne entente, avec le plaisir de partager des projets entre collègues, sentiments mêlés d’admiration, et d’émulation quotidienne. Puis les trois filles entendirent un cri violent, suivi d’un choc sourd. Un bruit de ferrailles. Un bruit de verre brisé. Un bruit qui déchire le coeur, qui déchire l’âme. Un bruit qu’on n’oublie jamais. Le bruit d’un choc violent, d’un accident. Après le bruit, c’est un couvercle de silence qui s’est installé 5 secondes, 20 secondes, 10 mn. Le temps s’est arrêté et le vide, le rien s’est installé. Le bruit de la mort.

Un instant pétrifiées par le cri, les filles se sont précipitées vers la fenêtre pour voir, pour comprendre et mettre des images sur le bruit entendu. D’autres ont fait comme elles. On entendait les verrous s’ouvrir et couvrir le silence, on entendait le bruit des bois et du verre qui tinte, lorsque les fenêtres s’entrechoquent. Du monde aux fenêtres. Les regards tous dirigés vers un seul lieu, le passage piéton. Les be-bop, les ancêtres des téléphones portables s’agitaient, appelaient les secours. Une voiture noire brillante et propre avait dépassé le passage pour piétons. Un homme casqué gisait à droite de la voiture, plus loin, bien après le passage.

Evelyne et Emma descendirent de l’immeuble apportant des couvertures et des draps. Les passants s’étaient regroupés autour du blessé et une femme qui disait être infirmière aux urgences, lui tenait la main, lui parlait doucement, elle le gardait parmi les vivants, jusqu’à l’arrivée des secours. Le chauffeur du de la voiture regardait ses pieds et pleurait, se lamentant sur son propre sort, comme si on avait oublié, et qu’il y avait une autre victime, lui, il « n’avait rien vu », il avait juste senti le choc. Les pompiers et le samu arrivèrent dans un tintamarre habituel urbain et aigu. La prise en charge des professionnels éloigna le voisinage. La police arriva de son côté. La rue resterait bloquée pendant plusieurs heures de la journée, rendant tout d’un coup la rue de la Boétie calme, comme une rue de campagne.

Le moto-cycliste devait rejoindre ses amis pour une partie de tennis. Le feu était rouge pour les voitures. Il avait démarré au passage pour piétons, avec son scooter qu’il avait garé devant le bar-tabac, tranquillement, sans soupçonner que la voiture qui arrivait à toute vitesse allait griller le feu et le percuter. Fatal. Puis le moto-cycliste avait hésité, pris entre la vie et la mort, dans ce tunnel de non sens, où l’attente lui était demandée, sans qu’il sache quoi faire, à errer et à se demander s’il devait redescendre ou partir. Des services des urgences, il avait été conduit en réanimation, puis en soins palliatifs avant de finir au milieu de ses arrière-grands parents, lors d’une cérémonie à fendre l’âme au cimetière des Batignolles. C’est parce qu’il était mort sans que le conducteur de la voiture ne vienne le voir, sans qu’il s’excuse et demande pardon, que l’esprit du moto-cycliste venait hanter le carrefour des rues de la Boétie et Cambacérès, entre la scène finale, le jardin de l’établissement de soins Jeanne Garnier et le cimetière. Au cours de ses voyages, il rencontrait plusieurs âmes esseulées et perdues. Ils parlaient, se racontaient leurs vie, leurs amours, leurs accidents, leurs morts, quelques soient leurs époques de vie, quelque soient leurs histoires de la rue. Il y avait des jardiniers, des maraîchers, des ouvriers pris dans l’insurrection de la commune, des femmes de petite vertu, des nobles déchus, des politiciens, des poètes, des peintres et des princes, comme des familles entières de déportés de la seconde guerre mondiale. Et ils se retrouvaient le soir dans Paris, entre esprits errants, à rejouer et revivre les scènes importantes de leur vie passée, bruits et chuchotements, ombres et silhouettes d’après-minuit.

proposition n° 32

Il faut prendre la ligne 13 pour aller au cimetière des Batignolles et descendre à la station porte de Clichy. On arrive sur une grande place en travaux, le RER, le tram, le chauffage urbain, les aménagements habituels de voirie. Autant de raisons pour installer des barricades de palissades, de grillages, de bâches et de barrières grises et vertes. Comme piéton, on ne voit plus rien de la ville. On voit les voitures, la poussière. On voit aussi le ciel. Le ciel large, étendu, à l’horizon, gris et lourd, couvercle des esprits errants, parfois troué de bleu, comme des escaliers vers l’infini. On contourne le carrefour, on traverse et entre deux pancartes, entre deux trous dans la chaussée, on découvre une petite avenue qui mène au cimetière des Batignolles. La rue est bordée d’arbres qui dissimulent l’horizon, à droite le ciel est emprisonné dans le grillage qui longe le stade. Plus de vie, plus de circulation, le vide et la mort pour se préparer à la visite. La dernière demeure des esprits est entourée de hauts murs, comme la plupart des cimetière parisiens. Sans doute qu’il faut les enfermer, éviter qu’ils puisse enjamber, sortir, envahir l’espace des vivants, de ceux qui espèrent.

Les esprits ont le ciel pour errer. La nuit, ils profitent du couvercle bas et lourd, de la chape de plomb sans étoiles, de la lumière permanente du ciel parisien pour prendre appui sur des nuages cotonneux et grimper, regarder en dessous les vivants occupés à leurs affaires, à vivre. Ils s’élèvent, un peu, pas trop quand même bordés par le périphérique au Nord, et par des immeubles HLM au Sud.

La tour Eiffel au loin scintille de ses faisceaux lumineux dirigés vers la voute céleste toutes les heures, de la tombée de la nuit à une heure du matin. Spectacle magique éblouissant vue d’en haut. Encore une invention des modernes, qui déroute les esprits. Le phare, lui ne s’arrête jamais. Il tourne en permanence et du haut de la tour, change la couleur du ciel jusqu’à 80 km au loin, la passe du gris plomb, au jaune orangé pisseux, autour d’un halo blanc de lumière. Il appelle les esprits perdus, les esprits de la banlieue pour les ramener dans la capitale, les guider, leur donner la direction à prendre pour rejouer leur vie, regarder celle des autres et se mêler aux vivants.

proposition n° 33

Rue Cambacérès, au milieu des jeunes cadres en costume cravate et des jeunes femmes en tailleur élégant, qui se tiennent sur le trottoir de la rue, en bas de leur immeuble de travail, pour leur pause cigarette, ou juste pour prendre un café, on se fraie un chemin sur les trottoirs étroits pour accéder aux restaurants ouverts pour les salariés du quartier. Le choix hétéroclite et international des restaurants reflète la société d’aujourd’hui : on y mange chinois, japonais, coréen, vietnamien, italien, et français par de grandes salades qu’on compose soi-même. Le restaurant coréen est tenu par une jeune femme à l’accueil, accompagné de son père, cuisinier de son état, devant ses fourneaux. C’est le plus petit restaurant de la rue. Il y a un comptoir où deux personnes peuvent s’assoir pour manger leur plat, et on ne peut rentrer qu’à deux dans le restaurant. Les autres clients font la queue sur le trottoir, comme autrefois dans le pays communistes, quand il y avait rationnement de la nourriture.

Chez Kini, on mange et on voyage, on se remémore les vacances, les plats mangés ailleurs, loin de chez soi. Ce n’est plus le coq au vin, la ratatouille, ou le sauté de veau qu’Emma commandait à la brasserie il y a 24 ans. En 2018, on mange exotique, original, et surtout pas traditionnel français. Les métiers d’autrefois ont disparu des villes, on pourrait dire la même chose des plats et des cuisines d’autrefois. On privilégie l‘exotisme. La carte est très simple : 3 plats, 3 desserts, 3 boissons. Ce sont les mêmes depuis l’ouverture du restaurant. On choisit son plat : riz accompagné de légumes avec du boeuf, du poulet, ou du tofu, avec plus ou moins de piment, cuisiné sur place par le chef coréen. Ça change des formules toutes faites déjà préparées, sous vides, en barquettes. La jeune femme note la commande sur son iPad, prend des étiquettes avec les dessins des plats, les colle sur un tableau de liège, valide la carte de fidélité du client et fait payer la commande en carte bleue, avec une opération qu’on appelle « sans contact ». En échange le client reçoit un galet noir en plastique qui clignotera de dizaines de lumières rouges, quand le plat sera prêt. Ça sent bon chez Kini, les légumes cuisent, le poivron dégage son odeur piquante, l’oignon l’adoucit, le gingembre et le piment embaument l’espace de leurs effluves brûlantes. Chaque commande est mise dans un plat de carton : riz, légumes, et accompagnement, selon le même ordre immuable. C’est le moment de l’échange du galet lumineux, contre le sac de papier kraft.

proposition n° 34
NORD

Longtemps délaissée depuis les années 70, pourvues de grands ensembles d’habitation, de cages à poules à plusieurs étages, de St Denis, à Aubervilliers, en passant par Pantin, et Aubervilliers, la ville étend ses tentacules vers le Nord. A force de chantiers pharaoniques de travaux, elle se réapproprie des villes périphériques en les rapprochant du cœur de Paris. Métros, tramway, bus, gares : de nouvelles stations, de nouvelles lignes. Ce qui permet aux parisiens expatriés en raison d’un coût au m² de plus en plus élevé, de s’installer dans les nouveaux quartiers gagnés de la capitale. Une guerre qui ne dit pas son nom. Une appropriation de l’espace urbain qui s’appelle encore dans différents endroits du globe une conquête de territoires, une guerre d’usure, un repoussement des frontières.

De la même manière qu’ils grouillent la semaine dans les rues de Paris, les parisiens se remuent dans leurs villes de banlieue, les soirs et week-ends, s’engageant dans des actions quotidiennes de vie en groupe, pour la création de nouvelles villes écologiques, dont les maître-mots stratégique consistent à réussir son compost, son tri, recyclage voire réemploi de ses déchets.
Paris et ces villes de banlieue, Paris tentaculaire, Paris en conquête, Paris qui absorbe et uniformise la pensée, le mode de vie, Paris qui transforme. Paris qui profite des villes en mutation, dont les sièges sociaux administratifs et industriels, les usines, les hôpitaux, les gares disparaissent progressivement, laissant en friche leurs locaux. Parsi qui profite des ventes de terrains et de hangars, en attendant que les projets architecturaux d’immeubles modernes soient votés et commencent. Paris crée des partenariats et propose pour 3 ans aux fourmis ouvrières urbaines grouillantes associatives, engagées vers le développement social et culturel alternatif, d’investir les friches urbaines, de se les réapproprier pour les transformer en centres culturels de modèle parisien, oeuvrant pour la musique, la danse, le théâtre, la peinture.

Des meubles en bois brut, des tables en lattes de bois non traités, des mobiliers de classe récupérés donnent un air de fête écolo, à la mode alternative, aux bars, brasserie, restaurants sur le pouce. Les familles avec enfants, les jeunes cadres urbains branchés, comme les artistes tatoués de la cheville à la tempe se côtoient et consomment de grandes salades, des herbes, des légumes, des céréales cultivés dans les champs et fermes urbaines de Paris. Leur boisson favorite : des bières brassées localement et issues d’étendues de champ de blé poussé dans et aux portes de Paris.

On trouve des jardins partagés partout à Paris, dans les tentacules de la ville, sur les toits et dans les cours d’immeuble, le long des canaux de la Seine et de la Marne, le long des voies ferrées, sous le métro, au pied des arbres dans les avenues. On y fait pousser des fleurs, des plantes exotiques, du lierre, et on y cultive aussi des tomates-cerises, des pommes de terre, des courgettes, des fraises, des herbes, des salades, du blé.

Les fermes urbaines parisiennes sont plus rares et destinées au promeneur qui sait ouvrir les yeux, sur les toits des immeubles, des collèges, lycées, des supermarchés, des hôtels, l’opéra Bastille, un ancien centre sportif, dans les étages sombres des parkings désertés des voitures, autrefois investis de trafics de drogue et de sexe : on y cultive en sus terrain a même chose qu’en surface ou à la campagne, des champignons, des tomates, des endives, des aubergines, des oignons. De quoi remplir les bols végétariens et vegan des visiteurs des centres alternatifs.

Une vie de campagne dans la ville. Une ville d’autrefois quand l’urbain ne s’était pas installé. Une nature qui regagne l’urbain. Une ville qui se réinstalle, comme elle existait avant le rouleau compresseur d’Hausmann, la ville des impressionnistes, la ville de Renoir, la ville de Zola.

SUD

La ligne 4 est prolongée. Elle part d’Aubervilliers vers Montrouge directement traversant Paris du Nord au Sud, des cités immigrées aux cités ouvrières en cours de modernisation. Les Parisiens sont très peu nombreux à pouvoir payer un loyer, acheter un appartement dans Paris. Les prix explosent. Il faut être médecin, avocat, notaire ou financier. Ou être habilité à disposer d’un HLM au nom de la mixité sociale. Il reste les autres, les petits bourgeois, la classe moyenne, les employés, et les jeunes cadres. Ils habitent, Montrouge, Chatillon, Arcueil, Issy les Moulineaux, Meudon, Chaville, mais aussi Villejuif et Ivry. Comme si de nouveaux arrondissements s’étaient créés, comme si Paris continuait de s’étendre au-delà du périphérique, en suivant la création des nouvelles stations que desservent les lignes 4, 7 ou 13. Pour sortir au Sud, en voiture, c’est simple on se jette sur l’A7, direction Lyon, ou l’A13 pour Bordeaux, les vacances, le soleil, fini la grisaille de pollution parisienne et bonjour les péages gigantesques du Sud.

En train, sortir de Paris vers le Sud est compliqué : le parisien ne sait jamais entre Montparnasse, Austerlitz, Bercy ou gare de Lyon, laquelle de ces gares, il doit prendre pour les grandes lignes, la direction des villes du Sud. Et dans le cas des dysfonctionnements des gares, des pannes de signalisation, les parisiens se déplacent ligne 6, d’une gare à l’autre, d’un train à l’autre sans réservation, sauvagement, sans respecter les règles des transports urbains civilisés.

EST

Partir à l’est, de Paris, c’est prendre l’A4, direction la Bourgogne, l’Alsace, Strasbourg, dépasser les villes de banlieue élégantes : la clio bleue passe devant Bercy, coincée entre le ministère des finances et la salle de spectacle, qui se pare de modernité en adoptant le nom de son sponsor Accord Hôtel. Fini les petites salles de spectacles parisiennes, finis les bars parisiens dans lesquels les groupes de musique rencontraient leurs premiers spectateurs. La voiture se dirige le long des quais, franchit victorieuse le dédale des routes entrelacées entre les deux sens du périphérique, l’autoroute, les nationales et la suite des quais. Elle franchit l’enceinte du périphérique, roule sous le pont, traverse les zones de non-lieux, transformés en marchés aux puces, à Montreuil, quitte la capitale en libérant freins, et pédales d’accélérateurs, évite les radars et contrôles routiers dans les virages, les descentes et roule à 90 km/h. Comme sur une route normale. Les voies se croisent, s’inter-croisent, malgré les cinq files sur lesquelles avancent prudemment les automobiles en quête d’une échappée prolongée de de l’enceinte circulaire. C’est la sortie urbaine, les camions, les voitures libres, les fous du volant qui laissent leur bolide s’envoler vers la banlieue inconnue.

La clio dépasse la fausse pagode commerciale du bord de l’autoroute, évite les croisements de route et les mauvaises directions, passe devant les les zones commerciales, le magasin de meuble suédois bleu et vert. Elle voit les immeubles de Picasso dits « les camemberts de Noisy », ces curiosités architecturales rondes d’HLM, ou de résidences d’étudiants, pense aux élèves des universités et des écoles d’ingénieurs délocalisées de Paris en raison de loyers trop élevés et se réfugiant dans des zones rurales il y a 20 ans devenues urbaines et tentaculaires aujourd’hui, tandis que la capitale étend son réseau routier.

La vieille Clio polluante dépasse les premières villes réhabilitées de l’Est ou villes nouvelles des années 90 : Noisy-le-Grand, Noisy-le-Sec, Lagny-sur-Marne, Chessy, Lognes. C’est le RER A et la création de ses nouvelles stations qui ont permis le développement de villes champignons, dont l’histoire médiévale a disparu de l’architecture et n’existe plus que dans les livres. Clocher de l’Eglise, mairie, anciens corps de fermes subsistent encore parfois pour la l’urbain parisien qui se risquerait à 30 km derrière la forteresse.
Prendre l’A4, c’est se risquer de rouler sans s’arrêter et effleurer Reims, Verdun, Strasbourg, aller jusqu’à l’étranger, en Allemagne et ne plus s’arrêter. Rêver d’une nouvelle vie.

OUEST

La destination préférée des parisiens, c’est quand ils sont à l’ouest. Les habitants à l’ouest, on les croise dans le métro : tristes, salement vécus, comme dans les romans du 19ème siècle, ouvriers laborieux, oubliés de la modernité. Ils expliquent la détresse de leur vie, leur parcours, le désespoir de la rue, demandent une pièce, un ticket-restaurant, parfois juste un sourire. Et puis, il y a ceux qui parlent tous seuls, ceux qui sont poursuivis par des forces et des voix obscures, qui leur dictent leur conduite et leurs pensées, et qui sont désespérés de ne pas être soignés, suivis, désespérés de n’être pas vus, de n’être personne, de n’avoir ni toit, ni travail, abandonnés à errer dans les couloirs et les quais du métro, comme des esprits hésitants entre les vivants et les morts. A l’ouest, au bois de Boulogne, depuis deux ans, Paris accueille pour la nuit des réfugiés climatiques, des familles fuyant les régimes autoritaires, de Syrie ou d’Erythrée. Dans la journée, on les trouve un peu partout dans les couloirs de la RATP, ou dans les rues, sous le métro aérien, sur les quais, dans des tentes ou sur des cartons posés à même le sol. Des familles. De ceux qu’on appelle des migrants, politiques, climatiques, économiques. De ceux pour qui le rêve s’est arrêté dans leur pays d’origine. Avec un ciel sombre. Une vie à reconstruire. Une vie de ruines et de fuites. Une vie qui se voulait d’espoir, une vie de drames et de survie. Des femmes en robe sous des voiles, des écharpes, leur masquant la tête, les épaules. Des enfants portant dans leurs mains leurs seuls jouets, des panneaux sur lesquels sont inscrites leurs destination d’origine, en français en arabe, écriteaux de cartons que des associations exploitantes des misères humaines utilisent pour mieux attendrir, mieux culpabiliser, les actifs, les travailleurs, ceux qui se battent et courent toute la journée.

Et puis il y a les autres habitants de l’ouest parisien. Ceux-là vivent en appartement dans Paris, à l’intérieur du périphérique. Ils aiment l’ouest, de Paris, et même au-delà du périphérique, là où la ville s’étend au-delà du métro. Ils prévoient toutes les semaines leur sortie du week-end, leur échappée de la ville, la sortie à l’Ouest, vers les grands espaces, vers les fermes, vers les lieux de résistance pendant la seconde guerre mondiale, là où le rationnement fonctionnait moins bien que le marché noir, vers la Normandie : départ porte d’Auteuil, direction l’A13, ou pour les adeptes du train, départ gare St Lazare. Leur destination, Evreux, Le Bernay, Lisieux et Deauville-Trouville : la vie recommencée, la vie continuée, l’entre soi.

proposition n° 35
NORD

Longtemps délaissée depuis les années 70, pourvues de grands ensembles d’habitation, de cages à poules à plusieurs étages, de St Denis, à Aubervilliers, en passant par Pantin, et Aubervilliers, la ville étend ses tentacules vers le Nord. A force de chantiers pharaoniques de travaux, elle se réapproprie des villes périphériques en les rapprochant du cœur de Paris. Métros, tramway, bus : de nouvelles stations, de nouvelles lignes. Ce qui permet aux parisiens expatriés en raison d’un coût au m² de plus en plus élevé, de s’installer dans les nouveaux quartiers gagnés de la capitale. Une guerre qui ne dit pas son nom. Une appropriation de l’espace urbain qui s’appelle encore dans différents endroits du globe une conquête de territoires, une guerre d’usure, un repoussement des frontières.

La ville a continué d’expulser de son centre historique les populations immigrées fuyant la guerre et le dérèglement climatique. Des réfugiés économiques ou clandestins, en attente de reconnaissance ou de papiers, de logements ou de travail. La ville a laissé les bidonvilles, de tôles, de plastiques, de poubelles, de déchets et de couleurs se développer, trafics de sexe et de chair humaine, rivalisant d’ingéniosité pour vendre et monnayer organes, vertu et humanité.

Les villes de banlieue ont disparu et forment des arrondissements supplémentaires. De la même manière qu’ils grouillent dans la semaine au centre dans les quartiers chics de la capitale, dans les rues de Paris, les parisiens se remuent les soirs et week-ends, s’engageant dans des actions quotidiennes, pour leurs nouvelles villes écologiques, de compost, de tri, de recyclage, de réemploi. Au départ, ces friches devaient disparaître. La crise économique les a laissé en l’état, les immeubles des banques et des compagnies d’assurances autrefois pourvoyeuses de bénéfices ont fait faillite et ont laissé une culture urbaine parallèle se développer. Le développement social et culturel alternatif s’est étendu. Les friches urbaines se sont déployées et sont devenues les nouvelles galeries d’art, les nouveaux lieux de création artistiques pour des artistes authentiques et modernes.

Des meubles en bois brut, des tables en lattes de bois non traités, des mobiliers de classe récupérés donnent un air de fête écolo, authentiquement à la mode alternative aux bars, brasserie, restaurants sur le pouce. Les familles avec enfants, les jeunes urbains branchés, comme les artistes tatoués sur tout le corps se côtoient et consomment de grandes salades, des herbes, des légumes, des céréales cultivés dans Paris. Leur boisson favorite : des bières brassées localement et issues d’étendues de champ de blé poussé dans et aux portes de Paris.

On trouve des jardins partagés et des fermes urbaines partout du centre de la ville jusqu’à 40 km à vol d’oiseau de Notre Dame, sur les toits, le long des canaux et des voies ferrées, dans les cours d’immeubles, sous le métro, au pied des arbres dans les avenues, sous les cimetières, dans le réseau des égouts, dans les étages sombres des parkings désertés des voitures, autrefois investis de trafics de drogue et de sexe, dans les caves et les sous-sols inoccupés de la capitale. On y fait pousser des fleurs, des plantes exotiques, du lierre, et on y cultive aussi des tomates-cerises, des pommes de terre, des courgettes, des fraises, des herbes, des salades, du blé, des champignons, des tomates, des endives, des aubergines, des oignons.

Les immeubles sont proprets. Le lierre est le must-have de toutes les façades. A moins que cela ne soit le mur végétalisé classique que tous les syndics mettent dans les immeubles. Des plantes de toutes les couleurs, de toutes les formes et qui retombent du haut des 5 ou 6 étages Hausmanniens. Les toits d’ardoises ont été refaits pour correspondre aux nouvelles normes techniques de la ville. Ils ont été aplatis. Pour accueillir une ferme urbaine partagée par les locataires ou propriétaires de l’immeuble. Pour accueillir un solarium de panneaux voltaïques, avec une piscine chauffée à la lumière et filtrée à un écosystème de plantes.

SUD

La ligne 4 est prolongée. Elle part d’Aubervilliers vers Montrouge directement traversant Paris du Nord au Sud, des cités immigrées aux cités ouvrières en cours de modernisation. Les Parisiens sont très peu nombreux à pouvoir payer un loyer, acheter un appartement dans Paris. Les prix explosent. Il faut être médecin, avocat, notaire ou financier. Ou être habilité à disposer d’un HLM au nom de la mixité sociale. Il reste les autres, les petits bourgeois, la classe moyenne, les employés, et les jeunes cadres. Ils habitent les nouveaux arrondissements de la capitale, Montrouge, Chatillon, Arcueil, Issy les Moulineaux, Meudon, Chaville, mais aussi Villejuif et Ivry. Pour sortir au Sud, en voiture, c’est simple on se jette sur l’A7, direction Lyon, ou l’A13 pour Bordeaux, les vacances, le soleil, fini la grisaille de pollution parisienne et bonjour les péages gigantesques du Sud.

En train, sortir de Paris vers le Sud est compliqué, le parisien doit souvent rentrer dans le centre de la ville pour mieux en ressortir : le parisien ne sait jamais entre Montparnasse, Austerlitz, Bercy ou gare de Lyon, laquelle de ces gares, il doit prendre pour les grandes lignes, la direction des villes du Sud. Et dans le cas des dysfonctionnements des gares, des pannes de signalisation, les parisiens se déplacent ligne 6, d’une gare à l’autre, d’un train à l’autre sans réservation, sauvagement, sans respecter les règles des transports urbains civilisés.

En train, il repasse devant chez lui, dans les gares de RER de sa ville, dans les centres urbains qu’il a délaissé quelques heures plus tôt pour pendre un train qui l’éloignera de chez lui.

EST

Partir à l’est, de Paris, c’est prendre l’A4, direction la Bourgogne, l’Alsace, Strasbourg, dépasser les villes de banlieue élégantes : la voiture électrique bridée passe devant Bercy, coincée entre le ministère des finances et la salle de spectacle, qui se pare de modernité en adoptant le nom de son sponsor Accord Hôtel. Les petites salles de spectacles et les bars parisiens, lieux de musique ont définitivement disparu. La scène culturelle se déroule désormais dans les friches laissées à l’abandon de tout projet industriel ou commercial. La voiture se dirige le long des quais, franchit victorieuse le dédale des routes entrelacées entre les deux sens du périphérique, l’autoroute, les nationales et la suite des quais. Elle franchit l’enceinte du périphérique, roule sous le pont, traverse les zones de non-lieux, transformés en marchés aux puces, à Montreuil, quitte la capitale en libérant freins, et pédales d’accélérateurs, évite les radars et contrôlent routiers dans les virages, les descentes et roule à 50km/h. Comme sur une route normale. Les voies se croisent, s’inter-croisent, malgré les cinq files sur lesquelles avancent prudemment les automobiles en quête d’une échappée prolongée de de l’enceinte circulaire. C’est la sortie urbaine tranquille, composées d’embouteillages et de patience.

La Toyota dépasse les zones commerciales, le magasin de meuble suédois bleu et vert, les champs de blé et de maïs de la capitale. Elle voit quantités d’absurdité architecturale, comme les premiers « camemberts de Noisy », pense aux élèves des universités et des écoles d’ingénieur délocalisées de Paris en raison de loyers trop élevés et se réfugiant dans des zones rurales il y a 20 ans et urbaines aujourd’hui, tandis que la capitale étend son réseau routier.
La voiture électrique dépasse les premières villes réhabilitées de l’Est ou villes nouvelles des années 90 : Noisy-le-Grand, Noisy-le-Sec, Lagny-sur-Marne, Chessy, Lognes. C’est le RER A et la création de ses nouvelles stations qui ont permis le développement de villes champignons, dont l’histoire médiévale a disparu de l’architecture et n’existe plus que dans les livres. Clocher de l’Eglise, mairie, anciens corps de fermes subsistent encore parfois pour la l’urbain parisien qui se risquerait à 30 km derrière la forteresse.

Prendre l’A4, c’est se risquer de rouler sans s’arrêter et effleurer Reims, Verdun, Strasbourg, aller jusqu’à l’étranger, en Allemagne et ne plus s’arrêter.

OUEST

La destination préférée des parisiens, c’est quand ils sont à l’ouest. Les habitants à l’ouest, on en croise dans le métro : tristes, salement vécus, comme dans les romans du 19ème siècle, ouvriers laborieux, oubliés de la modernité. Ils sont de plus en plus nombreux et dans tous les quartiers de la capitale, du centre à la périphérie. Ils expliquent la détresse de leur vie, leur parcours, le désespoir de la rue, le départ de leur pays, la perte de leur famille, de leurs racines, de leurs papiers et de leur dignité. Ils demandent une pièce, un ticket-restaurant, de quoi manger, survivre, parfois juste un sourire.

Les plus nombreux sont ceux qui parlent tous seuls, qui sont poursuivis par des forces et des voix obscures, qui leur dictent leur conduite et leurs pensées, et qui sont désespérés de ne pas être soignés, suivis, désespérés de n’être pas vus, de n’être personne, de n’avoir ni toit, ni travail, abandonnés de la médecine et des hôpitaux, à errer dans les couloirs et les quais du métro, comme des esprits hésitants entre les vivants et les morts. A l’ouest, au bois de Boulogne, Paris accueille des centres de réfugiés climatiques, des familles fuyant les régimes autoritaires, de Syrie, de Turquie, d’Albanie ou d’Erythrée. Dans la journée, on les trouve un peu partout dans les couloirs de la RATP, ou dans les rues, sous le métro aérien, sur les quais, dans des tentes ou sur des cartons posés à même le sol. Des familles. De ceux qu’on appelle des migrants, politiques, climatiques, économiques. De ceux pour qui le rêve s’est arrêté dans leur pays d’origine. Avec un ciel sombre. Une vie à reconstruire. Une vie de ruines et de fuites. Une vie qui se voulait d’espoir, une vie de drames et de survie. Des femmes en robe sous des voiles, des écharpes, leur masquant la tête, les épaules. Des enfants portant dans leurs mains leurs seuls jouets, des panneaux sur lesquels sont inscrites leurs destination d’origine, en français en arabe, écriteaux de cartons que des associations exploitantes des misères humaines utilisent pour mieux attendrir, mieux culpabiliser, les actifs, les travailleurs, ceux qui se battent et courent toute la journée.

Et puis il y a les autres habitants de l’ouest parisien. Ceux-là vivent en appartement dans Paris, à l’intérieur du périphérique. Ils aiment l’ouest de Paris, et même au-delà du périphérique, là où les nouveaux arrondissements leur a permis d’acheter des maisons et des jardins. Là où le métro a prolongé le cœur de la ville. Ils prévoient toutes les semaines leur sortie du week-end, leur échappée de la ville, la sortie encore plus à l’Ouest, vers les grands espaces, vers les fermes, les anciennes, plus traditionnels, pas celles des urbains bobos de l’Est parisien, vers les lieux de résistance pendant la seconde guerre mondiale, là où le rationnement fonctionnait moins bien que le marché noir, vers la Normandie : départ porte d’Auteuil, direction l’A13, ou pour les adeptes du train, départ gare St Lazare. Leur destination, Evreux, Le Bernay, Lisieux et Deauville-Trouville : la vie recommencée, la vie continuée, l’entre soi.

proposition n° 36 & 37

Des recherches interminables dans le centre historique de Paris : en 6 mois, 40 visites. Je suis passée par toutes sortes d’agences classiques pour l’appartement de mes rêves. Aucun ne me plaisait, trop petit, trop grand, pas assez de lumière, trop de travaux à planifier, trop cher. Et quand je rendais visite à Maéva, à chaque fois, j’admirais son appartement, grand, lumineux, propre, moderne, avec un balcon. Un jour, elle a proposé de me coopter. Je ne croyais pas cela possible. Je pensais que ce type de location était réservé aux cadres dirigeants de sa société. Et pourtant, tout a fonctionné comme elle l’avait prévu.

C’est Maeva qui m’avait inscrite sur la liste des e-locataires en demande. Je l’ai laissée me guider sur le site des virtuelles’visites. J’ai sélectionné quelques e-hébergements et j’ai mis celui-ci en favori. Quelques heures plus tard, je me suis déplacée en non virtuel, comme on me l’a demandé et j’ai eu un vrai coup de coeur, j’ai liké sur l’appli le P&G’Appart, Procter&Gamble’Appart 6.0.

J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été acceptée. C’est mon profil trentenaire avec rencontres et famille potentielles qui leur ont plu, mon chat et mes activités. La grille de notation m’a été communiquée après mon évaluation, et c’est parce que je suis inscrite sur 5 sites de rencontres amoureuses en réel, que j’ai gagné des points. Je n’y aurais pas pensé toute seule. C’est Maeva qui m’avait donné le tuyau. J’ai pris un bail de 4 ans pour cet appartement 6.0.

J’ai emménagé il y a 6 mois, dans le 30ème arrondissement. L’un de ces nouveaux quartiers créé après la crise du choc environnemental. Le mien provient de la fusion d’Argenteuil et Stains : les villes ont été en travaux pendant plus de 10 ans. C’est un des plus grands arrondissements de la capitale. La plupart des bâtiments de ces anciennes villes ont été rasés, démolis, supprimés, rayés de la carte : plus de cités HLM, plus de ces cités dortoirs utilisées le siècle dernier et dans lesquels les migrants du siècle dernier étaient parqués et faisaient leurs trafics.

Les migrants ont été repoussés plus loin, en dehors de Paris, dans de nouvelles villes. Ceux des dernières vagues du choc environnemental sont installés derrière l’enceinte électrique, dans des bidonvilles, qu’ils ont eux-mêmes créés.

Dans l’enceinte, la mairie de Paris a continué à développer les projets de ferme urbaine, qu’elle avait déjà tentés dans les arrondissements historiques. Dans des parkings ou en surface, le long des voies ferrées, sous le métro, au pied des arbres, dans les avenues, sur les toits des immeubles, des supermarchés, on fait pousser des fleurs, des plantes exotiques, du lierre, et on y cultive aussi des champignons, des tomates, des endives, des aubergines, des oignons, des pommes de terre, des courgettes, des fraises, des herbes, des salades, du blé, des pommes, des poires. De quoi se nourrir correctement et sans pesticides. Le dimanche, après ma journée consacrée à bêcher et cultiver, je prends ce dont j’ai besoin pour la semaine, de fruits et légumes.

Si mes besoins évoluent, je peux revenir et me servir. Je suis prélevée directement sur mon compte en banque, avec l’abonnement pour l’accès annuel. Pour les œufs de Nicole, c’est un peu différent : je donne tous les jours mes déchets à ma poule, dans un sac à papier, dont je scanne l’étiquette avant de les mettre dans la boîte à déchets et en échange, je récupère les œufs qu’elle a pondu. Ils sont frais, ils sont bons. Leur goût ne ressemble pas aux œufs de plastique que consommaient mes grands-parents. Eux achetaient leurs œufs en supermarché, moi je ne paie plus rien, une fois que j’ai acheté ma poule. Et encore, si elle meurt, l’organisation du poulailler partagé m’attribuerait une nouvelle poule. Il suffit juste que je pense à lui donner mes déchets.

Je ne vois que des avantages à habiter un P&G’Appart. C’est un e-appart de 6.0, avec une publicité ciblée en fonction des locataires. Le temps de mon bail, et à condition de ne pas rompre le bail avant la date d’échéance, je ne paye rien pour avoir un toit au-dessus de ma tête. Et le reste non plus : les meubles, les croquettes du chat, la lessive, les produits de nettoyage et les shampoings sont compris avec l’occupation du P&G’Appart.

Finies les connexions interminables sur Internet pour les courses avec des livreurs qui arrachent les gonds de la porte d’ascenseur. Avec P&G, je ne commande rien, il suffit que je me connecte à ma porte d’entrée pour demander un auto-scan. Les informations sont envoyées à mon e-gardien pour qu’il s’occupe de l’approvisionnement. Les entrepôts sont dans les sous-sols, c’est pour ça que la livraison s’effectue rapidement. Les courses sont déposées dans le P&G newbox à attendre mes instructions. Quand je suis rentrée chez moi et prête à tout ranger, je n’ai plus qu’à activer l’émoticône du vide de la P&G newbox et je reçois toutes mes courses devant ma porte. C’est pratique. Je profite et me fais livrer quand je veux.

Pour les produits d’entretien courant, tout est prévu dans le P&G’Appart, je n’ai besoin de penser à rien. Je laisse le e-gardien s’occuper gérer les produits. Mon rôle consiste seulement à signaler si je veux changer de produits ou de gamme. Il arrive aussi que le P&G robot après un check produit se rende compte qu’il faut remplacer, ou changer ce qui est déjà en dépôt. Il s’en occupe. C’est pratique. L’avantage des check-produit des robots, c’est que leur champ d’intervention ne s’arrête pas aux produits du quotidien, mais comprend aussi l’électronique, l’électro-ménager, et tous les objets nécessaires. Je n’aurai plus jamais de fuites d’eau du lave-linge, plus de joints de robinet à changer. Plus de sols inondés. Plus de petite cuillère manquante. Ça change la vie d’avoir un robot qui s’occupe de tout.

En échange du P&G’Appart, je dois tester en réel les produits P&G et donner une note avec un avis et des étoiles, ce que je fais directement avec le robot en lui dictant mes commentaires. Rapidité. Efficacité. Convivialité. C’est toujours agréable d’avoir des interactions avec les robots. J’aime bien les miens, même s’ils ne sont pas très humanoïdes. Ils ressemblent à des extra-terrestres du siècle dernier. Grâce à eux, j’essaie des produits nouveaux auxquels je n’aurais jamais pensé. Une fois par semaine, le robot analyse et synthétise mes appréciations et envoie le week’report à P&G sur tous mes tests quotidiens. On a une conf’call 1 fois par semaine, théoriquement de 18 à 22 heures, le vendredi avec les dirigeants de P&G pour que je réponde à leurs questions. En réalité, ça ne dure pas autant que cela.

Avec ce P&G’Appart, j’éprouve un merveilleux et rare sentiment de liberté que je n’avais pas avant dans un appartement classique. Je ne possède rien et pourtant je dispose de tout ce dont j’ai besoin : comme dans un hôtel, mes envies sont prises en charge, j’ai toujours la dernière génération des produits en test. Et ce qui n’est pas négligeable, tout cela est gratuit, plus exactement c’est P&G free.

Le free concept a une contrepartie, c’est que mon appartement et tous les P&G products doivent être accessibles aux visites en virtuel et en réel aux heures de la journée. Ça peut parfois frôler la contrainte. Par exemple, je ne peux pas partir de chez moi en retard le matin. Lorsque j’ai signé le bail, j’ai indiqué que je partais pour 8h20. Rester seule dans la journée chez moi ? Impossible. Si je suis malade, je dois le signaler, mais ça ne changera rien. Quant aux vacances traditionnelles « home sweet home », une pratique qui appartient au passé. Pas la peine d’y penser en réel !

Quand j’indique que je ne peux pas rester, je devrais préciser que je l’ai déjà fait et je me suis rendue compte que j’ai du mal à accepter que les visiteurs touchent à tout devant moi. Ce n’est pas si simple. Je suis comme une enfant, je n’aime pas qu’on prenne mes affaires, même si fondamentalement ce ne sont pas les miennes. Ce sont celles P&G. Je me fais encore difficilement à l’idée que je peux tout partager, puisque rien ne m’appartient.

Il faut se raisonner. Je dois m’adapter au monde moderne et à toutes les nouvelles possibilités que la société de consommation nous offre. Ne prendre en compte que les avantages du free appartement. Celui-ci, le 6.0 a des murs pour m’isoler en soirée, ce que n’avaient pas les générations précédentes. Dans la journée les murs se baissent pour laisser les visiteurs fureter.

J’ai encore des progrès à faire pour accepter ces visites. Le chat, lui, s’est bien accoutumé. Il aime bien notre chez nous. Il s’accommode de ce logement, je l’ai retrouvé plus d’une fois, à un poste d’observation, caché dans les placards de ma chambre.

Que les fureteurs passent dans la journée à tout moment pour visiter mon appartement et essayer en virtuel ou en réel les meubles, les lits, la vaisselle ou même les shampoings, l’idée ne me dérange pas plus que ça. Mais, je préfère ne pas être là. Les P&G robots qui ont déjà passé du temps à tout ranger dès que je pars, vérifient que les essais des fureteurs en réel ne dégradent pas mes affaires et rangent à nouveau après leur passage. Et si des affaires étaient dégradées, alors, mon P&G robot les remplaceraient à l’identique. Je sais que je peux leur faire confiance.

N’empêche qu’hier le père de famille visiteur en réel, a failli s’étrangler, quand, alors que les cloisons étaient déjà abaissées depuis plusieurs minutes, il a découvert mon voisin Philippe en slip se pavanant dans ce qui restait de sa chambre. Philippe est amusant, bien qu’il soit un ingénieur high-tech. Il aime bien faire des blagues. Il a réussi à pirater le miroir et à chaque fois qu’il se regarde, ce n’est pas son reflet qui s’affiche, mais celui d’un jeune homme qu’il s’est choisi comme avatar et selon les jours, Philippe se reflète et se modélise au ski à Megève, en pilote d’avion en Alaska, en archéologue aventurier en Amérique du Sud, et j’en passe, selon ses humeurs et ses envies. Le voisin du 6ème lui a même demandé s’il pouvait aussi pirater son miroir. Du coup, Philippe s’est mis à son compte et a lancé sa boîte de piratage de miroir. Ça marche tellement bien qu’il a développé son activité à tous les P&G’Appart de la résidence. Il s’occupe aussi de pirater les voitures, les téléphones, les frigos et les miroirs. C’est pour ça qu’il est souvent chez lui, à travailler en free-lance-project et qu’il ne respecte pas les horaires du P&G’Appart.

Le chat se méfie des robots, il les surveille. Je ne l’ai jamais vu ronronner avec eux. En même temps, je n’ai jamais vu les robots parler au chat. Chacun reste sur son quant à soi. Pourtant, c’est simple d’interagir avec les robots, j’y arrive tous les jours. Ils m’écoutent quand je leur parle. Ils sont attentifs et toujours prêts à me rendre service. J’arrive à les différencier, ils ont chacun leur façon de faire, je ne sais pas si on peut parler de caractère, c’est leur e-programme qui les a conçus ainsi. Ils réagissent à mes humeurs, ils me sollicitent beaucoup quand je vais bien et sont distants quand j’ai eu une grosse journée de travail au bureau et que je suis fatiguée en rentrant. Je sais pouvoir compter sur eux sur toute l’organisation de la maison, ménage, repassage et courses. J’aime particulièrement quand ils se transforment en aspirobot lutteur de poussière après le départ des visiteurs en réel, et juste quand j’arrive, tous les jours donc. Je n’ai jamais eu d’appartement aussi que propre que le P&G’Appart.

Depuis le bouleversement climatique, je trouve difficile de m’adapter au froid. Hier, je rêvais d’une journée au coin d’un feu de bois, affalée sur un canapé, avec le chat sur les genoux. P&G robot n’a rien compris et m’a fait parvenir une cheminée en plastique et un feu de bois électrique. J’ai fait mes observations en retour et j’ai signifié que je préfère encore le virtuel aux objets plastiques. Il n’a pas compris ma commande et mon refus. En fait, je rêve d’une cheminée ancienne et d’un vrai feu de bois qui sent bon. Ça fait pas très e-hébergement nomade. C’est ce qui m’a été répondu. Déception. Il faut faire parfois des concessions. J’irai faire un tour dans la ferme urbaine en sortant de la résidence, je suis sûre que les arty’s members ont installé un feu de coin réel dans les tonneaux de la friche culturelle restante.

Je suis vite partie ce matin et je n’avais pas vérifié les recharges à croquettes, qui sont tombées en panne. Il parait que c’est un défaut de la batterie. Cela veut dire que toute une génération de recharges sont rappelées par P&G pour être remplacées. Les P&G robot ont un bug dans leur programme pour cette question d’animal de compagnie. Je l’ai déjà signalé à P&G, mais ça a l’air d’être un bug général. Il faut que j’attende une prochaine version.

Le chat n’a pas compris les explications du P&G robot. Il n’a pas aimé et a miaulé toute la journée m’a dit Philippe. P&G robot n’a pas pris d’initiative de lui donner des croquettes en dehors de la recharge. Minou a préféré jeuner plutôt que d’aller en prendre chez les voisins. Christophe, qui habite au même étage, mais 4 cloisons abaissées plus loin, lui en avait proposées. Le chat a refusé, je le comprends s’il n’aime pas le voisin. Christophe a voulu se venger et a dénoncé Minou en précisant que mon chat avait télésnobé les fureteurs en visite et était resté caché dans le placard toute la journée. Quel sale dénonciateur.

J’ai écrit à P&G qu’un chat n’avait pas de téléphone et ne pouvait pas télésnober, comme ce dont Christophe, le voisin collabo, l’accuse. Ils ont compris mais on leur a donné instruction spéciale, alors j’ai découvert une proposition gratuite de P&G d’un chat virtuel. Je l’ai refusée. J’en ai un vrai, ce serait dommage d’en prendre un virtuel. Et je ne pourrais même plus faire les tests sur la nourriture ou la litière. Je perdrai des points. Or chaque point est important si je veux continuer à garder le P&G’Appart.

proposition n° 38

Une histoire de fenêtre
L’histoire d’amour entre Sam et Emma, collègues de la rue de la Boétie, qui se sont vus à travers leurs fenêtres.

Les barquettes abricot
Valérie ou l’histoire d’une passionnée de biscuits barquettes de Lu parfum abricot.

Manon niée
L’histoire du déni de la grossesse d’Evelyne et les répercussions sur la psychologie de Manon

Déambulations d’une souris
L’occupation des sociétés

La vie d’un immeuble Hausmannien
Les transformations d’un appartement Hausmannien, histoire de vie de familles et d’entreprises

L’atelier de Pablo Picasso
L’histoire des tableaux créés dans l’atelier de Picasso du 23 rue de la Boétie

30 ans d’une rue
Les transformations urbaines de la rue

Il y avait une droguerie
Chronique de la disparition des magasins et des métiers d’autrefois

Paul en scooter
Un étudiant circule en scooter dans Paris. Il prend des risques en voiture. Un tempérament de feu. Il grille sa vie. Il a un accident rue de la Boétie.

Le bar-tabac
Histoires de la vie des clients au bar-tabac.

Les crimes de la rue de la Boétie
Quelques crimes passionnels de la rue

Les âmes perdues de la rue de la Boétie
Les âmes errent dans la rue, à la recherche d’un salut et d’un repos pour leur éternité

Ophélie
La vie d’Ophélie femme de chambre à l’hôtel Crillon

Bernadette
Bernadette, la gardienne d’immeuble, connaisseuse des secrets d’Etat

Pierre, jardinier
Une tradition de jardiniers sur plusieurs générations, de la rue de la pépinière royale au jardin des Champs Elysées

Franck, CRS devant l’ambassade des US
Comment lorsqu’on est CRS peut-on devenir planton et gardien d’ambassade.

Des bottes qui claquent
La montée de l’extrême droite en Europe : échos et résonnances de bottes qui ont claqué rue de la Boétie

L’interrogatoire
Comment survivre après un interrogatoire dans les geôles de la rue des Saussaies



Tiers Livre Éditeur, la revue – mentions légales.
Droits & copyrights réservés à l'auteur du texte, qui reste libre en permanence de son éventuel retrait.
1ère mise en ligne 16 juillet 2018 et dernière modification le 6 septembre 2018.
Cette page a reçu 614 visites hors robots et flux (compteur à 1 minute).