Philippe Sahuc Saüc | Respiration

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Son blog Carambolingue et son site.
proposition n° 1

Se remet les arbres du parc Montsouris bien calés derrière le dos. Respiration plus calme. Il faut bien ça pour aborder la cour intérieure du grand pavillon. Sitôt quittée l’allée au bitume rougeâtre, on ne peut que s’arrêter. Forcément, de revoir le bossage aux trois lettres, A, N et I, la respiration en prend un coup. Une onde remonte jusqu’aux mâchoires. Pour peu, s’enfuirait vers Austerlitz. Mais il y a tout en bas, la porte enfoncée, les marches conduisant à l’espace à vélo. Là fut une possibilité de liberté. Et puis, derrière ces fenêtres, si les revenants étaient des êtres à se mettre à la fenêtre, il serait possible de voir des visages amis. Des amis montant ou descendant le grand escalier, s’arrêtant à l’un des paliers pour voir qui arrive dans la cour. Un espoir de sourire. Qui pourrait être un sourire faux puisqu’il y avait eu ce bulletin au nom férocement rayé, parmi tous les autres. De la cour, les chambres ne se devinent que par de petites fenêtres. Mais les numéros ont marqué la mémoire jusqu’à ce jour. La 421, au nom de jeu, celle du grand pari d’un début d’été et juste ça. Elle restait alors souvent la fenêtre ouverte, il fallait dissiper les vagues d’étouffement en songeant chaque soir aux épreuves du lendemain. Il y a eu la plus durable, la 316, celle du troisième étage mais se trouvant de l’autre côté du couloir, invisible depuis la cour. Elle fut celle à la fenêtre calfeutrée, qui fit face à l’hiver 1985, le premier des trois terribles. On voit des silhouettes passer à travers le hall d’en bas. Y a-t-il toujours des comptes à rendre quand on y passe à deux pour prendre l’escalier vers les chambres ? Y a-t-il toujours la mégère aux grands ciseaux, le fureteur à l’œil de verre et, juste à côté d’eux, le mur à casiers où le courrier attend ? Et au premier étage, second palier que laissent apparaître les fenêtres de la colonne centrale, la cabine téléphonique ? C’est à côté d’elle que se trouvait la 135… De là on pouvait entendre des voix parlant à des voix lointaines. De là se fit entendre un jour un appel au secours, un besoin de pièces… De là aussi s’initia au final une grande fuite éperdue par le métro de Paris.

proposition n° 2

La circulation sur la nationale frotte contre les platanes, de droite à gauche et de gauche à droite. L’ouverture de l’allée des buis en est d’autant plus échappée belle, qui fleure bon dès que le soleil chauffe un peu. On ne peut qu’y rêver dans le brouillard d’un matin de décembre. Rêver aussi aux découpes nettes que peut faire la nuit contre les arrêtes de façade en cube parfait, surmonté d’une pyramide parfaite, cachant à l’arrière les longs boyaux des salles de classe et la bouche béante du préau tout à l’arrière. On pourrait croire qu’il joue à cache-cache, dans la cour de récréation, avec les acacias épais, toujours taillés en touffes resserrées. Si le brouillard n’est pas trop dense, on peut apercevoir les petites lumières tout en haut du coteau lointain, en revient alors l’écho d’un nom de rêve : Cordes-Tolosannes. Mais le brouillard a tout pris du pré-terrain, de ce temps où on ne disait jamais stade. Pour rétablir sa présence, il faudrait qu’une imagination retrace des trajectoires de ballons tombant et remontant, de vestes en paquet au sol pour dessiner les buts… Mais alors, une telle imagination serait peut-être capable aussi de retracer les innombrables tours d’acacias, en véhicule à trois roues encore, à cette époque. Rien de plus à ajouter, en revanche, à la silhouette du sapin qui émerge des buis, silhouette sombre et nette même en hiver, même par temps de brouillard. d’où la dignité de sapin de noël, même sans boules ni guirlandes. Tout à droite, il y a l’échappée vers l’avant de cuisine et le garage, le petit carré de ciment où s’animèrent des figurines et des attentes de passage de souris. Et le garage aux odeurs inoubliables. Mais le centre est indiscutable. Le centre est cerclé de briquettes. Au front de la façade, il porte une inscription visible par n’importe quel brouillard : école publique.

proposition n° 3

A l’arrière, il y a bien sûr la rumeur irrégulière des véhicules qui passent sur la nationale, qui tantôt monte et puis s’étire de l’autre côté. Il y a aussi la senteur lourde des hydrocarbures brûlés parmi lesquels, à certaines saisons, les parfums de platane essaient de se frayer. Derrière, il y a le monde des champs et des prés. D’autres arbres viennent jouer les trouble-sentinelles. Sans eux on verrait les maisons de certains des compagnons de balle, sans doute. C’est un monde où des tracteurs passent, pas encore rutilants. Ils ont pourtant leur donjon, si haut qu’il dépasse tous les arbres, un donjon de béton gris, méprisant toute fioriture, le silo de la coopérative agricole. C’est le repère à voir de partout, de la nationale, de la future autoroute, de la voie ferrée aussi. A donner le tournis. Les barrières levées du passage à niveau, tout à gauche, ne lui font pas la pige. Mais leur alternance de rouge et de blanc, en toute saison, les distingue. De l’autre côté, c’est le clocher de St-martin, finalement plus modeste. Il y aurait bien aussi le château, le grand château carré, tout en fenêtres et en briques, celui du catéchisme. Mais l’excuse est bien bonne : il est déjà de l’autre côté des platanes. Aussi, plutôt que de fouiller par là, vaut-il mieux chercher tout au fond à l’arrière. Cela prend forcément un peu de temps de trouver la discrète trouée. Mais cela en vaut la peine. Pour la repérer, il faut attendre le passage d’une péniche et il n’en passe pas beaucoup. C’est le seul moyen de savoir que là-bas passe le canal, indiscernable par son enfoncement dans les champs et les prés. Or, à un endroit, les arbres savent s’interrompre. Si l’on regarde alors vers là, si on a la chance, on découvre que les péniches sont de grands animaux paisibles qui traversent parfois les prés.

proposition n° 4

Si haut que monte l’œil de verre, il reste quand même plus loin du ciel que de la rue. Il est vrai qu’à force, la rue s’étire. Elle s’étire comme un fil de Garonne qui aurait voulu faire se rejoindre les saint-martin. Reste à en décrypter les flots. Ça roule parfois tout en bas comme un tourbillon soudain, des cris de ralliement de groupe ou des cris de bagarre prête à éclater, bruits de klaxon en flotteurs parfois. Il arrive qu’un passage d’ambulance ou de police traverse tout ça. Et ça traverse jusqu’où ? D’un côté, ça va s’évaser sur le parvis de petits pavés où la petite monnaie tombe entre les escarcelles. De l’autre côté, cela doit faire face au flot venant de la porte trouée. C’est un flot de salutations à voix forte et d’arômes de kebab. Parvient-on à remonter plus haut ? Bien sûr, il y aurait le passage des grandes voies ferrées et des banlieues en plaine et, un jour, des grands champs picards. Mais ce serait épuisant. Alors que tout en bas, il y a tant de bouillons à démêler. Certains pourraient remonter des soupirails, en chinois tant qu’ils sont vivants, en yiddish tant qu’ils sont fantômes. Il serait à guetter sur le pavé large de la place les salutations en soninké, en pulaar et en bambara ou, pourquoi pas, en wolof, il y a passage d’étudiants possible. Et puis ça trinque au Maryland ! Et puis ça médite autour du grand pendule ! Et puis l’œil de verre lui-même finit par se fermer.

proposition n° 5

C’est à gauche que ça s’échappe. Ailleurs, les réverbères de la Cité U quadrillent trop bien. Par la gauche, le quadrillage tombant s’interrompt et puis surtout, la rue du Parc Montsouris s’enfile. D’un côté, la grille du parc râpe, les barres verticales se pressent de plus en plus drues à mesure qu’on s’enfonce, comme les traverses sous les essieux d’un train qui quitterait sa gare et que les arbres du parc salueraient, agitant des touffes feuillées comme autant de mouchoirs. En face, la lumière s’avance par bonds de façades, d’abord modeste, et puis explose en arrivant au contrepoint des grandes fenêtres jaunes aux balcons en calandre qui semblent attendre avant de s’envoler. Tout en bas, le goudron a explosé par-dessus le maintien des pavés. On dirait qu’aux précédents décollages, ou aux précédents atterrissages peut-être, de grosses roues ont tapé trop fort, des roues capables de supporter toute la bâtisse dans doute. Dis, il paraît que Mermoz a vécu là

proposition n° 6

L’école devrait toujours s’appeler Samartin-Belcassé. Parce que les enfants de jadis y entendront ainsi toujours les moments de y en a marre mais aussi les moments où la beauté a pu surgir d’un bris de bâton ou d’œuf. D’autres y entendront qu’il y eut là, à un certain moment un beau chêne et que, peut-être un pionnier prédicateur s’est arrêté un instant à son ombre. Les lumières lointaines sont celles de Cordes-tous-les ânes. Cordes, ça se retient comme un paradoxe lorsqu’il s’agit de simples points. Quant aux ânes, avant d’en savoir plus, on a attendu le jour où ils se mettraient à braire. La barrière de chemin de fer, c’est la Barrière de Patriciade, pour faire comme celle de la ville, celle de Croix-Daurade, en évoquant cette Patricia, la fille du garde-barrière, en ce temps toujours la meilleure en classe. L’écluse ? L’écluse n’a pas de nom, d’ailleurs elle est cachée derrière les haies comme une fleur sauvage. A quelques encablures dans la mémoire, le boulevard peut bien s’appeler Boulevard Jour d’en, car au passage de cette frontière s’est renversée la vieille habitude de qualifier les fiefs. Jusque là, on disait En sus, En calcat et puis il y eut la grande traversée, un jour. On s’est retrouvé sur le trottoir du boulevard, alors pourquoi pas Jour d’en ? La rue de fuite serait rue du Parc Montsourd. C’est au cœur du parc, en cas de besoin d’exil, qu’on peut aller vers le moins de bruit. C’est le long de la rue que s’égrènent les traverses verticales de la grille, avec le bruit des trains qui quittent gare. Et le pavillon ? Allez, Fondation Agronymique, là où on n’inventerait que des noms, genre Belle-du-jour-qui-passe, Impatiente-ne-me-chiffonnez-pas, Cabaret-des-hirondelles et d’autres et d’autres ! L’entour, alors, s’appelle forcément, Résid’U.

proposition n° 7

Le portail a pourtant été décalé du bord de la route. Sans le franchir, je peux m’enfoncer entre les buis. De là, l’inscription de façade se lit sans effort. Ce n’est plus « école publique », c’est « club de cyclisme ». Peut-être que je ne suis pas là au bon moment pour entendre les rumeurs enfantines. Peut-être qu’un club cycliste, ça prend déjà trop grand pour ça. Font-ils encore du vélo entre les acacias ? Allez, pour régler les dérailleurs ou les cale-pied… Le pré ne doit plus beaucoup servir, lui. Pour les banquets de fin de saison avec les remises de coupes et de médailles peut-être. On y entendrait alors encore les clameurs de victoire, de but marqué, non de but atteint. Mais on est sans doute devenu trop précis en terminologie sportive. Désormais, on ne plaquerait plus le ballon, alors que c’était un tel plaisir de goal volant que cette étreinte plongeante dans l’herbe fraîche. Parbleu, je suis trop loin pour savoir ce qu’est devenue la cantine. Déjà, j’en étais parfois à la distance de n’en percevoir qu’une rumeur, lorsqu’on m’envoyait terminer mon assiette sur le banc du préau, tout seul. M’y parvenaient tous les bruits que faisaient les autres assiettes et plus la mienne, j’y entendais les épines de cris dépassant la rumeur des voix, le roulement de rires vite étouffés parfois et la voix forte de mes parents instituteurs de temps en temps. Tout cela, je ne peux plus l’entendre mais on dirait qu’il m’est resté l’écho des pas de ce cheval qui était passé sur la route, un cheval lent et lourd que j’avais été le seul à voir, que je suis sans doute le seul à entendre encore aujourd’hui.

proposition n° 8

C’est de nouveau jour de brouillard. Les corneilles sont les premiers à le dire. Corneilles ou corbeaux ? Pourquoi ne pas toujours les appeler corbeaux, l’accord serait plus facile. Ou bien ponctuation, ce qu’elles sont en un tel jour. Même pas la peine de se retourner, le canal est à coup sûr invisible, gommé par la masse blanche qui largue sans cesse des gouttelettes, qu’on ne remarque pas d’abord mais qui ont de quoi remplir plus d’un canal ! A peine si on lit encore l’inscription de façade. C’est en tout cas grâce à elle qu’on sait qu’il y a façade, tant le blanc estompe facilement le blanc. Les acacias sont devenus des massues qu’on peut croire infiniment lourdes, qui se perdent dans le ciel. La bordure opposée du pré ne se distingue plus. On pourrait la croire courbe et relevée, genre de bordure de vélodrome qui nous renverrait les ballons de l’enfance. Un peu comme la nuit renvoyait la lumière mais ça, c’est une autre histoire. La cour est comme une chambre dont les murs résonnent et pourtant moins que jamais elle n’a de murs, même plus de délimitation, sauf les pointillés des fenêtres des classes à droite et la béance atténuée du préau tout au fond. Y a-t-il encore un coteau tout derrière et la maison promise aux délices de Marie-Pierre ? Plus de lumières au front de Cordes, ne restent que d’improbables rimes au creux des sillons estompés.

proposition n° 9

La brouette à fumier ne sent rien puisqu’elle est de pierre. Autant se caler contre elle et être toute écoute. C’est d’abord confus. Il faut prendre le temps d’échapper à la rumeur. Selon la saison, un claquement de fenêtre refermée ou bien un raclement de fenêtre qu’on ouvre peuvent y aider. Sinon patience, des ondulations existent au sein de la rumeur, qu’on peut arriver à démêler, en prenant le temps. Il y a la montée de moteur des bus à mesure de leur descente depuis la station de RER, le freinage à l’arrêt, le tremblotement de moteur, toutes portes ouvertes, puis le redémarrage. Selon les époques, il y a parfois le klaxon sourd de vieux bus, le tintement autoritaire de bus moderne au dépassement des vélos étourdis et puis plus rien du tout, les bus sont censés ne plus rien dire aux vélos, même étourdis. Une autre ondulation est celle des véhicules en masse au feu du boulevard. Les arrêts où les moteurs s’agrègent, parfois la stridulation d’un freinage de dernière minute et puis surtout les démarrages massifs et rageurs. Surtout s’il y a, au milieu du trafic, une de ces mobylettes apte aux solos. N’y aurait-il pas quelqu’un pour seriner, selon l’époque, la France c’est comme une mobylette… ? Les voix ! Bien sûr qu’au creux des ondulations on entend la ponctuation des voix. C’est dommage de n’en percevoir les langues que pour celles qui n’arrivent de pas trop loin, il y aurait beau mélange ! Et puis ce crissement intermittent, avec des tamponnements métalliques entre les séquences. Est-ce qu’il faut attendre une certaine époque pour que l’entretien des allées se fasse en grande brouette à bras ? Là où il y a un détritus au sol, la brouette est reposée entièrement et il y a toujours assez de gravier sur le goudron pour provoquer le petit crissement de l’arrêt et puis le petit raclement au ramassage du papier gras ou du lambeau d’emballage plastique. Et puis, de nouveau, un peu de roulement, de tamponnement des manches de bois sur le rebord et, plus loin, un nouvel arrêt où tout recommence. Certains jours, on aimerait savoir faire un travail aussi patient.

proposition n° 10

Cette odeur est souvent revenue. C’est celle du dessous de l’escalier. On devait y entreposer des oignons sous l’escalier, l’odeur était composée en partie de ça. Mais il y avait autre chose. Et puis surtout, le dessous de l’escalier n’était pas un placard, l’odeur y était en permanence travaillée par les flux d’air passant. C’était une odeur modelée, une odeur un peu caméléon, qui en a rencontré bien d’autres depuis, au hasard de mes incursions dans des maisons ayant vécu. En montant l’escalier, il y avait l’odeur du rotin, particulièrement celle du petit fauteuil que j’approchais du poêle et dont la chaleur faisait se surpasser l’odeur. L’odeur du garage aussi, cette odeur lourde sous laquelle avait de quoi se cacher la petite souris. Dans les salles de classe une odeur indicible, que j’ai appris plus tard être celle du mélange entre poussière grise et poussière blanche de craie. Et puis tant d’autres, accrochées aux saisons, de feuilles d’acacia, d’herbe légèrement mouillée, de sapin anesthésié parce que, dans cette maison-là, il devait rester dehors.

C’était le temps où je m’exerçais à des touchers. En s’approchant des grands troncs des acacias, on pouvait sentir la légèreté de leur écorce au bout de ses doigts, on l’aurait cru prête à s’envoler et pourtant, si on s’appuyait vraiment, on sentait la masse si lourde ! En s’accroupissant dans le pré, on pouvait essayer de saisir l’herbe. Les doigts s’écartaient, sentaient d’abord la chatouille puis, en insistant un peu, le fil de l’herbe parfois cruel contre la peau. Mais on n’en saisissait toujours que peu, comparé à tout ce que contenait le pré ! La terre du jardin, on se méfiait, elle donnait une drôle de sensation à la bouche quand elle venait combler, en s’étalant, les pores de la main. Tout derrière, il y avait la maison de Marie-Pierre. J’y ai touché des choses merveilleuses. Quand saurai-je l’écrire ?

Mais qu’est-ce qui me donnait donc plaisir à manger ? Je ne me souviens plus. Je me souviens des petits ballons à gonfler qui avaient comme un goût de chocolat mais c’était peut-être bien surtout une odeur. J’ai dû avoir envie de croquer les premières cerises rouges, au fond du pré, mais je n’étais pas de ceux qui grimpent aux arbres. Ma bouche ne me donnait pas encore de dégoût en ce temps et c’était déjà bien heureux par rapport aux temps qui viendraient ensuite. Elle ne me donnait pas beaucoup de plaisir. La bouche de Marie-Pierre, oui, m’a donné en ce temps du plaisir. Mais saurai-je un jour l’écrire ?

proposition n° 11

On y entre les uns après les autres, parfois quand même par deux, voire trois. Juste après avoir gravi le perron de pierre, il a fallu toquer au carreau à travers le fer forgé et on a aussitôt été accueilli, dans la salle d’attente, par la dame en blouse blanche qui vérifie les rendez-vous. Toute l’assemblée passera en même temps dans la salle de consultation mais d’abord, il faut attendre ensemble. La dame en blouse blanche mène la conversation du grand angle, à l’opposé de la porte menant à la salle de consultation mais tout prêt de la porte d’entrée, qu’elle est prête à ouvrir au moindre heurt sur le carreau. De là, elle converse à mi-voix avec les personnes attendant dans l’angle derrière elle. Il est question surtout de santé, bien sûr, tout le monde vient pour ça. Mais la plupart des personnes viennent pour la santé de leurs proches alors c’est surtout d’eux qu’il est question, enfants, frères ou sœurs, cousins ou cousines. Ce sont pour la plupart des personnes âgées, parfois accompagnées de leurs petits-enfants. A cette âge-là, la mauvaise santé des plus jeunes fait faire de tristes grimaces. Il arrive aussi qu’il soit question du grand homme en personne, celui dont on attend le don de meilleure santé, en passant de l’autre côté de la porte. Aux questions portant sur lui, seule la dame en blouse blanche répond, affectant encore plus le chuchotement mais de façon encore plus bruyante. Tous les autres, alors, se taisent et le silence dure toujours après les derniers mots de la confidence, où l’on apprend que le grand-homme vient de soigner la reine d’Angleterre mais ne peut plus rien pour le pape. Si une personne toque au carreau à ce moment, c’est avec les sourcils froncés qu’elle est accueillie par Madame Bedeau tout en blanc.

proposition n° 12

Il arrive qu’on y soit à plusieurs et l’un pousse pendant que l’autre tire. Le moment le plus délicat est celui où les vélos eux-mêmes doivent se croiser à la porte du garage. Mais le plus simple est d’attendre à l’intérieur ou bien à l’extérieur, selon le mouvement qui se manifeste en premier. Il y a, à certaines saisons, de la saucisse sèche pendue aux tuyaux du haut dans le garage à vélo, parfois on a un récit croustillant et frais d’antivol scié à raconter. Le passage y est quand même toujours bref, il arrive que la minuterie de la lumière ne marche plus.

Tant qu’elle n’est pas grillagée de tout côté, la voie ferrée sert de chemin. Sur la longue ligne droite, on voit arriver les trains de loin, on ne risque rien. En plus, en haut du talus, de droite et de gauche on voit tout arriver de loin, on peut s’y sentir en sécurité, sauf au crépuscule, quand on devient celui qu’on peut voir de loin depuis les rues noyées d’obscurité. C’est là qu’on peut rêver d’entrer dans la légende de l’homme sur lequel on a tiré et qui ne savait même pas d’où venaient les balles ! Mais il y eut aussi les soirs de stationnements, exceptionnels, ceux où l’on venait installer les chaises calées entre les traverses des rails, pour voir le feu d’artifice tiré depuis les beaux quartiers du centre.

Les allées du parc sont parfois les lieux les plus désertés, surtout si l’on prend les bancs pour des lieux d’extra-territorialité, puisqu’on y stationne. Les allées du parc, on y circule et donc on y croise, sauf quand elles sont trop désertées. Parfois on s’arrête pour regarder, sur les pelouses, les jeux de balle et de raquettes. On s’arrête un moment et puis on reprend conscience que si on est sur l’allée, c’est pour marcher. Parfois ça monte et ça tourne, on se demande si cela redescendra de l’autre côté ou si cela ne fera pas un genre de boucle et puis jonction à rebours, raté. Alors, pour aller plus loin, il faudra trouver une autre direction, celle qui paraît aller carrément vers le plan d’eau peut-être.

Je ne sais plus si ce couloir existait, si les élèves y accrochaient bruyamment leurs manteaux aux porte-manteaux alignés le long de la cloison séparant des salles de classe. Il n’y avait pas besoin de lui pour aller d’une classe à l’autre, il y avait la petite porte à côté du tableau. Et puis il y avait aussi la sortie directe vers la cour. Mais sans ce couloir à l’opposé, tapis entre la rumeur des salles et les jeux de lumière du jardin touffu, du côté où devait pencher l’accent grave, où aurait-on accroché en réserve toutes les grandes images des leçons d’histoire ? Où aurait-on aligné les pots de yaourts où les haricots devaient germer, laissant filer leur odeur fade tout en longueur, à faire la pige aux odeurs de caoutchouc des manteaux des jours de pluie ?

proposition n° 13

Il y aurait tant à profiter de la pluie jaune. Mais qui est là pour en profiter ? Un train s’est arrêté tout en haut, il y a eu grincement de freins. Mais personne ne descend, le train doit être supposé susceptible. De repartir et personne n’en descend. Mais il y a des visages derrière les vitres. Profitent-ils de la pluie d’or comme on peut en profiter quand on est juste en dessous ? Les bas-côtés de l’allée sont noyés de feuilles, cela déborde même sur une bonne partie de la chaussée. Une souche émerge vers le milieu, à gauche. Juste en arrière, les feuilles plus clairsemées laissent apparaître une couverture écossaise. Il y a aurait là la place pour se tenir couchés à deux sous la pluie d’or. La souche pourrait même servir de table de chevet. En venant d’un train ou en venant de cette ville au nom à fuir, St-Sulpice ? Le soir qui tombe associé au brouillard de saison laisse peu deviner où conduit l’allée par en-bas. Il commence à y avoir des halos de réverbères, il y a donc ville. Mais aucune rumeur n’en monte, petite ville sans doute. Avec une ombre haute et longue qui pourrait bien être celle d’un clocher, avec des ombres fortes et larges qui pourraient être autant de haies végétales, où l’on se cache des trains dans de petits pavillons emmitouflés. Quand les trains s’arrêtent la nuit, par nuit sans brouillard, peut-on dessiner de là le parcours jalonné de lampadaires, le dessin des parcours possibles de la ville, peut-être jamais empruntés ? Comme cette allée où personne ne marche, où un lampadaire sur trois n’éclaire plus, où on laisse la chaussée s’envahir de feuilles d’or. Et quand c’est jour de grève des trains, qu’aucun train ne passe ici d’une journée entière, ne manque-t-il pas un écho aux pavillons de bout d’allée ? En fouillant les feuilles, on trouverait peut-être un journal. Mais il pourrait avoir été jeté d’un train s’étant arrêté trop longtemps, abandonné par un voyageur ayant déjà trop lu. En fouillant on trouverait aussi, peut-être, des canettes de bière et de coca et des paquets de Malteser vides. Il y a quand même bien des jeunes par deux ou par bandes qui se réfugient là puisque personne n’y passe ! Sauf les trains mais que peut-on craindre des trains ? Quand ils passent vite, le vent qu’ils font précipite la chute des feuilles et voilà tout.

proposition n° 14

La jeune fille ne veut pas perdre de vue l’heure qu’elle guette à la montre de son poignet. En même temps, elle agite ses jambes très vite, elle en dodeline de la tête, bouscule au passage les gens sur son chemin, ne leur dit rien, suit juste une phrase qu’elle marmonne dans une langue que personne ne connaît ou que peut-être personne n’est assez près pour comprendre. Le grand au blouson rouge et noir a ramassé son sac à dos sans crier. Il y a juste eu un bruit de salive brusquement compressée dans sa bouche. De toute façon, il attend là depuis un moment et va attendre encore. A l’angle de la cabine téléphonique le voyageur aux deux valises a failli carrément perdre l’équilibre. Il s’est retourné avec son visage rouge d’effort mais il a vite repris sa marche car le signal était à la traversée des piétons. Est-ce que le bruit que fait la petite fille pourrait gêner une conversation téléphonique ? Son bâton gratte les grilles du parc tout au long de la rue où elle avance en trottinant pour parvenir à suivre sa mère qu’elle tient par la main et qui paraît ne rien remarquer. Même pas le vieil homme tout en haut de l’immeuble paquebot. Le vieil homme qui a ouvert le hublot du haut et qui a passé la tête. Le vieil homme qui guette mais qui peut bien savoir ce qu’il guette ?

proposition n° 15

Pourquoi tu es toujours là quand je vais téléphoner, pourquoi tu es toujours le même et surtout pourquoi tu es toujours dans la même position ou presque quand je passe, je me demande, mais on dirait que ce sont des questions qui n’existent pas pour toi alors que moi, je ne fais que courir, comme on m’a appris à faire pour tailler ma place dans la vie et comme il faut bien faire pour arriver la première à la cabine téléphonique et même si elle est prise arriver la deuxième et pas la troisième, passer plus tôt dans tous les cas alors que toi on dirait que tu ne fais qu’attendre avec ton petit carnet, à se demander si tu ne crains pas le froid du petit matin, au moins moi en courant je me réchauffe, on dirait que tu n’écris pas mais que tu dessines, bien sûr je n’ai pas le temps de m’attarder pour vérifier mais quand même, tu devrais savoir que prendre une photo c’est plus précis et que ça va plus vite, remarque je préfère que tu ne prennes pas de photo pour ne pas courir le risque de figurer dessus et que des bandits la voient, se la fassent passer et me recherchent, on m’a dit que cette ville était pleine de bandits, d’un côté ce n’est pas mal de voir quelqu’un qui surveille mais je ne sais pas si tu surveilles pour le bien, je sais juste que tu es planté là et l’autre matin tu m’as souri comme si on se connaissait mais on ne se connaît pas, on a juste deux trajectoires qui passent à côté l’une de l’autre, encore que pour toi ce n’est pas une trajectoire, c’est un point d’accumulation, peut-être que c’est aussi ce que tu fais sur ton petit carnet, tu accumules des points mais tu regardes quand même dans des directions et parfois ça me donne envie une fois que je suis dans la cabine et que la conversation a commencé avec mes parents à Taipei, parce que parfois ça dure, j’ai beau leur crier que je n’ai plus de pièces et alors je regarde vers où tu regardais et je vois la petite fille tout au loin qu’on entendait tout à l’heure avec son bâton frotté contre la grille, heureusement qu’on ne l’entend plus que doucement déjà que la ligne est mauvaise jusqu’à Taipei, mais je me demande si tu ne regardes pas plutôt cette grande maison, je me demande si tu as remarqué qu’elle ressemble à ces vieux avions, aux premiers grands avions mais déjà vieux, j’ai vu les photos anciennes — tu vois que ça sert de prendre des photos — moi je regarde encore cette maison avec des hublots qu’on dirait prête à s’envoler et je me demande tout en donnant les bénédictions à mes parents si tu voyages aussi parfois.

proposition n° 16

Ce n’est pas prudent de laisser son sac derrière soi pendant que l’on écrit sur son carnet. Il y a dans cette ville des êtres petits et affamés. Ils sont tellement affamés qu’ils sont encore plus maigres que moi et ils se cachent, ils ne veulent pas qu’on voie leur maigreur. C’est pour ça que les poubelles de la Cité U sont rangées en désordre. Ils viennent mettre du désordre la nuit, créer leurs abris dans les intervalles. De là, ils sortent furtifs et ne passent que derrière les gens. Ils vont encore plus vite que moi quand je vais à la cabine. Ils peuvent à tout moment passer derrière la personne qui ne bouge pas et prendre son sac ou peut-être même couper une mèche de ses cheveux pour faire de la magie. Moi je ne voudrais pas. Me cheveux doivent rester longs, tombant raides et brillants. Bien sûr, les cheveux bouclés comme toi, c’est joli mais il faut faire attention, pour un garçon, pas trop longs.Si je savais quel est le numéro de ta chambre, je viendrais un soir avec mes ciseaux et je te ferais ça. Ce n’est pas la peine de perdre son argent chez les coiffeurs de la longue rue vers l’Italie. Je vois bien que ceux-là cherchent à attirer les jeunes gens mais ils doivent prendre tout leur argent, il ne faut pas. Et puis c’est bien de garder ses boucles. Bien sûr, cela ne peut pas être aussi joli que la petite fille qui court contre la grille. Les petites filles ont de ces rêves qu’il faut coïncer contre quelque chose pour que cela ne s’évapore pas. Moi, j’avais un grand mur au port de Tamsui et je courais tout au long de lui en poursuivant mon rêve, qui finissait pas s’envoler en forme de nuage. Quand je te regarde, je me demande parfois si ce ne sont pas tes nuages à toi que tu dessines sur ton carnet. Mais tu te trompes, en restant immobile, tu laisseras toujours échapper ton rêve. Dans la ville, les gens qui attrapent le mieux leur rêve sont ceux qui courent le plus vite. Regarde bien les petites filles. Il y a celles du parc qui courent après les canards qui s’envolent. Tu crois qu’elles ont manqué le canard mais leur rêve c’est juste de voir le canard s’envoler, d’entendre le lourd battement des plumes. Et puis, bien sûr, il y a la petite fille au bâton. Les jours où on la laisse courir assez vite, elle voit son rêve danser derrière elle, à la pointe de son bâton. Mais toi, lève-toi, il faut que ça bouge !

proposition n° 17

Etre trop loin pour sentir les odeurs évocatrices. Il devrait y avoir encore des trucs de souris en goguette entre cuisine et garage, des rumeurs de chocolat entre les mailles des tapis et cela donnerait envie de suivre les chemins de souris et cela donnerait envie de voir s’envoler les bulles de chocolat. Mais l’odeur lourde des chaînes bien graissées fait écran et celle de la colle de guidoline fraîche aussi. On ne peut même pas dire qu’on est tenu trop loin, on est juste tenu de l’autre côté de l’évidence.

Et puis cet assourdissement des matins sans café ! Les tempes battent trop, on devient insensible au bruissement de toutes ces langues qui doivent bien sourdre de la Cité. Ou alors on marche trop près des gens pour essayer de les cueillir, on titube, on manque de trébucher sur leurs talons, on se fait prendre pour un quémandeur, on ne sait même pas trouver un mot qui conviendrait à la place de quémandeur.

Enfin, l’erreur Mermoz. Pris au piège de l’évidence Mermoz. Ah, ne pas avoir lu la plaque sur l’immeuble, ne pas avoir prêté un profil de grand avion à ce mur percé de hublots ronds et toujours éclairés ! Ainsi, il y aurait eu moyen d’en faire quelque chose, non pas de s’en faire faire quelque chose.

proposition n° 18

Le vieil homme qui guette mais qui peut bien savoir ce qu’il guette. Qui qui qui. Et même pas puisque, comme d’une coquille sur laquelle on aurait trois fois toquée s’échappe finalement un il, cet autre vieil homme. Faut-il que sa vue se rétrécisse au point que la matière de ses phrases n’ait que la pauvreté de trois éléments, savoir, guetter, être ce qu’on est à première vue : un vieil homme. Un vieil homme suffisant peut-être qui ne peut s’accepter simple sujet d’une phrase ordinaire, qui se voudrait pièce maîtresse d’une phrase nominale : le vieil homme à son guet. Il pourrait ainsi ajouter cette vanité à celle d’y être phrase terminale d’un bout de texte, ultime guetteur d’une ville, gardien de la barrière comme on dit de la porte en certaines villes et alors, allons-y ! Gardien de la barrière de Croix-dorée ou bien du Cordon-Tous-les-saints ou, pourquoi pas ? Du verrou de l’Estrémaille. Un homme alors qui s’attribuerait toutes les fonctions sujet, profitant de l’absence d’un point d’interrogation, déqualifiant le second qui d’un possible rôle de pronom interrogatif, non non, ce qui est un pronom relatif, l’homme qui guette certes n’y voit peut-être plus très bien mais, encore porteur d’une tête saine, il sait bien lui-même ce qu’il guette, il a la capacité d’encore le savoir. Un peu comme un homme qui écrit a la plume parfois embrouillée tout en sachant ce qu’il voudrait bien écrire.

proposition n° 19

Mermoz décolle enfin. Faisant pivoter l’appareil tout en traversant la rue, l’élevant sur son aile gauche, il parvient à utiliser la grille du parc comme un rail de décollage. Sitôt survolé le boulevard, il faut monter presque à la verticale pour ne pas butter dans ces sortes de façades jumelles qui parsèment les pelouses de ce qui s’avère être un huge park. Les murs de briques trop cuites font contraste avec le vert inachevé de l’herbe. Si l’on attend que cela s’arrête sous les pieds, il faut voler longtemps et encore, heureusement que le brouillard s’épaissit, Mermoz passe le pot-au-blanc. Il a juste, un court moment, l’avantage de voir se piqueter de jaune d’or la masse blanche. N’est-ce pas une tentation pour le voyageur de descendre à la cueillette jusqu’à s’écraser au sol ? Mermoz en a vu d’autres, il survole l’Amazone à flots d’or scindant l’immense Amazone blanc. Il trace son ruban, sa ville parvient à être ce ruban étiré qui finit quand même par surgir du brouillard et alors, c’est comme lorsque les brumeux abords océaniques laissent place au véritable Sahara. C’est un matin de gelée blanche et de ciel bleu. Mermoz est exactement entre les deux couleurs, essayant tout de même de repérer les lumières des balises humaines parmi la multitude des scintillements. Il y en a sur le coteau mais il y en a aussi une isolée, tout au bord du long ruban gris de la route, juste en face de la petite école. Les acacias pourraient jouer le rôle des pylônes, Mermoz aurait trouvé là un terrain de jeu.

proposition n° 20

L’acacia, la nuit. Le grand acacia, à la fin de la nuit. Le creux de base du grand acacia au moment où l’approche du matin se fait sentir. Quelques bribes d’écorce tombent, l’air s’est refroidi. La poussière accumulée tout au fond se fait molle. Il y a même quelques éclats de gravillons qui retombent, ils avaient été projetés hier aux heures chaudes par le passage dérapant d’un tricycle et s’étaient incrustés dans les rainures de l’écorce. Une branche, tombée récemment lors d’un décollage d’oiseau de fort calibre, obture en partie le grand triangle noir qui serait celui de l’exploration si quelque être venait par là. Des tout petits y seront peut-être à l’œuvre tout à l’heure. Pour le moment, le mouvement commence sur la route, à grand éclairage de phares qui projettent, au fond du trou triangulaire, les ombres ovales de ce qui pourrait être une forêt de palmiers.

proposition n° 21

Toutes les verticales sont obliques, les deux de la goulotte bien marquées d’un côté par l’ombre portée de l’autre par les grumeaux de papier enduits de peinture, celles du bâton légèrement courbes en plus, enserrant les fines stries du bois entre gris et brun d’où s’échappe le tourbillon noir brillant de la ficelle projetant son ombre complexe sur le blanc sale du mur. Il y a des lignes verticales, trois, et des lignes horizontales, deux, mieux marquées. La matière tire entre le rose et le beige, indistinctement bois ou carton, avec des traces blanches de ce qui fut collé puis arraché. Une barre verticale oblique verte avec une ombre portée épaisse sur sa droite, une bande verticale orange bordée à droite par un fin trait noir et puis, encore à droite une bande incertainement vert sombre ou noire. Enchevêtrement de fils épais, embrouillés, l’un gris l’autre beige, l’angle d’un carton, mâché, qui masque en partie un papier blanc recouvrant une partie des fils et puis juste une boucle d’un autre fil, lui bien noir. La moitié basse en lignes horizontales, séparant une bande de blanc et deux bandes de brun à deux nuances, la moitié haute ajoutant des verticales, séparant un angle de miroir, un angle de bordure dorée à petites bosses et un carré blanc qui la masque en partie, à vrai dire carré imparfait sur le haut qui monte à droite et dégage une ligne sombre qui s’épaissit à droite. Blanc dominant mais avec de légers moutonnements de gris et une veine qui traverse de droite à gauche, montant légèrement donnant un aspect de boursouflure et aussi de craquèlement marqué par une veinule noire, intermittente. Explosion de plastique fin derrière un écran de verre, encadrement vertical du bois, surpassement par une bande bariolée, légèrement convexe d’où jaillissent plusieurs bandes d’épaisseurs et de couleurs diverses, dont les bords sont plus ou moins anguleux.

proposition n° 22

Des veines d’écaillure dans le vernis qui tirent vers le plus jaune ou vers le plus brun, parfois le presque noir. Des bosselages légers, en tons de gris, l’un s’est écrasé ou a été écrasé comme une coquille d’œuf, produisant un réseau de craquelures fines en toile d’araignée. La tranche de contreplaqué vernie avance, l’ombre est par-dessous, la tranche est une alternance de fines couches, l’une claire, l’autre sombre, juste au-dessus l’alignement vertical des dos des livres. Le bord de tissu blanc à fin liseré rouge, le début de la masse boursouflée à droite, les plis tendus du tissu blanc qui se rejoignent en étoile et de l’autre côté, la zone pelucheuse d’un ton incertain entre rose et brun. Les lentilles qui brillent, les interstices mats et tout au milieu cette empreinte de vaccin polio à dessins noirs, à fragments nets et à fragments fondus. Des lignes brillantes et des bandes mates, tout de même couleur incertaine entre le crème et le gris et trois zones de choc où la peinture a éclaté, où le bois lui-même a été mâché et enfoncé. Une simple poire transparente, occupée d’un filament en tortillons, sa douille de laiton, un domino gris d’où s’échappent des fils rouge, bleu et brun qui s’enfoncent sous le plâtre troué pour les recevoir et, selon l’heure, un jeu d’ombre ou pas qui s’inscrit sur le plâtre ou pas et se projette plus bas ou pas.

proposition n° 23

Un horizon très rapproché, d’un mur au crépis éclaté, rapetassé de toiles d’araignées d’où se dégagent de gros tuyaux plombés et, un peu plus bas une bande de grosses pierres aux jointoiements effrités et donc de la poudre au sol de ciment qui masque les veinules près du mur. Un espace cerné par les vitres, dont certaines, animées, qui lancent des éclairs de soleil, certains jours, à certaines heures, un sol râpé près de l’entrée et au-delà, la lourde masse de la statue, à peine incertaine derrière les buissons et au-delà d’elle le goudron à gravillons de l’allée principale et les pelouses, qui portent des éclats de feuilles jaunes, certaines jours, à certaines saisons. L’angle de la cabine téléphonique borde de peu la fenêtre au balcon de fer forgé, qu’on distingue à travers le rideau de mousseline et au-delà, la grande porte de chez les Belges avec un encadrement de pierre taillée à arêtes marquées, avec de grands pans de brique brune, les toupets de quelques petits arbres qui mettent du temps à pousser et la hampe du réverbère dont les coulures vues d’ici peuvent être tout aussi bien les oxydations du zing au ruissellement de la pluie que les épaississements en lis de la mousseline. La fenêtre est plus petite et à celle-là, le rideau est toujours replié, on distingue ainsi les détails de la grille du parc dont on voit les pointes dorées d’en haut et les toits des véhicules qui passent sur le boulevard, des toits qui se parent de reflets rouges à l’arrêt et puis de reflets verts qui les font s’animer, on aperçoit aussi les grandes tâches où le goudron cède franchement aux gravillons dans l’allée et les champignons qui peuvent pousser tout près de la statue, sur la pelouse à certaines saisons, certaines années, que ceux de la Maison de l’Italie et du Japon scrutent toujours avec de l’intérêt mais que ceux des maisons de Belgique et d’Allemagne dédaignent. Reste à aller tout en haut, là où c’est défendu mais pas forcément fermé, juste pour apercevoir la bordure du toit de zing et les autres toitures, du moins tant que les bâtiments ne sont pas plus haut, de là surtout la grande masse les arbres du parc qui semble occuper la plus grande partie de l’espace qui noie même la grille et d’où émergent les tours, les neuves et les vieilles, celle qu’on a vue plus de mille fois en photo et celles dont on se demande ce que valent bien leurs fenêtres.

proposition n° 24

La fenêtre est plus petite et à celle-là, le rideau est presque toujours replié, on distingue ainsi les détails de la grille du parc dont on voit les pointes dorées d’en haut et les toits des véhicules qui passent sur le boulevard, des toits qui se parent de reflets rouges à l’arrêt et puis de reflets verts qui les font s’animer, on aperçoit aussi les grandes tâches où le goudron cède franchement aux gravillons dans l’allée et les champignons qui peuvent pousser tout près de la statue, sur la pelouse à certaines saisons, certaines années, que ceux de la Maison de l’Italie et du Japon scrutent toujours avec de l’intérêt mais que ceux des maisons de Belgique et d’Allemagne dédaignent. C’est aux premiers jours chauds de l’été que le ballet des reflets s’accompagne le plus des montées sonores des moteurs car la fenêtre reste ouverte la plupart de ces journées et les rideaux de mousseline ne cessent de voleter, il y a à part cela peu de mouvement à intérieur de la fenêtre mais parfois d’en bas, des pelouses qui brillent au soleil, monte un rire. Les premiers jours de vent et de gris de septembre changeront tout cela, la fenêtre sera refermée, la mousseline déployée mais, sur les pelouse encore vertes , les premières feuilles à tomber, celles qui sèchent et se recroquevillent, viendront faire le contraste d’étoiles sombres parmi le tapis clair. Plus tard viendra bien sûr la pluie et une main secourable aura l’idée de tirer le rideau pour qu’un peu de lumière entre quand même. Avec elle entreront surtout les reflets rouges et verts sur les toits mouillés, personne ne se penchera plus pour regarder les pelouses noircies de feuilles étalées, mouillées, collées entre elles, pourrissantes. Il faudra attendre, longtemps parfois, la saison des jeux de nuages et de soleil venus réveiller les éclats de vitre, lorsque, au-delà du boulevard le regard ne s’empale plus forcément sur les pointes de la grille du parc mais se plaît à voir fourmiller les jeunes pousses vertes des arbres.

proposition n° 25

D’où vient ce besoin de l’escalade en cheminée entre le grand bâtiment au bord du parc et l’école désaffectée pas très loin du canal voilà qui aiderait à assumer de poser un ruban entre les pavés et non de construire pavé après pavé. Cela pourrait avoir avec se penser d’une avion mais alors il faudrait trouver en quoi mini-Mermoz se pense décolleur. La longue énumération des zones de décollage ne prendrait pas de fin et pourtant ne vient pas encore le moment où la voix impérieuse va s’arrêter sur cour aux acacias ou sur pelouse aux champignons ou sur goudron aux plaques de gravillon ou sur longue rampe verticale de la grille du parc. Il y a aussi la question de la frontière et non pas tant de son tracé que de son existence ou de son inexistence mais alors à savoir si le mot ville a raison d’exister dès lors que l’amalgame est fait entre une bordure de boulevard et le pied d’un coteau où l’on peut détailler toutes les lumières du village faîtier. Et la qualification de fuite alors et la disqualification d’avancée exploratrice lorsque l’on délaisse les latéralités prometteuses de districts et de quartiers et de banlieues pour s’enfoncer vers les garages à vélo ou encore se hisser frauduleusement jusqu’à des toitures défendues au prétexte que la latéralité se gagne légitimement par la hauteur prise du voyeur et non par l’avancement en toute cérébralité de l’écrivain.

proposition n° 26

Le moment du vol inaugural du Concorde, le 2 mars 1969, c’est facile à retrouver, c’est encore accessible avec des moteurs de recherche, mais je pense qu’ils se trompent, cela ne pouvait pas être un dimanche. On peut même voir des images, mais pas les miennes. Les miennes, c’est la cour de récréation aux acacias où on nous fait tous sortir à l’heure dite qui n’est pas l’heure de la récréation habituelle et on nous fait regarder en l’air. Le triangle blanc au cou allongé apparaît à l’horizon avec un bruit qu’on n’avait jamais entendu jusque là. Nous sommes au cœur des champs et des prés où se faufilent parfois les péniches et nous voyons cet avion dont le journal télévisé du soir aussi bien que les actualités régionales diront qu’il a survolé Toulouse. Le dimanche suivant, à table, le grand-père de Toulouse dira qu’au premier vol du Concorde, les étourneaux ont enfin quitté les platanes de la gare Matabiau, là où on prend le Capitole pour aller à Paris. C’est donc bien au même moment que j’ai vu le concorde au-dessus des champs et qu’il effrayait les étourneaux du centre de Toulouse et dans ma tête de six ans, le Capitole a le même genre de capacité que le Concorde, être presque en même temps à Toulouse et à Paris. Tout ça se tient, c’est la ville.

proposition n° 27

J’ai eu le temps d’oublier que j’allais arriver. J’ai eu le temps de rêver que j’arrivais ailleurs. Le long temps d’une nuit en couchette où tantôt le train tangue et tantôt il semble atterrir à grand renfort de freinage. Et au petit matin, la phrase inchangée au long de tant d’années qui dit que vous venez d’arriver à Paris-Austerlitz, que tous les voyageurs descendent de voiture, juste au moment où on n’aurait plus trop envie de quitter la couchette de skaï. Ça dit encore de vouloir s’assurer qu’on n’a rien oublié dans le train alors qu’on n’est pas sûr de ce qu’on trimbalait au moment où on y est monté. Et la pénombre du trop petit matin sur le quai interminable ne rend pas les choses faciles. Pour m’endormir quelques heures plus tôt, je me suis raconté des histoires de refuge dans des cales de navire voguant sur des fleuves impétueux, de refuge dans des clochers vibrant à tous les vents et voilà que je me trouve sous des avancées de toits sombres qui me rappellent les triages des camps de l’enfer, selon d’autres histoires que je me raconte, à d’autres moments bien sûr. Longer la longue façade intérieure, une fois arrivé à la profusion des néons, n’est guère plus facile. Cela va mieux quand le Jardin des plantes brouille les arêtes des murs. Là, le soleil commence à donner l’espoir qu’il se lèvera. Il n’est plus besoin de se raconter des histoires, le crissement des graviers des allées, le souffle des gens qui courent donnent à voir, à sentir, à entendre. Une fois ressorti, au carrefour du Muséum donc, c’est comme si la ville me souriait, faisait des clins d’œil même, avec sa mosquée façon Alhambra à laquelle je n’ai même pas osé penser pour m’endormir. Même la rue toute rectiligne, même le nom à couperet de guillotine de Censier-Daubenton ne me renfrognent. J’ai la patience qu’il faut à tous les carrefours de boulevards de la rue de la Glacière, la Santé reste à son sens premier et enfin je vois au loin de la rue, guidé par le rail de la grille du parc, les grands bâtiments de la Cité. Cité, est-ce mieux que ville ? Mais pas le temps de réfléchir, Mermoz, me retrouvant, m’interpelle.

proposition n° 28

Juste après le premier platane, toute l’enfilade des troncs m’apparaît. Juste avant, j’ai vu au loin là où je voulais revenir, fait d’un toit émergeant, encore incertain, trop d’arbres par-devant, trop de hautes herbes. J’ai pris le temps de décontracter un peu les cuisses, je sais qu’il ne faudra plus faiblir, tenir une trajectoire tendue pour éviter d’être happé par les véhicules lourds qui roulent bien trop vite. Là où je voudrais pouvoir déjà regarder, pour assister à l’émergence des murs sous le toit, les platanes alignés forment une muraille infranchissable. L’intervalle entre les deux premiers que je dépasse ne me laisse rien voir qui m’intéresse, autant regarder leur tronc, essayer de saisir au passage la carte géographique que le dessin des lentilles d’écorce me propose. Il faut quand même faire attention aux ressauts du goudron soulevé par leurs racines, ne pas faire d’écart, ça passe tout près sur ma gauche, ça ne s’écarte pas, maudits poids-lourds à l’heure où tout véhicule carrossé est un poids-lourd ! Ils m’obligent, à leur passage, à regarder devant, m’assurer que ma trajectoire vise bien une rectitude tangente aux rondeurs des gros troncs. Tout au bout, là-bas, il y a bien un clocher mais il ne m’évoque pas grand-chose, je suis parti d’ici trop tôt, il n’y a pas eu là, pour moi, de première communion. Je serais presque tenté de regarder plutôt derrière, j’apercevrais peut-être quelque chose de la piscine d’été où je suis allé quelques fois avec ma mère, au temps où la piscine a pu représenter quelque chose d’heureux. Mais se retourner, laisser glisser son regard contre les troncs du côté opposé, comme pourrait le faire une petite fille avec un bâton contre la grille d’un parc, c’est risquer de s’écarter de la bonne trajectoire et ça klaxonne ! Allez, on se perd plutôt dans les cartes géographiques, l’alignement des troncs de platanes fait comme un atlas, j’avance vers une infinité de lieux à la fois, j’oublie où je reviens précisément et tout d’un coup, à l’écartement des deux derniers platanes, c’est là.

proposition n° 29

J’avais moi aussi besoin de téléphoner très tôt ce matin-là. Elle avait pris place la première dans la cabine. Elle avait le droit de téléphoner la première, normal en principe. Mais quand même, je voulais lui montrer que j’étais là, que j’attendais. Il me semblait la connaître, peut-être simplement que je l’avais déjà croisée dans la Cité, mais pas dans mon bâtiment, il ne me semblait pas. Peut-être à l’entrée, peut-être déjà vers la cabine téléphonique. Ou près d’une autre. Dommage de ne pas être à Vienne où aucune cabine ne ressemble à une autre, ça m’aurait à me rappeler sans doute. C’était déjà son dos que j’avais vu, peut-être. Et elle, m’avait-elle déjà vu quelque part ? N’empêche, à la fois pour manifester ma présence et pour voir à quoi ressemblait son visage, il me fallait tourner un peu autour de la cabine.Elle avait une robe à dominante bleue, comme la Terre. Quand je me suis mis à tourner autour de la cabine, elle s’est mise à tourner sur elle-même. Impossible de voir son visage. Mais j’entendais sa voix, parlant fort parce que la communication était mauvaise ou parlant fort parce que se sachant parler loin. Cela ressemblait à du chinois. Je voyais bien ses cheveux drus et raides. J’étais un peu vexé qu’elle ne veuille pas me laisser la regarder en face. Ou bien alors, elle parlait d’astronomie à son interlocutrice. Ah, cette envie subite que ce soit une interlocutrice ! et le prétexte de sa rotation, une conférence sur l’astronomie depuis une cabine. Mais je suis comme ça, à toujours créditer l’autre de l’hypothèse qui lui est la plus favorable à mes yeux, mon grand principe dans la vie.

proposition n° 30

Ce jour-là, un grand autocar se gare devant les platanes, au droit de l’allée qui passe entre les buis pour aller à l’école. Dans la cour où il fait encore frais, tout le monde s’est peu à peu rassemblé depuis une bonne demi-heure, enfants, parents qui les ont accompagnés, instituteur, institutrices dont certaines accompagnées exceptionnellement de leur conjoint et même cantinière exceptionnellement accompagnée de son grand fils et de la petite amie de celui-ci. A l’arrêt du car, les cris des enfants se calment. Le directeur se met à crier, lui, pour rassembler tout le monde. Une mère encore un peu inquiète redemande au groupe des institutrices quel sera l’itinéraire du voyage scolaire de cette année. On lui répond. On lui indique aussi que ce n’est pas la peine de venir chercher sa fille avant huit heures ce soir. Mais c’est le début de l’été, ce n’est pas grave, il fera encore jour. Les institutrices gloussent encore entre elles des souvenirs de précédents voyages scolaires que le directeur s’est chargé de récapituler peu avant. Les enfants comparent leurs sacs de pique-nique, sans avoir le droit de les ouvrir, les institutrices y veillent. Le chauffeur appelle depuis la porte ouverte, le directeur s’avance, vérifie avec lui des papiers puis organise la montée, ayant demandé à l’une des institutrices de compter les enfants déjà montés dans le bus pendant qu’il compte ceux qui posent leur premier pied sur le marche-pied. Il y a de petites bousculades, de grosses réprimandes déjà et le rappel par le directeur d’un passif de remontrances durant l’année scolaire écoulée. Un certain agacement monte, le compte de l’institutrice comptable et celui du directeur concordent mais ne correspondent pas à l’effectif annoncé. Un klaxon retentit alors, une auto vient freiner en trombe derrière le car. Il en sort un enfant essoufflé auquel il ne reste que la place du second rang, la pire, la dernière à être occupée chaque année, à côté de l’institutrice des petits.

proposition n° 31

Ce que c’est qu’un trou. Cela ne se découvre pas en jardinant. Et pourtant on en fait tout le temps. Mais les trous de jardinage, c’est pas tant pour y mettre, c’est pour en voir sortir. Un vrai trou, il vous dit qu’on n’en sortira pas. Pourtant, il ne se montre pas directement à vous, il s’occulte pudiquement du tas de terre déblayé. Mais il a beau être au fond d’une cour familière, il vous suggère si fort ce qu’il recèle de terriblement nouveau que vous n’irez pas voir et vous pleurerez Wolf gambadant toute une soirée durant, comme si déjà vous saviez. Au cimetière, les trous ne se font voir qu’exceptionnellement. Pour de plus en plus de gens, les trous sont conjurés par le départ en fumée. Au moins, quelque chose sort. Et même pour la retombée en cendres, on a des solutions, on peut même faire une œuvre littéraire avec le catalogue des cent façons d’accorder une signifiante sortie à ses cendres. Et pourtant les cimetières à leur façon parlent de trous, comme les pages des livres parlent de chemin. Là, il ne s’agit pas d’écouter, il s’agit de sentir. L’obstination des chrysanthèmes de la fête de Toussaint rétablit le parfum de la terre humide au fond d’un trou par la conjugaison de la précaution humidifiante des humains pour les pots et l’aller-retour entre froid et chaud que permet l’exceptionnelle inversion d’évolution météorologique entre premier et onze novembre. Sentir aussi au bout de ses doigts le poli rugueux du marbre laissé longtemps à l’extérieur, très exactement la sensation du contact de la terre fine sur le fond lissé d’un trou. Sentir encore l’enfoncement des pointes de gravier, au long des allées, dans ses propres semelles, pressentir que l’on pourrait trébucher, que l’on pourrait tomber, qu’un trou nous attend, moi aussi.

proposition n° 32

Ça paraît parler surtout aux yeux mais ça ne parle pas surtout aux yeux. Ça parle plutôt au ventre et presque exclusivement à lui. Ça pourrait rétablir la réalité d’une expression : avoir le ciel plus gros que le ventre. Pour comprendre, il faut être sous le ciel en proximité d’équinoxe, plutôt au mois de mars d’ailleurs. Se placer bien sous le ciel, ce qui n’est pas difficile, un jour où le vent d’autan commence à souffler, celui qui est sec, tiède. Celui qui fait tourner là-haut. On a encore l’impression que c’est tout en couleur unie mais ça tourne déjà dans les fondements. Et le ventre le sent. Les nuages naissent de ce tourbillon, de ce jeu de cuillère invisible qui fait exactement l’inverse de ce qu’elle fait dans l’assiette où elle homogénéise. Là-haut la grande cuillère invisible que fait tourner le vent fait surgir l’irrégulier et le solidifie et peu à peu se dégagent des filaments. Les filaments se trament et puis se réunissent.Plus aucun pouce de couleur n’est plus uni d’abord, on peut croire qu’il y aura juste un obscurcissement mais les trames se solidifient en se rassemblant, tournant encore. Elles finissent par former des assiettes électriques dans le ciel qui retrouve son bleu de nappe. Par en-bas, l’estomac vibre, les assiettes grésillent, c’est le temps où les jambes et les bras veulent être en action, où le ventre, toute attention tendue vers les assiettes d’en-haut, ne saurait se remplir.

proposition n° 33

Un corps est endormi, ne sentant même pas le picotement du soleil qui commence à passer par-dessus la Maison des Belges. Deux corps sont enlacés et viennent de se réveiller. Un regard est intensément accroché à un fascicule qu’une main crispée tient. Un regard s’amuse d’un livre posé sur une table. Deux bras font aller et venir une serpillière mouillée maintenue au sol par un balais-brosse. Deux jambes s’agitent déjà pour descendre l’escalier. Un index replié guide un stylo qui va très vite sur une feuille pourtant déjà bien remplie. Une autre main tient un autre stylo qui aligne négligemment des mots. En face, deux mains tiennent un menton dont la bouche parle à la tête qui fait face, de temps en temps. Une main met des pièces dans la cabine téléphonique, tandis qu’une autre main enserre le combiné. Tout un corps pousse une brouette à ramasser les feuilles mortes. Des dizaines de paires de mains sont posées sur des volants dans l’attente que le feu passe au vert et quelques paires de jambes s’activent tant que le feu n’est pas au rouge. Une main de boulangère tend du pain frais qui ne peut être pris tout de suite, qui reste un peu sur l’étal, pendant qu’une main fouille fébrilement dans un porte-monnaie. L’espace de deux bras et d’un rempart de poitrine déplace des téléviseurs à réparer. Une main feuillette les unes de journaux à l’étal tandis qu’une bouche essayant d’envoyer une question par-dessus l’épaule pour savoir si c’est bien le dernier numéro édité. De derrière le comptoir une bouche déformée par une pipe répond laconiquement, pendant que le regard se détourne et scrute les voitures qui viennent de redémarrer. Tout un corps est penché et une main cherche à débloquer la roue d’une poussette. Deux corps se bousculent jusqu’à ce que le cartable de l’un d’eux tombe. Des jambes courent, des bras font semblant de courir devant une poitrine haletante. Une paire d’yeux interrogative se lève vers le coureur. Elle ne revient pas tout de suite au livre posé sur le banc du parc Montsouris. C’est plutôt une main qui va fouiller dans un sachet de chouquettes posé à peine plus loin sur le banc. Deux jambes déambulent. Juste au-dessus d’elle, une bouche souffle dans un sifflet. Deux corps, ayant déposé leurs cartables, sont venus se bousculer dans le parc. Deux bouches rient. Les quatre yeux, par-dessus la grille, ont vu la scène depuis une fenêtre où l’ensemble des deux corps se tient enlacé. Un corps est encore endormi au rez-de-chaussée de la Maison des Belges.

proposition n° 34

Le sud. On le reconnaît à ce trottoir que les plus hauts arbres du parc ne parviennent à ombrer que tôt le matin et tard le soir, autour du solstice d’été. Les pelouses y ont des airs tendres, accueillent les feuilles sèches à la saison et quelques champignons à la même saison. Il est des saisons où l’on est tenté de laisser toujours la fenêtre ouverte, aucun vent mauvais n’arrive de par là. Les dimanches s’y éternisent bien en juin mais quand même pas trop et le matin vient tard en décembre mais quand même pas trop. Les mousses sont cachées, les lichens se montrent, le goudron trouve des occasions de fondre. Les poussettes sont de sortie assez souvent et sinon, c’est plus la pluie que le froid qui les empêche. Il y a des couleurs assumées et pourtant des briques brunes. Il y a une aridité de trottoir et pourtant des caresses alternatives de vert et de rouge. Au loin, la maison Mermoz, toujours prête à s’envoler, encore plus au sud.

Le nord. Il est marqué par le coteau où s’allument les petites lumières, le soir et à toute saison mais plus tôt, bien sûr, à certaines saisons qu’à d’autres et ainsi le nord ne s’illumine pas toujours à la même heure. L’ombre à gros pompon des acacias s’y inscrit sur le gravier de la cour. A part le matin et le soir, aux jours proches du solstice d’été, l’ombrage du préau est toujours un peu augmenté, ainsi que celui de la façade et de ce fait on n’est jamais ébloui pour lire l’inscription qu’elle porte. Le pré y est gris tout l’hiver, on y enfoncerait sans peine des bâtons si c’était permis. On n’hésite jamais à y pelotonner des anoraks. Il y a un genre de poudre verte accrochée aux troncs des platanes pourtant bien abrupts. De là-haut, voit-on encore plus loin que le coteau, encore plus au nord ?

L’ouest. C’est de là que décollent en premier les étourneaux car le vent y est le plus fort. Ils ont de quoi nicher dans la ramure épaisse des platanes qui se reflètent dans le canal-bordure. Il marque qu’on peut être encore plus à l’ouest que l’ouest, mais cela devient alors affaire de faubourg. A l’ouest aussi, une bataille et la grande colonne qu’elle a laissée. A l’ouest les lignes de chemin de fer, dont celle qui va jusqu’à Paris-Austerlitz d’un côté et jusqu’à Irun ou bien Cerbère de l’autre. Ça rêve donc de ce qui est au nord et au sud, à l’ouest.

L’est. Il offre la perspective du brouillard et de l’univers pavillonnaire. Les maisons qui perdent leurs jardins avant de se perdre elles-mêmes. Un univers où tout finit par se ressembler, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Malgré tout, c’est de l’est que sont venus les arbres aux feuilles d’or. Rarement d’ailleurs le vent vient de là-bas, comme s’il fallait que le vent pousse toujours plus ou moins vers là-bas. C’est peut-être par là-bas que l’on finit par aller ou revenir sans vraiment l’avoir choisi, à l’est.

proposition n° 35

Le sud. Même les plus hauts arbres du parc vont être ombrés par les grandes bornes des véhicules télé-électriques. On le reconnaîtra quand même, ce sud, à ce trottoir que les plus hauts arbres du parc ne parviendront à ombrer que tôt le matin et tard le soir, autour du solstice d’été. Les pelouses vont y prendre des airs de mosaïque, avec les plaques solaires installées par les étudiants pour y alimenter leurs plaques électriques. Malgré tout, il sera des saisons où l’on sera tenté de laisser toujours la fenêtre ouverte, aucun vent mauvais ne sera censé arriver de par là. Les dimanches s’y éterniseront bien aux prochaines animations de juin et le matin viendra franchement tard en décembre. A la prochaine canicule, le goudron trouvera des occasions de fondre. Au loin, la maison Mermoz, sera peut-être enfin prête à s’envoler, encore plus au sud.

Le nord. Il sera plus que jamais marqué par le coteau où s’allumeront les nouvelles petites lumières à led réflexif, le soir et à toute saison mais plus tôt, bien sûr, à certaines saisons qu’à d’autres. L’ombre à gros pompon des acacias s’y inscrira sur le roloflex de l’entraînement des vélos. A part le matin et le soir, aux jours proches du solstice d’été, l’ombrage du préau sera toujours un peu augmenté, ainsi que celui de la façade et de ce fait qui se laissera encore éblouir en lisant l’inscription qu’elle porte. Le pré fera le petit gris de l’hiver. On n’hésitera jamais à y pelotonner des anoraks. On viendra prélever la poudre verte accrochée aux troncs des platanes pourtant bien abrupts. De là-haut, après l’étêtement, verra-t-on encore plus loin que le coteau, encore plus au nord ?

L’ouest. C’est de là que reviendront en premier les étourneaux car le vent ramène là avec le plus de force. Ils auront de nouveau de quoi nicher dans la ramure épaisse des platanes se reflétant dans le canal-bordure. Qui sera encore attentif à la marque disant qu’on peut être encore plus à l’ouest que l’ouest, même si cela devient alors affaire de faubourg. A l’ouest aussi, une colonne démolie. A l’ouest des lignes de chemin de fer fermées, dont celle qui allait jusqu’à Paris-Austerlitz d’un côté et jusqu’à Irun ou bien Cerbère de l’autre. Ça rêvera donc comment on pouvait aller au nord et au sud, depuis l’ouest.

L’est. Il aura perdu la perspective du brouillard, eu égard au changement climatique mais pas celle de l’univers pavillonnaire, eu égard à l’inertie des fantasmes sociaux : les maisons qui perdent leurs jardins avant de se perdre elles-mêmes. Un univers où tout finira par se ressembler même sans le brouillard, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Malgré tout, c’est à l’est que seront sanctuarisés les arbres aux feuilles d’or. Rarement d’ailleurs les touristes viendront de là-bas, comme s’il fallait que le vent pousse toujours plus ou moins d’une autre direction. C’est peut-être par là-bas pourtant que, d’ailleurs, l’on finit par aller sans vraiment l’avoir choisi, à l’est.

proposition n° 36

A l’horizon du sud, y braquer le télescope à minuit pile. On reconnaît l’heure propice à ce que les plus hauts arbres d’un parc qu’on aperçoit d’abord ne parviennent pas à ombrer un certain trottoir à leur pied. c’est à cette heure qu’on distingue des couleurs tendres, qui pourraient être celles de pelouses avec des tâches sombres, comme celles de feuilles sèches ou même de champignons. On peut s’éterniser à observer, certains dimanches de juin mais quand même pas trop n’est possible. Que dire de la végétation là-bas ? Les mousses sont cachées, de probables lichens se montrent, le goudron semble y trouver des occasions de fondre. Il y a des couleurs assumées avec des genres de briques brunes. Il y a une aridité de trottoir sur certaines bandes et pourtant des caresses alternatives de vert et de rouge.

Cap au nord, télescope à quarante-cinq degrés au-dessus de l’horizon. On y distingue en bosse un coteau où s’allument les petites lumières, le soir et à toute saison mais plus tôt, bien sûr, à certaines saisons qu’à d’autres et ainsi le nord ne s’illumine pas toujours à la même heure. Une ombre à gros pompon qui pourrait être celle de gros arbres, telle serait sur Terre celle d’acacias. A part le matin et le soir, aux jours proches du solstice d’été, un ombrage de longue construction est toujours un peu augmenté, ainsi que celui d’un genre de façade où pourrait bien se trouver une inscription liminaire.

Cap à l’ouest, remonter le télescope de vingt degrés. C’est de là que décollent en premier des nuées ressemblant à celles des terrestres étourneaux. Ils doivent avoir de quoi nicher dans la ramure épaisse de pseudo platanes qui se reflètent dans une sorte de canal-bordure.

Cap à l’est. On n’y voit que la perspective d’un brouillard voilant un univers pavillonnaire. Des maisons qui perdent leurs jardins avant de se perdre elles-mêmes. Un univers où tout finit par se ressembler, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Malgré tout, la ponctuation d’arbres aux feuilles d’or.

proposition n° 36

A l’horizon du sud, y braquer le télescope à minuit pile. On reconnaît l’heure propice à ce que les plus hauts arbres d’un parc qu’on aperçoit d’abord ne parviennent pas à ombrer un certain trottoir à leur pied. c’est à cette heure qu’on distingue des couleurs tendres, qui pourraient être celles de pelouses avec des tâches sombres, comme celles de feuilles sèches ou même de champignons. On peut s’éterniser à observer, certains dimanches de juin mais quand même pas trop n’est possible. Que dire de la végétation là-bas ? Les mousses sont cachées, de probables lichens se montrent, le goudron semble y trouver des occasions de fondre. Il y a des couleurs assumées avec des genres de briques brunes. Il y a une aridité de trottoir sur certaines bandes et pourtant des caresses alternatives de vert et de rouge.

Cap au nord, télescope à quarante-cinq degrés au-dessus de l’horizon. On y distingue en bosse un coteau où s’allument les petites lumières, le soir et à toute saison mais plus tôt, bien sûr, à certaines saisons qu’à d’autres et ainsi le nord ne s’illumine pas toujours à la même heure. Une ombre à gros pompon qui pourrait être celle de gros arbres, telle serait sur Terre celle d’acacias. A part le matin et le soir, aux jours proches du solstice d’été, un ombrage de longue construction est toujours un peu augmenté, ainsi que celui d’un genre de façade où pourrait bien se trouver une inscription liminaire.

Cap à l’ouest, remonter le télescope de vingt degrés. C’est de là que décollent en premier des nuées ressemblant à celles des terrestres étourneaux. Ils doivent avoir de quoi nicher dans la ramure épaisse de pseudo platanes qui se reflètent dans une sorte de canal-bordure.

Cap à l’est. On n’y voit que la perspective d’un brouillard voilant un univers pavillonnaire. Des maisons qui perdent leurs jardins avant de se perdre elles-mêmes. Un univers où tout finit par se ressembler, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Malgré tout, la ponctuation d’arbres aux feuilles d’or.

proposition n° 37

Partant du sud, on traverse. On trouve des casiers à courrier pas très pleins. On trouve des amas de papiers horizontaux, en piles dont le contenu se transfère, à petite vitesse. Le bas des armoires est rempli de chaussures prêtes, dans leur ensemble, à couvrir toutes les saisons. Mais des vêtements qui risquent d’être insuffisants par très grand froid. Dire qu’il est des saisons où l’on est tenté de laisser toujours la fenêtre ouverte ! Sur les étagères de livres, il y a ceux des soirs studieux de semaine et ceux des évasions du dimanche, notamment pour celles et ceux qui les voient s’éterniser quand vient juin. Un effacement de cloison plus loin, on trouve des bandes dessinées sur l’étagère et des desserts. Les mousses sont cachées, les chocolats se montre, quelques traces montrant qu’il trouve des occasions de fondre. Les vélos sont alignés quelques planchers plus bas. Si l’on parvient à traverser non seulement les cloisons mais encore les rues et même des aridités de trottoir où l’on enjambe les touches alternatives de vert et de rouge, on entre dans la maison Mermoz, au mobilier toujours vide, ne s’encombrant d’aucun lest.

La traversée peut se poursuivre au nord. On entre dans des garages encombrés dont l’automobile est loin d’être le principal occupant. Abondent les outils de jardin et les jouets trop volumineux pour rester dans les chambres d’enfant. De quoi ramasser, à la saison, les ovales jaunes des acacias dans le gravier de la cour et de biner le potager. Une fois traversé le vide du préau, on peut se cogner aux tables de la cantine, faire grincer les chaises sur le carrelage et plus, plus loin, aller s’émerveiller de la taille des marmites d’aluminium. Le pré, lui, ne se traverse même pas. Il faudrait en rester au couloir des portemanteaux où se pelotonnent des anoraks. Cherchez encore le local technique pour y trouver les ampoules de lumière clignotante jaune pour traverser la route mais apprêtez-vous à le chercher longtemps.

Et l’ouest ? Attention, en traversant les murs, de ne pas vous griffer aux pointes de découragement des étourneaux qui ont de quoi nicher dans la ramure épaisse des platanes qui se reflètent dans le canal-bordure. Dans les petites pièces, ce qui est affaire de faubourg, on a entassé la vaisselle et le linge, mais dans des pièces séparées. Les victuailles aussi, conservant à côté d’elle les grands sacs à marque commerciale dans lesquelles on les a apportées et dont on ne rougit pas, à l’ouest.

Traverser jusqu’à l’est, c’est possible. Le brouillard n’est alors pas le plus difficile à passer. Mais on peut se perdre dans les méats de jardins de l’univers pavillonnaire. Une première maison vous dit sa chambre d’enfant et puis sa chambre d’ami et puis son réduit d’outils pour le jardin. La cuisine y est en même temps bibliothèque, livre de tranche verte pour la plupart. Par un mouvement circulaire on arrive à l’allée des arbres aux feuilles d’or. Traverse-t-on les troncs et leurs réserves de noisettes et de mousse dans leurs creux ? Au-delà, il y a le bâtiment fermé, les pièces encore remplies de grandes pinces et de lampes, les pièces d’archives bien rangées. L’est, comme après une capitulation.

proposition n° 38

Le dernier vol de celui qui avait construit sa maison comme un paquebot calé contre une forêt de traverses.

Le peuple qui vivait au creux des acacias.

Qui s’est arrêté le dernier à la tombée des feuilles d’or ?

Autant en emporte le brouillard lorsqu’il décide où meurent les jardins.

Ne me faites pas dire que le coteau était mon horizon !

A la maison des Belges était l’aplomb de midi.

A la cabine, ma susurrante !

Tel un vol d’étourneaux qui rencontre l’histoire.

L’école et l’enfant de cour.

Si tu reviens d’Austerlitz.

Le pré aux anoraks ressuscités.

Regarde comme le parc était vilain quand il passait près d’elle.

Le boulevard des rouges verts.

La cité des intraduisibles.

Ecole à qui j’ai tout appris...

proposition n° 39

D’autres barrières que la grille. D’autres barrières en avant de la grande grille du parc. Une double barrière de métal blanche et rouge. Une bande de non circulation se dégage ainsi au milieu du boulevard. La barrière est basse mais opaque. Au moins la grille du parc laisse voir les arbres. La double barrière du milieu du boulevard qui va beaucoup plus loin que la grille du parc est d’abord contrariante. Contrariante pour les voitures auxquelles elle mange une double voie pour circuler, de chaque côté. A cause d’elle de la peinture jaune en lignes continues est apparue, obligeant d’ignorer la peinture blanche à pointillés. Il a quand même fallu l’interrompre, la double barrière, pour laisser des passages aux piétons. Ils y sont à l’étroit dans ces passages, au moment de guetter que la voie opposée soit libre de véhicules. Ça, c’est pour les plus pressés qui ne se résolvent pas à attendre le passage au rouge synchronisé des deux voies. Mais il y a aussi les encore plus pressés, que la barrière agace encore plus parce que des bords de métal acéré accrochent parfois les vêtements qui passent trop près et trop vite et les déchirent. Et puis il y a les personnes qui ont le temps de regarder, depuis les fenêtres hautes de la Cité. Ce sont elles les premières qui voient apparaître, aux défauts de la double barrière, la nouvelle bande d’herbe et les rails.

proposition n° 40

L’arête du mur latéral du grand préau se contourne, et après ? Après, la lumière s’arrête, la lumière des lampes humaines. Après commencent d’autant plus fortes les retombées de lumière des étoiles. Avant, on imagine à partir des espaces qui se dessinent, avant on fait des liens, on articule, on réseaute. Après, on rêve. Après, on a le vertige parce que plus aucune lumière n’arrive vraiment jusqu’en bas, la nuit. Après, la nuit est faite de chatouillement d’herbes, d’oscillations de graviers inconnus sous les semelles, d’éclaboussement de mottes de terre inattendues. Avant, on s’émerveille de l’ombre portée du moindre brin d’herbe, on fait danser les graviers, on salue les mottes de terre dans leur digne rareté. Après, il y a surtout des odeurs. Il n’y a plus guère de ronflements de moteurs qui passent, il n’y a plus de voix qui s’entremêlent. Bien sûr, les voix qui restent se remarquent. Mais après, ce qui reste, ce sont surtout des odeurs. La terre se fait odeur forte, après, surtout si elle a été arrosée par la pluie après une chaude journée. Le ruisseau remonte haut par son odeur fade. Avant, il n’y a pas d’odeur fade. Après, il n’y a plus d’odeur âcre. Il suffit de passer l’arête du mur de côté du préau, de passer derrière, de quitter l’espace de la cour ouvert sur la nationale et de descendre vers les jardins creusés dans les patientes habitudes qui sont fortes de se croire seulement d’ici.

proposition n° 41

L’école [1] devrait toujours s’appeler Samartin [2]-Belcassé [3]. Parce que les enfants de jadis [4] y entendront ainsi toujours les moments de y en a marre mais aussi les moments où la beauté a pu surgir d’un bris de bâton ou d’œuf [5]. D’autres y entendront qu’il y eut là, à un certain moment un beau chêne et que, peut-être un pionnier prédicateur [6] s’est arrêté un instant à son ombre. Les lumières lointaines [7] sont celles de Cordes-tous-les ânes [8]. Cordes, ça se retient comme un paradoxe lorsqu’il s’agit de simples points [9]. Quant aux ânes, avant d’en savoir plus, on a attendu le jour où ils se mettraient à braire. La barrière de chemin de fer, c’est la Barrière de Patriciade [10] pour faire comme celle de la ville, celle de Croix-Daurade, en évoquant cette Patricia, la fille du garde-barrière, en ce temps toujours la meilleure en classe. L’écluse ? L’écluse n’a pas de nom, d’ailleurs elle est cachée derrière les haies comme une fleur sauvage [11] . A quelques encablures dans la mémoire, le boulevard peut bien s’appeler Boulevard Jour d’en [12], car au passage de cette frontière s’est renversée la vieille habitude de qualifier les fiefs. Jusque là, on disait En sus, En calcat [13] et puis il y eut la grande traversée, un jour. On s’est retrouvé sur le trottoir du boulevard, alors pourquoi pas Jour d’en ? La rue de fuite serait rue du Parc Montsourd [14]. C’est au cœur du parc, en cas de besoin d’exil, qu’on peut aller vers le moins de bruit. C’est le long de la rue que s’égrènent les traverses verticales de la grille, avec le bruit des trains qui quittent gare. Et le pavillon ? Allez, Fondation Agronymique [15], là où on n’inventerait que des noms, genre Belle-du-jour-qui-passe, Impatiente-ne-me-chiffonnez-pas, Cabaret-des-hirondelles et d’autres et d’autres ! L’entour, alors, s’appelle forcément, Résid’U [16].

proposition n° 42

Ce jour-là, un grand autocar se gare devant les platanes, au droit de l’allée qui passe entre les buis pour aller à l’école. Dans la cour où il fait encore frais, tout le monde s’est peu à peu rassemblé depuis une bonne demi-heure, enfants, parents qui les ont accompagnés, instituteur, institutrices dont certaines accompagnées exceptionnellement de leur conjoint et même cantinière exceptionnellement accompagnée de son grand fils et de la petite amie de celui-ci. A l’arrêt du car, les cris des enfants se calment. Le directeur se met à crier, lui, pour rassembler tout le monde. Une mère encore un peu inquiète redemande au groupe des institutrices quel sera l’itinéraire du voyage scolaire de cette année. On lui répond. On lui indique aussi que ce n’est pas la peine de venir chercher sa fille avant huit heures ce soir. Mais c’est le début de l’été, ce n’est pas grave, il fera encore jour. Les institutrices gloussent encore entre elles des souvenirs de précédents voyages scolaires que le directeur s’est chargé de récapituler peu avant. Les enfants comparent leurs sacs de pique-nique, sans avoir le droit de les ouvrir, les institutrices y veillent. Le chauffeur appelle depuis la porte ouverte, le directeur s’avance, vérifie avec lui des papiers puis organise la montée, ayant demandé à l’une des institutrices de compter les enfants déjà montés dans le bus pendant qu’il compte ceux qui posent leur premier pied sur le marche-pied. Il y a de petites bousculades, de grosses réprimandes déjà et le rappel par le directeur d’un passif de remontrances durant l’année scolaire écoulée. Un certain agacement monte, le compte de l’institutrice comptable et celui du directeur concordent mais ne correspondent pas à l’effectif annoncé. Un klaxon retentit alors, une auto vient freiner en trombe derrière le car. Il en sort un enfant essoufflé auquel il ne reste que la place du second rang, la pire, la dernière à être occupée chaque année, à côté de l’institutrice des petits.

Presque les mêmes se rassembleront au onze novembre. Il s’agira d’aller moins loin mais il s’agira d’y aller à pied et surtout dans un ordre ostentatoire qui suggère la solennité. Pourtant, tant qu’il s’agira de la gerbe du onze novembre, le rendez-vous avec la mort restera facile. Le trou des morts du onze novembre ne regarde plus personne franchement.

Ce que c’est qu’un trou. Cela ne se découvre pas en jardinant. Et pourtant on en fait tout le temps. Mais les trous de jardinage, c’est pas tant pour y mettre, c’est pour en voir sortir. Un vrai trou, il vous dit qu’on n’en sortira pas. Pourtant, il ne se montre pas directement à vous, il s’occulte pudiquement du tas de terre déblayé. Mais il a beau être au fond d’une cour familière, il vous suggère si fort ce qu’il recèle de terriblement nouveau que vous n’irez pas voir et vous pleurerez Wolf gambadant toute une soirée durant, comme si déjà vous saviez. Au cimetière, les trous ne se font voir qu’exceptionnellement. Pour de plus en plus de gens, les trous sont conjurés par le départ en fumée. Au moins, quelque chose sort. Et même pour la retombée en cendres, on a des solutions, on peut même faire une œuvre littéraire avec le catalogue des cent façons d’accorder une signifiante sortie à ses cendres. Et pourtant les cimetières à leur façon parlent de trous, comme les pages des livres parlent de chemin. Là, il ne s’agit pas d’écouter, il s’agit de sentir. L’obstination des chrysanthèmes de la fête de Toussaint rétablit le parfum de la terre humide au fond d’un trou par la conjugaison de la précaution humidifiante des humains pour les pots et l’aller-retour entre froid et chaud que permet l’exceptionnelle inversion d’évolution météorologique entre premier et onze novembre. Sentir aussi au bout de ses doigts le poli rugueux du marbre laissé longtemps à l’extérieur, très exactement la sensation du contact de la terre fine sur le fond lissé d’un trou. Sentir encore l’enfoncement des pointes de gravier, au long des allées, dans ses propres semelles, pressentir que l’on pourrait trébucher, que l’on pourrait tomber, qu’un trou nous attend, moi aussi.

Et vous croyez vraiment que c’est ça qui vous fait regarder vers le ciel ? Mais non, ce n’est pas ça, foutaises ! Ou alors parlons d’un autre creux, un qui est dans son propre ventre. L’intérêt pour le ciel, ça part du ventre. Pourtant, le ciel, il paraît s’offrir avant tout aux yeux.

Ça paraît parler surtout aux yeux mais ça ne parle pas surtout aux yeux. Ça parle plutôt au ventre et presque exclusivement à lui. Ça pourrait rétablir la réalité d’une expression : avoir le ciel plus gros que le ventre. Pour comprendre, il faut être sous le ciel en proximité d’équinoxe, plutôt au mois de mars d’ailleurs. Se placer bien sous le ciel, ce qui n’est pas difficile, un jour où le vent d’autan commence à souffler, celui qui est sec, tiède. Celui qui fait tourner là-haut. On a encore l’impression que c’est tout en couleur unie mais ça tourne déjà dans les fondements. Et le ventre le sent. Les nuages naissent de ce tourbillon, de ce jeu de cuillère invisible qui fait exactement l’inverse de ce qu’elle fait dans l’assiette où elle homogénéise. Là-haut la grande cuillère invisible que fait tourner le vent fait surgir l’irrégulier et le solidifie et peu à peu se dégagent des filaments. Les filaments se trament et puis se réunissent.Plus aucun pouce de couleur n’est plus uni d’abord, on peut croire qu’il y aura juste un obscurcissement mais les trames se solidifient en se rassemblant, tournant encore. Elles finissent par former des assiettes électriques dans le ciel qui retrouve son bleu de nappe. Par en-bas, l’estomac vibre, les assiettes grésillent, c’est le temps où les jambes et les bras veulent être en action, où le ventre, toute attention tendue vers les assiettes d’en-haut, ne saurait se remplir.

Et pourtant, on peut se dire qu’on a le ciel pour soi tout seul, les autres étant absorbés dans de drôles d’action...

Un corps est endormi, ne sentant même pas le picotement du soleil qui commence à passer par-dessus la Maison des Belges. Deux corps sont enlacés et viennent de se réveiller. Un regard est intensément accroché à un fascicule qu’une main crispée tient. Un regard s’amuse d’un livre posé sur une table. Deux bras font aller et venir une serpillière mouillée maintenue au sol par un balais-brosse. Deux jambes s’agitent déjà pour descendre l’escalier. Un index replié guide un stylo qui va très vite sur une feuille pourtant déjà bien remplie. Une autre main tient un autre stylo qui aligne négligemment des mots. En face, deux mains tiennent un menton dont la bouche parle à la tête qui fait face, de temps en temps. Une main met des pièces dans la cabine téléphonique, tandis qu’une autre main enserre le combiné. Tout un corps pousse une brouette à ramasser les feuilles mortes. Des dizaines de paires de mains sont posées sur des volants dans l’attente que le feu passe au vert et quelques paires de jambes s’activent tant que le feu n’est pas au rouge. Une main de boulangère tend du pain frais qui ne peut être pris tout de suite, qui reste un peu sur l’étal, pendant qu’une main fouille fébrilement dans un porte-monnaie. L’espace de deux bras et d’un rempart de poitrine déplace des téléviseurs à réparer. Une main feuillette les unes de journaux à l’étal tandis qu’une bouche essayant d’envoyer une question par-dessus l’épaule pour savoir si c’est bien le dernier numéro édité. De derrière le comptoir une bouche déformée par une pipe répond laconiquement, pendant que le regard se détourne et scrute les voitures qui viennent de redémarrer. Tout un corps est penché et une main cherche à débloquer la roue d’une poussette. Deux corps se bousculent jusqu’à ce que le cartable de l’un d’eux tombe. Des jambes courent, des bras font semblant de courir devant une poitrine haletante. Une paire d’yeux interrogative se lève vers le coureur. Elle ne revient pas tout de suite au livre posé sur le banc du parc Montsouris. C’est plutôt une main qui va fouiller dans un sachet de chouquettes posé à peine plus loin sur le banc. Deux jambes déambulent. Juste au-dessus d’elle, une bouche souffle dans un sifflet. Deux corps, ayant déposé leurs cartables, sont venus se bousculer dans le parc. Deux bouches rient. Les quatre yeux, par-dessus la grille, ont vu la scène depuis une fenêtre où l’ensemble des deux corps se tient enlacé. Un corps est encore endormi au rez-de-chaussée de la Maison des Belges.

proposition n° 43

Ce qu’il me resterait à écrire, ce seraient les moments où l’accordéon s’étire et se rétracte. Le moment où le sud vient toucher le nord, des chansons pourraient inspirer cela mais il faudrait que ce soit inscrit dans ce nord-là au moment où on dirait le sud et dans ce vent-là quand il est bien au nord. Le ruban de ville alors prendrait son ultime dimension, plus seulement celle du couloir mais celle du tube qui a un haut et un bas mais surtout qui est tube vibrant, tantôt rétracté en carrousel où toute rencontre paraît possible, tantôt étiré au point que les parois se collent au milieu, que certes ouest et est palpitent à se confondre mais qu’entre sud et nord, dans la perte d’un passage possible, apparaisse la lancinante nostalgie aux mille noms.

proposition n° 44

Le brouillard serait remplacé par la pluie, par modification des règles d’évolution des constellations. On pourrait en parler longtemps de cette nuit, surprenante et finalement attendue, ne venant pas forcément sur la terre chaude mais ne faisant pas frissonner, faisant plutôt humer. Une pluie qui saurait se faire aimer, rassurerait le regard en limitant ce qu’il peut atteindre, sans le contraindre autant que le brouillard. Une pluie modifiant légèrement les couleurs, une créatrice pluie.

Et une voisine émergerait, discrète à pointillés, soucieuse toutefois de la séparation efficace par les frontières, soucieuse même de la consistance des murs. Une voisine digne, dont les longs tirets marqueraient pourtant un genre de couture, un genre de cicatrice. La ville infligerait-elle donc cela ? On récidive alors, on ne veut lui montrer que le côté d’herbe tendre du pré, que les gestes tendres et verts, surtout pas bleus. On voudrait s’assurer de pouvoir toujours rester aussi digne qu’elle.

Même quand l’extraordinaire se présente, on aimerait rester digne. Ne pas jouer au mieux loti. Etre seulement celui qui penche un peu la tête pour regarder vers le haut. On aimerait être l’oublié parfois, à force d’avoir été l’oublieux de lui-même, ne cherchant pas à être pris dans l’équipe à tout prix. On aimerait être celui qui ne fait pas le voyage pour pouvoir le raconter, celui qui fait le voyage pour que le voyage le raconte, lui.



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1ère mise en ligne 15 juin 2018 et dernière modification le 25 septembre 2018.
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[1j’ai déterminé, suggérant peut-être trop que je suis déterminé alors qu’en espace urbain, une école ne saurait être aussi singulière

[2J’ai été attiré plus loin que la marge de ville que je me suis donné, en espace montagnard, Samortein, qui aurait après tout peu être inclus, vu la licence que je me suis donné...

[3Le nom respecté ne dira pourtant pas son goût de chêne à grand monde, ni la majesté associée à l’arbre tandis que l’acacia omniprésent figurerait le parent pauvre

[4Un jadis est suggéré sans être précisé, inscrivant ceci dans une évidente biographie dont l’empâtement au temps commun n’est jamais vraiment précisé

[5confiance étant donc faite à l’approche sonore du nom propre, à défaut de donner accès aux signifiants de son étymologie

[6paradoxale apparente prise en sympathie d’un personnage tête de file de futurs coupeurs d’arbres précédemment sacrés pour que rien ne fasse ombre aux églises ; ceci invite à se demander si en religion laïcité, nul n’a trouvé un jour un genre de chêne radicalisé, autrement dit à racines, à abattre

[7et le coup des lumières de la ville qu’on ne peut là s’empêcher de faire, tellement on s’agace de n’en parler qu’en filigrane !

[8tardif constat d’un manque d’ultime de trait d’union, qui a pour effet de détacher l’âne, en faire peut-être celui de la ceinture d’Orion qui court devant son voleur, lui-même devant le propriétaire de l’âne ; mais alors, est-ce un chemin offert aux étoiles ou un chemin offert à cet ailleurs, l’Afrique, dont j’ai si souvent envie qu’elle participe de ma ville ?

[9de l’art de suggérer que l’on pourrait s’y entendre en mathématiques alors que ce n’est pas, ou plus exactement plus vrai

[10enfin une figure vraiment amie, celle de la petite fille anciennement première de classe, dont la transformation du nom laisserait agréablement entendre qu’elle pourrait être élevée au rang d’héroïne de légende

[11il devrait se dire ici, explicitement, à ce point du texte, surtout dans sa version expansée, le sentiment de prolifération accablante faisant revenir le goût des choses simples, tel celui du miel et des fleurs sauvages

[12la référence à l’appellation du Point du jour était là sous-jacente

[13qui comprendra que ces termes sont de langue d’oc ? Qui verra poindre en contrepoint le Na de la dame, n’ayant en l’occurrence rien de péremptoire

[14après tout, s’il est des monts chauves… Mais étrange cela suggère un phénomène sonore, l’amortissement des bruits, devenant des bruits sourds, amortissement dû à la présence des arbres du parc

[15le moment où on se sent bien peu inventif mais on peut y trouver écho d’un moment de vie où le bourrage des choses à apprendre a pu donner l’impression de devenir peu inventif

[16je me suis dit « trop facile » avant même de l’écrire et puis tant pis car cela suggère le cheminement des noms propres passant par des bouches pressées...