Béatrice Dumont | Pas trop loin, pas trop près

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Mini bio et liens à compléter.
proposition n° 1

Là voici de nouveau cette rue, dans laquelle elle revient toujours avec un certain étonnement envers elle-même. Elle y a habité quatre fois, dans quatre appartements différents. Le tracé en est sinueux, souvenir de l’ancienne ville portuaire. Le fleuve, les quais sont tout proches. Au rez-de-chaussée les entrepôts, les grandes arcades des boutiques disparues. Les pavés subsistent. Ici on salait les morues, on entreposait les épices. Elle a habité au numéro 72 puis 35 puis 29 puis… Elle a oublié le dernier. En combien de temps ? un peu plus de dix ans. En colocation, en dépannage chez quelqu’un d’autre et deux fois seule. Son meilleur souvenir c’est le numéro 35, le petit studio de 31 m2 avec son garde-fou en fer forgé façon Louis XV devant la grande porte-fenêtre, sa cheminée (qui ne fonctionnait plus), les deux plaques électriques, le top en-dessous et la baignoire sabot. Elle avait acheté à crédit le canapé convertible qu’elle repliait tous les matins. On lui avait donné une armoire en bois qu’elle avait laquée de blanc. La propriétaire habitait juste derrière, une rue étroite encore plus courbe. Tous les mois elle lui portait le chèque du loyer. Elle y avait vécu trois ans, après la mort de sa mère. Elle travaillait dans le tourisme et avait un amoureux qui habitait sur une place au bout de la rue. Pas trop loin, pas trop près.

proposition n° 2

A l’intérieur du café, la lumière blafarde des néons blanchit le teint des noctambules échoués là au petit matin. En face, le marché commence à peine, les marchands arrivent les uns après les autres, des camions mal garés encombrent les rues, des cageots de fruits, de légumes, de viandes, de poissons dégueulent de leurs portes arrière grande ouvertes. Le brouhaha des conversations se mêle aux bruits du dehors. Plusieurs tables accolées les unes aux autres forment une grande tablée où sont accoudés huit ou neuf convives, à peine des amis, plutôt une assemblée de connaissances, une assemblée de hasard. Le long du comptoir, derrière, des clients accoudés boivent de la bière, surtout de la bière, dans de grands verres blonds, moussus en poussant un soupir de satisfaction à la première gorgée. Au premier plan, au milieu de la tablée, un homme aux cheveux clairs, le visage anguleux, les yeux très bleus tatoués d’un trait aux coins des paupières regarde dans le vide. Même assis, il a l’air grand. Un petit brun râblais se penche vers lui, l’interpelle. L’autre tourne sa tête vers lui et rit un peu.



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1ère mise en ligne 11 juin 2018 et dernière modification le 23 juillet 2018.
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