Piero Cohen-Hadria | Violeta

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Préfère les images (fixes : bien ; animées : très aussi plus) au travail — mais l’aime aussi —, et aussi la musique et les chansons, lire contribuer

 au SILO
 à la maison(s)témoin
 au tour virtuel du paysage rêvé
 ici-même
 et ailleurs : l’air nu
 ou encore

aime à rire et à illustrer, marcher manger des frites aller au cinéma, et à l’occasion, écrire.

proposition n° 1

c’était la ville qui voulait ça, cette ville-là, ces abattoirs-là dans lesquels son oncle avait travaillé du temps où on mangeait ces bêtes-là — aujourd’hui, c’est passé de mode – il vendait du porc en Chine et achetait du bœuf en Argentine — faut que les gros aient à bouffer faut que les riches puissent se goinfrer, faut que ça saigne / faut que les mandataires aux halles puissent s’en fourrer plein la dalle du beeftek à huit cent balles — ou alors « côte à l’os pour deux personnes, tu connais ? » disait Léo qui vivait sur cette partie de la ville où à présent se trouve un restaurant d’entrecôte et frites à volonté, à peine trente euros aujourd’hui, une blague — la porte Maillot et la viande, le sang, celui du bœuf qu’on met au vin pour l’éclaircir, le pif, celui qui tache dans ses bouteilles en plastique, rouler dans le caniveau, les morts de la rue, ceux de la Méditerranée – trois cents mille ? quatre cents mille ? quelle importance ? — tandis que les puissants se pavanent, « faites entrer la Russie », les fous aussi – enfin pas si fous : au nord de la ville, justement se tient, dans un autre parc que celui-là, une réunion de marchand d’armes, ils sont des milliers à venir montrer aux autres lequel d’entre eux a la plus grosse, la plus puissante, la plus performante — c’est beau comme à l’antique, à l’ancienne on dit, c’est une merveille, il se nomme des expositions, il y a un des tarmacs de cette ville-là où hier et aujourd’hui, on vend des avions (la guerre, c’est du lourd) : les affaires le sont, on aime négocier ; on a des trucs à vendre ou à acheter — le type, avec sa barbalakon, le bras droit de l’autre cintré et sa bobonne providentielle - ou le gauche je ne sais plus - qui indique « nous savons négocier et connaissons la valeur de l’argent qui nous est donné » ce cynisme, cette fatuité, ce goût pour le pouvoir, la plus grosse, le viol, l’agression : c’est beau une ville la nuit disait l’autre, ouais, c’est beau, c’est propre – aujourd’hui il y a quelques millions d’individus qui survivent, bientôt à son centre, on fera payer l’accès, c’est normal, tout est normal, tout est enfoui – ses réseaux, ses conduits, ses égouts – il y a une grève dans les catacombes, il y en avait une dans un hôpital personne n’en parlait — un peu ici ou là — et voilà que sa résolution fait les grands titres ce matin, c’est à mourir de rire, une ville, une capitale, un endroit ou dormir respirer mourir en paix — il fait beau, une espèce de brouillard noie un peu les immeubles et les fait disparaître sous un tulle magique, la ville est belle, on oublie les ordures, on oublie les déchets, les eaux usées et les matières rejetées, une ville un parc un espace vert des arbres « gazouillez les pinsons à soulever le jour » — tu te souviens ? il se souvient, oui, il y a belle lurette, dix lustres seulement – ça avait eu très peur, ça avait défilé dans les rues, sur les champs pour honorer et signifier l’amour que ça éprouvait pour ce grand chef de guerre, un général, comprends ça, un vrai un dur un tatoué –- on ne sait pas s’il était tatoué et sa bobonne à lui, on l’appelait comment ? Yvonne oui (il y avait aussi l’autre, « Paulette, fais les valises ! » disait-on qu’il lui disait, le Georges – ils vivaient en banlieue nord) ses chapeaux et sa vestiture noire, dans la DS du côté du Petit Clamart (la peur, les armes, la ville…) — il y retournerait, il y vivait, ce n’était pas « sa » ville, n’appartiens jamais à personne disait l’autre avec ses gros bras – tatoué lui, très probablement, on l’avait entendu, hier, qui parlait d’un autre de sa corporation, lequel avait tué à coups de poing sa compagne (c’était loin, et dans le temps, et dans l’espace, il y avait prescription) que « la rédemption existe » il voulait bien le croire, même si ce chanteur-là avait déclaré (disaient les gazettes) « emmerder ceux qui ne voulaient plus le voir sur scène à chanter, se pavaner pour une défunte infante » ou quelque chose comme ce genre de style — il y a des jours où on devrait s’arrêter, on devrait savoir et reconnaître le moment où il faut mettre un terme à la description à la Gustave, à la Honoré — mais pas à la Marcel, non — l’adoration pour ces écrits, ces lectures, ces histoires -– pour les chansons, celle qui « Gracias a la vida » écrite et chantée par Violeta Parra — une belle chanson, une magnifique chanson — Colette Magny la chante doucement — mais Violeta, il faudrait dire pourquoi, Violeta, à vos jours , vous n’aviez pas cinquante ans, Violeta, vous mîtes fin

proposition n° 2

ce qui revient c’est la boue d’abord, la pluie, sûrement, les allées pavées et la longue perspective qui vient du métro, ce doit être nord sud un axe, c’est au nord complet, il est peut-être deux heures de l’après midi, c’est l’automne et il pleut un peu, les pavés la boue, ça ne sent plus mauvais, au fond de l’image,il y a un escalier en volute qui va à une passerelle qui traverse le canal, un plan incliné sur la gauche est fermé, condamné perdu inutile et superflu, l’eau est noire lente perdue ça n’a pas de sens, ça s’écoule les gouttes flic flac sur l’eau rien ne se passe jamais comme on voudrait, ici étaient les marchés, aux bœufs aux moutons aux porcs, les bouveries les bergeries, sur ce côté-ci vivaient encore les bêtes, après le pont, après le canal, leur styx, gravissant le plan incliné en troupeaux, en meutes en files indiennes ça se bouscule, ça veut passer, ça crie ça hurle ça gueule et puis là-bas elles étaient mises à mort (il y avait là des fleuves de sang, des flux d’os et de chairs, des viscères et des peaux, nourrir cette ville-là : il n’y a plus rien), le pont sur le canal domine un champ de boue, ce ne sont plus des travaux, au fond sur la gauche – là se trouvait le sanatorium : bien sûr, il y a un plan dû à l’architecte Janvier – le saint qu’on adore à Naples : son sang se liquéfie deux fois l’an, si les souvenirs sont bons – le premier mois de l’année tout autant – le type était fort il se prénommait Louis, et avait ainsi dévolu, sur cette rive sur la gauche, le gris du ciel, les voies de chemin de fer hors d’usage, le bord de cette eau noire, la pluie la terre qui colle aux bottes des terrains vides à construire – la ville allait grandir – et puis plus rien, non, un scandale et maintenant au fond, au loin, un préfabriqué qui abrite la bibliothèque de l’institut des hautes études cinématographiques, deux étages algéco, escaliers extérieurs, vingt mètres sur dix peut-être, électricité entrepôt tables chaises chauffage silence calme – institut remplacé dans sept ans par la fondation européenne des métiers de l’image et du son – on n’en sait rien on s’en fout – on dit la vérité ou on est sincère ? – inconnue à cette adresse aujourd’hui, il y a un cabaret, il y a quarante ans c’était la boue, la pluie, la recherche sur le téléphone blanc en Italie à la fin des années quarante, juste après guère – ou alors c’était autre chose, l’image était là, elle donnait à voir, à l’arrêt sur la passerelle, rien ne bouge plus, il n’y a que peu d’âmes qui vivent, il pleut c’est Paris

proposition n° 3

Il suffit de se retourner -– 79 89, un détour de dix ans : au loin sur la passerelle, au loin c’est la ville, la vraie, ici c’est un promontoire, un lieu où personne ne va, peu, même pas, d’ailleurs puisque c’est l’hiver 87, on compte les entrants les sortants on les compte, on appuie sur la petite manette du compteur, les trois arbres sont au bord du rond point (tout est documenté, c’est là, il suffit de regarder), une darse s’ouvre à gauche, les ateliers de quelque chose, sûrement, les lieux sont dans les rouges, les gris, ici on compte, il y a aussi le pont de chemin de fer qu’on peut emprunter aussi – on ne fait que compter, on ne quitte pas des yeux la sortie, l’entrée, là où on compte, les gens qui passent, les cyclistes, les coureurs à pied les vieux les jeunes les chiens (non, on ne compte ni les chiens ni les rats : ceux-ci nagent parfois, croisent un pousseur, un nombre indéterminé d’images, et des hommes et des femmes, et ce chanteur, Jacques Higelin qui domine le lieu, ou qui s’amuse au dragon, cette image-là, dans le temps, la ballade pour sa fille et la mienne qui s’endort sur mon épaule à cette jolie évocation, ensuite on sera à l’abri mais pour le moment s’il pleut on cesse de compter mais c’est la seule éventualité -– le calendrier est fixé ailleurs -– on compte, on regarde on s’intéresse on gagne sa vie on s’échine à rester sur ses jambes on ne sait pas encore qu’on sera, bientôt dans quelques années, deux trois peut-être, père – le canal, passent les péniches, les souvenirs de Simenon, les images de Maigret, Jean Richard ce type qui avait un cirque, amuseur burlesque drôle des années de jeunesse, quelque chose, rien de toute cette histoire n’est connu, la venue pour les recherches de cinéma, oui, mais tout a changé, il n’y a plus de boue –- c’est de l’herbe, ou des pavés, du minéral qui dure, solide et moche, et puis ces bizarres constructions, on est au dessus de cette eau noire -– pour travailler, une musique dure vingt six minutes, répétitive, c’est Moondog lamentation d’oiseau, étendu -– il y avait Geneviève Brisac dans le poste, on a éteint, on a écouté ensuite : on l’aime comme Marguerite dont elle parle -– on ne relit pas, on entend cette musique continue, une espèce de boléro, vingt minutes : on se retourne, là-bas à l’est la banque a réinvesti dans les anciens moulins silos à blé farine de pain, cernée qu’est la vie, renouveau, reconstruire, haïr et détester ces investissements, cette façon de se dire au monde alors qu’ici même meurent les noirs de peau, ici même s’échinent les esclaves comme soi, c’est le matin qu’il faut les voir débarquer, emmitouflés et hagards, descendre des bus de nuit, nettoyer pour les autres, vider leurs poubelles, aspirer leurs ordures, un produit de chiotte pour que ça sente bon le travail, le bureau, la banque l’assurance, ici, coin de ville désespérant, compter, attendre, celui qui passe, cette autre, le chien, parfois la pêche, vélos plus un, puis encore et encore, huit heures de suite deux pauses d’un quart d’heure, pisser ? Non, trop loin, ou alors dans un coin, là-bas derrière, contre le mur – travailler, jusqu’à la nuit, noter, tous les quarts d’heure le compte qui s’est inscrit dans la petite fenêtre – c’était quand, déjà ?

proposition n° 4

Il faut se méfier de cette saloperie de consigne -– toujours bien sûr -– j’ai regardé derrière moi, le pont de chemin de fer ; devant moi l’autre passerelle, les moulins transformés en bureaux, les pochettes des types leurs sacs qu’ils portent en travers de leur vestes, leurs chaussures de faiseur et leurs chemises repassées -– il n’était pas dix heures – attends je relis la consigne – non pas maintenant, je repose sur la platine le disque, la version longue de la lamentation de l’oiseau avec la clarinette basse comme dans cette chanson d’Antonio Z. -– à ma droite le truc où on donnait les films d’Agnès Varda, un jour et un autre ceux du feuilleton de Rainer Fassbinder toute une nuit -– la place d’Alexandre à Berlin, à ma droite les miroirs tournés vers l’intérieur, ici se reposent parfois des malheureux, on passe, à l’été des jeunesses viennent bronzer, en me tournant à main gauche, juste là, il y avait des bals tous les dimanches,les jeunes gens venaient rire et boire de la bière, les vieux tout autant d’ailleurs, il y avait aussi beaucoup d’autres personnages qui s’arrêtaient là, non la musique on s’en fout pas mal -– ils ne parlent pas comme ça, ils sont polis et les vieux ont peur –- un petit peu -– un peu des jeunes, de ceux qui ont le front de croire que le monde leur appartient, et qu’ils en feront ce qu’ils en voudront et cette peur est tellement déplacée, et c’est ce déplacement qui la leur rend si audible alors ils l’entendent et l’écoutent, elles et eux, on s’en fout, il y avait là cette dame, si charmante, passés les quatre vingts, employée de bureau de soixante à deux mille cinq, sa robe cette blouse fond rayé fleurie un peu comme un croisillon sur lequel grimperaient les plantes, des fleurs dans les roses, fond bleu, sans manche, assise là sur cette espèce de banc merdique -– un banc sans dossier qu’est-ce que c’est un tabouret augmenté pour faire beau -– il y avait cette dame -– j’ai entendu avant hier (vu plutôt, quelque chose sur ce qu’on aime à intituler « réseau social » quelque chose d’abject qui colporte n’importe quelle outrance n’importe quel outrage -– les robots veillent et ne voient rien malgré tout) j’ai entendu dire que cet architecte designer (prononce dizeineur s’il te plaît) disait ne posséder ni téléphone portable ni ordinateur -– formidablement hors du monde -– ignoblement intestin, son aura déjà mauve et passée -– j’avais entendu dire aussi qu’il possédait une maison à Burano –- décorée dans le plus pur style zen, un tapis un lit une lampe -– j’aime assez ces sornettes et pendant ce temps coule l’eau sous les pieds, il a plu tout à l’heure, on attend un coup de semonce lors de la réunion dans un hôtel de luxe de Singapour, la fin des essais nucléaires de Mururoa, tu te souviens -– cette dame qui me parlait, et ses yeux se mouillaient –- quelque chose qui remonte à la fin des années quatre vingt dix, le temps passe, les lieux se chargent d’émotion, les visiteurs, les usagers, les gens qui jouent au ballon, ceux qui prient, ceux qui élèvent leurs enfants, cette histoire de communauté à vomir, attendre un peu que le flot des rancoeurs se dissipe, que la haine retombe, que la joie demeure encore en notre âme –- cette dame était un peu brune, je me souviens m’être dit qu’elle devait (comme ma grand-mère) se teindre les cheveux –- regarder droit devant soi, au fond de la perspective, non ne bouge pas, reste là, ne bouge pas attends seulement s’il te plaît, ne la fixe pas –- c’était cette poésie dite par Serge Reggiani, notre amour reste là têtu comme une bourrique non, ne t’en va pas… -– assise sur ce banc malcommode, oh moi vous savez ce que j’aime lire... ce que j’aime ça… Danielle Steel… une petite goutte d’eau s’est mise à couler sur le côté de son visage, il y avait peut-être un peu de vent, la vieillesse, le sourire, elle a regardé ailleurs, des gens passaient, un enfant sur un petit vélo bleu, sa mère son père qui le suivait, le sourire du môme ah oui, disait-elle, oui, lire j’aime tant ça...

proposition n° 5

On doit à la vérité de dire que le lieu de cette ville n’est pas non plus tellement extraordinaire sauf qu’il s’agit d’un parc -– une ville sans parc ne serait pas une ville, elle ne le serait pas non plus sans auto -– de nos jours, on y roule en vélo, n’importe quel moyen de transport, bi-roues ou unique, ou trottinette, n’importe quoi, ils sont assez emportés par ces choses qu’ils font agir eux-mêmes, ce sont des espèces de machines simplifiées -– de nos jours la connerie ambiante fait qu’elles sont toutes connectées, comme nous-mêmes d’ailleurs -– alors ça sue, ça court ça crie ça joue à l’été mais hiver comme automne, dès que le nuit tombe le calme, assez tôt, revient avec elle enfin – encore quelques uns qui s’en vont, sur leur vélos rejoindre les nouveaux quartiers de Pantin, si c’est l’hiver, il gèle on ne les voit plus, il y a toujours quelques volatiles pigeons ou autres qui passent, rient crient se posent, sur la passerelle tout un attirail de filins, de tubes, d’acier peints en noir, chromés, ajourés pour créer quelque transparence, des lumières comme s’il fallait qu’il en pleuve, à la nuit, certaines seulement certaines seulement –- les tortillés du cerveau avaient même installé sur le haut des escaliers (il faudrait regarder si l’objet qui devait avoir coûté dans les vingt ou trente mille euros quand même, mais on est riche, on a de l’ambition, on voit loin, ici –- il n’avait jamais fonctionné) un parallélépipède noir qui couvrait l’entièreté de l’accès par l’escalier, afin de compter les pékins passant dessous –- on passerait sa vie à chercher des choses sur les images -– on attend la nuit et les petites lumières bleues finiront par s’allumer, et le temps passera, la nuit viendra, on n’entendra plus trop de cris de pleurs ou de rires, les vieux marchent difficilement, les escaliers, non merci, les mômes se font disputer, quelque femme enceinte se tient les reins, les petites lumières bleues ne s’allument qu’à la nuit mais le reste du temps elles sont là, sans prétention, sans trop de montre ou de presse, elles sont là dans leurs petites coquilles rondes et protégées par quelques aciers noirs eux-aussi, minéral noir et rouge, le chrome, l’aspect le paraître, les filins d’acier, les courbes et les angles aigus, quelque chose de piquant et d’affreusement efficace, la chose a trente ans passés et tente par tous les moyens à sa disposition de faire oublier que là, ici ou par là -– c’est cette même illusion ressentie en se promenant dans cette petite ville -– toute pareille à n’importe quelle autre peut-être -– à la suite de cette émission de radio, le matin même, le nom en avait été cité, Jedwabne et la curiosité l’emportant, il a fallu s’y rendre de la même manière que celle qui prend pour retrouver les traces de ces petites lampes bleues qui, à la nuit, marquent la passerelle et le toit en forme de vague qui fonde la galerie qui relie les deux portes, une route droite, deux escaliers qui mènent à une passerelle, les trois ou quatre marches pour se rendre sur le petit promontoire duquel on aperçoit parfaitement les trois arbres et l’entrée du parc par le canal, où on se tenait, gagner sa vie pour ne pas la perdre, cette même illusion, cette petite lumière bleue, cette façon de vouloir oublier et de mettre entre soi et le monde quelque chose qui fera qu’on ne le haïra plus -– il fait doux, il fait humide, cinq heures du soir

proposition n° 6

Ce territoire dispose de cinquante cinq hectares, c’est un parc ou un espace vert, pelouses et arbres un certain nombre de ce qu’ils nomment jardins, des lieux couverts d’asphalte d’autres de pavés qui interdisent aux patins de rouler et ne facilitent pas la marche des humains, on a disposé là-dessus ce qu’ils appellent équipements, par exemple des salles de concert comme ici une espèce de tente appuyée attachée agrégée à des potences rouges, il y a là beaucoup de rouge qui évidemment complémente (comme ailleurs) le vert, on a posé au dessus du canal dit de l’Ourcq (un affluent de la Marne il semble) deux ponts dits passerelles uniquement accessibles à pied (aux humains – pour les volatiles, rien de spécial) (et pour le reste…) mais comme le pékin (dit-on la pékine ?) aime le vélo, on a posé le long des escaliers des espèces de petites rigoles (sur cette passerelle-ci) (l’autre est en plan incliné d’un côté, de l’autre des escaliers fixes, deux, à évolution carrée ou ronde, et donc pour le passage des vélos, c’est un petit peu niet) rigoles où le (ou la) fondu du biclou peut poser les roues de son engin, sa monture si tu veux, et pousser (s’il monte -– et s’il descend) retenir pour dépasser l’obstacle (un détail du même ordre que les lampes bleues qui marquent et l’axe du parc et la vague qui protège la galerie — voilà). Pour qualifier cette surface d’un cartésianisme peut-être étroit, l’architecte (un jeune type a gagné le concours lancé peut-être bien en 83 par tonton, ils étaient un nombre incalculable, plusieurs centaines dit-on, et pof, un jour ce fut lui) il a opté pour une trame orthonormée sur toute la surface du parc, de l’espace (la surface de l’espace) laquelle voit ses divers croisements d’abscisses et d’ordonnées marquées à des distances parfaitement régulières de sortes de bâtiment (ils sont intégrés dans des bases carrées, bétonnées et cimentées de -– je suppose -– une vingtaine de mètres de côté) évidemment tous rouges comme le sang des bêtes, très probablement, intitulées (par un sens du deuxième degré qu’affectionne sa corporation) (mais aussi le public -– ou les –- au(x)quel(s) elles sont destinées) ( il ne réfuterait certainement pas le premier, cependant) (degré je veux dire) intitulées folies donc comme celle où Marie-Antoinette dans le parc du château de Versailles etc. C’est aussi, et très certainement, que ce lieu est prédestiné à une certaine élite de la nation socialiste d’alors –- ou alors aimée et désirée par crâne d’oeuf lors du scandale (il eut lieu sous son règne –- la gabegie financière eut lieu alors que le bougre était ministre des finances- – son bureau du Louvre, tu te souviens, avec le film de Depardon), cette élite donc plus tard intitulée caviar pour bien montrer, représenter, signifier une appartenance à une certaine disposition financière (sinon classe) dont l’État veut la croire capable : les divers équipements qui stationnent là en effet ne sont guère accessibles aux pauvres, aux gueux gueuses, le parc, ses espaces, ses EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial) (tu largues le « caractère » si tu veux bien), son air, son être même, lui, oui, et c’est probablement ce qui fait de cet espace un havre

proposition n° 7

Il y a là le pêcheur, un genre de vieux type, casquette peut-être bien clopo sûrement, juste sous la passerelle, cette saloperie de boulot, travailler, peiner, enquêter, le type est là, en dessous, et il attend, un tabouret qui sert de nasse, ou l’inverse, peu de gens passent, gris des nuages et du ciel, au loin il y a le pont du chemin de fer, plus loin encore qui s’enfonce vers la ville elle-même, le bassin et pour communiquer avec le canal ce pont levant ses quelques roues ses filins -– une autre passerelle fixe, tourné vers la ville, à main gauche la rue monte vers la place des fêtes (on y danse, on y chante on y boit au quatorze juillet, le truc standard) sur la gauche ce café où se tournait sûrement les portes de la nuit (sans majuscules, nulle part) et le clochard qui passait là, cette chanson de Jean-Roger Caussimon (« monsieur William, vous manquez de tenue »), ce type qui lui ressemblait, c’était après la guerre, la Varda qu’on a croisée déjà faisait des photos de Gérard Philipe à Avignon, son prince de Hombourg, le théâtre populaire, c’est ça populaire, les faubourgs et la vie dure chèrement payée, je ne retrouve plus son nom mais il y avait sa photo dans une exposition au siège du parti communiste (il n’y a plus de parti, il n’y a plus de communisme, tout est loué, tout est à vendre ou à louer, ta voiture ton appart si tu t’en vas ton chien si tu peux, mais oui et les traces que tu laisses ici ou là, tout est à vendre) ah son nom s’est envolé mais le populaire du clochard qui vit sous les ponts, « c’était p’têt’ le destin qui marchait dans les rues » tous ces ponts et sous cette passerelle ce pêcheur, revêche probablement, à la retraite (c’est bien, ça, la retraite, tu cotises toute ta vie et il y a des jeunes gens pour qui tout est à vendre qui se permettent d’indiquer que ça coûte un pognon de dingue : ça aime à s’encanailler, parler le langage qu’ils vont comprendre et elles aussi, par la même occasion) il attend que ça morde, à sa gauche à cent mètres de là, les trois arbres dans le vent doux, c’est octobre mais il ne pleut pas, il attend si c’est cinq heures du soir c’est le bout du monde, puis il y a, comment cela se passe-t-il on ne sait, ce moment où il a commencé à parler et à raconter son histoire cette péniche qui était amarrée là, ici même à l’endroit où je vous parle, c’était à peu près la même époque mais je vous parle de ça, moi, j’étais minot, si j’avais dix ans c’est le bout du monde, et le commissaire de police est arrivé il y avait là quatre ou cinq cognes en pèlerine je m’en souviens comme si c’était hier voyez ils avaient flanqué leurs vélos contre le mur, il y avait un mur là, une bâtisse je ne sais pas à quoi elle devait servir, c’était sept heures du matin, ils ont sorti le cadavre il était coincé entre le quai et la péniche (il faudrait lui trouver un nom, quelque chose comme l’Espérance, ou l’Atalante, peut-être bien) on ne savait pas qui c’était bien sûr que non, et ils l’avaient posé face contre terre, là le type était là et je me souviens que ce qui m’avait frappé c’est qu’il n’avait qu’une seule chaussure, il était là et puis ils l’ont retourné personne ne faisait attention à moi quand le commissaire est arrivé et ça grouillait sur lui, des centaines d’écrevisses et je vous mens pas mais un type est arrivé avec un seau, il les a toutes comment vous diriez est-ce qu’il les a pêchées ?... enfin j’en sais rien mais cette histoire-là (c’est à ce moment qu’il faudrait demander ce que ce type faisait là, c’est à ce moment où il faut savoir se taire, et regarder au droit de soi ce qui s’appelle le rond-point des canaux, celui de Saint-Denis qui va à la basilique, s’il fait beau on en discerne le toit dans les verts, on regarde le bouchon, le type rallume son clope tire une bouffée) je vous parle de ça c’était juste après-guerre on venait là à trois quatre potes pour embaucher on avait quoi, dix ans ? j’en sais rien mais je suis de trente-six alors vous n’avez qu’à voir

proposition n° 8

toujours cette tentation de faire en sorte que ce soit vivant et beau mais ça ne marche pas, peut-être pas, qu’est-ce qui a tellement changé sinon qu’on a pris trente ans tout comme le reste du truc, les couleurs sont passées, on a arrêté de faire comme si vraiment non, ici n’est pas un endroit comme les autres, non, efficacité, retour sur investissement non, on a fait comme si, plus tard, pendant le week-end sûrement trouveront place les chroniques, le mandala, le royal de luxe et autres joyeusetés gratuites, premiers arrivés premiers servis, tu sais comment c’est ? c’est comme ça (la la la la la disait Catherine Ringer qu’on a vue alors qu’elle n’avait rien à faire là), sur la passerelle un soir (mais il y avait du Ricardo là-dessous) des batteurs, ça cognait dur comme du fer ou de l’acier, Vulcain sa forge et ses feux, c’était de l’artifice mais c’était là et tout le monde regardait ça, ébahi parce que c’était éblouissant (c’est fait pour ça), et le son et l’image, le canal demeurait impassible, les rives courraient toujours droites ou presque, il y avait des lumières elles aussi glacées, on regardait – je n’en étais pas pourtant – c’était en quelle année déjà, puis il y eut d’autres et d’autres actions mais en allant, on avait perdu la générosité et l’acte gratuit on l’avait remplacé par une billetterie tout ce qu’il y a de comptable, est-ce bien cette histoire-là qu’on a décidé de conter, on fait ce qu’on peut ou on improvise, on regarde le soleil droit dans les yeux, et la peau brunit et le regard se voile, du monde sur le parquet de bal (cette horreur) ?, et aussi toute la nuit électrique (cet ignoble souvenir) mais le temps passe, tu sais bien, les gens vieillissent changent désertent sont promus évoluent montent s’en vont descendent vont viennent la retraite des uns les amis les autres s’en vont ou émigrent, la couleur de la peau, la couleur de la voix, les gens il faudrait ne les connaître que disponibles (il y a beau temps que Léo s’en est allé un quatorze juillet, quel bras d’honneur – on se souvient de son île, de son chimpanzé -– c’était une fille –- Pépée -– sa fille qui écrivit un livre sur ce père-là) (comment voulez-vous qu’on oublie ?) Richard disait-il, monsieur Richard le dernier pour la route ! ça n’a rien à voir avancer en âge laisser de côté les images des albums (Blood sweat and tears la marque existe toujours -– Winston Churchill y ajoutait le labeur, mais c’était un autre temps) ce qui a changé, ce qui n’est plus pareil c’est qu’aussi dans cet autre établissement on vendait un ticket valable un mois -– ça a existé et ça changeait tout – à présent les lieux gratuits l’un après l’autre ferme, on fait place au marché, TINA quand tu nous tiens, le temps passe voilà tout, il y a dans la mémoire pourtant quelque chose qui reste, ordinaire une espèce d’existence -– c’était un autre temps, un autre travail, d’autres volontés -– il y avait Brel qui disait « c’est pas ma faute à moi les carreaux de l’usine moi j’irai les casser » ça n’a rien à voir mais ce sont des chansons et les chansons sont importantes, celle où on entendait « il pleut sur Nantes donne moi la main » ce ne sont que des mots simples peut-être, en tout cas ils sont là, on ne les oublie pas comme on n’oubliera jamais le sable épandu dans l’eau triste du canal, un premier mai, ce même premier mai où des ordures (celles qui sont à l’oeuvre désormais en Italie, en Turquie, l’abjecte aube dorée de Grèce, en Hongrie, en Pologne, au Danemark, un peu partout par ici – c’est de la peur, de la honte, comme à l’époque de ce sang et de ces larmes et c’est de la lutte aussi) jetèrent à l’eau Brahim Bouarram, cette même haine qui agissait en octobre soixante et un, un dix sept, un passé qui ne passe pas, comme ce huit février soixante deux, tout autant, cette même saloperie qui unissait les Reagan et autres MacCarthy dans la fin des années quarante, dans la détestation de leurs semblables, on n’en finira pas il pleut il fait gris le ciel est bleu un coin de vide, un détour en ville, la musique cesse le ciel est clair c’est l’été

proposition n° 9

On se postera sur le promontoire –- six marches y conduisent -– l’espace ici est ouvert et l’entrée y est libre sept sept vingt quatre vingt quatre — quelque chose de la modernité, intitulée merdonité par je ne sais plus qui -– Michel Leiris il semble –- et on attendra. Dispositif disponible : les deux oreilles : au loin, les sirènes toujours présentes, quelle que soit l’heure (ici il s’agit d’un accompagnement de Gérard Manset solitudes quelques chose six minutes trente quatre -– on complétera à mesure -– est-ce ainsi que les hommes meurent, six trente cinq –- attend que le temps te vide neuf minutes cinquante neuf : fin) en journée, les cris des enfants toujours, parfois la cloche du manège à proximité (il se peut que parfois soit diffusée une chanson qu’on aime, du genre Gall/Berger, Balavoine ou autre) on ne sera pas dérangé sinon par des organismes destinés à la sécurité (il y a quelques années, demande avait été formulée aux passants de répondre à un questionnaire sur l’éventualité d’une mise en place d’une vidéo-surveillance – une bonne centaine de caméras qui ne servent à rien (sinon au bonheur bien éphémère et vénal du fournisseur) auraient été installées, aucune utilité non, mais dissuasion certes oui oh là, oui -– on n’a jamais connu les résultats : du côté de l’enquêteur, au pif au doigt mouillé à l’instinct huit avis négatifs sur dix) : des humains la peau souvent foncée le regard placé derrière ces lunettes noires d’aviateur qu’affectionnait l’un des derniers plus ignobles mais hauts magistrats de la République (le présent est du même acabit, qu’on ne s’y trompe (!) pas), toujours affables, ils (rarement femme à ces postes) ne vous demanderont rien, simplement ils fixeront votre agissement quelques minutes, en feront part à leur supérieur, votre station sera connue -– on ne vous surveille pas, non. Il leur arrive suivant certaines dispositions de leur convention collective de travailler douze heures d’affilée, six jours de suite, puis de se trouver de repos vingt quatre heures, puis de reprendre à la même fréquence (à un moment, on s’arrête quand même plus d’une quinzaine) c’est payé le smic mais à ce rythme-là, on n’a pas tant de temps que ça pour dépenser ses émoluments, parfois un oiseau vole et va se poser, on crie, on s’invective, vers les huit heures du soir, si rien ne se passe de ce côté-ci, le calme s’installe, si une péniche glisse le bruit de son moteur, assourdi, l’hélice brasse l’eau plutôt verte, le bouillon de l’écume, le virage vers l’autre canal -– passent un vélo, puis deux -– un coureur puis deux, des chiens jappent, la nuit commence à venir, attendre là, assis, écouter : pas de sifflet, si dimanche on aura entendu les divers battements des troupes de tambours couleurs noires blanches rouges le sifflet du commandement, la pulsation loin, au-delà des pelouses, ce n’est pas qu’ils se cachent, le matin tôt le sifflet aussi des permanents de la gymnastique, les musiques asiates on pose son éventail sur son bras, on l’ouvre en claquant, on se tourne, des hommes des femmes quel âge a-t-on quelle importance ? On avance, on est là et on passe le calme et la lointaine rumeur de la ville, sur le quais les autos vers huit heures, le matin s’il pleut, il ne pleut pas, c’est l’été, quelque musicien dans le jardin dit des bambous soufflera dans son saxophone, percevoir cette musique, quelque part sur la droite, il y avait là (mais c’est parti, on s’en est séparé ça ne servait à rien, ça ne marchait jamais -– ça marchait quand même -– mais c’était d’une poésie telle dans le soir, quelque chose de la magie du lieu qui s’en est allé encore aussi) un jardin dit des brouillards où des vagues de vapeur étaient épandues dans la joie des rires des enfants -– et des autres -– et cette eau dans cette état rare ce bruit ces couleurs dans la lumière qui s’irisent -– ça ne marchait pas –- mais ça marchait quand même… – il fait beau ce matin quelqu’un a le souffle rauque, ses deux mains posées sur les genoux, les bras tendus courbé reprend son souffle un chien jappe le long du quai encore cette sirène encore les grondements éloignés de la ville ici c’est la porte là-bas sonne une cloche au fond du ciel passe un avion mais sans qu’on en perçoive l’écho soleil ou nuages lumières ou gris clair du matin eau qui ne coule pas bruits des pas passants par là rien d’autre

proposition n° 10

Reprenons : dispositif restreint à nouveau, mais déjà utilisé bien des fois peu importe (ici, dixième -– à la vérité la consigne est passée à l’as), narines pores langues papilles palais fosses ailes sinus, il fait doux sur le parc, il y a dans cet air là, parfois vicié (le moteur de la péniche qui s’échine à vouloir la faire virer pour s’engager dans l’écluse et cette fumée noire qui pue) -– on avait tendance, à l’évocation des bêtes qui passaient là -– cohortes foules rugissements quelque chose comme des remugles – tendance à imaginer que dans les restes de cette construction due à ce Baltard, si connu, dans les combles de cette construction d’au moins une centaine de mètres de long, haute de vingt et large d’une trentaine quelque chose peut-être les âmes de ces bestioles avaient pour objet de se fondre dans ces interstices et de sortir à la nuit, des goules ou des sphynx ou des loups-garous ou des striges, peut-êtres mais réincarnations d’une autre superstition, et puis c’était passé quand on sut qu’on ne les tuait – un coup de marteau en plein crâne – ce n’est pas un marteau, mais l’effet du coup y ressemble bien – que sur l’autre rive -– ça se nomme un merlin – on s’égare, justement, les voies de chemin de fer, au fond du son passe le train à grande vitesse qui va au Luxembourg ou ailleurs, loin, là-bas vers l’est -– ce n’est pas ici que se tient ce bruit, n’importe – les barbapapas ont cette odeur sirupeuse, les beignets, les chichis, les pommes d’amour, c’est venu après que l’institution eut proposé à ses publics une exposition sur la fête foraine (payante : on officia avec une caméra, mais où se trouvent aujourd’hui ces images ? celles de l’avocat qui disait « lorsque ma deuxième fille a trouvé du travail et s’est mariée, je vous assure (il laisse tomber ses bras) c’est comme si j’avais posé mes valises… ! »), et depuis, comme une espèce de champignon ou de maladie tenace ces manèges et ces sucreries de la foire du Trône ont trouvé là un havre, on entend cette scie musicale tandis que tourne tourne tourne et qu’on pense à Regain (Françoise Hardy ou quelque chose d’aussi mièvre peut-être) ou à L’arnaque, la nuit tombera les arbres laisseront échapper ce magnifique oxygène puis changeront du tout au tout, il y aura si la petite machine passe, cette adorable senteur de l’herbe fraîchement coupée, il y aura sur le visage le souffle d’un vent tranquille venant d’un sud inconnu -– ici c’est l’est, le vrai – de quoi te souvient-il à présent ? cette chanson du film Bagdad café dont s’était emparée la trapéziste qui, sur le bord du canal, gratuitement pour le monde se balançait, tandis que sur son fil (quel dommage, les noms de ces gens sont oubliés) tendu entre le haut du sous-marin et la prairie (ce ne pourrait être une pelouse tu comprends bien –- il faut comprendre ces mots-là, la « prairie du cercle » et celle « du triangle » ces appellations qui sont d’un registre champêtre pour signifier les bêtes qui paissent) les gens sont là, ils ont apporté leur manger, pâtes à la mayonnaise comme au Brésil, sushis et bières tsintao comme à Kyoto, boulgour afghan ou couscous berbère, le monde entier sur les prairies – on ne va pas manger du pain et du fromage, ici, tu comprends bien – s’asseoir, dans le soir, devant un film, la rosée du soir qui tombe et humidifie ta chemise, ce vieillard qui portait un short et un marcel sans manche -– un marcel n’a pas de manche, un polo en a -– de jolis prénoms pour des vêtements de coton blanc le plus souvent – un ancien architecte qui installait son pliant au bas de la cabine de projection et buvait de la bière mangeait des gâteaux d’apéritif, il venait à pied tous les soirs que le cinéma faisait, non merci pour les gâteaux, et de la bière ? non plus non, c’est gentil, tous les soirs que le cinéma faisait il venait à pied il vivait boulevard de la Madeleine Malesherbes ou quelque chose comme ça, à pied ? mais ça fait un petit bout -– croyez-vous, c’est tout droit… les règles de l’art, les couples qui s’enlacent à la nuit, dans les taillis, on ne les remarque ni ne les envie, on s’en fout d’ailleurs complètement chacun est libre il fait doux ce petit vent qui vient d’au delà des frontières et qui n’en connaît pas, en marchant encore et s’il y a concert, devant l’autre porte là-bas ce sont les merguez et les poivrons qu’on fait cuire, ces volutes ces fumées ces odeurs magiques ou pestilentielles qui sait ?, goûter un peu de cette liberté-là passer avancer marcher le temps de la nuit le temps de la journée ouverture pavés et le bruit de la fontaine

proposition n° 11

Cette nuit j’ai rêvé qu’Alain Chamfort s’était suicidé -– ça m’a fait tout bizarre, je me suis dit qu’il devait avoir eu connaissance de son cancer irrémédiable et qu’il avait voulu en finir -– je crois bien qu’il est de 48 ce qui lui en fait soixante dix aux pelotes – on l’avait reçu du temps de radio ivre dans cette émission et au théâtre noir (zeugme) où il était apparu dans son blouson de cuir tout aussi noir mais de marque suédoise -– tu sais que la mémoire est quelque chose d’extrêmement sélectif -– et qu’elle aime à jouer des tours -– « j’ai la fièvre dans le sang » disait-il, et ce fut une nouvelle qui m’affecta, vraiment, tant que je suis allé voir s’il s’agissait de la réalité, mais non a fait wiki, non, il est de 49 déjà il use d’un pseudonyme et ne dispose pas encore d’une date de décès : il est donc bien vivant, ce n’était qu’une espèce de rêve, les chansons, c’est ici cette espèce de lieu qu’on aura à l’esprit, « avec son tralala » chantait Suzy Delair – dans L’Assassin habite au vingt et un ? ou dans Quai des orfèvres ? ce que j’ai aimé ce film, il y a tant d’années, c’était Simone Renan, et surtout Jouvet que j’aimais tant, cette façon d’agonir le cinéma, cette image de lui allant à l’Athénée, et puis un jour, il y a dix ans de ça, dans cette impasse de la rive gauche, je m’adresse à un type qui l’emprunte, lui demandant où se trouve donc le théâtre, il me dit « c’est fermé depuis un moment vous savez », non, je ne savais pas, le type portait un panier comme on en prend pour aller faire ses courses au marché, c’était Philippe Labro qui passait par là, doit habiter l’impasse j’imagine, je ne l’a pas reconnu immédiatement mais à un moment, oui et il l’a vu, j’ai vu qu’il l’avait vu, il m’a souri s’en est allé avec son couffin, un peu comme celui de BC -– elle se reconnaîtra –- au coin de cette impasse se trouve le faiseur de costumes où, lorsqu’il fut plus aisé, vers soixante cinq ou six, s’habillait mon père aux soldes d’hiver, en traversant la rue l’hôtel qui abritait la Gestapo du début des années quarante, cette ville-là, ces chansons-là, ces lieux-là, « cette fille m’échauffe les sangs » disait le chanteur, « jme présente je m’appelle henri » disait un autre, cette époque de la radio fin soixante dix, cette autre que j’aime tant « pour pouvoir faire mon numéro », fariboles ou fichaises, foutaises et scies, des choses qu’on entend sans le savoir, qu’on écoute sans le vouloir, ce « et si ce jour-là tu as de la peine, alors cours jusqu’à perdre haleine viens me retrouver » ou alors d’autres encore dans d’autres dialectes comme « when you’re down in trouble and you need a helping hand and nothing nothing is going right » cette imagerie un peu à la rose, un peu à la sirop, des enfants, « mama is in the alley she’s looking for food » ou quelque chose comme « you don’t need the weather man to know where the wind blows » ce genre (on n’est pas prix Nobel pour rien) (ou alors si) (il paraît que le jury littéraire en a trop fait -– ce genre de nouvelles si régénérantes) ce sont ces coins-là de la mémoire qui reviennent, on est là, juste à bosser, compter, regarder, les trois arbres, les filins d’acier, les gens qui vivent et marchent et bougent et passent et puis tout à coup « les hélices astrojet whisperjet Clipper jet turbo à propos » de Charlebois et sa bière qui y mène, dit-on, qu’en sait-on tout à fait, ces images je me souviens qu’alors dans le poste on entendait Campus de Michel Lancelot, c’est comme une antienne, offrir le disque peut-être si on lui envoyait les paroles de ce Lindberg, ce n’est pas un lieu, non mais on s’y retrouve, on y passe, c’est là, au coin de l’oreille, au creux de ton épaule, c’est là ça vous veut du bien, je ne mets plus de guillemets mais elles doivent s’y trouver, j’oublie parce que Moondog en même temps tient lieu de chronomètre, il nous faut des dispositions et des contraintes, on les adopte ou on les rejette mais il nous les faut, on en est là, aller vite, l’image de Jean-Paul Török qui nous disait « il faut savoir taper à la machine, à un moment l’écriture va à la vitesse de la pensée » ses lunettes sa timidité, cette salle de l’institut d’arts et archéologie, après l’armée, les chants en marchant, cette saloperie cette discipline eh bien, la voilà, il fait beau je crois, un peu toujours, « quand l’avion se pose sur la piste, à Rotterdam ou à Rio » c’est bien c’est ça, c’est là, le rond-point des mémoires ce n’était qu’un rêve

proposition n° 12

Ce n’est qu’à la douzième reprise de ce travail (est-ce un travail ?) que me vient l’idée de son utilité. Il y a beaucoup de contraintes à écrire sur tel ou tel sujet, cette ville insensée, faite de noms de rues et de dispositifs, d’emplacements et de croisements dont l’architecture invente le territoire. Elle est placée à la périphérie de la grande Babylone, mais il ne m’est de rien de la décrire : j’ai le sentiment parfois de flatter cette existence, d’en faire une espèce de panégyrique, d’apologie ou quelque chose qui serait de l’ordre du sirop, une sorte de flatulence, un compliment, un remerciement pour la main qui m’a nourri, au lieu de la mordre, mais qui m’a aussi retiré ce qu’elle m’a donné, pour une part. J’ai des comptes à régler, probablement, et il s’agissait de s’en tenir à cette utilité-là. Or l’écriture a des qualités plus importantes et notamment universelles, que je ne parviens pas à retrouver dans ces exercices, ou alors de loin en loin. J’y parle certes de ces chansons qui sont, d’une certaine manière le sens de la vie, de la mienne peut-être (je n’en écris pas, j’en chante parfois, j’en écoute, beaucoup) (la montre de ces exercices, cachée certes dans la profusion, mais existant quand même – cette page a reçu dit le compteur trois cent vingt et une visites depuis son ouverture – est une profonde entorse à ma timidité) et du travail, qui est aussi quelque chose auquel je tiens (la description entreprise dans ces exercices est celle d’un lieu du travail qui s’est évaporé, après la nuit électrique, dont j’ai retrouvé il y a peu la facture, datée de septembre 2002, d’un montant de trois cent quatre vingt cinq euros, une quinzaine d’entretiens réalisés, retranscrits et analysés : ce travail ne plut pas au commanditaire, notamment celui qui programmait cette nuit et le travail, alors, me fut retiré sans qu’on m’en eût dit plus que rien – c’est ainsi que procède ce monde, c’était il y a plus de quinze ans, j’ai tiré de ces expériences un certain nombre de textes que je publierai certainement) : au moment où j’avais entrepris de comprendre, dans une autre partie du jeu, un autre compartiment, un autre endroit -– sur l’autre rive où on attribuait aussi d’autres contrats, mieux payés, à d’autres mais dans quelle mesure étaient-ils plus fondés que moi à demander ces tarifs et surtout ces travaux ? -– à ce moment-là, j’avais quarante cinq ans, deux enfants de sept et cinq ans, et je n’employais guère de monde, je me mis en tête de reprendre des études – de sociologie – je m’inscrivis à l’école, y passai un diplôme d’études approfondies pensant naïvement que le diplôme aurait la magie de me faire arriver à des travaux situés dans une part du monde qui me siérait plus. Non, mais pour ces études-là, j’avais été trouver un directeur de recherches, un homme aux cheveux blancs, qui souriait, je l’avais toujours beaucoup aimé pour ses livres, et il se trouvait qu’alors, dans cette partie du monde où je travaillais alors, allait ouvrir un lieu dédié à la chanson : mes diverses rencontres dans le parc penchaient parfois vers des réminiscences d’enquêtés et je me disais que parler avec eux des chansons qu’ils aimaient serait d’une grande utilité pour comprendre le monde dans lequel ils vivaient et notamment le lieu qu’ils fréquentaient. J’en parlais à cet homme, Marc Augé, qui me dit « un directeur on vous en trouvera toujours un, foncez ! » et j’ai donc foncé sauf que le lieu n’ouvrit que virtuellement, à peine, et que le temps parvint à ses fins : j’avais un mémoire à produire, je n’avais pas le temps d’attendre, j’ai travaillé sur les études menées sur ce territoire depuis son ouverture (au recensement, il y en avait plus de quatre cents dont quelques unes signées de moi-même, je les lus, les classai, en tirai un travail et en septembre deux mille, je me vis remettre mon diplôme : il ne me servit à rien). Mais les chansons restaient ainsi que celles que j’interprétais du temps des cours de théâtre que je suivais, parallèlement à mes études de cinéma, vingt ans plus tôt, où la professeure terminait tous les cours par « Pierre ta chanson », et je montais sur scène interpréter « Amsterdam » ou quelque autre chose du genre « il s’est levé à mon approche, debout il était plus petit » et les paroles reviennent, et ainsi aussi pour le diplôme avais-je produit une copieuse réflexion sur mon parcours ou le travail à mener pour qu’il puisse être efficace c’est-à-dire parvenir à me nourrir et à nourrir ma famille. J’y parvins, mais ici, quelle utilité ? Aucune non plus, il fait beau, certes, j’ai passé soixante cinq ans, et la musique du travail se termine

proposition n° 13

Un rond-point, un peu différent, trois arbres en marquent l’un des pôles, on en est là, parfois il fait beau, parfois c’est gris, on est là on s’en fout pas mal gris bleu blanc vert on s’en fout, un peu comme des couleurs de peau, c’est quelque chose qui agite le monde -– cette imbécile instance : la façade, l’apparence, la vision de quelqu’un devant soi, un autre et plus le temps passera et plus les autres seront nombreux, c’est indubitable -– l’absolu crétinisme des fachos d’Italie de Hongrie ou de Pologne -– jte parle même pas de la Turquie d’aujourd’hui – pas tous probablement, sans doute -– je me souviens du sourire de ce type, il était polonais et portait une casquette sur son sourire, mais aurait pu tout aussi bien être n’importe quoi, oui qui souriait mimant la gorge tranchée, geste qu’il donnait à ceux qui passaient en convoi, au début des années quarante, dans son pays maudit – comment dire ? est-ce le pays, sont-ce ses habitants ? dis moi si tu sais – dis moi ni l’un ni l’autre s’il te plaît, ce ne sont que les hommes… -– des images de Shoah c’était au Balzac, on entrait par la sortie parce que le film durait quelques heures, six huit ou neuf, je ne sais plus, on fumait à l’époque, philip morris doré je me souviens 11.50 le paquet je me souviens ça me reviens, c’est là, juste là, crois tu que ça puisse s’effacer ? c’est juste là à portée de main, il y a dans le champ, au fond du cadre, au fond entre les moulins et le canal, les voies de chemin de fer qui sont là, toujours sensiblement semblable, ça ne bouge pas , c’est là, elles viennent et vont, le même chemin plus loin c’est Drancy et puis plus loin encore, et dans le contrechamp il y a ces arbres, au rond-point, tu sais comment c’est, on est là, on regarde l’entrée, un humain passe on appuie sur la manette, on est là, le pont de chemin de fer au loin, la centrale qui avait encore raison de vivre (une centrale vit-elle ?) au fond derrière ces hlm peuplés pour la plupart par des gens de confession (confession ? kézaco ?) juive, on y peut quelque chose ? c’est là, ça ne changera pas, la centrale sera démolie, les trois arbres resteront là, c’est sur le bord du rond-point, ce mot avait un sens aujourd’hui il faudrait en parler aux édiles des bourgs, qui vient les démarcher pour en construire un ici à l’entrée, ici à la sortie, un rond-point l’assurance de la sécurité et de la précaution, ces ignobles tentatives de prédiction d’un futur qu’ils tentent de maîtriser du haut de leurs dizaines de milliers d’euros, on n’a même pas envie d’en rire, et non plus d’en pleurer, ce n’est que notre monde, il est là , ces trois arbres bientôt multipliés par deux puis encore et encore, on en plantera d’autres, le monde comme l’eau lente du canal continuera de tourner, de vivre, on saura pour nos morts, on saura pour ceux qui s’en sont allés (pas sûr du « s » là) l’écriture, c’est ça, la musique de Moondog a cessé, celle de GianMaria Testa « poudre de craie » commence, c’est égal le temps en est passé, il y avait aussi dans la mémoire ces mots de Maryse Hache

l’écriture des fois on dirait ça s’épuise
ça grignote une matière si fragile ça consume
ça croise aussi les fers et ça pousse

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simple et clair, calme, passent les gens, leurs animaux, quelques années plus tard au loin on verra quelques grues on construira au fond vers la porte, mais pour le moment, les arbres croissent, tentent de rejoindre le ciel, immobiles et gracieux, autant au monde que nous autres, autant propriétaires (ces actes, ces signatures, ces factures) que nous, qui en dirait plus ? Eux autant que nous, eux y seront sans doute plus longtemps et qu’est-ce que ça peut faire impliquer donner droit à quoi de plus ? eux sont immobiles et fondés, le soir ils respirent le matin aspirent la rosée, ils sont là, au bord du monde, une autre dimension calme et pacifique, accueillant oiseaux et autres, au besoin, des êtres plus volages qu’eux, ils sont là, n’attendent sans doute rien qu’un peu d’eau, un peu de vent, peut-être, vivent avec les éléments tellement plus adaptés que nous autres, au coeur de toutes les villes, centre périphérie qui en a quelque chose à faire ? Il y a cette chanson qui fait « jm’en fous pas mal » qui ressemble à ce que c’est, l’aptitude de ces êtres-là à absorber quelque chose comme les années qui passent et vont s’ajoutent continuent et pèsent plus passe le temps plus lourde devient la somme, « j’ai mon passé qui est à moi » disait Edith

proposition n° 14

Là-bas, les dimanches d’été, « des milliers d’oiseaux s’envolent sans effort » et la musique les couples vers cinq heures, jusqu’à la nuit, c’était là, ne me demande pas qui était là, mais ces jolies histoires, ces « emportés par la foule qui nous traîne nous entraîne écrasés l’un contre nous ne formons qu’un seul corps » autour on s’asseyait sur le gazon, on parlait ensemble, eux buvaient, il fallait s’éloigner, il fallait ne plus entendre ces chansons, ces « comment ne pas perdre la tête serrée par des bras audacieux car on croit toujours aux doux mots d’amour quand ils sont dits avec les yeux » des personnages, comme s’il y avait des personnages, non, ils étaient tous là -– entre l’italique, entre les lignes, ils apparaissent, on ne s’en souvient plus – un jour il faudra consulter un peu ce qui reste de tout ça, au besoin -– vingt minutes de Moondog parce que c’est une espèce de contrainte, ça a l’air d’être une espèce de paradis, mais c’est aussi quelque chose de la cruauté, on se souvient des bals du samedi soir, des garçons bouchers ou des ignobles individus -– ça existe, des ignobles individus, plutôt chez les hommes, comme c’est bizarre, armés et abrutis d’alcool ou d’autre chose comme l’envie de paraître aux yeux des autres, cette imbécilité crasse et brute -– il y en a six ou sept des bribes de ces personnages qui ne sont que des paroles, leurs airs on les entendra et les rythmes afro-cubains, les maracas, les pagnes, les joues rosies ou maquillées, « habibi tu les aimais ces fruits les noyaux d’abricots pour toi c’était des billes » il aurait fallu prendre autre chose, un autre endroit, Sidi Bou Saïd ou la Marsa, quelque chose qui grille au soleil, la place du Commerce et les oeillets aux canons des fusils, quelque chose d’autre, la route surélevée de Gênes qu’ils ont baptisée Aldo Moro, cette horreur en effet, non ça ne parle jamais de ça, c’est hors du temps, ça indique quelque chose comme une rencontre, on ne s’était jamais vus et voilà que tout à coup, on se retrouve, avait-on mis ses plus beaux habits ou ne s’en était-on même pas soucié – il y a toujours dans l’air ce joli parfum, quelque chose qui attirerait sans trop se prendre au sérieux, du jasmin dans un sourire et un verre de bière – des jeunes gens qui dansent, et des anciens comme on les appelle, « toutes ces choses qui avaient un prix et qui font le désir et le plaisir aussi » la mémoire des lieux, des gens et des regards tout pour oublier la semaine et le gris du soir d’hiver, tout ça, pour oublier et n’y plus penser, regarder le soleil se coucher sur le fond de la ville qui sera détruite ou alors non, simplement changée, tout changer pour que tout reste pareil, la liberté, revenir au début : les portes de prison, les attentes derrière les barreaux « pour quelques mots qu’il pensait si fort » et puis la mélancolie de l’océan ouvert à tous les vents, au loin parti le marin, tant aimé celui de Gibraltar, des hommes en uniformes aussi bien -– la veille du quatorze, ou quelque chose -– non plus, celle qui chantait pieds nus, celle qui buvait du gin ou du wisky, sa bouteille cachée dans un sac en papier beige, assise sur le bord du chemin sous l’ombre un peu détruite, cinquante ans peut-être, éviter passer outre, repenser encore à « L’amour est inutile : la lumière des étoiles, personne ne s’y chauffe ou ne l’allume, et si nous les appelons, leur flamme bientôt au ciel déclinera » la clarinette basse, le rythme langoureux, l’amour et les baisers, les taillis les caresses les mots doux, au loin, vers le rond-point illusoire, dans la lumière du soleil qui s’en va, et puis les pleurs, renifler sans élégance « qu’est-ce que ça peut bien me foutre après tout ? » une robe dans les roses, sans doute l’avait-il laissée choir, peut-être s’en était-il allé avec une autre, quelque chose comme ça dans le dessin du rimmel qui avait un peu coulé, les lèvres rougies, par ici apprentie coiffeuse, fleuriste ou couturière, les métiers qui ne gagnent que la vie mais rien de plus mais digne, le dimanche après-midi on passe d’attirants atours, on se parfume un peu, on se maquille et on sort, une copine ou une connaissance, le frère de l’une ou de l’autre, on remonte l’avenue, le soleil décline et comme le coeur nous bat, on marche et bientôt au loin, doucement d’abord dans les basses, puis plus nettement à mesure qu’on s’en approche, la musique et « on n’oublie rien, de rien, on n’oublie rien du tout, on n’oublie rien de rien, on s’habitue c’est tout »

proposition n° 15

À la rencontre de la passerelle, ses escaliers, entre les deux volées, et le chemin surélevé, qui court tout le long de l’axe est ouest, bordant le canal de la première passerelle jusqu’au bouquet d’arbres qui se trouve là, au coin du rond-point dit des canaux, qui existe depuis qu’ils ont été conçus, construits, creusés, édifiés les quais, les promenades, les passages, depuis que là ici, même, c’est à coup de marteau sur le coin du crâne qu’on tuait les bêtes, la chaleur des eaux et des graisses, cette fumée, ce sang et ces effluves, puis là autre chose je te trouve là debout face à la ville, tournant le dos aux passants, regardant Dieu sait quoi, petite planchette sur laquelle est fixé de deux vis boulons un compteur muni d’une petite manette que tu actionnes à chaque fois que quoi, au juste, au fond le pont de chemin de fer, en bas l’eau noire, là, péniches, oiseaux, pêcheurs, vigiles touristes couples solitaires esseulés perdus impatients ou lents, cigarettes ou pas, et là sur ce promontoire, neuf marches au dessus du tablier à activer ce petit mécanisme, si encore il pleuvait, mais même pas, c’est là que je te trouve patient durant quelques heures, marquant sur la feuille au juste quoi, puis marchant un peu et c’est là que je te retrouve encore lorsque le plan incliné qui permettait aux bœufs et chèvres et porcs et le reste de monter et de se diriger vers leur rien, beuglant hurlant gueulant vociférant mais ces premiers jours-là il n’y avait plus rien, il pleuvait, la boue, flic flac, mais plus d’odeur de mort, de sang, ou de tripes, abats rouges abats blancs nerfs échaudages éviscérations et tout le bataclan qui va avec forts et maquignons, ouvriers tueurs, tabliers cuirs peaux poils dents non – et puis voilà, une bibliothèque d’école de cinéma – la dernière roue du carrosse celui des films et celui d’or (ah Anna…), quelque chose comme ça – et puis autre chose encore et tout oublier, « j’ai tout oublié des campagnes, d’Austerlitz et de Waterloo », une chanson pour chacun des gestes, chacune des pensées, ici, les vieillards et les enfants en bas âge, ça court dans l’herbe et ça rit à toute force, ça sommeille, ici que je te trouve encore, sur le bord du canal, et Jane qui te prend en photo (je sais que tu serres cette diapositive dans ton portefeuille, avec ton pull vert Daniel Hechter acheté dans la rue de Reuilly à la solderie -– je sais bien des choses encore mais je n’en dis plus rien) et plus tard encore, à arpenter les pelouses le matin des dimanches quand les footeux annoncent et éructent « ah non les journalistes dehors ! » ce doit être ton imperméable qui leur fait croire à cette profession, à une appartenance à une corporation mais aujourd’hui non, plus rien, alors, tu n’y passes qu’incidemment de temps à autres, le matin tôt sur la passerelle du nord, parfois pour aller ailleurs, mais alors les cirques, les bals, les expositions, les visiteurs les publics les usagers -– tous les mêmes, toujours, tous les mêmes -– des noms différents seulement – des catégories des typologies des classements comme il faut qu’on puisse en produire pour que le monde puisse y croire –- mais tous les mêmes, cette idée un peu lasse du temps présent, faire attention au petit se préoccuper d’un ballon qui roule vers le canal, mais qu’est-ce que c’est que ce travail ? une imposture, juste une imposture, vous voulez un gâteau ?, une place différente de celle où on croit que tu te tiens, à présent il se pourrait que tu te retrouves dans la peau de ce type qui disait (il suffirait qu’on te questionne sans trop le montrer) « j’ai toujours cru que l’âme des bêtes stationnait en haut de la halle, tout en haut là où il n’y a rien, ça ne sert à rien mais c’est un espace un lieu un endroit vide et ce vide moi je crois bien que... » et l’autre te relancerait « mais elles y seraient prisonnières alors ? » et toi « chacun croit ce qu’il veut, mon jeune ami » et tu montrerais du doigt, là-haut, tu serais assis dans ce lieu à l’écart du passage, comme tous ceux qui se tiennent un peu à l’écart : en retrait, pour ainsi dire, ces immenses fenêtres, ces dizaines de fenêtres, de ce côté-ci du canal, t’en souvient-il de ce repas, ça s’appelait « le petit boeuf » et l’air catastrophé de ton commanditaire, devant le rapport (trop, mais beaucoup trop) littéraire que tu avais produit, (vraiment trop, non impossible) non, ça n’avait rien à voir avec ce qu’il attendait –- on ne sait jamais à quoi s’attendre, on essaye, on voit ensuite mais -– ce jour-là c’en était presque risible, le teint pâle, le profond embarras (comme s’il y avait à être embarrassé) de ce type (la qualité pour ces gens-là n’en est pas une, sinon ils ne seraient pas aux postes où ils se trouvent, ce sont des choses qu’on apprend à mesure sans doute, mais quelle importance ?) on avait mangé de la viande, on avait parlé : refaire dans les limites du dispositif mais si tu veux, bien sûr, sans problème, quelle importance ? et plus tard, ce même texte tu sais bien où il se trouvait dans la bibliothèque derrière le bureau, mais à présent ? pas de nouvelle et alors comme ça, tu essayes de le refaire donc, c’est ça ?

proposition n° 16

Autant le dire tout net je m’en fous de ce que tu peux faire, ça ne m’intéresse pas, ça m’est complètement égal, ça ne rime à rien, donc ce n’est pas important de savoir si tu te trouves ici là ailleurs, sur ce pont derrière moi, devant ou à ma droite, c’est égal tu fais ce que tu veux, je ne suis pas sûr de tes ambitions, si tu en as, d’ailleurs, probablement, tu imagines faire surgir quelque chose d’un point de vue différent, quelque chose qui ne serait pas inscrit déjà dans cette réalité que tu contemples, à mes côtés, et d’ailleurs qui parle, est-ce toi ou est-ce moi, debout sur cette passerelle, puis sur ce pont de chemin de fer désaffecté, il paraît qu’y passait, sur cette voie, l’Orient-Express du temps qu’il reliait Londres à Istanbul, vingt deux heures départ Paris Nord, était-ce encore Constantinople ? c’était avant le massacre des Arméniens, ou après, après tout, un génocide ça ne change pas grand-chose pour les survivants, car plus rien n’a d’importance, la première guerre, le deuxième enfin tu vois que ce n’est pas d’hier, mais qu’est-ce que ça peut bien nous foutre après tout, que des friqués passassent là il y a cent ans et plus peut-être, Sofia par Belgrade et Bucarest par Budapest, Venise était un peu trop à la mode du tourisme, c’est venu après et puis ça s’est éteint, il valait mieux aller se faire refaire le visage, les dents les bourrelets ou le nez en Roumanie, sur la mer Noire, je me souviens, tu te souviens, regarde comme le monde est beau, le coucher de soleil, n’oublie pas de compter s’il te plaît – cette conscience que tu peux mettre dans ton travail, c’est à ne pas croire – je ne suis pas sûr de l’imparfait du subjonctif, et je ne suis pas sûr du subjonctif tu sais, tu m’aides ? – il y avait là, au fond de cette perspective, regarde bien comme l’histoire est belle et comme le temps passe, il y avait là les convois qui allaient à Drancy, alors quand on me parle d’un certain docteur, cette ordure-là morte à Meudon (bon débarras) (où est-ce que c’était né, attends je me renseigne à Courbevoie, ignoble saloperie que cet homme) à Meudon comme un de mes oncles enterré sur le flanc de la colline, au loin on voit Paris, quand on me dit qu’il a écrit des livres formidables et magnifiques, et qu’on en prendrait bien quelques graines, allons, oui sans doute ensuite a-t-il commis d’autres textes moins -– comment dire ? -– bien finis, léchés, écrits ? quand j’entends ça, j’ai vaguement des envies de sourire, probablement d’un seul côté et jaune, comme cette étoile, là, alors qu’on ne me demande pas de lire ce qu’il a bien pu réussir à faire éditer, un éditeur comme je ne sais pas moi par exemple celui de ces livres d’histoire, où commence la calomnie où s’arrête l’indigestion ? tu ne peux pas te retourner, dis-tu, et pourquoi ça ? vas-y donne une bonne raison, pour regarder ces moulins que la banque a transformés en bureaux, comment ça, il faut que tu comptes ? Là, de nos jours, le petit tramway avec ses sept petites voitures pathétiques passe sur ce coin de ville, zones fortifs octrois qu’est-ce que ça peut bien me faire, oui, des relents d’histoire, oui, c’est là et ça sourd un peu comme un pus mais on ne le voit pas, on ne le voit plus on fait comme si, on attend de voir un peu, la boue finit toujours par sécher sous nos latitudes, as-tu remarqué que altitude et latitude ? comment ça tu t’en fous ? tu te fous des mots à présent ? tu te fous de moi, oui, j’en ai bien l’impression, pour que je te laisse travailler, que je ne t’embarrasse pas avec ces histoires, mais mon petit ce ne sont pas des histoires, il n’y en a qu’une et tu le sais très bien, celle des vainqueurs alors compte, compte et compte encore, gagner sa vie à la perdre, se consacrer à son art et se donner à sa muse, c’est bien, continue, regarde droit devant toi, et ne te retourne pas (oui, la chanson, c’est ça, la chanson) compte là-dessus, pense à autre chose, oublie ces heures et ces heures passées là, oublie cette ville et le manteau vert qu’elle porte ici -– c’était ça le titre de ton histoire, là, la ville en manteau vert, je me souviens tout à coup – j’ai regardé un moment dans tes archives mal classées, tu ne sais pas encore que ça se classera d’une autre manière, écoute le bruit de la mer, mange un morceau, regarde les touristes sur ce bateau de plaisance, ils vont jusqu’à l’arsenal, tu te souviens de celui de Venise, ça se côtoie, ça console, ça va aller mieux, après l’hiver vient le printemps, tu sais ça aussi bien que moi, avance en âge mon ami, avance encore aie confiance et endors-toi, (un s à la fin de aie ou quoi ?) j’avance en âge voilà, content ? repose toi, va boire un verre d’eau, laisse s’écouler le temps, repense à ces heures d’octobre, à la première fois où on a entamé un entretien, comment se présenter, se présenter ? non inutile, quatre mots, je travaille pour le parc -– il y en a cinq -– voilà tout, et j’aimerais bien savoir… quelle curiosité intarissable, et toujours quelque chose à dire, des relances prêtes comme s’il était nécessaire de ne pas cesser de parler, mais c’est nécessaire mon ami, c’est nécessaire pour que les gens s’oublient, il faut que les gens oublient qu’ils parlent et qu’ils disent ce qu’ils ne savent pas se savoir dire, ce qu’ils ne se savent pas vouloir dire, c’est important, c’est même le plus important, le reste ce n’est rien et les refus, les dénégations les « pas le temps » un train à prendre mes enfants m’attendent (ou alors ma mère mon père mon oncle toute la famille peut y passer) une séance ici un rendez-vous là ailleurs avec qui ? mais avec ma meilleure amie, ma femme, ma maîtresse mon maître… non ce n’est pas la peine, laissez, allez-y, la prochaine fois, sûrement, bon spectacle voilà bon voyage bonjour à votre mère et tout ce monde qui passe, ce n’est rien, aucune importance, mais pas une seule fois ta mère, tu vois, ni tes frère et sœurs, tu vois comme c’est bizarre, ta petite famille, oui mais les autres, non, jamais, on ne s’intéresse pas ou on fait semblant ? il y a là le disque qui tourne, dehors le soleil donne, la même couleur aux gens, ils ont leurs pagnes et leurs chapeaux panama juste sur le coin de Rossio, ce marchand, qui jouxte celui qui vend ces cerises à l’eau de vie, des étoffes de soie, des décapotables à sellerie de cuir, les gens, cet autre oncle qui travaillait là comme l’indique l’une des dernières études faites sur ce monde-là, sur ce lieu quand on ne faisait qu’y donner la mort afin que la ville mange, se repaisse, s’éternise et continue de croître, grossir, produire et affermir cette place qui est la sienne, la première du monde, eh ben tiens ! pourquoi pas, après tout hein ? n’est-elle pas celle de la lumière ? et la lumière n’est-ce pas la vie ? la vraie, celle de l’amour, des bals du quatorze juillet des têtes au bout des piques et tout ce capharnaüm

proposition n° 17

ce n’est que ça, ce travail, il se confond avec le lieu, des erreurs, des obstacles, on se trompe tout le temps, comment choisir dans ce qui se produit vingt ou trente fois par jour, par vacation comme on dit – la façon de compter et de payer les heures, heure pour heure, convention collective, devis mises à plat réunions factures – uniquement que ça, des erreurs, des manques, des tromperies, des idées reçues, des présupposés et des prérequis, on rencontre untel qui a mis quelque passion à son travail, qui indique ce qu’il recherche, il ou elle, inclusive tu parles, hypocrisie, cette passion pour les jésuites quelle plaie, ces jours-ci, mais à présent non, ou alors seulement toujours les mails sans réponse, même chose textos appels téléphoniques on fait dire, on n’attend plus rien, on fixe son calendrier et si rien ne vient c’est que tout va bien, on ne voit plus personne, on reste dans son terrain, tranquillement mais ce n’est jamais tranquille, des gens qui refusent mais ce n’est que ça – pas relu quoi que ce soit mais c’est l’idée, l’idée c’est là ça ne sert à rien sinon à faire en sorte que les factures et le reste soient honorés, payés, inscrits et portés au compte qu’on fera avant de remplir par soi-même sa propre déclaration, on sera sans doute aussi soumis aux contrôles de ceci ou là, ou autre mais ce sera fait, compté, inscrit, numéroté et identifié, comptes après comptes, lignes après lignes dans un beau document dont on recevra un exemplaire par la poste, ainsi que la facture afférente « en votre aimable règlement »

après ça, il y a le cinéma, après le vieil architecte en maillot de peau sans manche et en short, peut-être même avec des tongs mais certainement avec son pliant, adossé à la cabine de projection et regardant Abysses, ou quelque chose, les autres je les ai oubliés, ils sont quelque part sans doute, où ce n’est pas bien classé ni répertorié, mais il y a tout le cinéma dans son entier, toute cette familiarité, ne pas chercher à aller plus loin, il y avait ce livre de Chandler, La petite sœur (« fais pas ta rosière » titrait la traduction), il y avait ce film qu’on avait vu en plein montage, Travail au noir, et puis on était revenus mis le gant et continuer à trier les morceaux de pellicule, dabs le chutier, des obstacles dans ce métier-là c’est exactement aussi bien la même chose, avoir oublié le plein à faire de la Rolls Royce et ne pas s’étonner qu’elle ne démarre plus trois heures du matin et tous les acteurs et figurants qui attendent, lumières et eaux de pluie, se procurer des armes et des faux billets, mettre en scène une poursuite ou une scène de lit, images sons couleurs point clap moteur, au loin il y a la pluie qui ne tombe pas clairement, un vaste terrain un peu vague, du haut de ce point de vue qui domine à six ou dix mètres au dessus du niveau du canal qui va à Meaux et son brie, il y a la nécessité de trouver des prolongements ou des dispositifs utilisés pour réussir à faire croire (on y croit, vraiment) que cette prise de vue de Nuits blanches a été réalisée alors qu’il n’y avait aucun brouillard, lire les numéros anciens des Cinémonde ou Cinérama, prendre des notes dans quel but et pourquoi, c’est impossible à dire

et puis ensuite malgré cette façon de faire et de donner ce qu’on a et plus que ce qu’on a, ce sérieux, cette dévotion presque à ce travail laisser derrière soi une lettre à untel – à son successeur, à un autre – laisse va, oublie, je confonds il ne faut pas m’en vouloir, je confonds et j’édulcore, la haine et la perte, sans explication mais c’est le courant, c’est tout ce qu’il y a de normal expliquer quoi à qui pourquoi faire ? on se le demanderait si on avait quelque secondes à perdre sur ces agissements de dominants, petit à petit cependant, un établissement perd pied, même si les choses vont, existent encore, les mots qui vantent et les points d’exclamation, les brosses reluire et les exclamations les surprises et les merveilles étonnantes qui vont vous surprendre, vous bien sûr vous même ! mais aussi vos enfants ! car on ne les oublie pas, une thématique les chansons comme le monde est bizarre et « mauvais comme le temps quand le temps est mauvais » et « la joie venait toujours après la peine » et les amoureux, les rires, les yeux qui pétillent et les sourires qui illuminent, les mots et les gestes d’amour, les jeunes et les moins vieux, main dans la main lentement marchant vers la sortie et ce bouquet d’arbres, pieds qui se tordent aux pavés et rires complices et tendres – le cinéma la chanson le parc

proposition n° 18

Merci à la vie qui m’a tant donné -– merci à la vie qui tant m’a donné -– tant donné cette vie-là

tant et tant de choses –- merci à la vie merci à la douleur là au côté cette nuit j’ai rêvé que sur le côté

un cancer de quelque chose mais là je n’ai rien qu’un rein loin pourtant, merci à la vie pour tout ce qu’elle m’a donné sans jamais me le reprendre ma mémoire et des lieux et des noms, merci à la vie merci pour tout l’air respiré par mes bronches malades –- merci pour tout l’attente dans le froid du médecin -– merci à la vie pour tout tout tout -– merci à la vie tu sais bien Violeta, elle était là et puis la voilà partie –- elle ne parlait plus merci pour tout – merci à la vie et ses cheveux qu’elle n’avait plus merci pour tout ces pas sur l’avenue de la République à Nanterre –- merci à la vie de m’avoir tant donné tant de choses tant de mots, elle chante elle chante merci à la vie qui m’a tant donné, merci à la vie merci tant et tant merci pour tout les roses de tu ne peux pas imaginer -– celles que je lui portais en revenant du marché, les fleurs bleues un doux parfum qu’on respire – merci à la vie pour tout ce qu’elle m’a donné et merci aussi pour cette disparition cette solution par le vide merci aussi pour les mots de passe merci pour tout -– merci –- à la vie merci –- la musique la chanson merci à la joie et au plaisir, aux pleurs et aux sourires merci à la vie, merci tant et tant merci –- marcher dans tes rues tôt le matin café chaud frais le pain et croissants soleil ou brume merci aux arbres et aux oiseaux Violeta où en êtes-vous où est-ce vraiment dites en quelque chose pour au moins qu’on sache qu’on ne s’attende pas à autre chose même si on sait, très bien et tout le monde, très bien

on sait qu’il n’y a rien, rien d’autre que rien, la fin de deux mille un merci à la vie et à ces écrans de cinéma ces films ces images et ces chansons – merci à la vie Moondog qui se lamente comme un oiseau – la piaf qui pleure son Cerdan ou Johnny et son halali -– ou d’autres encore comme celui qui pensait à toi, Desnos qui partit de Compiègne comme un soir en dormant tu leur en fis récit merci à la vie la musique la chanson on n’en finirait pas et pourquoi en finir ? en finir, oui, un air tranquille et doux, merci à la vie pour ce qu’elle t’a donné, à toi Violeta, ne te précipite pas, on a le temps, on a le temps de voir, merci à la vie tant et tant de fois pourtant haïe et violée, violentée et meurtrie, merci à la vie là qui coule dans ces veines-là, les mains qui passent, et cette usure du regard merci à la vie, fixer ce point de sortie comme si ça avait une vraie réalité – ah ce n’était que ça, passez circulez, merci à la vie, merci, par icila sortie, musique Violeta, paroles chansons Colette, cris et joies et embrassades, on n’en finirait pas mais non, avancer regarder devant soi le sourire d’un enfant, la joie de vivre dans cette chanson, danser voir lire boire rire et chanter merci à la vie, merci à la vie de tant avoir donné merci à la vie ce qui s’éveille dans le regard quand on voit qu’on a compris et été compris, ce qu’on ressent dans cette main qui se serre, merci à la vie, cette chaleur et aussi, aussi ce froid, là qui envahira tout, peu importe non ? merci à la vie à l’été à la chaleur, la mer le canal le vent et les feuilles qui bruissent merci à la vie tant et tant pour ce qu’elle nous aide à voir et nous donne à penser merci à la vie merci merci

proposition n° 19

Il y en a partout, ce n’est pas si compliqué non plus, c’est la nature en ville, quelque chose avec des arbres de l’herbe et sans caisses s’il te plaît, une espèce de havre -– j’avais commencé par imaginer ceux d’ici, on s’en fout, ceux d’ailleurs –- Toulouse et Bordeaux, celui de Lyon tête d’or et zoo, il y avait la Hotoie dans le temps, il y avait aussi ceux de Berlin les jardins ouvriers ou ceux de Fribourg, un peu partout, commencer à retrouver la terre, le béton on en a soupé, la puanteur des autos aussi et le bruit, il y a la qualité du bruit tout autant, chacun fait ce qui lui plaît –- ceux de Venise partent de la rue Garibaldi, ou Tunis le Belvédère –- des voitures comme s’il en roulait, catastrophe, je ne sais pas je n’y suis pas allé, je ne sais pas et je m’en fous un peu –- ça concerne quand même aussi le travail et la relation particulière qu’on établit avec d’autres, les coureurs à pied ou les cyclistes, les sportifs, les danseurs les gymnastes et les musiciens, les aficionados du ballon rond qui ne font pas le voyage pour rien – là c’est forcé de parler de ça comme c’est forcé, tout autant que de parler des répétitions des obsèques de STGME2 organisées (c’est féminin les obsèques, on en apprend tous les jours) (et il n’y en a pas qu’une, imagine-toi) il y a peu, avant qu’elle ne réapparaisse, l’une des plus grands fortunes du monde, en habits de couleurs, la cérémonie des clés d’Edimbourg, j’ai vu ça – et celui du jardin botanique, le reste du monde, ouverture sur le reste de la ville, celui de Barcelone qui domine la ville comme celui de Gênes – je ne me souviens plus du jardin botanique de Gênes, mais je me trompe (c’est le cimetière), je ne me souviens plus non plus s’il y avait un jardin à Istanbul Topkapi, quelque chose peut-être bien, un jardin des fleurs et des arbres, centenaires si possible, quelque chose qui aurait à voir avec le calme d’un cimetière, celui de San-Michele qu’on voit de Fondamenta nuove, ici c’est ici que tu perds ton temps, tu laisses aller même s’il pleut, tu perds ton temps tu attends que ça veuille bien passer, tu lis ou tu peux faire des mots croisés, tu t’allonges sur l’herbe, s’il fait trop chaud tu cherches de l’ombre, tu es là, attendant un peu, tu as pris une bouteille d’eau, des biscuits, quelque chose qui n’a pas d’heure -– tout le contraire du travail, tu remarqueras, non rien je ne fais rien, je passe, je regarde et je m’en vais -– tous les jours ? — tous les jours, tous les jours… sauf pendant les vacances, mais alors je vais dans celui de la Baule, je reste assis sur un banc, et j’attends que le temps passe aussi… c’est ma nature, c‘est un peu la même chose… un lieu qu’on fréquente et qui vous permet doublier que le temps passe, que les tempes blanchissent, que ça s’accumule, c’est là au creux des articulations et on le perçoit plus en hiver, parfois l’eau reste figée gelée prise dans ses rives gardée par le froid le gel la glace les jours qui sont sans plus de lendemain, ils font des barbecues les Danois sous les arbres, je ne sais plus attends, les jardins du Roi (Kongens have) quelque chose dans le genre, le truc des princes et de leurs enfants, une lente promenade (je me souviens de ceux que fréquentait Redmond Barry, avec le chevalier je ne sais plus, oui de Balibari, une mouche sur la joue et un œil en moins, avant son mariage maudit – ces lumières et ces sourires, ah Marisa...) au loin lorsque le soleil s’en va, les ombres croissent le canal stagne et les enfants ont faim, on rentre, les coureurs s’échinent et suent, il peut bien pleuvoir, partout et n’importe où, les premiers pas, les sourires, les chutes et les pleurs, on apprend à faire du vélo, du patin à roulettes, les gens rient, les gens pleurent mais qu’on me laisse tranquille au moins, je lis, silence, un peu de silence, ça n’a pas la qualité de la plage mais presque les atours, à l’été on se dévêt, on lit seins nus allongé sur le ventre, on apporte son transistor et on écoute la retransmission du tour de France ou quelque autre bazar si propice au rêve ou à l’inaction, on a apporté des fruits, des serviettes, il fait chaud, il fait bon, on n’attend pas grand-chose du reste de l’après midi, sinon de se reposer un peu, de laisser filer un temps qui ne nous appartient pas ou plus on s’en fiche pas mal, du temps, « ce qui peut m’arriver n’importe quoi, j’m’en fous pas mal j’ai mon amour qui est à moi » qu’il passe au moins qu’on l’oublie, un lieu simple et tranquille, sans histoire et presque sans lendemain, de l’herbe (les huit cent sept brins d’herbe), des arbres, des gens de l’eau, la pluie ou le soleil, le temps qui fuit, et les enfants qui grandissent et les vieux qui s’assoient au bord du banc

proposition n° 20

dormir, et rêver des âmes mortes, les saxophones silencieux, des animaux, ou des chats, leurs yeux qui fixent un moment la nuit, et qui passent, pendant ce temps-là, l’eau stagne, il va pleuvoir, au ciel passent les nuages, c’est dehors, il y a certainement des gens aux turpitudes délivrées qui cherchent quelque chose comme l’aventure pendant que les bourgeois dorment et digèrent la viande et le vin, ils s’en sont allés et se sont endormis après la fin du concert du film, ils ont parlé discuté argumenté, ils ont peut-être bu un dernier verre, une bière une boite, il y a là les regards des animaux qui attendent qu’ils s’en aillent, on ne ferme rien il n’y a rien à fermer, les humains sortent s’en vont, rejoignent leurs cases, il n’y a rien qui bouge, le vent lui-même a du mal à vivre, c’est là, c’est la nuit, rien ne rôde non plus, seule peut-être une goule discrète s’évade dans le ciel noir, ça ne chante plus c’est calme et silencieux, les pavés ne brillent pas, les feuilles des arbres doucement dans l’air calme ne bougent presque pas, seules elles respirent doucement, on ne voit rien, sans lumière et sans bruit, seul un tout petit murmure parfois, au fond, tout au fond du silence, loin dans la ville, au loin, là où le soleil s’en est allé il y a des heures, peut- être, un signal, une lumière diffuse quelque chose, au loin qui montre que la vie n’a pas complètement déserté ce coin de terre, on dort et il ne se passe rien, il y a là le musée et ses groupes qui diffusent une vague sensation de chaleur, il y a les salles de spectacles qui reposent, les restaurants et leurs déchets, les vieilles bouteilles vides, les détritus, les restes de boites d’aliment, les torchons de papier, les eaux usées et les égouts mais tout est calme, paisible, tranquille tandis qu’au bout du monde ou à quelques kilomètres on se tue, on s’écharpe on se hait, femmes enfants vieillards meurent sous les coups, noyés violés humiliés mais ici, le calme la volupté presque, si un couple s’est évadé dans quelque buisson, ils ne se parlent qu’en chuchotant, personne d’autre qu’eux-mêmes n’entend, seuls, personne ne les perçoit, le vent léger et presque apaisé, plus de bruits plus de lumière plus de musique, rien que dans quelques minutes peut-être l’apparition de la rosée sur les brins d’herbe des pelouses, le frais le froid de la nuit oui, quelques vaguelettes sur les rives du canal les caressent, rien, doucement, tandis qu’ailleurs – ici à la nuit, une espèce de bonheur, peut-être niais, peut-être idiot, sensible mais pas aux bruits du monde, le creux de la nuit entre trois et quatre, personne ne le sait, personne ne le sent, les ponts, les quais, les rives, les arbres, le bouquet de ces trois-là, les petites lumières bleues qui vont s’éteindre, bientôt derrière les moulins la lueur paraîtra comme chaque jour, chaque matin, les bancs sont déserts, bientôt les bus de nuit de la ville convoieront des femmes fatiguées et noires qui viendront vider les poubelles des banques, nettoyer les toilettes des banquiers, passer un coup de wassingue pour que le reflet des pas des puissants puissent exister le temps qu’ils passent pressés et affairés (à quoi ?) dans ce hall, ce marbre, ces atours excessifs et protubérants, logos enseignes marques images communication là-bas au loin et que ça y reste, derrière le pont du périphérique où commencent à tourner voitures taxis camions, le temps qui s’écoule le calme renaissant et disparaissant là, à l’ouest Babylone, à l’est l’astre qui paraîtra, tout à l’heure mais pour l’heure, maintenant, ici, tout est souple et simple, doucement un air frais passe, sans bruit comme au paradis et si tu écoutes bien, loin, très loin, là-bas tu ne saurais dire exactement où mais tu en auras l’écho, tout à l’heure, furtivement dans le jour, plus tard, l’air de cette chanson

proposition n° 21

l’espace de travail sera plus perceptible par un panoramique, trois cent soixante degrés, un tour complet sur soi-même, au fond de la perspective, le bouquet d’arbres, ils étaient trois ils sont maintenant six, le pont de chemin de fer noir désaffecté, des parents et des enfants marchent sur le quai, petits vélos stature trentenaire, on a décidé qu’il ferait beau –- c’est le cliché qui veut ça –- il fait beau, le ciel est au fond dans les bleus, une péniche jaune type municipale qui abrite une librairie un cinéma un espace de relaxation yoga quelque chose pour des personnes cultivées, heureuses et bien portantes, aisées et propriétaires, municipalité, dans le fond de la perspective il n’y a plus la centrale électrique elle a disparu on l’a démantelée (c’est préférable à détruire comme verbe réduite en poussière saccagée et le personnel ailleurs, qu’il aille se faire foutre) l’autre quai de bitume bordé par un hôtel en rond quatre étoiles restaurant au rez-de-chaussée qui mange là, chambre à cent ou cent vingt, peu importe l’administration du colloque de la boite de l’entreprise corporate paye raque investit sans impôts ici là comme il faut, rond point, la péniche qui veut tourner bandeau bleu et blanc on ne distingue pas son nom (une péniche porte un nom, parfois ce n’est qu’un prénom, de femme, là surgit Simenon ou quelqu’un l’homme du Picardie, n’importe) la prairie, verte, soignée, des bêtes y paissaient hier, ça a laissé traîner derrière soi, sans y faire plus attention que ça, des détritus, des emballages, des papiers gras frites ou pains à la viande fromage peaux de bananes de tomates récipients plastique recyclable ou non, la merveille des poubelles trieuses à trois bacs, comme on sait faire -– dans l’ombre une camionnette tranquillement se repose, elle est blanche et c’est lendemain de bal probablement, des papiers abandonnés, des restes des déchets des ordures on oublie laisse, regarde plutôt la beauté du monde, cette petite lampe bleue et toutes celles qui lui succèdent, et puis ces garde-fous en aluminium ajourés de rond, ces filins d’acier qui prédisent la précaution qu’on prend pour les petits, qu’ils n’aillent pas se noyer tomber disparaître les petits, mauvaise publicité que ce serait imagine, cette petite passerelle où tu te tiens, passent les gens c’est midi, là abandonnée rouge et vide une boite boisson de soda étazuniens un jour dans cette ville on a organisé les jeux olympiques, du pain et des jeux disait l’autre, il y a longtemps, le soleil brille, hello, il fait bon il fait doux une musique qui se répète un moment à passer, tourner, regarder l’anneau qui ne sert à rien serti sur le quai, Marne Charente Gironde, Loire Seine Oise, on en sait plus, ils s’intitulent mais on ne sait plus, les pavés malcommodes, dans les rouges brique, dans les gris, la solitude de l’eau sans courant, bientôt la péniche passera sous ce pont-là, derrière elle l’écume de son hélice, un transport de pondéreux disent-ils, ça avancera, le temps passera et ton plan de travail, outre les cinq parents enfants qui vont aller manger, dans un de ces bâtiments neufs, là, créés pour eux, ton plan pour mesurer ce repeupler la ville, oui, mais avec des êtres solvables, des comptes en banque confortables des meubles à monter soi-même oui mais tout de même moyenne gamme, des petits vélos de couleurs vives, des petits casques sur les crânes tu n’y penses pas s’il se les fracassaient non les accidents l’angoisse non on laisse ça à l’entrée -– là immédiatement là, pas vu dans cette maison rouge sang, au premier étage derrière cette bûche d’un bois qui ne sert à rien, derrière cette fenêtre en matériau composite léger alu ou quelque chose de mat de propre et de moderne comme il sied à cet endroit, un homme mange seul un tablier autour des hanches, il est assis, il mange, je crois, seul, là, tandis que sur le quai passent les vélos, les gens casqués, harnachés précautionneux vêtus dans les bleus dans l’effort pour se maintenir en forme vivre un moment de joie de gaieté de chaleur, vivre enfin calme dans le repos de la campagne à la ville, ces rouges ces verts ces couleurs criardes ou tendres, pastels ou contrastées qui revendiquent nature, joie de vivre, facilité et respiration tranquille d’un air qui ne serait pas vicié des échappements automobiles, quelque chose qui sentirait la liberté comme on aime à la souiller de nos jours, tu ne trouves pas, il y aurait une musique douce et tranquille heureuse et gaie on serait entre soi, on n’aurait pas peur, de loin sur la petite passerelle un type serait avec sa planchette, là, à compter les entrants, les sortants ou n’importe quoi d’autre, le passage du temps, celui de l’eau sous ses pieds, le tablier ajouré de croisillon de fer, d’acier, trempé, solide comme des rocs, de grosses traverses d’acier noir, trempé, épais compact robuste musclé presque et en tout cas rassurant et assuré, croisé, une passerelle sur un canal, solide, le plan de travail, là, et puis au loin, la ville au loin le calme bienheureux des rives lentes droites stables et franches...

proposition n° 22

Pas comme si c’était hier –- quarante neuf ans, plus treize jours d’ici vu qu’on embauchait le premier, pour finir le 31 du mois suivant -– quatre ans de suite tout ça pour acheter une Moto Guzzi California, et même pas -– Harvest dans les oreilles en partant à l’aventure en deux chevaux – plus tard, bien plus tard, père mort et illusions enfuies -– rêves posés de côté, le soir du premier jour, sur le teppaz « el condor pasa » et jurer sur la bible (ahahah) de ne jamais, au grand jamais, finir prolo –- esclave -– travailler à ne pas rester encroûté dans la facilité de l’interim –- la haine du patron, la poursuite des études, la haine des chefs comme de l’autorité -– année érotique chantait tête de chou -– la discipline et les blouses grises, les écoles mixtes, les filles, l’amour, la joie de vivre -– la paye en billets tous les samedis vers onze, onze et demi -– quarante quatre heures par semaine à deux quatre vingt neuf de l’heure -– pas comme si c’était hier mais presque, entre les malaxeurs, tout au bout de l’usine, dans le bruit infernal, dans la poussière de carbone, dans les cris les sirènes ou le bataclan de la production de la pâte nécessaire à l’élaboration de ces pneus de caoutchouc, un carré de deux mètres sur deux, coincé et marqué par des barrières d’acier solide et gris, quelques traits jaunes pour en souligner l’existence, deux bancs de deux mètres de long qui se font face, au milieu, un cendrier, rudimentaire les types assis fument, dans le bruit et la fureur de l’exploitation et la transformation du latex de l’hévéa -– aujourd’hui en Asie, alors en Afrique –- ça arrivait par camion dans la cour au-delà de l’usine – ça se malaxait, les types perdaient une main, un bras, des types seulement, en bleu de travail comme d’autres ont des costumes, devant l’usine l’administration logée dans un bâtiment de briques rouges, au dessus de la casemate qui abrite un flic de la boîte casquette et uniforme dans les tons noir, la chaussure ailée qui signifie la marque étazunienne, mordre la main qui vous nourrit, trois huit mais pour la jeunesse deux huit seulement -– j’ai pas tenu, mais je ne suis pas mort -– la pointeuse qui tranche les heures en centièmes -– chef d’équipe vieux de la vieille « va nettoyer là après tu feras l’extension », le balai d’un mètre de large, le travail qui n’a rien de sorcier, qui n’a rien de facile – presque comme si c’était hier, les ciseaux pour couper les bandes roulantes, les grillages, les fours, les cris, les fumées, les fenwicks qui gerbent des palettes à dix mètres, le bruit, la fureur de la chaleur et l’été, tout l’été, quatre de suite je me souviens le travail, le sol et les néons, nettoyer, démonter prendre garde à soi -– personne n’est là pour te protéger, le monstre gronde et crache, exploite chauffe fond, à la sortie, des milliers de pneus, toutes les tailles, flancs blancs ou pas, rechapés tubeless tracteurs camions des tonnes et des tonnes qui s’useront sur les routes des vacances – alors ici depuis en Chine -– exploiter, dominer, soumettre : la paye en fin de semaine, en liquide des billets aussitôt posés sur le compte de la banque nationale pour le commerce et l’industrie -– l’argent va à l’argent, avancer et comprendre, plus jamais ça ? plus jamais ça, jamais mais debout sur cette petite passerelle à compter les entrants, un parc à la demi-saison, s’il y a de la pluie on s’abrite -– pébrok pliable dans le sac,quoi d’autre jamais un sandwich ou des biscuits , de l’eau oui, et puis toute la journée –- mais à la pause, là, dans ce qu’ils appelaient le fumoir, à la pause le trente et un juillet, les types qui fument et qui rient, bientôt le camping à Fort-Mahon, sous les pins, la chaleur du jour, bientôt qui tirent sur le clopo maïs -– je n’ai pas tenu, sans parler de respirer, sans dire la dévastation des rêves ou des espoirs : le travail, c’est donc ça ? le bruit, la puanteur de la combustion et de la mise en forme, payés à la pièce, intéressés aux bénéfices, poussés à la vitesse pressés pressurés par les objectifs, dépassés par les ordres et les obligations –- pas comme si c’était hier, mais presque –- depuis quelques années, une vingtaine, on arrête ça ici c’est trop cher disent-ils, on a entendu les Conti, on a écouté les Goodyear, indemnités ridicules ou forfaitaires,chômage préretraite, corps mutilés trente ans de maison, vies massacrées et voitures qui roulent – les courses de formule un, les blousons bleu profond et l’insigne en jaune d’or, des types surtout, des champions, voilà, des champions

proposition n° 23

Il y avait au loin cette cheminée, le haut en avait été ouvragé dans les bleus pour le faire disparaître au profit du ciel – on appelle ça du green washing de nos jours, faire apparaître du beau et de l’éthique dans ce qui n’en possède pas -– ce n’est pas non plus sa fonction alors pourquoi cette hypocrisie ? on trouve aussi ce type de travail sur les cheminée, parfois d’usine d’énergie nucléaire, ils te flanquent un bambin nu et des fleurs -– et sur le site, « attention aux accidents » -– et Three Miles island, et Tchernobyl, et Flamanville… –- je m’égare, c’est là, ça a été là : deux carrés blancs, un petit un grand, sur le grand poser la cheminée, un autre vert, un ou deux cylindres, une petite maison sans doute quelque chose de l’octroi, de la douane, ou du régisseur du canal, quelque chose, le pont du chemin de fer, l’hôtel le quai, tout est là, des arbres (on va en garder quelque uns, tu sais, une essence ça ne se gaspille pas –- on fait attention, on les entoure de bois de palette,on y prend garde) et puis plus rien, un terrain vague, la petite maison, les arbres du fond – ceux du premier plan, virés, panneaux indicateurs, mise en place d’emprises sur le quai, on a des trucs à faire, c’est la ville, on construit, on bâtit, on promeut on vend sur plans et dessin, ce sera beau, ce sera bien disposé, c’est comme ça, élégant et pratique –- on dit « fonctionnel » -– facilité de paiement, dans du neuf avantages fiscaux, tout est dans la même classe, entre soi on peut trouver des terrains d’entente, ici, ce sera beau, ce sera bourgeois bohême car le parc, immédiatement à proximité, juste là, cent mètres à tout casser, apporte sa caution de verdure, de calme et de tranquillité – le musée celle de l’intelligence – des jeux pour les enfants, tout a été pensé, intelligemment et avec une certaine idée du bonheur, ça a bien changé, ça édifie, il y a maintenant trois grues, ça n’a pas commencé il y a plus de dix ans, l’est parisien, et le retournement de l’édile – tu te souviens, le coup de surin dans le ventre, au soir de la première nuit blanche ? la gauche au pouvoir une première adjointe élue du quinze, où va-t-on chercher tout ça ? on avance, deux mille dix peut-être, elle n’était pas aux premières loges des affaires, les murs de la centrale étaient couverts de graffitis de Da cruz et d’autres, un collectif que tu as vu à Beaubourg, et puisun jour, un soir, ça sortira du sol, des cubes de béton, agrémentés de terrasses privatives, on y posera des chaises longues pour les bains de soleil, des parasols dans des tons joyeux, sur le canal passeront les chalands, les petits enfants en laisse divagueront assurés sur les quais, les parents seront heureux, en face, il y aura le marché -– une autre classe, mais de l’autre côté -– il n’y a pas à dire, le coin est beau, bien situé, il y manque un peu de soleil -– le quai d’en face est plus éclairé, mais qu’importe, une opération immobilière, des immeubles dans les marron, dans les noirs, dans des tons chics -– ce qui se croit chic c’est beau -– je me souviens de D.D. Lewis jouant le rôle d’un modiste « ne parlez pas de chic ! » disait-il agacé, non c’est chic – en bas on posera délicatement des bars à heures heureuses et à petits déjeuners continentaux, dans la charte de travail des serveurs il sera stipulé le sourire et l’avenance (l’avenance, oui, tout est là) un tablier dans les tons de la marquise, plus des vins de qualité et de propriété, propres sur soi, femmes aux décolletés espiègles, hommes tatoués chignons au besoin, un semblant de ressemblance avec la clientèle, cocktails et jus de fruits pressés devant vous, installez-vous, faites comme chez vous, d’ailleurs vous l’êtes – il fait beau sur la ville ? on posera quelques musiques douces, ou engagées – reggae de bon ton et bons morceaux classiques -– ne pas défrayer la chronique ni effrayer le passant, le commerce et la joie de vivre, voilà, c’est là, on a démonté les grues, on a nettoyé les accès, on a replanté des arbrisseaux, des buissons, décorés comme il faut de quelques œuvres d’art contemporain, dans des halls de marbre, garages deux voitures la petite pour madame, le garage à vélo, électrique, le matin les plus jeunes, les plus endurants, iront en costume -– short, leggin, tshirt, couleurs criardes ou selects, chaussures à deux cents – non, pas par des enfants, non, produites dans les normes du moment, bien sûr une dimension planétaire, un doigt de respect pour le travail d’autrui –- noeuds dans les cheveux ou tissus éponges élastiques dans les tons du t shirt, on courra, au bras on disposera d’une station qui indiquera (en connexion directe avec le reste du monde) rythme cardiaque distance parcourue charge restante des piles, d’autres choses on n’imagine pas, dans un étui panoramique -– vendu en kit -– on courra pour la forme, pour éviter le cholestérol ou autre chose dans les trente ou quarante prochaines années, on tient à la vie, belle au bord de l’eau, un dimanche, il fait beau, le matin, tout est calme au loin dans les oranges monte l’astre, doux, chaud, tranquille sans auto, sans camion, pont de chemin de fer hôtel eau calme et gracieuse reflets doux la qualité des verts les arbres vivent et respirent les herbes douces au vent se donnent un espace de liberté un coin de paradis

proposition n° 24

je me souviens, j’ai trouvé ça :

« … ils ont bouclé toutes les sorties de la ville pensant qu’on allait faire des allers et retours, mais non, la ville dans notre logique de guérilla urbaine, c’est notre champ de bataille, la zone franche, le lieu qui te protège, nous avions fait le choix de nous fondre dans la ville... »

entendu de Valerio Morucci, l’un des fondateurs des brigades rouges, enlèvement assassinat d’Aldo Moro, années soixante dix-huit, en mai, la stratégie de la tension, les attentats « tirer dans les jambes » et les autres, Bologne et sa gare et ses voies de chemin de fer et ses centaines de morts et de blessés, dix ans plus tard à regarder passer les gens et à les compter du haut de ce promontoire, puis laisser aller, descendre sur le quai, regarder les gens entrer et les compter tout en avançant vers le pont tournant, le bouquet d’arbres, le rond-point, marcher tout en regardant, se retourner et faire son travail sérieusement tout en repensant à ces histoires qui font l’histoire, je ne me souviens plus exactement –- soixante dix-huit tu sais c’était le retour de l’armée, la fin de la licence de maths et les questions qu’on se pose sur les aboutissants et les tenants de ces malheureuses tentatives de rester intègres et dignes -– l’armée et ses gradés et cet ignoble état d’esprit – réfractaire, désolé et malheureux, la tristesse devant ce qui avait sauvé le monde de la guerre – en septembre ça avait été la mort qui avait frappé L. ses deux enfants et sa femme dans cet accident de voiture, du côté de Deauville, la jaguar dans les bleus ou les verts je n’ai jamais su – oublier tout oublier -– la ville, les sentiers, les arbres, la musique, il y avait cette chanson qui faisait « qui ne tenait plus guère que par un grand mystère et deux piquets tout droit » la détestation de ce chanteur qui ralliait la droite et son petit commissionnaire, je me souviens, il y avait dans le poste parfois des chanteurs le petit conservatoire, soixante deux je me souviens, puis la soirée de Guy Béart, le grand échiquier et l’eau tiède du présentateur « dieu dans tout ça », je me souviens mais la télé d’alors est morte, elle n’est plus de saison, on tente de vivre et de gagner son pain -– c’est le lot, loyer à deux cents francs pour la chambre dans ces années-là, rue Cujas au dessus de la poste, à deux pas des cinémas mais de cinéma de cette époque-là il n’en reste pas, une sortie comme une autre, sans doute onéreuse – l’entrée à la cinémathèque était d’un franc et on avait droit, les années précédentes je me souviens de lui, Henri Langlois soixante quatorze présentant je ne sais plus le film mais s’excusant du fait qu’il fut sous-titré en suédois -– une copie, je ne sais plus mais je me souviens, Claude Beylie et la recherche des vieilles boîtes Pathé à Vincennes, je ne sais plus des années passées – quelques temps avant, quelque temps plus tard, voilà tout en octobre, monter les marches se retrouver sur le tablier du pont de chemin de fer, compter les entrants, deux, plus un, peu de monde – je me souviens de cet ex-ministre je crois bien mort d’une balle perdue -– Fontanet, Joseph – en sortant de la cinémathèque je me souviens des jeunes gens qui tirent dans les vitres des abribus, ils sont en jeep de l’armée -– je me souviens – cinq heures du soir et c’en serait terminé, aller sur l’autre quai, le rond-point et l’hôtel, regarder l’entrée, toujours, continuer à marcher – il se peut que je fume, alors -– les boyards maïs de l’armée -– la ville ici, je me souviens, le travail de ces deux jeunes femmes sur les abords du bassin de la Villette, je me souviens de mes efforts, avais-je quarante ans alors, boulevard Raspail était-ce cette école-là, je me souviens dans la quatre cent trois bleu nuit, un soir de juillet soixante, je me souviens sur le quai glisse une péniche qui se nomme Demoiselle, Moondog continue et je me souviens, il est temps de retourner sur le quai d’en face, il fait doux Malou – ainsi se terminait ce livre, je t’aimais tant – je t’aimais bien tu sais – pour aller du Belvédère (la maison se trouvait rue du Mexique, il me semble elle se nommait alors, cette rue, rue Kellerman -– en haut de la maison se trouvait une terrasse couvertes de tomettes rouges et rectangulaires, le linge y séchait sous la chaleur du plomb) pour aller du Belvédère à Juvénal (rue Es Sadikya, si j’ai bien compris, mais je ne me souviens pas, je n’avais pas cinq ans) il fallait passer par cette passerelle-là au dessus des voies de chemin de fer, j’avais ma main dans la sienne, il marchait -– si je parviens à bien me souvenir, il avait peut-être bien soixante six ou sept ans -– on avançait ensemble, un homme, il est de quatre vingt dix, un adulte dans mon souvenir cet homme un peu voûté, un peu chauve, sourire et lunettes de fer, je me souviens le voilà qui s’arrête et se penche vers moi, sans doute s’accroupit-il un peu, me demande ce qui ne va pas, « tu as faim ya amri ? » quelque chose du sourire, le voilà qui sort de sa poche une tartine – était-elle dans une serviette ? -– pain beurre sel et poivre – depuis ce jour sans doute c’est le sel que je préfère au sucre -– il marchait je ne sais s’il y avait du soleil mais c’était le matin, la passerelle de fer passait au dessus des voies de chemin de fer, elles allaient à la gare -– je ne sais plus la gare, je ne sais pas, tu me demandes mais je ne sais plus – comme aujourd’hui elles passent au dessus du canal, cette eau qui ne bouge pas, la Demoiselle au bout de la perspective s’éloigne vers Meaux, l’est là-bas au loin, les moulins, le périphérique qui gronde -– il y passe peut-être une Déesse –- au bout, au loin le bouquet d’arbres, le monde qui bruisse, le vent qui doucement dans les cheveux — regagner sa place -– est-ce bien ma place ? –- sait-on jamais, avancer dans la vie, gagner sa vie, le monde tourne et la musique se tait

proposition n° 25

d’abord ce signe je ne l’aime pas je m’en garde je le déplore et je le jette il y a aussi le point virgule je l’aime bien je me demande si l’apostrophe est un signe de ponctuation et j’oublie. J’ai dressé la liste des questions posées dans les précédents épisodes et j’en ai profité pour en intituler certains. Mettre la musique à tourner et attendre que ça vienne. la détestation des phrases sans sujet sans verbe et sans complément ne rien en attendre ne rien devoir en dire et laisser reposer le truc en attendant que ça vienne mais ça ne vient pas. Point. Il y a de quoi se révolter et faire le point. Alors les chansons et le travail et le territoire oui mais on ne mange jamais dans ces affaires-là. La tartine de pain beurre sel et poivre sur le pont de la gare il y a longtemps dans l’espace et le temps mon grand-père et le rire est-ce que c’est un signe de ponctuation aussi. Tourne la musique et le temps qui passe et les images qui s’ensuivent les chansons sont jolies les gens le sont moins et l’amour le sexe et le reste on en fait quoi. L’autre manière serait d’écrire normalement puis de gommer ensuite ces points d’interrogation à la con. Ca nous serait de quelque chose. Le type est l’adjoint du directeur du cabinet (le bien nommé) (les parenthèses ça compte) (comme les tirets) du président de la république et il cogne comme un abruti sur des manifestants du premier mai ça rappelle quelque chose comme le premier mai de Bouarram on en parlait tu te souviens. Tu te souviens. Le jour où le secrétaire d’état au numérique a annoncé son homosexualité tu te souviens. Tu te souviens. Les exercices où on prend un type quelconque qui passe et on lui attribue quelque chose comme le pouvoir de faire avancer ce qu’on est en train de dire. Tu te souviens. Et les moeurs des uns et des autres on en a quelque chose à foutre. Ou pas c’est une affaire de question à se poser. A poser tout court. Il fait chaud. Moondog continue sa litanie. Je ne suis pas complètement sûr qu’elle soit de lui d’ailleurs mais ça n’a pas d’importance. Il est mort. Il se tenait au coin d’un rue et d’une autre à New-York dans ces années-là ces années qui ont vu grandir en soi la nécessité de faire quelque chose de sa vie mais pas seulement des enfants ou des prolongements de soi-même mais quelque chose de vrai et de sincère comme l’écriture. Ou la photographie. Ou l’écriture sur la photographie et quelque chose qui aurait à voir avec l’illustration de son propos par des images qui n’apporterait qu’un peu plus de sens à côté juste là ce serait juste là et on effacerait ensuite les traits d’union les virgules les points-virgules cette affaire de l’orthographe faut-il être con pour s’y vautrer je te le demande et tu ne réponds que peu rarement mal à côté tu t’en fous tu laisses aller les choses tu t’en fous complètement l’important c’est ailleurs mais où tu ne saurais jamais le dire tu ne saurais et d’ailleurs comme d’habitude tu t’en fous. Il y a quoi d’ailleurs dans l’esprit qui te traverse. Qui me disait "il ne joue pas le jeu" c’était le gardien et c’était elle ne joue pas le jeu en parlant de la voisine du dessus qui ne fermait pas ses robinets et la fuite qui inondait - qui inondait remarque bien c’est fini - qui inondait le couloir de la salle de bain mais c’est fini on a cessé d’éponger on en est arrivé au point où tout est égal simple et tranquille il fait beau sur la ville il fait doux la guérilla et la zone franche le temps est au calme mais attention aux orages qui ne cessent de s’accumuler tout au fond de la mémoire. Là-bas mauvais comme le temps quand le temps est mauvais. Il n’est pas nécessaire de mettre une scène de lit dans un film pour en faire un navet. C’est de l’écriture automatique ou quoi. On attend que le film se déroule devant nos yeux rieurs et on sort en mangeant des biscuits. Ce n’est pas une expérience tellement intéressante mais ça a l’avantage de faire prendre conscience laquelle conscience est là depuis toujours malgré tout que la ponctuation a quelque chose à voir avec notre propre respiration et notre rythme et notre vie et notre amour de la beauté mais notre haine de l’humiliation. L’exemplaire de Souvenir de la maison des morts que j’ai acheté chez ce soldeur à la con de la rue de l’atelier est mal imprimé trois euros en même temps et ne fait pas apparaître les accents ou mal ou peu ou les tirets ou mal ou peu. Le bagne ce serait d’enlever toutes les majuscules et tous les points et les accents et on s’en fout du lecteur mais on n’écrit pas que pour lui on lit aussi imagine toi et ça fait chier quand il manque des accents et que le sens s’échappe ailleurs on perd le fil on fout le livre dans le feu. Il n’y a pas de feu et le monde est beau comme les chansons qui le dépeignent un doux parfum qu’on respire une vieille photo de ma jeunesse mais oui madame et toutes les fadaises de Trenet si jolies pourtant et qui balancent avec quoi se donnait-elle du plaisir cette bonne-là je ne me souviens plus mais enfin il y va parfois quand même assez directement le bougre de fou chantant. Ce n’est pas mon préféré. Il est tard je vais aller travailler mais dans quelle position me suis-je mis pour en arriver là

proposition n° 26

On a dit un tournant et je n’ai rien vu –- depuis le début je n’ai rien vu et je ne vois rien, je me suis dit « j’aurais mieux fait de prendre Lisbonne, Gênes ou Rome (circonflexe ou grave, je ne sais plus) » et puis non, ce sera autre chose, c’est que le monde avance avec ses blessures, il est quatre et demi, les moustiques piquent, il fait vingt trois, on annonce la canicule, en Grèce brûlent les hommes et les enfants et les femmes, la côte est du pays, la ville où est-elle je ne sais, mais il y avait il y a cinquante huit ans de ça, pratiquement jour jour, sur le tarmac de la Ouina un Constellation, quatre moteurs à hélice, mais je crois déjà avoir raconté ça tant pis, quatre enfants et leur mère plus une de ses cousine et sa fille, et tout ce joli monde s’en allait d’un pas joyeux se rapatrier –- il n’y avait pourtant pas de rapatriement, tout au plus un déménagement – et presque autant que la passerelle, le tarmac est le lieu où se déroule cette espèce de prise de conscience non pas de vivre et d’être en ville mais du reste du monde, il me semble voyant ce jour-là depuis cette nuit-ci, il me semble que le monde s’est solidifié ce jour-là, s’est transformé en quelque chose de dur, de violent, de blessant et encore n’avais-je que sept ans –- c’est cette conjonction aussi du fait de la disparition de mon père durant le même mois, vers le vingt – je n’aime plus l’été, ou l’ai-je jamais aimé ? il y avait là-bas cette permanence du climat, toujours semblable –- le plomb en fusion pesait sur la tête et les épaules la plupart du temps, mais on s’en fichait, on balançait des bassines d’eau sur celui ou celle qui criait, sur la terrasse aux tommettes rouges et rectangulaires « au feu les pompiers » en haut de la maison de mon grand-père, permanence du souvenir, et puis l’escale à Nice-Côte-d’Azur, et là le trouble a dû s’emparer de ma jeune conscience, j’imagine je ne me souviens pas de mes pensées, je sais pourtant que le hall me semblait assez étendu (j’y suis retourné depuis : il n’a rien de particulier, spécial, étrange ou quoi que ce soit : un hall d’aérogare) je suçais mes doigts, annulaire et majeur de la main gauche et j’avais une espèce de peur, le reste du monde, donc et puis sans doute aller aux toilettes, ou me suis-je perdu, dans quelle disposition était ma mère, mes sœurs mon frère je ne sais, l’escale avant le retour pour Paris –- le retour quel retour… on attendait sans doute de me retrouver j’étais perdu, j’errai seul dans cet aérogare, j’avais sans doute quelque chose comme de la peur mais je ne m’en souviens pas, il y avait sans doute quelque chose de dramatique –- allait-on me laisser seul errer à Nice dans cet aérogare d’un pays inconnu, ça ne m’est pas venu à l’esprit – et d’esprit d’ailleurs il me semble bien me souvenir que je n’en avais pas un atome –- « et de lettres que les trois qui forment le mot sot » je me souviens, Cyrano – cette journée-là on me retrouva j’avais disparu et j’étais réapparu, c’est ce jour-là de juillet soixante, non pas la ville mais le monde mais est-ce autre chose que la ville, le monde, à cet âge, je ne crois pas, la ville n’existe pas c’est le monde entier qui est une ville, au ciel passent les avions qui vont se poser à Roissy, il n’est pas cinq heures, les rotations, l’un d’entre eux, demain à la même heure, et la peur au ventre peut-être, mais je ne me souviens pas d’elle, je ne la vois pas, je sais qu’il y avait du soleil, Nice-Côte-d’Azur mais qui n’avait rien de spécial, c’était le soleil de l’habitude des jours, je ne l’aime pas tant depuis les quelques coups fiévreux qu’il m’a infligés, je ne le déteste pas, ma peau a tendance à noircir vite, quelque chose de l’Afrique, celle du nord, quelque chose qu’on emporte avec soi, un grain une douceur un pli, je me souviens de ces avions qui passaient au ciel et qu’on saluait en criant, mains et rires, « au revoir D. » criait-on, nous la reverrions plus tard, elle vivait ici depuis des années, le soir même ce serait Orly, comment l’aurais-je su, la quatre cent trois bleu nuit, la promenade dans les rues de la ville, cette ville-là, une autre, ensuite le fleuve et le lion de Denfert, la place du Carroussel et l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, jouxtant la mairie où un certain mois de septembre -– la fin de l’été, la fin des vacances, le soleil qui brille encore mais les fleurs qui rouillent -– j’irai déclarer la mort de ma mère un matin vers dix heures, celle-là même qui ce jour-là ne me punit pas mais m’embrassa me serrant fort de la peur qu’elle avait eue de me perdre et du soulagement de me retrouver, avait-on fait appel au personnel de l’aéroport comment savoir, comment l’aurais-je su alors, sur le tarmac de Nice-Côte-d’Azur peut-être un peu perdu mais sans angoisse, sans trop de peur, une sorte d’inquiétude étrange, autre sol autre pays autre vie

proposition n° 27

est-ce que c’est un travail ? le monde bouge, quelques semaines de répit, deux, plus une qui vient, le règne du beau temps, en rase campagne – une ville c’est quoi ? j’ai passé en revue les rues, les boulevards les avenues, les places et les temples urbains, les opéras, les parlements, les hôpitaux les maisons de santé, de passe dites closes, les témoins dans la banlieue, l’idiot qui disait « la tolérance il y a des maisons pour ça » - en est-il en rase campagne ? et la campagne est-elle rase ? – ne pas se laisser faire et reprendre le cours de ses images, en ville on trouve de tout, des épiciers et des agents de change, des garages et des parcs, des arbres des étroites pelouses des portes des arcs de triomphe et des musées, en ville, il m’est souvenu de cette cité, je la pensais complètement réduite à rien, quelques ruines simplement, El Jem, dans le sud, près du désert, j’avais à l’idée de ne voir que cet amphithéâtre qui surmonte la route, quand on y arrive, mais je me suis trouvé devant ma mémoire défaillante, nous allions à Djerba (une île) et tout à coup, ce stade, ce théâtre, du pain et des jeux disait l’enlauriéré -– dans la bibliothèque (une bibliothèque, en ville) il y avait en livre de poche « La vie des douze Césars » de Suétone -– il y avait bien d’autres choses, quels caractères alors comme le temps passait à regarder les oliviers dans le vent, – ces oliviers merveilleux, dénombrés et répertoriés –- avant la plage, je lisais tranquillement à leur ombre ce livre qui me racontait l’histoire de la révolution des Oeillets, et au détour d’une page y était évoqué le coup d’État du onze septembre, et j’ai revu l’amphithéâtre, j’ai revu celui qu’on a construit sur les bords de l’autoroute ici, et le stade et c’est apparu, la ville le stade, comment entrer en ville ? par le stade, les jeux de l’Olympe et les coupes du monde, cette année nous avons perdu une étoile « vous la connaissez mieux sous le nom de Johnny » et gagné une sur le maillot (un mois de stades enfiévrés), je me suis souvenu que du côté de la rue du docteur Finlay, le vel d’hiv de la rue Nélaton, au 1, je me suis souvenu des rafles quarante deux, je me suis souvenu des villes entières construites à l’enseigne d’un « le travail rend libre » et j’ai regardé au loin, sur la mer l’écume portée par le vent, mon ami t’en souvient-il, il y avait aussi ce film (difficile de m’ôter de l’idée le Z de Constantin Costa-Gavras, c’est une entrée en cinéma comme une autre, mais politique) (les cinémas en ville, le Paradiso et comme on aimait alors se faufiler par les portes de sortie du Balzac) « Perdu » dont le titre n’avait pas été traduit (Missing) on en avait froid aux os, il y a aussi ces gens qu’on précipitait ligotés à la nuit au dessus de l’océan, d’un hélicoptère, afin qu’ils comprennent qui avait la force, il y avait des choses sur ce monde et dans ces villes-là, je me suis souvenu, tu sais bien « El condor pasa » ça avait quelque chose de tellement imprimé en moi, quelque chose de cette première journée de travail – le vrai, le dur, le lourd, celui qu’on ne fait que parce qu’on y est obligé, forcé, tenu – ce n’était pas le cas d’ailleurs, mais j’avais à l’idée cette affaire de motocyclette – soixante neuf et quatre ans plus tard, en septembre tout juste vingt ans, orphelin de père et onze septembre, ce groupe Quilapayùn, et les exécutions, Salvador Allende et son casque qui n’était pas attaché, son assassinat, je me souviens, ce stade tu sais bien ce qu c’est qu’une ville, quelque chose où on erre la nuit, on y est entré il faisait jour, on a attendu que vienne le soir, une ville un stade, celui-là se nomme Estadio Nacional de Chile, je me souviens de Henry Kissinger qui se tenait là, dans l’ombre, à peine une demi-semelle en arrière de l’immonde Pinochet, je me souviens et de ce livre que je lisais sous les oliviers et me venaient ces enlèvements, ces mises à mort, il y avait aussi cette chanson qui commençait, au début, tout au début, ce « Gracias a la vida » ah Violeta, et lui, Victor Jara, lui aussi l’a chantée, bien sûr la vie, merci et évidemment, dans ce stade, dans cette ville, Santiago, les doigts écrasés par des coups de crosse ou de talon pour qu’il ne joue plus de guitare (on aime tant la guitare), tu sais cette joyeuse fébrilité qui s’empare de ceux qui ont la force et le pouvoir (on les voit aussi aujourd’hui, il suffit de poser le regard ici, là, quelque part) et puis de quarante quatre balles dans le corps mis à mort, le dix huit du mois après tortures et tortures et tortures, dans ce stade, le national du Chili, ici il n’est que de France, ailleurs comment mais comment dire, ces enceintes, ces cris, cette joie d’enfin pouvoir gagner, gagner et encore gagner en terrassant l’adversaire, « quarante quatre balles, dix pour qu’il arrête la chanson, dix pour qu’il cesse d’écrire, dix pour qu’il ne compose plus, dix pour qu’il ne raconte plus rien, et les quatre autres pour qu’on croie à l’oeuvre des Etats-Unis » –- évidemment ils n’y étaient pour presque rien –- le cuivre de ses yeux, l’or de ses paroles, la merveille des merveilles, et puis le monde allait où il devait aller puisque l’année suivante, soixante quatorze le vingt cinq avril au Portugal

proposition n° 28

aller et venir, tous les jours, une semaine sur deux, tous les jours, tous les jours, et les gens qui dorment, qui sont-ils, qui dort dans le métro, dans l’autobus N12 à quatre du matin, pour aller chercher un autre autobus – Châtelet, qui emportera à Denfert pour en prendre un troisième et rejoindre un avion qui emportera vers ailleurs, qui dort là, banquette dans les oranges les noirs se saluent entre eux, des femmes aussi, qui passe là, par là, pour aller faire quoi, où ailleurs, vers dix heures, elles dorment encore, elle noires arabes ou chinoises Belleville c’est Belleville, et plus ça ira et plus il y aura d’étrangers sur Terre, et elles dorment, s’éveillent regardent se rendorment, il y a eu un moment la tentation de les faire revivre en images fixes elles et eux, autant tout autant, fatigués éreintés maigres ou gros, chapeaux casquettes sur le haut du crâne ou bouchant les yeux, des gens comme moi, ou vous, des gens que n’ont pas arrêtés les grillages ou les chiens, des gens qui voulaient vivre, dans un pays développé – mais quel développement, celui de la générosité ? celui de l’entr’aide ou de l’hospitalité ? écouter les discours loin des micros de ceux qui nous gouvernent, entendre les « putain de pognon » ou les « ceux qui ne sont rien » – il fait doux sur la ville, Moondog au coin de la sixième avenue, il fait beau sur la campagne, au loin, loin des yeux loin, le tube fonce dans ses tunnels, allumées les lumières et fripés les corps et les peaux, cinq heures et demie du matin, des hommes beaucoup, noirs aussi, beaucoup, Paris capitale des lumières, foncer le train s’en ira s’en va vingt deux minutes avant sept, changer à Nation et croiser Reuilly-Diderot, la caserne, l’hôpital les officines des pompes funèbres, la poste de la rue de Crozatier, douze courir, vers Dijon je crois bien, cours petit enquêteur, cours, vite couloir escaliers roulants cours, vite attrape le très grande vitesse avant qu’il ne s’en aille fermant ses portes à coup d’hydraulique pression, cours avant que ne se lève le jour, vite cours, il n’y a pas de temps à perdre, on court, on s’est rasé, réunion, dégager les lignes de force de la communication, la culture en Côte d’Or – je me souviens, « il y a plus de notes de bas de pages que de textes » disait l’ami avec lequel je travaillais -– je lisais Maurice Halbwachs parce que, dans un autre compartiment se jouait aussi un autre diplôme, une autre façon d’être au monde, et de vivre et filait le monde aux fenêtres à trois cents à l’heure derrière les vitres des compartiments pressurisés, on quittait ici pour se rendre là, une ville pour une autre, une capitale pour un chef-lieu de région, une préfecture quelque chose du département, quelque chose de la République, le travail, toujours, le travail, le train, la marche à pieds toujours, la marche à pieds pour se rendre à l’abbaye, je me souviens de ce jour aussi bien, sept ou huit kilomètres à pied, ça use – entretien avec le directeur – ça use, la campagne, la ville le retour par le même moyen parce que tu ne crois pas qu’on va te raccompagner quand même – sept ou huit kilomètres à pied, ça use les souliers – j’ai adoré marcher, j’ai aimé avancer sur le chemin de cette vie-là, il y avait des gens et des rires, il y avait des imbéciles prêts à toutpour se faire valoir, il y avait des gens et des pleurs aussi, des gens, des êtres et des personnes,ça tourne ça roule çs avance, on attribue ceci ou cela à celle-ci ou celui-là, on avance vers quatre heures les jambes deviennent en acier, inflexibles et lourdes, reprendre le même dans le sens contraire, s’abîmer un peu dans le trajet de retour, une gare ici, une autre là, Lyon, les sous-sols les passages les tunnels les ponts et les chaussées, les arbres et les usines (les usines, en ville : il y avait celle de Javel, on y a mis à la place un parc, comme aux abattoirs aux chevaux on a dédié l’espace vert au vieux Georges, on y vend des vieux livres, juste à côté – pas très loin on trouvera les objets rangés suivant les provenances des lieux où ils ont été trouvés, ramassés, portés – on pose ces objets-là parfois dans les boîtes aux lettres – une fontaine, oui, les fontaines on les avait oubliées celles-là, dans la ville, boire et se désaltérer puis se soulager vespasien quand tu nous tiens, les trottoirs comme les chaussées, les coins de rues, les croisements, les feux tricolores, à la nuit les lampadaires, l’allumeur de réverbères, il y avait Raymond Bussières qui chantait là, je ne sais plus si c’était Casque d’Or, il y a les marcheurs, il y a les autos les bus les métros, je ne sais plus, à la nuit revenir il est huit heures du soir, ouvrir les yeux sur la montée des marches du métro, avancer encore, sac à l’épaule (avec une bêche à l’épaule/avec à la lèvre un doux chant) rentrer chez soi, travail fini, regarder la rue, les pavés, les trottoirs, avancer sur le faubourg, les boutiques des parrains, les tabacs boucheries boulangeries, la ville le monde qui bouge tourne et ne change pas, il fait doux, c’est le soir, il fait bon c’est l’été, on sifflote quelque chose, des filles passent, des tatoués des encasquettés, ils avancent et montent, bière en main, doux la ville, beau le ciel, attends un peu avant de dormir… et rêve

proposition n° 29

il ne fait pas toujours beau sur Paris,me dit-il, c’est même plutôt le contraire, on a gagné c’est vrai mais est-ce que ça suffit à nous donner du courage ou l’envie de continuer, je ne suis pas sûr, c’est une époque difficile, comme toutes vous me direz, peut-être mais c’est difficile, je me rappelle qu’à l’époque où j’avais vingt ans, c’était la simplicité même pour trouver du travail, il suffisait de demander ici ou là et on était pris, se présenter simplement, alors qu’aujourd’hui les cévé, les lettres de motive, les recherches sur internet, les traques, les chasseurs de têtes, tout ça a bien changé, on en était à ce moment où j’avais à peine quarante ans, on sortait de ces histoires de mai soixante huit, j’avais trois mômes à nourrir, je travaillais là-haut et j’ai tout vu de ma fenêtre, se construire ce truc, j’ai emmené mon fils qui voulait aller voir ce groupe les stones quand ça a fermé, ils se sont battus c’est certain mais ça n’a rien donné, comme toujours comme aujourd’hui, ça n’a rien donné, il faisait aussi du skate-board sur la piste qu’ils avaient construite là mais pour vous dire l’état d’esprit d’alors c’est qu’on avait confiance dans l’État, ce n’était pas quelque chose contre quoi il fallait se battre, la plupart des gens ils avaient le goût de l’État, ils savaient ce que ça voulait dire, peut-être parce qu’ils avaient vécu la guerre et que ça voulait dire quelque chose la sécurité sociale, je ne sais pas, moi j’ai fait l’Algérie et ce qu’ils appelaient la pacification, la purification oui, mais on avait quelque chose qui y croyait c’est sûr que pour moi, ce n’est pas exactement pareil que pour le reste des gens, non, pour moi j’avais des mômes, ma femme bossait, c’était le début des femmes qui travaillent, vous n’avez qu’à voir comme ça a changé, ici c’était le sang des bêtes, et aujourd’hui on n’en mange plus, tout ça a changé en mieux ou en moins bien on ne sait pas le dire, j’ai toujours vécu là, depuis les années soixante, au sixième, là, j’avais la vue sur le chantier, je voyais ce qui se passait et j’aimais ça, ça a changé mais en mieux, je sais bien que tout est parti maintenant il n’y a plus rien il n’y a plus d’usines il n’y a plus d’ateliers rien mais à l’époque c’était des gens de peu qui vivaient là et moi comme fonctionnaire j’avais une place à part mais il ne faut pas croire on n’était pas non plus payé des mille et des cents non plus, je vous parle de ça, il n’y avait même pas de goudron ou de pavés sur la terre battue, la boue, et puis voilà il y a eu aussi toutes les affaires je ne veux pas me mêler de politique mais quand même les diamants de Bokassa ou les avions renifleurs, dire que ce type est encore appointé par la République ça me donne envie de vomir mais qu’est-ce qu’on peut faire, il y aura toujours des gros et des maigres, on ne peut pas revenir là-dessus même si on a fait semblant d’y croire mais pas moi, non, alors là pas moi, c’est qu’on a toujours été gaulliste et puis après la gauche alors là, la vraie chienlit oui, mais pas pour ici, il y a eu cette femme qui disait « la bourse j’en ai rien à cirer » vous l’avez connue ? elle devait y être passé parce que c’était un chaud lapin tonton hein, mais je ne l’ai jamais porté dans mon coeur celui-là et pas parce qu’il avait été collabo un temps ou quoi, non, on ne peut pas en vouloir à ces gens-là dans ces époques-là ils n’avaient pas trente six solutions non plus non, je ne l’aimais pas parce qu’il était de gauche c’est aussi simple que ça, maintenant ses successeurs les Hollande ou les Macron, cette compagnie-là est tout aussi pourrie que la précédente alors qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? on est bien obligé de suivre et de payer nos impôts pas vrai ? et vous alors, vous cherchez quoi au juste ?

c’est un coin de ciel bleu, c’est tout, un moment de tranquillité, avec le chien, un moment de calme et de silence il en faut, il en faut, je ne viens pas tous les jours, mais quand je viens je peux rester une heure et j’admire les arbres et les oiseaux, je marche il faut se tenir en forme, je marche et je pense, il n’y a pas grand-chose à penser à nos âges, n’est-ce pas monsieur ? mais parfois il faut y tenir, à cette pensée, nous n’avons plus que notre santé à nous préoccuper, il est bien tard il faut que je rentre on se recroisera peut-être au revoir au revoir

j’ai commencé à travailler ici avant que ça n’ouvre, début des années quatre-vingts il ne me reste que deux ou trois ans à tenir, au début ça avait l’air neuf évidemment mais ça marchait ça avait une autre allure, c’était quelque chose de nouveau, ça avait cet esprit de gauche exactement comme vous dites, ça avait cette qualité-là, on y croyait à ce moment-là, on en avait soupé c’est vrai aussi, on se disait qu’il allait arriver quelque chose, les riches allaient planquer leur fric en Belgique ou en Suisse et puis ça s’est calmé, vous êtes trop jeune pour le savoir mais à cette époque-là, on avait vingt cinq ans de droite derrière nous, je suis de quarante neuf alors j’ai connu ça, non au début c’était bien il y avait une âme ou quelque chose, bien sûr les affaires mais c’est la France aussi bien, évidemment je me souviens de Fabius, sans parler de Mazarine (non mais quel prénom… !) ou du crabe à tonton et son médecin « non tout va bien » hein, mais vous vous souvenez de Fabius maintenant c’est un vieillard et son fils a fait de la prison, bon, mais il ne se disait pas choqué, non quand même pas, mais « troublé » par les agissements de ce Jaruzelski, cette espèce de robot à lunettes teintées, cette honte tout autant, le pauvre chéri Fabius plus jeune premier ministre de la France, tandis que ses services dynamitaient le Rainbow Warrior, mais, non non promis juré il ne savait pas, d’ailleurs dans la plupart des cas, c’est comme aujourd’hui, ils ne savent pas ce que font leurs subordonnés c’est quand même un peu dingue, non, et puis voilà c’est devenu quelque chose d’un peu inerte, il y en a eu de ces sales types, l’autre avec son odeur sur le pallier qui était assez marrant quand même, ma mère l’aimait bien elle est morte maintenant mais elle l’aimait parce qu’il portait beau qu’elle disait –- cinq minutes douche comprise, vous vous souvenez ? – marrant quand il disait de sarko « il faut lui marcher dessus mais du pied gauche ça porte bonheur » vous vous souvenez de ça ? marrant et puis maintenant ici ça roule sur son erre, l’été il y a du cinéma, l’hiver du cirque, il y a le musée des trucs pour riches bon c’est comme ça, c’est Paris vous me direz c’est une grande ville, mondiale, il y a des millions de touristes qui viennent alors il faut bien les recevoir, et puis bientôt on aura les jeux olympiques, il paraît que les épreuves d’haltérophilie ça sera au zénith vous avez entendu ça vous, en tout cas c’est un beau gâchis que ces jeux, mais il paraît aussi que le pays a besoin de ça, moi je ne sais pas exactement de quoi a besoin le pays mais c’est par là qu’il va, je n’en suis presque plus, je suis fatigué de me battre parfois mais je vois bien les gens ne se cachent même plus pour aller foutre leur fric ailleurs, regardez Depardieu, regardez les milliardaires et ne me dites pas que vous ne le savez pas, même celui d’aujourd’hui avec sa piscine et ses prébendes ses hommes de main et ses mœurs discutables, c’est quelque chose de honteux, refouler les malheureux, c’est une honte et ça ose appeler ça le pays des droits de l’homme, non mais, la capitale et ses palais, ses voitures de maîtres et ses serviteurs, on est en monarchie, ça oui, et il n’y en a plus que pour le fric

proposition n° 30

Il y a toujours cette chanson « Gracias a la vida » il y a Mercedes Sosa il y a Colette Magny, il y a toujours quoi qu’on fasse, ce qu’on a caractérisé par « domicile-travail » que tu le veuilles ou non, ou pas, ou que tu l’édulcores avec ton vélo, que tu le changes avec ta caisse (j’ai tant aimé les voitures, tu sais, je n’avais pas quinze ans, les prospectus de papier glacé qu’on volait chez le marchand de la route de Paris) ou que tu n’utilises que ces mocassins achetés en solde, la porte s’ouvre à gauche à l’arrivée de la porte, beaucoup sont descendu à l’arrêt précédent — ça bosse à l’union pour le recouvrement, d’autres à Magellan pour la comptabilité –- je me souviens, le marché, l’oral, les questions, les enveloppes « ne pas ouvrir » toutes ces salades qui sont au droit ce que l’oblique est à l’amour –- la comparaison ne va pas mais on s’en fout complètement – on prend à deux –- la porte s’ouvre à gauche dans le sens de la marche on vient de mettre son signet –- on déteste ceux qui cornent et écrivent dans les livres, va savoir pourquoi – et c’est une très mauvaise question « pourquoi ? » c’est une question de merde qu’il faut proscrire de son vocabulaire, pourquoi ça n’existe pas parce qu’on ne sait pas ce qu’on fout là, personne, parce que ces raisons-là appartiennent à autre chose –- tu peux appeler ça le hasard, dieu ou n’importe quoi -– il y a du soleil sur la France (tu te souviens, cette chanson ?) il y a toujours des chansons, celles des Beatles, il y a toujours des images celles des films de Michelangelo –- surtout celles où on voit Marcello et peut-être bien la Moreau –- je l’aime, elle, mais pas pour Jules ou Jim, je l’aime pour Lumière que je n’ai pas vu –- mais ça viendra, t’inquiète – je suis allé reposer une majuscule à gracias, le métro s’est arrêté, il doit y avoir vingt deux marches pour au palier aboutir – tourner à droite -– à ces portes automatiques et merdiques –- tourner à droite, emprunter l’escalier mécanique comme ils disent, comme ils aiment à dire –- sais-tu que le réseau express régional est en reconstruction sur sa ligne intra muros nommée A jusqu’à la fin du mois ? tu le sais maintenant, le couloir mène à l’arrêt du tramway que tu laisses sur ta droite (fuck off le tramway) et tu obliqueras, il y a dans ton sac ton badge, ton livre et ton bloc dont la couverture a été dessinée par ta fille dans lequel on trouverait des lettres et des lettres, des écrits et des écrits des poèmes et des chansons -– celle de Jean Ferrat adaptée d’un poème de Louis qui fait « je pense à toi, Desnos » –- c’est vrai, mais pas à toi, Desnos Robert, non mais à mon grand-père qui allait un jour de février quarante quatre manger un couscous à Aubervilliers, c’est juste là – il y a ce pont qu’on emprunte, au dessus de quelque chose qui se voudrait être une espèce de jardin urbain – une espèce de laisser-aller à la permaculture –- j‘ai tellement adoré celui de Javel-Citroën, là-bas dans le quinze –- ah oui, il y a du soleil et tu marches parce que tu as mis tes lunettes de soleil, et ton pantalon clair et ta chemise blanche et que bientôt tu iras voir les gens – un moment de la vie du travailleur, bonjour quelques minutes pour un sondage – pour le moment tu croises ce type –- il y a des types, dans les lieux de la ville qui sont là comme à demeure et qui font leur bazar tranquillement –- je me souviens de la vendeuse de violettes de la place du Palais-Royal, comme je l’appréciais cette femme-là, revêche, maligne, souriante parfois, j’allais à la Comédie convertir mes pièces pour qu’on me les échange en billets – on croise des tatoués, des embermudés, des filles en robe, des bronzés et des blancs, des noirs et des arabes, quelque chose de la multitude du monde, Russes Croates Péruviens Argentins Australiens qu’est-ce que j’en sais ? rien n’importe on va travailler –- bonjour, comment ça va ? bon après-midi il n’est pas encore deux heures, on avance « staff only » cette rigolade –- sur la droite, là, on passe, dans la poche du sac de ma fille, la poche avant, je prends le badge, je le reprends sur mon dos, j’avance vers la porte et le petit déclic automatique électrique hypocrite de la machine qui permet l’entrée –- il y a du vent dans les drapeaux, le type -– c’est un noir, c’est un arable, c’est un vieil homme, ou un jeune en barbe naissante -– tirer vers soi, entrer, aller – bonjour bon courage

proposition n° 31

le jour de l’ouverture était un premier janvier, mille huit cent soixante sept excuse-moi, on avait réuni là un peu moins de deux mille bœufs, une sorte de public (plus tard assez vite, on en verrait cinq ou six mille tous les jours), on les avait parqués et on les sacrifierait bientôt sur l’autel de la nourriture humaine, c’est dit comme ça peut – il n’est pas certain qu’il se fût agi d’un sacrifice, je le reconnais tout à fait, mais ce quelque chose-là commençait une histoire qui durerait plus d’un siècle (cent sept ans), l’histoire d’un équipement industriel, on avait loti le territoire, on avait préempté via la Mairie – le baron Haussmann avait bien fait les choses : les propriétaires d’avant mille huit cent soixante verraient le prix du mètre carré dans ce village multiplié par quatre – les affaires étant ce qu’elles sont, on investirait là aussi dans le chemin de fer pour faire venir, par exemple, des moutons des pays lointains, dans des wagons plombés, qu’on débarquait au lazaret à plusieurs millions de têtes par an – il y avait du boulot, mais nourrir une métropole de plusieurs millions d’habitants (peut-être trois) ne se fait pas à la petite cuillère : cinquante hectares, des abris pour boeufs, moutons, chèvres, porcs et veaux, des parcs de comptage, des porcheries et des étables, Baltard et Janvier, des restaurants et des buvettes, des compteurs des régies des concierges, des poste de police des pompiers, beaucoup d’eau et de sa vapeur, dépôts de fumier et triperies échaudoirs et brûloirs, boyauderies, pendoirs, crocs esses lames toute une entreprise qui emploierait des milliers de personnes, on vendrait les bêtes au sud, on les tuerait au nord – elles arrivaient à pied ou par wagon, on les triait les pesait les comptait, on les guidait, on les assommait au merlin et on les dépeçait débitait en morceaux, graisses dents sangs, pieds têtes tendons ce ne sont que des bêtes mais elles sont animées d’une vie quelque chose qui quand on l’ôte laisse une espèce de drôle de goût dans l’âme, coups de marteaux coups de surins, tueurs bouchers peaux poils soies, de l’autre côté de ce canal, elles meuglent ici elles crient elles hurlent sans doute puisqu’elles savent bien sans doute sans en avoir l’esprit que c’en est fini, l’odeur de la mort, là d’un seul morceau elles s’affaissent et meurent il n’y a pas d’autre terme, leur sang à gros bouillon, et puis des millions de têtes tranchées plus tard, des millions et des millions de peaux à tanner, des millions de tonnes de lard bouilli, de kilos de suif et des millions et des millions de litres de sang plus tard, on a décidé en haut-lieu, sans doute – cet aspect des choses m’est encore un peu encore un peu étranger – de faire cesser ce travail intra-muros – une capitale n’a pas à accueillir ce charnier, cette fabrique un chantier pour la cuisine et la nourriture, certes sans doute même la gastronomie fleuron de la patrie, mais aussi un scandale pour ceux qui veulent à tout prix cacher la mort (est-ce une attitude consciente des autorités qui pourrait le dire mais c’est un fait : un premier septembre, soixante quatorze, du siècle dernier, c’en fut fini) et il n’en fut plus question – dans le musée d’aujourd’hui qui n’est qu’une partie – la moitié de ce qui avait été conçu pour moderniser cette manufacture organisée et rentable de la mort des bêtes à viande – de ce lieu cette institution, cet établissement, jamais une seule bête un seul animal une seule créature n’a cessé de vivre malgré l’investissement faramineux, abyssal supporté par la communauté (kézako ? ceux qui payent l’impôt) du pays : on ferma, Chirac je crois, à l’agriculture sous les ordres d’un crâne d’oeuf haï abhorré agoni, on ne garda rien sinon une des structures au nord (on vient d’y implanter un centre commercial enseigne loisir et consommation réfléchie responsable délibérée spontanée décomplexée) une autre au sud (grande halle rénovée il y a dix ans, salons marchandising modes type tatouages bio concerts expositions les habits de James Bond, voit-on le topo ?) multipliées ces structures par les vingt trois édifices rouge sang (au début de cet établissement, on avait gardé dans son insigne, son signe, son sigle, un de ces animaux qu’on tuait pour nourrir le monde, sa forme était allongée, une vache peut-être sacrée et puis ce symbole-là a disparu) on ne tue plus, on ne tranche plus le lard comme disait la chanson (en soixante six, le frère du réalisateur – avec l’aide d’Anne Segalen sa femme d’alors – Jacques Lanzmann écrit ces paroles-là) (son frère Claude – enquêteur hors pair de Shoah – rayé des vivants il y a peu) qui rimait avec les boulangers font des bâtards – non loin, les grands moulins de Paris ont été transformés en une succursale de banque, le pain s’est industrialisé et arrive par avions puis camions dans les succursales des restaurants rapides – le canal ne sert plus de frontière entre la vie et la mort des bestiaux, on ne s’y jette guère que pour nager et rire aux beaux jours (la mairie a installé plus loin, dans le bassin, une piscine et un des quais dudit bassin sert à un Paris plage qui s’anoblit sur les rives du fleuve, dans le centre), voilà trente ans j’y comptais les entrants, installé sur une des passerelles qui le franchit (elle branle au passage des coureurs à pied, elle couine piaille grince aujourd’hui), la mort mais quelle mort ?

proposition n° 32

le jour ou la nuit, bleu gris changeant, écume ou bourrasque, par dessus le toit si bleu si calme, au loin l’immeuble où vivait, au sixième, ce médecin asiatique –- je pensais à Marguerite et à sa mère en l’écoutant –- il est nécessaire, en entretien, de penser à autre chose que ce que racontent les intéressés, ne pas se prendre en leurs méandres sauf ceux qu’ils ne maîtrisent pas, une longue pratique, une longue patience, j’entendais Jane dans le poste hier qui disait « il faut savoir ne pas prendre une photo » et de même il faut savoir ne pas poser de question, se taire, attendre, penser au barrage contre cet océan qui couvre la moitié du globe, de loin il apparaît bleu comme le ciel nous apparaît – il fait beau il fait nuit, dix ou douze images pour regarder comment il se déroule sous nos yeux, de l’embouchure du Tage à cette entrée en ville -– il y avait eu des velléités magnifiques du temps de pompide (il avait été banquier aussi, lui, tiens comme c’est bizarre) de couvrir par ici le canal et en d’en opérer par là une « pénétrante » en ville –- on adore ça, les vocabulaires des technocrates, ploutocrates ou autres crates de merdalakon –- je m’égare –- écrire sur les cieux, les étoiles y ont un doux froufrou, les « au revoir D. ! » qu’on criait dans le petit jardin de la maison, le bleu des persiennes et le sifflotement de Filipo, l’échelle posée contre le mur blanc de chaux qui montait à la cuisine –- en bas buanderie garage autre chose sans doute mais moi, je ne sais plus rien de cette Jacqueline-là –- il y avait dans le petit salon des Invalides cette table qui venait du salon vert où on posait le téléphone alors noir ébonite cadran et puis il y avait le ce sale type -– maintenant c’est un sale type, prison, sans doute escroquerie, une femme seule et veuve, des enfants qui s’en foutent un peu comme d’un peu tout, je me souviens du billet de cinq francs –- l’effigie de Victor Hugo –- posé dans l’eau du caniveau pour voir s’il flottait –- je me souviens de beaucoup de cieux et de ciels, le titre donné aux films de la Paramount « le ciel pour témoin », un titre qui va un peu avec tout, sous le ciel de Paris, une chanson, les enfants dans la cour de l’école et le prof de musique qui donne le tempo, Brice peut-être bien, un samedi vers midi –- le bleu des volets chez Junior, la terrasse, au loin très loin un léger ressac, très loin, les cieux qui se fondent avec la mer et l’océan au bout duquel Rio et son pain de sucre, sa statue du Christ Roi comme elle est ici sur la rive gauche, qui domine le pont, au loin, celui sur la rivière Kwaï siffler casquette David Lean, sous la passerelle le canal et le reflet des bleus, les empreintes les griffes les traces des rejets des réacteurs et les flammes qui sortent des moteur du Super Constellation, ou du Douglas (MacDonnell me dit ma mémoire, mais elle se trompe toujours, et toujours elle me noie dans des considérations inutiles, techniques, perdues et sans innocence) on a tout perdu, et le jardin et la maison et l’emplacement sur l’avenue du Théâtre Romain, les petits arabes qui vendent des lampes à huile, le type qui se promène avec sur la tête en équilibre son plateau empli de beignets, bombolonni disait-on, et puis les manicotti faits par ma tante, celle qui prenait l’avion ou qui l’avait pris qui s’en était allée, la fille de celui qui allait en Tchécoslovaquie acheter des matériels agricoles et son mérite, je me souviens ce magasin, tracteur dans les verts dans les rouges, le ciel et le soleil plombé au dessus des souks où il disparaît – la touffeur des après midis, il pleut ou à la nuit, on oublie le bleu et on passe à la lumière, l’artifice, les couleurs dans les bleus, dans les rouges, il n’y a pas de couleurs il n’y a que de la lumière, celle qui s’échappe au bout de l’horizon tandis qu’on passe au dessus de l’eau là-bas cette forme d’une espèce de poisson, c’est Venise, on passe on vole, on s’en va au dessus des ciels le monde l’espace le cosmos l’azur on passe en bas quelqu’un pour dire au revoir ? qui sait, qui peut savoir, ils n’étaient pas si nombreux, aujourd’hui ils déteignent et ça en devient blanc des nuages des kérozènes le volcan un jour a tout arrêté -– tu te souviens, on devait aller à Barcelone ces jours-là et au ciel, il n’y avait plus que du bleu, rien d’autre et les bruits rien, on a attendu on y est allés en train, quelque chose comme ça, quelque chose qui revient –- c’est toujours là, au dessus et d’un sourire on le regarde, on emplit ses poumons d’un peu d’air frais, le matin c’est vers l’est qu’elle déteint radieuse cette lumière, le pays du soleil levant ou celui du matin calme, Henri « aller pêcher au cormoran » qui vivait au dessus de chez L. sur cette place-là, les images de lady D. cette nuit-là qui sort de l’hôtel, un trente et un août deux du avant de s’enfuir, l’alcool au coeur et au ventre du chauffeur, la colonne et la rue de Castiglione, le fond de l’image est fait d’arbres et par delà les voiles vertes des milliers de feuilles qui bougent au vent, ce bleu simple et clair tendre romanesque peut-être, il fait doux,il fait si doux Malou

proposition n° 33

il aurait fallu rester quelques heures et noter le passage du temps, les chiens, les vélos, les coureurs à pied, les marcheurs, les autres encore, les poussettes, les agents de sécurité et les techniciens de surface, ceux qui soufflent sur les feuilles qui réparent les matériels détériorés, ceux qui ramassent les déchets, qui remplacent les sacs remplis d’immondices, il aurait fallu sans doute un moment pour se rendre compte que ces gens comme sur la place de l’Étoile s’évitent les uns les autres ils ne sont que peu mais passent sans trop se parler, ils ne se connaissent pas de vue peut-être rester et observer un moment on est en plongée, ils passent – ceux qui élaguent les arbres qui s’occupent des bosquets qui nettoient les miroirs – il faudrait regarder les photos observer les oiseaux les pigeons les moineaux et rester un moment pour entendre le bruit des gouttes d’eau qui tombent sur la surface plane du canal, les péniches le dragueur qui nettoie, observer le monde qui bouge et vaque, la vitesse d’exécution, les atours les habits les couleurs, les avions dans le ciel, au loin les autos sur le périphérique – le pont qui s’est écroulé à Gênes, les paroles et les écrits qui mettaient en garde contre ce type d’accident, les bétons des années soixante dix comme celui qui a construit Fessenheim – à la même époque ici on détruisait la moitié d’une salle des marchés qui n’avait jamais servi pour faire de l’autre moitié restante une espèce de musée d’un genre nouveau, nouveau style comme aujourd’hui nouvel internet appli réalité virtuelle – comme le monde aime à se fourvoyer dans des impasses, c’est après guerre qu’on s’est rendu compte qu’il faudrait rénover cet instrument mais sans tenir compte sans doute probablement de l’état du monde, et de la nécessaire obligation de ne pas laisser en ville – on aurait ôté les halles pour les refouler vers Rungis, un marché d’intérêt national plus tard, Marco Ferreri et Marcello Mastroinanni dans le trou ainsi creusé organiseraient un western avec le blonde Deneuve – on penserait à sa sœur Françoise quand même – on aurait détruit sur le plateau Beaubourg pour y mettre autre chose aussi – un peu d’ordre et un truc « dédié aux activités de l’esprit et aux loisirs » (qu’en termes galants ces choses-là sont dites) – dans cette ville-là surtout qui se transformait en une espèce de relique des temps anciens avec son Louvre encore ministère – on y mettrait aussi un peu d’ordre plus tard –la maison du roi, la tête tranchée un vingt et un janvier sur la place de la Révolution (ex Louis 15, future Concorde), la fuite à Varennes et sa reconnaissance par son portrait sur une pièce comme Saint-Exupéry sur les billets de cinquante francs : les temps changent – ne pas laisser en ville les usines, à Javel, aux Morillons et un peu partout mais pas dans le seize, non, ni Neuilly quand même pas – ne pas empuantir l’espace mais c’était compter sans les autos, les chauffages, les avions, la multiplication des humains l’évacuation des plus pauvres au plus loin – il y aurait eu aussi par exemple ces enquêtes à cinq heures du matin dans les villes nouvelles et ces gens qu’on interrogeait, deux heures et demie aller, deux et demie retour tous les jours que dieu fait sauf le week-end, le salariat, les immeubles à reconstruire, le prolongement du réseau express régional – aujourd’hui on a trouvé à intituler ce trafic, ce travail, ce bazar « grand » et c’est tout – c’était compter sans les quinze pour cent l’an de rentabilité de tout et de quoi que ce soit – il aurait fallu aussi s’occuper de ceux qui ne bougent pas, qui ne font rien, assis sur ces chaises malcommodes inconfortables qui geignent et crient quand elles tournent – le créateur inventeur faiseur réalisateur dizaïgneur on en a déjà parlé, Burano sans portable etc. – il y avait les lumières bleues, petites qui marquent l’accès il y a aussi ce mobilier ces poubelles en triangle bouchées après les attentats de quatre vingt quinze rue de Rennes ou Port-Royal Saint-Michel ou marché de la Bastille – mais est-ce qu’on allait cesser pour autant de prendre le métro ? la peur mais on le prenait pour faire mentir ces fumiers – ceux qui ne bougent pas allongés sur l’herbe qui lisent, ceux qui ne font rien qui bronzent dénudés à l’été, ceux qui s’embrassent qui se parlent la main dans la main assis sur le quai du canal tandis que glissent doucement les bateaux les péniches les transports de pondéreux, il aurait fallu regarder ceux qui ne font rien, les mains croisées dans le dos, le manteau sur les épaules, la casquette vissée sur un crâne chauve, clope au bec, ou elles en blouse sans manche, fleurs en couleurs, mains croisées sur les jambes repliées assises sur le banc en marbre vers cinq heures, les familles ou les enfants qui courent crient roulent s’amusent tandis que les parents pouvoir d’achat offrent une gaufre une glace une gifle – ça peut dépendre, il y aurait aussi mais on ne l’entendrait pas, une musique tranquille qui se glisserait dans le mouvement des arbres au bout de l’allée, il y aurait un peu d’air qui s’en irait vers la basilique, au nord au loin en vert, il y aurait surtout le silence et l’absolue règle de ne pas faire chier qui que ce soit avec des questions idiotes inutiles insensées stupides ou tellement bêtes, voilà, bêtes – alors on les regarderait simplement, il y aurait des fleurs et des couleurs, du vent et une sensation de bonheur, on attendrait on sait que les choses viennent et vont comme elles vont, comme dit la chanson « de temps en temps la terre tremble »

proposition n° 34
NORD

s’il s’agissait d’un panoramique, il faudrait tourner vers la droite, quatre vingt dix degrés et là se positionner, un peu sur la pointe des pieds, on aurait une vue sur la vague qui recouvre la promenade nord sud (tout ça doit avoir un nom, quelque chose qui le détermine, l’associe à un registre particulier, quelque chose comme le nom des petits points rouges qui sont disposés équidistants pour focaliser et sans doute cristalliser l’imagination du public) (cette façon de penser devrait être agie par plusieurs paires de guillemets un peu partout, mais on s’en fout) (en réalité, la prise de position vis à vis de ce coin – c’est un coin – de ville s’est faite au hasard, mais de cela on s’en fout un peu aussi, le hasard est cependant encadré par la première consigne du retour sur un lieu déjà fréquenté – le cinéma, le travail, le travail et le cinéma) et sur le dessus de cette prétendue vague (une vague est une onde mais celle-ci ne bouge pas, elle est là, solide et têtue comme une bourrique, blanche sur son dessus bleue sur son côté, grise sur son envers) on aurait la découverte, au loin, de ce quai de canal, et ce sera celui de Saint-Denis (création dans les mille huit cent sous Napo – le grand – mais il ne l’était pas de taille, mal à l’estomac, grognard et retraite en Russie – ce quai-là, de la Charente, sinue jusqu’au boulevard – sinuosité de bas en haut – MacDonald (maréchal de France, duc de Tarente) anciennement rue Militaire, mille huit cent soixante quatre – canal qui va loin, vient d’autant pour aider la Seine à se déployer tranquillement en méandres mais afin que les péniches et autres insubmersibles ou pas tentent d’éviter autant que possible les ponts de la capitale, canal au bord duquel de nos jours se trouve un nombre impressionnant d’entrepôts de matériels plutôt chinois – ça doit débarquer par conteneurs je ne suis pas allé vérifier, mais c’est à peu près certain – meurtres, incendies, batailles et mafias, comme ça y va – on a bâti là, sur de vieilles friches probablement industrielles (la zone avait fait place à des usines) une espèce de centre commercial dont les reliques (aujourd’hui sans doute vivote-t-il encore mais on sait que ce type de superstructure est voué au dépérissement à moyen terme) seront bientôt transformées, passage par la case abandon, graffiti, squatt, et prises en main avant peu – si on savait que la guerre civile devait se déclencher dans quelques mois ou jours on en aurait une date précise – mais il n’est pas bon de jouer les Cassandre – il suffirait de prendre un autre espace-temps, celui de mettons Stephen King en son 22 novembre et le tour serait joué – puis laissant cet édifice nommé « millénaire » (cette suffisance dans l’intitulé...) sur la gauche, on aura parcouru le quai où s’édifient des immeubles de standing comme on dit (ça ne veut rien dire, standing, soit debout comme cette ovation dont on gratifie les orateurs de charme ou les chanteurs aimés – quelque chose de tellement suranné et fat de nos jours aussi, il n’est pas douteux par exemple que lors de leurs discours le peroxydé ou le dictateur turc sont acclamés debout par leurs publics ainsi qu’Hitler ou Mussolini – standing ce n’est qu’une classe) où viendront s’installer bientôt – marbres miroirs verres aciers polis – des couples avec deux enfants (on n’a pas encore demandé infligé ordonné de cesser de copuler, mais relâche après un enfant – ce stop a été testé en Chine c’est loin de chez nous, loin de tout : on aime à se regarder le nombril tout autant) deux seulement au plus et au pire, quatre vingt mètres carrés, une salle de bains et une autre d’eau, cuisine et salon-salle à manger, télévision soixante douze/cent quarante quatre chaînes fenêtres sur le monde – lucarnes plutôt – espaces arborés, s’il se peut moyennant finances sécurité 7/24, imminence et permanence, sur le quai, sur la rive, plus loin encore dans le neuf trois, on aura laissé à main droite l’espace où les deux jeunes garçons ont été électrocutés en octobre deux mille cinq, on aura laissé de côté la répression réactionnaire ordonnée par le ministre de l’intérieur de l’époque (ni oubli, ni pardon) qui sera sacré champion deux ans plus tard pour services rendus à l’État et il n’est pas complètement avéré que cet agissement-là ne soit pas à la source du choix des lieux des attentats de novembre deux mille quinze, il n’est pas complètement inutile de rappeler les agissements de cette droite-là, qui trempe ses fantasmes dans la plus glauque tradition française de l’entre deux guerres – continuer sur le quai, cette géographie-là aboutit bientôt – on est passé par Aubervilliers où non loin de la mairie, cette nuit, un incendie a failli tuer encore – à cette basilique au toit vert où reposent les dépouilles (je crois qu’il y a là un coeur) des Rois de cette France, banlieue neuf trois, Rois, têtes coupées et piques levées au dessus des hourrah, toute une histoire, c’est au nord – on sent les vingt minutes, on sent arriver les dernières mesures, Moondog veille, on verra on continuera

EST

tourner la tête à droite, puis le reste du corps, un quart de tour, en face de soi, le canal va vers les moulins qui n’en sont plus, il y avait là un pont levant pour transporter les locomotives, mais c’est de l’histoire ancienne, il y a à présent une promenade, des gens courent des chiens jappent et des roues tournent, on s’habille de couleurs vives, on arpente les pavés, les mômes apprennent à faire du vélo, sur les pelouses, on a posé une couverture et la salade de pâtes à la mayonnaise, la bouteille de soda ou d’eau, les jeux un livre quelque chose, on attend dans l’air du soir, doux de l’été – il faut savoir aussi qu’il arrive que gèle le canal, au fond sur la droite, la ville de Pantin et son cimetière et sa route d’Allemagne, les voies de chemin de fer qui conduisaient les enfants raflés et leurs parents, les voies de chemin de fer et le cimetière parisien – là où on avait mis en terre une autre Jacqueline, la fille du bijoutier de la rue de Belleville, celle qui s’était mariée avec cet ami de faculté de maths avec qui on prenait des photos des pousseurs qui remontaient la Seine sur le quai Saint-Bernard du haut des immeubles aujourd’hui vétustes, ils s’étaient mariés ces deux-là et puis voilà que le crabe l’avait emportée, elle, cette petite femme charmante, amusante et rigolote, trente ans peut-être de ça, et passant devant les tombes gisant là je me souviens de m’être énervé levant le poing contre ce dieu qui enlevait des mères à des petits enfants, ils en avaient fait deux, il me semble je ne me souviens plus, les amitiés mortes existent aussi, elle s’en était allée et eux étaient là, il y avait là aussi bien la tombe de Jean-Pierre Grumbach dit Melville, et l’incendie de ses studios de la rue Jenner dans le treize, et le stetson et les lunettes noires, et le « qu’est-ce c’est, dégueulasse ? » de la jeune journaliste, Patricia, Pantin et sa rue et son canal, à l’est au loin si tu regardes bien, à l’est – il n’y a rien de nouveau, non, la deuxième passerelle et le Magic Mirror, et les poneys qui courent en rond, les gens qui courent droit devant eux, à bout de souffle, qui marchent qui s’arrêtent et bavardent un peu, doucement, si c’est l’hiver on se presse, la neige, la glace la nuit, le parc et ses étendues toutes de vert, les arbres qui bruissent un peu, le passage du temps et des oiseaux, qui crient et rient, on entend le lourd passage des autos sur le boulevard périphérique, on écoute le passage des avions, là-haut, il n’y a plus personne, il n’y a plus rien, les algécos de la bibliothèque n’existent plus – y a-t-il encore une bibliothèque à l’école de cinéma qui s’est installée dans les anciens studios Pathé de la rue Francoeur où on avait mixé le court-métrage en quatre vingt, la production l’argent les gens, le cinéma, tout partait de là – il me souvient que ma mère n’allait plus à l’école mais au cinéma quand elle avait quinze ans – avait-elle fait une seconde, je ne crois pas, mais il y avait chez elle cet amour du cinéma américain, ceux qui avaient libéré la ville en quarante trois elle avait dix sept ans, les chewing-gum et le chocolat, il y a quelque chose avec le cinéma mais ça ne s’est pas fait, non, ça ne s’est jamais fait – malgré les études, les réussites et les découpages plan à plan pour l’avant-scène, non, ça ne s’est jamais fait – on attendait une réussite et puis ce fut un château de cartes, un souffle et le feu s’est éteint, il reste toujours qui couve, on aime à voir les mouvements de caméras et les tailles de plan, et les paysages, il suffit d’un léger panoramique à quatre vingt dix degrés, vers la droite pour découvrir sous la passerelle le canal et son eau sans but, vingt minutes, qu’est-ce que c’est ? on avance toujours, comme les pions des jeux d’échec – on jouait aux échecs avec cet ami, le mari de Jacqueline, on jouait au blitz, on jouait au billard aussi à Maubert, non loin d’où vivait la mère de Marc Augé mais c’est une autre affaire – cet ami vivait sur l’avenue Secrétan, on avait débarrassé l’école de photographie que tenait son père à Ivry ou à Issy c’est ailleurs, il y a cette empreinte-là, ces années-là – on ne parle pas de l’armée, Compiègne est au nord-est, par la gare du nord, ici c’est l’est – et les réseaux et les annuaires Chaix qu’on connaissait par coeur – c’était une autre affaire, une autre histoire, un autre travail… Ici, c’est l’est, le froid mais au beaux jours, il fait doux sur la passerelle

OUEST

demi-tour sur soi-même, entre le pont de chemin de fer désaffecté et l’hôtel à quatre vingt quinze (ou moins : une chaîne, le truc idoine pour les colloques qui ont lieu au centre de conf, les conventions, les réunions professionnelles, ce genre de choses qui fait marcher le commerce, net d’impôts corporate ressouder les équipes et faire partager les idées de gouvernance) (que du vocabulaire de chiottes pour des actions du même égout – prendre l’argent où il se trouve, les formations, la sécurité la surveillance, la précaution) (financer la politique qui aide à trouver des opportunités et les légalise : enfin, tout le kit) c’est l’ouest qui veut ça (conquérir de nouvelles frontières et éloigner de soi le Mal) le long du canal se couche l’astre, on passe et longe les immeubles de standing – ici aussi parce que ça c’est Paris – le bassin où donnent des commerces de demi-luxe et une école de cinéma, une autre de publicité, le bio, restaurants et open bar et cinéma librairie et croisières – tout droit vers la rue Lafayette le pont sur les voies de chemin de fer de l’Est, ses diamantaires et en son bas ses galeries, le boulevard du Baron, ses hôtels de luxe, son avenue Friedland son étoile transformée en hommage à Charly, grande armée et représentations automobiles de luxe aussi bien, Maillot Neuilly Défense, Paris et ses beaux quartiers, riches opulents avides, je lisais quelque chose sur la bourgeoisie génoise il y a quelque temps, et ce type enlevé qui, libéré, réclamait un billet de tramway qu’il y avait dans son portefeuille quand il fut soustrait à l’amour des siens et aussi ses chaussures trouées, la générosité aussi, ces lotissements et ces banquiers, comment se nommaient-ils (les Keller, il semble – les deux frères se lèvent vers cinq heures du matin et commencent leurs consultations, les prêts qui se négocient à leur heure à eux et ce genre de disposition) et aussi Nucingen voilà, cette calèche où il attendait Esther (on se souvient parfaitement de ce Birotteau du trois cent quatre vingt dix sept rue Saint-Honoré, trahi lâché ruiné mort par la grâce de l’un de ces (immondes ?) « loups-cerviers »), partout ce luxe affiché, revendiqué, recherché, il y avait dans les années anciennes à main droite avant d’arriver à la porte ce dix-septième (le bon) et on laisse à main gauche ce bois aux turpitudes exacerbées (une marche hier de celles et ceux qu’on nomme inélégamment « travailleurs du sexe » pour la mémoire d’un des leurs tué à la nuit – et la voiture noire, il y a bien dix ans de ça, du secrétaire de la présidence, laquelle siège dans ce huitième qui ouvre les triangles d’Or et autres territoires interdits (socialement) aux gens de peu et aux pauvres – périphérique, Sablons et Argentine, il y avait là dans les premières années de faculté le domicile d’une jeune femme, il y avait vers septembre soixante quatorze la découverte de ce monde des rallyes et de ces fêtes d’entre-soi, le type avec sa moustache tellement amusant, on riait on allait au cinéma ce n’était pas mon monde pourtant, ce n’était pas qu’il fut spécialement fermé mais il n’était pas mien, il me fallait travailler, il me fallait survivre, s’en aller mais continuer, c’est au fond de l’horizon que se trouvent les palais de cette magistrature suprême (ça en jette un petit peu : quand on voit par qui le poste est tenu, il faut se garder du cynisme mais que nous reste-t-il en les voyant, ces gens ?) au fond de l’horizon, là où l’astre disparaît laissant derrière lui des coulées de rouges d’oranges et de mauves, le soir un peu tard en été, la douceur des vents, le rond point des canaux où se calment les remous des eaux noires, devant soi ce pont de chemin de fer qui ne sert plus aux trains, sinon ceux de la sauvegarde de la petite ceinture, une fois l’an peut-être, disparues les usines, les fumées, les trains de bois, disparus aussi les petites gens, les bals et le bœuf gras (une journée par exemple du début du siècle précédent) on descendait l’avenue de l’Allemagne jusqu’à celle de Laumière (général d’artillerie mort au Mexique en 63) pour aller devant la mairie, on allait à Belleville par le boulevard puis on revenait, une espèce de carnaval avec élection de Mademoiselle Villette ou quelque chose, chars danses et musiques, boissons et viandes certainement (le bœuf lauréat enrubanné pesait parfois près d’une tonne... quand même) par la porte de Pantin aujourd’hui autour de la fontaine qui était sur la place de la Liberté (maintenant République) on a disposé des élucubrations d’un jaune pétant, on donne au cinéma des films où on chante et danse, il fait doux le soir, en été

SUD

tu te souviens, il y avait un type qui voulait prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer, c’était une promesse de campagne, dans les années soixante, sans doute était-ce post ou ante six huit, je ne sais plus, mais c’est cette direction là qu’on atteint, pano droite gauche à quatre vingt dix qui fait découvrir le reste de cette vague, qui longe donc cette espèce d’allée (ils la nomment galerie, c’est beau comme Versailles et ses glaces) sur la droite pour les enfants un jardin, puis pour se mirer un autre, puis le pavillon Tusquets dit Blanc puis dit Delouvrier (on oublie tout, on laisse tout aller, le premier nom est celui de l’architecte de cette autre espèce de folie (blanche...), quelques centaines de mètres carrés et l’exposition de Jane, les cuisines du monde devaient s’y côtoyer mais non, lieu d’exposition – puis le mandala, les médecins navajos et d’autres encore) à gauche une librairie (propriété de la boîte possédée par la locataire aujourd’hui du ministère de la rue de Valois, com surtout tu sais bien – n’a pas attendu d’être au gouvernement pour faire des affaires, c’est ainsi, c’est la société dite civile) laisse aller, laisse tomber, toutes sortes de choses pour distraire le salarié fatigué (pouvoir d’achat, bambins, tatouages invisibles bermudas tongues barbalak et tout le tout venant – pas que, certes – il y avait ce film Ceravamo tanto amati, il y avait des films italiens), et justement au bout de la perspective qui passe par les Buttes Chaumont (jardin en devers, pelouse du même tonneau, cascade, grottes et pont des suicidés) et le cimetière du Père Lachaise (tant de célébrités, Edith Piaf peut-être et Jean Cocteau peut-être je ne sais plus je me souviens de leurs morts proches de celle si dramatique (un assassinat) de ce bellâtre assez libidinal – Charly le recevant, et disant à sa femme légitime qu’elle avait des ancêtres français – guerre d’Algérie et accords d’Evian à venir, il me semble mais je ne sais plus, je ne vérifie pas je devrais, on se doit, on ne le fait pas on n’a pas les outils les vacances, le soleil, la mer bleue et le vert des pâturages) – il y avait ce film sur elle dans son tailleur rose taché du sang de son mari, Dallas, et les mémoires de Dean Martin, et Marylin Monroe « happy birthday » comment pardonner – et à qui ? – cette décennie, les boys le Viet-Cong, et puis ces coups de feu, le pistolet dans le ventre de Lee Harvey Oswald, la condamnation à mort de Jack Ruby, Etats-Unis – ce qui nous fonde, ce qui nous revient, la gare de Lyon et les trains de nuit en direction des vacances, ensuite en auto, Genève ou la Croix-Valmer par Toulon par Hyères, loin, là-bas, Ramatuelle quelque chose les cageots de pêches puis passer le pont la Seine, le jardin et la première nuit blanche parisienne avec la visite à six du matin de la galerie de paléontologie jamais ouverte au public, le boulevard qui monte et longe l’hôpital où mourut ma tante après cent-un ans ici, je me souviens des draps jaunes de l’ombre sur ses cheveux blancs petite, sur ce lit, la vie passe et justement au bout de cette perspective la place d’Italie, sa porte tout autant, d’autres choses encore pour des enquêtes dans le treize, comme la mort de ce type lors des attentats de quatre vingt quinze – je ne me souviens plus, ça me reviendra et je le poserai, quelque chose de Maison Blanche (ce n’est pas cette maison blanche-là mais une autre du côté de Vénissieux qui vit la mort de Khaled Kelkal) mais parce que Tolbiac et son métro, ses tours et les entrepôts des frères Tang comme il y a les Taviani les Larrieu les Dardenne, le cinéma ici découvertes les études qui y menaient, ici au quatrième sous-sol les films sur des étagères de fer, les multiples numéros de l’avant scène et les « prenez ce que vous voulez » de Claude Beylie, et puis la commune de Tolbiac ces derniers mois évacuée par les sbires de l’immonde, et puis il y aura Ivry vers le sud, et les boucles de la Seine, Vitry puis au loin, et la Seine (« de nouveau ruisselle d’eau bénite (…) et chacun est rentré chez son automobile ») et puis, pour finir, il faut finir, sans chronomètre, sans chanson, sans Moondog, il faut finir sur la douceur du soir, Orly, cent mille volts, et les images arrêtées de la Jetée ( et ses premiers mots « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance ») et celle qui voit le regard de cette femme, unique, probablement sublime, un mouvement, un seul, là, et aussi pour revenir au nord, les questions et les réponses de Jean Seberg jouant Patricia à Jean-Pierre Melville jouant Parvulesco, écrivain un pseudonyme sûrement, des chansons il en faudrait, du travail qui se termine, des cieux, des vacances des gens, d’autres encore et encore d’autres et puis pour finir, doucement il fait doux, doucement, le mauve des cheveux de ma grand-mère, doucement tout doucement

proposition n° 35
SUD

s’il s’agissait d’un panoramique, il faudrait tourner vers la gauche un quart de tour, tu te souviens, il y avait un type qui voulait prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer (il s’appelait Lop, Ferdinand, c’était une promesse de campagne, dans les années cinquante, sans doute était-ce post ou ante six huit, je ne sais plus mais c’était dans les deux sens en tout cas), c’est cette direction là qu’on atteint, pano droite gauche à quatre vingt dix qui fait découvrir la vague, qui longe une espèce d’allée (ils la nomment galerie, c’est beau comme Versailles et ses glaces) sur la droite pour les enfants un jardin, puis pour se mirer un autre, puis le pavillon Tusquets dit Blanc puis dit Delouvrier (on oublie tout, on laisse tout aller, le premier nom est celui de l’architecte de cette autre espèce de folie (blanche...), quelques centaines de mètres carrés et l’exposition de Jane) les cuisines du monde devaient s’y côtoyer mais non, lieu d’exposition – puis le mandala, les médecins navajos et d’autres encore – à gauche une librairie (propriété de la boîte possédée par la locataire aujourd’hui du ministère de la rue de Valois, com surtout tu sais bien – n’a pas attendu d’être au gouvernement pour faire des affaires, c’est ainsi, c’est la société dite civile – contrairement à l’animateur sous un masque dans les profondeurs, elle y est encore) laisse aller, laisse tomber ici on trouve toutes sortes de choses pour distraire le salarié fatigué (pouvoir d’achat idoine, bambins, tatouages invisibles bermudas tongues barbalak et tout le tout venant – pas que, certes – il y avait ce film C’eravamo tanto amati, il y avait des films italiens) (nous nous sommes tant aimés) et justement au bout de la perspective qui passe par les Buttes Chaumont (jardin en devers, pelouse du même tonneau, cascade, grottes et pont des suicidés) et le cimetière du Père Lachaise (tant de célébrités, Edith Piaf – morte le 10 novembre – et Jean Cocteau (le 11) je me souviens de leurs morts proches de celle si dramatique (un assassinat le 22) de ce bellâtre assez libidinal – Charly le recevant, et disant à sa femme légitime (née Bouvier) qu’elle avait des ancêtres français – on l’appelait Jackie – guerre d’Algérie et accords d’Evian à venir, il y avait ce film sur elle dans son tailleur rose taché du sang de son mari, Dallas, et les mémoires de Dean Martin, et Marylin Monroe « happy birthday » comment pardonner – et à qui ? – cette décennie, les boys le Viet-Cong, et puis ces coups de feu, le pistolet dans le ventre de Lee Harvey Oswald, la condamnation à mort de Jack Ruby, Etats-Unis – ce qui nous fonde, ce qui nous revient, la gare de Lyon et les trains de nuit en direction des vacances, ensuite en auto, en quatre cent trois à Genève ou la Croix-Valmer par Toulon par Hyères, loin, là-bas, Ramatuelle quelque chose les cageots de pêches puis passer le pont la Seine, le jardin et la première nuit blanche parisienne avec la visite à six du matin de la galerie de paléontologie jamais ouverte au public, le boulevard Saint-Marcel monte et longe l’hôpital où mourut ma tante après cent-un ans ici, je me souviens des draps jaunes de l’ombre sur ses cheveux blancs petite, sur ce lit, la vie passe et justement au bout de cette perspective la place d’Italie, sa porte tout autant, d’autres choses encore pour des enquêtes poubelles dans le treize, comme la mort de ce type lors des attentats de quatre vingt quinze – je ne me souviens plus, ça me reviendra et je le poserai, quelque chose de Maison Blanche (ce n’est pas cette maison blanche-là mais une autre du côté de Vénissieux qui vit la mort de Khaled Kelkal) mais parce que Tolbiac à main gauche et son métro, ses tours et les entrepôts des frères Tang comme il y a les Taviani les Larrieu les Dardenne, le cinéma ici découvertes les études qui y menaient, ici au quatrième sous-sol les films sur des étagères de fer, les multiples numéros de l’avant scène et les « Prenez ce que vous voulez » de Claude Beylie, et puis la commune de Tolbiac ces derniers mois évacuée par les sbires de l’immonde, et puis il y aura Ivry vers le sud, et les boucles de la Seine, Vitry puis au loin, et la Seine (« de nouveau ruisselle d’eau bénite (…) et chacun est rentré chez son automobile ») et puis, pour finir, il faut en finir, sans chronomètre, sans chanson, sans Moondog, finir sur la douceur du soir, Orly, cent mille volts, et les images arrêtées de la Jetée ( et ses premiers mots « Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance ») et celle qui voit le regard de cette femme, unique, probablement sublime, un mouvement, un seul, là, et aussi les questions et les réponses de Jean Seberg jouant Patricia à Jean-Pierre Melville jouant Parvulesco, écrivain un pseudonyme sûrement, des chansons il en faudrait, du travail qui se termine, des cieux, des vacances des gens, d’autres encore et encore d’autres et puis pour finir, doucement il fait doux, doucement, le mauve des cheveux de ma grand-mère, doucement tout doucement

NORD

cent quatre vingt degrés font un demi-tour et là, se positionner, un peu sur la pointe des pieds, on aura une vue sur la vague qui recouvre la promenade nord sud (tout ça doit avoir un nom, quelque chose qui le détermine, l’associe à un registre particulier – c’est une galerie – quelque chose comme le nom des petits points rouges qui sont disposés équidistants pour focaliser et sans doute cristalliser l’imagination du public) (cette façon de penser devrait être agie par plusieurs paires de guillemets un peu partout, mais on s’en fout) (en réalité, la prise de position vis à vis de ce coin – c’est un coin – de ville s’est faite au hasard, mais de cela on s’en fout un peu aussi, le hasard est cependant encadré par la première consigne du retour sur un lieu déjà fréquenté – le cinéma, le travail, le travail et le cinéma) (et les chansons) et sur le dessus de cette prétendue vague (une vague est une onde mais celle-ci ne bouge pas, elle est là, solide et têtue comme une bourrique, blanche sur son dessus bleue sur son côté, grise sur son envers) la découverte, au loin, de ce quai de canal, et ce sera celui de Saint-Denis (création dans les mille huit cent sous Napo – le grand – mais il ne l’était pas de taille, mal à l’estomac, grognard et retraite en Russie – ce quai-là, de la Charente, à l’est, de la Gironde à l’ouest – sinue jusqu’au boulevard – sinuosité de bas en haut – MacDonald (maréchal de France, duc de Tarente) anciennement rue Militaire, mille huit cent soixante quatre – passant sous les voies de chemin de fer qui mènent à l’est, Mulhouse je me souviens, les haltes, les trajets Mulhouse-Strasbourg et retour, deux ou quatre ou six fois par jour et la nuit dans les dortoirs de la société nationale – canal qui va loin, vient d’autant pour aider la Seine à se déployer tranquillement en méandres mais afin que les péniches et autres insubmersibles ou pas tentent d’éviter autant que possible les ponts de la capitale, canal au bord duquel de nos jours se trouve un nombre impressionnant d’entrepôts de matériels plutôt chinois – ça doit débarquer par conteneurs je ne suis pas allé vérifier, mais c’est à peu près certain – meurtres, incendies, batailles et mafias, comme ça y va – on a bâti là, sur de vieilles friches probablement industrielles (la zone avait fait place à des usines) une espèce de centre commercial dont les reliques (aujourd’hui sans doute vivote-t-il encore mais on sait que ce type de superstructure est voué au dépérissement à moyen terme) seront bientôt transformées, passage par la case abandon, graffiti, squatt, et prises en main avant peu – si on savait que la guerre civile devait se déclencher dans quelques mois ou jours on en aurait une date précise – mais il n’est pas bon de jouer les Cassandre – il suffirait de prendre un autre espace-temps, celui de mettons Stephen King en son 22 novembre (on y revient) et le tour serait joué – puis laissant cet édifice nommé « millénaire » (cette suffisance dans l’intitulé...) sur la gauche, on aura parcouru le quai où s’édifient des immeubles de standing comme on dit (ça ne veut rien dire, standing, soit debout comme cette ovation dont on gratifie les orateurs de charme ou les chanteurs aimés – quelque chose de tellement suranné et fat de nos jours aussi, il n’est pas douteux par exemple que lors de leurs discours le peroxydé ou le dictateur turc sont acclamés debout par leurs publics ainsi que Salazar, Franco ou Videla – standing ce n’est qu’une classe) où viendront s’installer bientôt – marbres miroirs verres aciers polis video surveillances et portes fermées au groom puissant digicodes caméras – des couples avec deux enfants (on n’a pas encore demandé infligé ordonné de cesser de copuler, mais relâche après un enfant – ce stop a été testé en Chine c’est loin de chez nous, loin de tout : on aime à se regarder le nombril tout autant) deux seulement au plus et au pire, quatre vingt mètres carrés, une salle de bains et une autre d’eau, cuisine et salon-salle à manger, télévision soixante douze/cent quarante quatre chaînes fenêtres sur le monde – lucarnes plutôt – espaces arborés, s’il se peut moyennant finances sécurité 7/24, imminence et permanence, sur le quai, sur la rive, plus loin encore dans le neuf trois, on aura laissé à main droite l’espace où les deux jeunes garçons – ils s’appelaient Zyed Benna et Bouna Traoré– ont été électrocutés en octobre deux mille cinq, on aura laissé de côté la répression réactionnaire ordonnée par le ministre de l’intérieur de l’époque (ni oubli, ni pardon) qui sera sacré champion deux ans plus tard pour services rendus à l’État et il n’est pas complètement avéré que cet agissement-là ne soit pas à la source du choix des lieux des attentats de novembre deux mille quinze, il n’est pas complètement inutile de rappeler les agissements de cette droite-là, qui trempe ses fantasmes dans la plus glauque tradition française de l’entre deux guerres – continuer sur le quai, cette géographie-là aboutit bientôt – on est passé par Aubervilliers où non loin de la mairie, cette nuit, un incendie a failli tuer encore – à cette basilique au toit vert où reposent les dépouilles (je crois qu’il y a là un coeur) des Rois de cette France, banlieue neuf trois, Rois, têtes coupées et piques levées au dessus des hourrah, toute une histoire, c’est au nord – on sent les vingt minutes, on sent arriver les dernières mesures, Moondog veille, on verra on continuera

OUEST

face à soi pour compter, entre le pont de chemin de fer désaffecté et l’hôtel à quatre vingt quinze (ou moins : une chaîne, le truc idoine pour les colloques qui ont lieu au centre de conf, les conventions, les réunions professionnelles, ce genre de choses qui fait marcher le commerce, net d’impôts corporate ressouder les équipes et faire partager les idées de gouvernance) (que du vocabulaire de chiottes pour des actions du même égout – prendre l’argent où il se trouve, les formations, la sécurité la surveillance, la précaution) (financer la politique qui aide à trouver des opportunités et les légalise : enfin, tout le kit) c’est l’ouest qui veut ça (conquérir de nouvelles frontières et éloigner de soi le Mal) le long du canal se couche l’astre, on passe et longe les immeubles de standing – ici aussi parce que ça c’est Paris – le bassin où donnent des commerces de demi-luxe et une école de cinéma, une autre de publicité, le bio, restaurants et open bar et cinéma librairie et croisières – tout droit vers la rue la Fayette le pont sur les voies de chemin de fer de l’Est, ses diamantaires et en son bas ses galeries, le boulevard du Baron, ses hôtels de luxe, son avenue Friedland son étoile transformée en hommage à Charly, grande armée et représentations automobiles de luxe aussi bien, Maillot Neuilly Défense, Paris et ses beaux quartiers, riches opulents avides, je lisais quelque chose sur la bourgeoisie génoise il y a quelque temps, et ce type enlevé (je ne retrouve plus – un pédégé) qui, libéré, réclamait un billet de tramway qu’il y avait dans son portefeuille quand il fut soustrait à l’amour des siens et aussi ses chaussures trouées, la générosité aussi, ces lotissements et ces banquiers, comment se nommaient-ils (les Keller, il semble – les deux frères se lèvent vers cinq heures du matin et commencent leurs consultations, les prêts qui se négocient à leur heure à eux et ce genre de disposition) et aussi Nucingen voilà, cette calèche où il attendait Esther (on se souvient parfaitement de ce Birotteau du trois cent quatre vingt dix sept rue Saint-Honoré, trahi lâché ruiné mort par la grâce de l’un de ces (immondes ?) « loups-cerviers »), partout ce luxe affiché, revendiqué, recherché, il y avait dans les années anciennes à droite avant d’arriver à la porte ce dix-septième (le bon) et on laissera à gauche ce bois aux turpitudes exacerbées (une marche hier de celles et ceux qu’on nomme inélégamment « travailleurs du sexe » pour la mémoire d’un des leurs tué à la nuit – et la voiture noire, il y a bien dix ans de ça, du secrétaire de la présidence, laquelle siège dans ce huitième qui ouvre les triangles d’Or et autres territoires interdits (socialement) aux gens de peu et aux pauvres – périphérique, Sablons et Argentine ex-Obligado, il y avait là dans les premières années de faculté le domicile d’une jeune femme, il y avait vers septembre soixante quatorze la découverte de ce monde des rallyes (jamais fréquentés) et de ces fêtes d’entre-soi, le type avec sa moustache tellement amusant, on riait on allait au cinéma (« Il était une fois dans l’ouest » à l’action République) ce n’était pas mon monde pourtant, ce n’était pas qu’il fut spécialement fermé mais il n’était pas mien, il me fallait travailler, il me fallait survivre, m’en aller mais continuer, c’est au fond de l’horizon que se trouvent les palais de cette magistrature suprême (ça en jette un petit peu : quand on voit par qui le poste est tenu, il faut se garder du cynisme mais que nous reste-t-il en les voyant, ces gens ?) au fond de l’horizon, là où l’astre disparaît laissant derrière lui des coulées de rouges d’oranges et de mauves, le soir un peu tard en été, la douceur des vents, le rond point des canaux où se calment les remous des eaux noires, devant soi ce pont de chemin de fer qui ne sert plus aux trains, sinon ceux de la sauvegarde de la petite ceinture, une fois l’an peut-être, disparues les usines, les fumées, les trains de bois, disparus aussi les petites gens, les bals et le bœuf gras (une journée par exemple du début du siècle précédent) on descendait l’avenue de l’Allemagne jusqu’à celle de Laumière (général d’artillerie mort au Mexique en 63) pour aller devant la mairie, on allait à Belleville par le boulevard puis on revenait, une espèce de carnaval avec élection de Mademoiselle Villette ou quelque chose, chars danses et musiques, boissons et viandes certainement (le bœuf lauréat enrubanné pesait parfois près d’une tonne... quand même) par la porte de Pantin aujourd’hui autour de la fontaine qui était sur la place de la Liberté (maintenant République) on a disposé des élucubrations d’un jaune pétant, on donne au cinéma des films où on chante et danse, il fait doux le soir, en été

EST

tourner la tête à droite, puis le reste du corps, un demi-tour, en face de soi, le canal va vers les moulins qui n’en sont plus, il y avait là un pont levant pour transporter les locomotives, mais c’est de l’histoire ancienne, il y a à présent une promenade, des gens courent des chiens jappent et des roues tournent, on s’habille de couleurs vives, on arpente les pavés, les mômes apprennent à faire du vélo, sur les pelouses, on a posé une bâche de plastique bleue et la salade de pâtes à la mayonnaise, la bouteille de soda ou d’eau, les jeux un livre quelque chose, on attend dans l’air du soir, doux de l’été – il arrive que gèle le canal, au fond sur la droite, la ville de Pantin et son cimetière et sa route d’Allemagne, les voies de chemin de fer qui conduisaient les enfants raflés et leurs parents, les voies de chemin de fer et le cimetière parisien – là où on avait mis en terre une autre Jacqueline, la fille du bijoutier de la rue de Belleville, celle qui s’était mariée avec cet ami de faculté de maths avec qui on prenait des photos des pousseurs qui remontaient la Seine sur le quai Saint-Bernard du haut des immeubles aujourd’hui vétustes, ils s’étaient mariés ces deux-là et puis voilà que le crabe l’avait emportée, elle, cette petite femme brune et charmante, amusante rigolote, trente ans peut-être de ça, et passant devant les tombes gisant là je me souviens de m’être énervé levant le poing contre ce dieu qui enlevait des mères à des petits enfants, ils en avaient fait deux, il me semble je ne me souviens plus, les amitiés mortes existent aussi, elle s’en était allée et eux étaient là, il y avait là aussi bien la tombe de Jean-Pierre Grumbach dit Melville, et l’incendie de ses studios de la rue Jenner dans le treize, stetson lunettes noires, et le « qu’est-ce c’est, dégueulasse ? » de la jeune journaliste, Patricia, Pantin et sa rue et son canal, à l’est au loin si tu regardes bien, à l’est – il n’y a rien de nouveau, non, la deuxième passerelle et le Magic Mirror, et les poneys qui courent en rond, les gens qui courent droit devant eux, à bout de souffle, qui marchent qui s’arrêtent et bavardent un peu, doucement, si c’est l’hiver on se presse, la neige, la glace la nuit, le parc et ses étendues toutes de vert, les arbres qui bruissent un peu, le passage du temps et des oiseaux, qui crient et rient, on entend le lourd passage des autos sur le boulevard périphérique, on écoute le passage des avions, là-haut, il n’y a plus personne, il n’y a plus rien, les algécos de la bibliothèque n’existent plus – y a-t-il encore une bibliothèque à l’école de cinéma qui s’est installée dans les anciens studios Pathé de la rue Francoeur où on avait mixé le court-métrage en quatre vingt, la production l’argent les gens, le cinéma, tout partait de là – il me souvient que ma mère n’allait plus à l’école mais au cinéma quand elle avait quinze ans – avait-elle fait une seconde, je ne crois pas, mais il y avait chez elle cet amour du cinéma américain, ceux qui avaient libéré la ville en quarante trois elle avait dix sept ans, les chewing-gum et le chocolat, il y a quelque chose avec le cinéma mais ça ne s’est pas fait, non, ça ne s’est jamais fait – malgré les études, les réussites et les découpages plan à plan pour l’avant-scène, non, ça ne s’est jamais fait – on attendait une réussite et puis ce fut un château de cartes, un souffle et le feu s’est éteint, il reste toujours qui couve, on aime à voir les mouvements de caméras et les tailles de plan, et les paysages, il suffit d’un léger panoramique à quatre vingt dix degrés, vers la droite pour découvrir sous la passerelle le canal et son eau sans but, vingt minutes, qu’est-ce que c’est ? on avance toujours, comme les pions des jeux d’échec – on jouait aux échecs avec cet ami, le mari de Jacqueline, on jouait au blitz, on jouait au billard aussi à Maubert, non loin d’où vivait la mère de Marc Augé mais c’est une autre affaire – cet ami vivait sur l’avenue Secrétan, on avait débarrassé l’école de photographie que tenait son père à Ivry ou à Issy c’est ailleurs c’est au sud, il y a cette empreinte-là, ces années-là – on ne parle pas de l’armée, Compiègne est au nord-est, par la gare du nord, ici c’est l’est – et les réseaux et les annuaires Chaix qu’on connaissait par coeur – c’était une autre affaire, une autre histoire, un autre travail… Ici, c’est l’est, le froid mais au beaux jours, il fait doux sur la passerelle

proposition n° 36

treize vingt, deux dimanches et fêtes sur trois, métro plus le 20 à Chemin vert, jusque Saint-Lazare, là le train jusqu’au pont Cardinet, là monter au premier, prendre son combiné plus son classeur et s’installer dans l’une des quatre vingt ou cent cabines open space de la salle le chef est derrière trônant sur une estrade, on dit bonjour on a un numéro et quand on prend la ligne une lumière rouge au dessus de la vitre qui vous isole des autres s’allume jusqu’à ce que vous raccrochiez, il se peut que le chef vous écoute, prendre à treize, vers seize trente dix sept vingt minutes de pause parfois dans le square des Batignolles qui est là, en traversant la rue, manger une quiche et retour jusque vingt heures – dans le classeur le monde, mais surtout la France, le pays est scindé en six – et non en quatre – le réseau se compose de six gares, c’est en étoile, parigo-centré, si une ligne va de Paris à Dieppe, la suivante rejoint Givet et le territoire est le nord, une autre irait à Belfort, une troisième rejoindrait plus ou moins Port-Bou ou Cerbère comme on aime, l’avant-dernière irait jusque Nantes ou la Baule et la dernière serait desservie par Montparnasse – tout ça a évolué comme on dit dans la société, à présent on n’a pas de réseau au départ d’Austerlitz, la gare va fermer, on va couvrir les voies, on va aller voir à Massena ce qui se passe – on s’en fout, alors, dans ce classeur se trouvaient les six livres qu’on nommait Chaix, ils devaient avoir chacun sa couleur, on imagine les cartes des deuxième de couverture, les trains énoncés suivant leurs numéros leurs heures de passage ici ou là, sept heures par dimanche, la paye à la fin du mois donnée en arrivant le dimanche qui suivait, la paye double du premier mai, les signes de tête, les rires sans bruit, les foutages de gueule, le monde et les trains qui s’éloignent en bas dans le fossé, le creux qui débute à l’Europe, les gares intermédiaires non desservies, deux mois d’été avaient été consacrés à écrire éditer compter factures ou poids ou quelque chose, je ne me souviens plus bien, mais c’était à Levallois – prendre le 94 quatre vingt quatorze à huit du matin en changeant à Réaumur jusqu’à Saint Philippe du Roule, cette géographie du travail, comment se nommait cette sous-marque déjà, il y avait eu précédemment aussi les deux mois passés à la compagnie française des cadres –- on appelait alors ainsi les conteneurs d’aujourd’hui –- à Tolbiac, on descendait au Quai de la gare et on marchait matin vers sept et demie sur le quai qui y allait, compter les caisses et repérer les emplacements, en soixante quinze sans doute, société de contrôle et d’exploitation des transports auxiliaires (la route pour le train probablement, ou autre chose, le bateau, que sais-je, j’ai oublié) (aujourd’hui ça se nomme géodis –- on s’en tamponne tellement allègrement) mais cette France-là qui était une grande ville, un réseau de villes, parcourue en vrai pour les enquêtes parfois, il fallait jongler avec les différents dimanches et fêtes, on s’échangeait les dates, on essayait de prévoir, on gagnait sa vie, les études et le boulot de concert de front en face, avancer avant de se perdre, les limites du corps, la joie de vivre de courir d’attraper un train, de revenir éreinté, on est bien loin de cette ville-là, mais on ne fait qu’y être elle étend simplement un peu plus loin ses bras, ici dans les Chaix, là aux changements de trains, aux voyages haut-le-pied jusque Calais pour prendre le Calais-Vintimille, ou le train bleu ou le trans europ express direct pour Bruxelles dans son habillage d’inox et de rouge bordeaux, côtoyer flics civils et douaniers, ou le Bordeaux-Nice pourri d’appelés ou de forcenés qui hurlaient « la quille bordel ! » –- dans ce même train des salauds qui tuent, il y en eut aussi – loin de tout, le dimanche, brancher son combiné, attendre que la lumière s’allume, appuyer sur le bouton allumé pour prendre la ligne et énoncer le « sncf bonjour » contractuel obligatoire et attendre « ce sera quel jour ? » et puis « vers quelle heure ? » tout en feuilletant le volume pour chercher Limoges ou Ussel, Argentan ou Hazebrouck, villes où on était l’avant-veille, où on passait, trois étages en dessous les trains filent vers le Havre, Rouen ou Dieppe, Caen Granville ou Cherbourg ? un jour j’avais entrepris de me souvenir des villes connues parfois uniquement par leurs gares, et puis j’ai renoncé fin quatre vingt, études terminées depuis longtemps, bientôt père, bientôt employé au mois ou à l’année, bientôt adulte on a laissé derrière soi la petite gare du Pont Cardinet, cette même gare où, lors de l’éviction (grand malade, G5) de la grande muette pour fait d’asthme je l’avais prise pour celle de Petit Clamart et de son hôpital militaire où j’ai failli laisser ma vie, un jour d’octobre soixante dix sept – on est bien loin de cette ville, cette ville, toute petite et ses six gares (et non quatre comme au Monopoly) et son réseau en étoile, parigo-centré -– ces trains, ces chemins de fer, ces locomotives et ses voitures

proposition n° 37

sans doute faut-il comme d’une gale se garder du panégyrique, tenter de rester en dehors de cette affriolante énonciation des lieux de la réalité de la culture cultivée, bourgeoise, réparatrice –- il y avait une critique tout à l’heure à l’emporte-pièce, d’un film coréen réalisé pour attraper au passage quelque récompense décernée dans ce monde-ci, tant est vrai –- pourtant –- que le cinéma est une espèce d’ectoplasme occidental du capitalisme –- il suffit de voir qui y travaille –- il n’y a que ceux qui travaillent qui travaillent -– c’est une maxime du milieu –- on change de personnel comme on change les pneus d’une auto -– ou alors de consulter les conditions générales de vente, les corporations et leurs règlements, les rétributions et les salaires minimums de la branche –- je ne trouve plus le mot, je ne trouve plus mes mots -– ça n’a pas d’importance (les conventions collectives, voilà) il y a des écoles, il y a des enseignants, il y a des élèves -– il y a des productions et des producteurs, des banques et des assurances, des agences de distribution, des agents et des utilités des silhouettes et des rôles, un vocabulaire adorable en anglais casting stars cut off et autres blow up downtown et toutes ces sortes de choses qu’on agonit –- wtf –- il vaut mieux se séparer tout de suite de ces mots difficiles : générique c’est joli –- il y a des gens qui adorent ce média, cet art, cette industrie – l’ami Giovani raconte que son père adorait Doris Day tandis que pour sa mère, c’était Gérard Philipe –- la mienne en pinçait pour Errol Flyn, et les stars de mon père si star il y avait -– était-il fan ? -– je n’en ai pas souvenir – chez les hommes Gian-Maria Volonte chez les femmes Ava Gardner ou Anna Magnani qui peut savoir ? –- le cinéma, les Etats-Unis et la fin de la guerre, le premier poste d’exportation des objets de l’oncle Sam -– la signature de l’armistice dans le forêt de Compiègne, dans un wagon comme par hasard – c’est quelque chose qui stagne, qui a eu lieu et dont on se souvient, le « j’offre mon corps à la France » de l’ordure sénile (né en cinquante-six, maréchal nous voilà : quatre vingt quatre aux pelotes à Vichy dans son hôtel des Bains) qui allait promulguer ce qu’il fallait pour devancer les ordonnances de l’immonde, mais j’oublie -– le cinéma : à l’été on en donne ici sur cette prairie -– c’est une prairie, les bêtes y broutent, comme on sait -– triangle -– il y avait dans le temps et à l’intérieur de l’ex-abattoir, un lieu -– il en est des dizaines, il doit y avoir dans ce petit intérieur plusieurs centaines de milliers de mètres-carrés –- il faudrait compter et se garder de régler des comptes -– un lieu qui existe toujours, on l’a transformé mais il y avait deux salles, quatre vingt cent vingt sièges places (fauteuil serait un bien grand mot) -– et un jour, ou plusieurs un certain nombre de semaines, je crois bien peut-être six ou sept, on donnait (c’est le mot, accès gratuit, ça se faisait et puis les choses changent et les conditions sociales d’élection et d’attribution des rôles et des places ont évolué -– comme on sait) une rétrospective de Joris Ivens, on en entend parler en cours de cinéma, puisque c’est un de ces types (il y a pas mal de femmes aussi comme Alice Guy ou d’autres) qui a inventé le cinéma (celui qu’on aime mais qui n’existe plus guère ou alors tellement rare) une centaine de films (né en quatre vingt dix-huit) quelque chose avec ses films muets faits avec Henri Storck (qu’on verra en michton chez Jeanne Dielmann en son appartement du quai du Commerce), il y avait dans la salle assez souvent une femme, dans les quatre-vingt ans, petites cheveux bouclés blancs et courts, on aurait dit un dessin de celui qui dessinait Tintin, petite le mètre soixante, canne, sourire, interrogée avant la séance, avant une des douze ou quinze séances (si les textes produits pour ou grâce ou par ce travail sont jamais édités pendant le week-end, celui-là en sera et s’il n’y en a qu’un, ce sera lui) c’était une marcheuse aussi (un peu comme l’architecte du cinéma en plein-air) elle venait à pied d’Aubervilliers où elle habitait, elle venait là parce que c’était sur le chemin, son chemin pour aller en ville, son chemin à elle qui longeait le canal, elle se nommait Jeanne, je la voyait venir consulter ses revues, elle souriait, sans doute avait-elle raconté des choses, d’autres je ne me souviens plus mais d’elle, Jeanne m’a-t-on dit un jour qu’elle se nommait, fin du siècle dernier ou début du suivant, sans autre forme de procès que le désir de savoir qui vient voir ce genre de film et ce qu’en pense ses spectateurs, juste pour cette curiosité (il n’a pas été question de faire financer ce travail, mais aujourd’hui en ai-je vraiment quelque chose à faire ?) ces gens, au bout du couloir, il y avait aussi mais de l’autre côté du canal la nuit de la place d’Alexandre, à Berlin, une nuit entière d’un feuilleton télévision, j’y ai rencontré le plumeau des barbOtages d’ailleurs, le matin il faisait froid on était un peu étonné de se retrouver là, neuf heures un dimanche un café, il y avait au cinéma et en ville quelque chose de l’intégrité de la loyauté de la vision du monde quelque chose de beau, il y avait ça, ce qu’on cherche toujours, il y avait une espèce de brouillard, c’était sur le côté, juste là, l’infirmerie, là, la gare a fait place à un parking et maintenant à cette salle de spectacle où hier soir on donnait (quarante cinq euros la place quand même) un concert de Brad Mehldau (mais il faut que tout le monde vive, comme disait mon comptable) (enfin « mon » c’est une manière de marquer que je lui payais des honoraires, de l’ordre de quatre vingt dix euros l’heure –- soit deux places –- je ne suis pas sûr que l’homme avait raison, mais il avait au moins les siennes) ici alors que j’avais abandonné tout espoir et désir de faire du cinéma, ici même en attendant

proposition n° 38

1. une des plus belles chansons du monde
2. des livres sur le cinéma (téléphone blanc)
3. compter les entrants
4. ah oui disait-elle, lire j’aime tant ça
5. la chose a trente ans passé
6. cinquante cinq hectares
7. le pêcheur et les écrevisses
8. donne-moi la main
9. conventions collectives (1)
10. « c’est comme si j’avais posé mes valises » / « croyez-vous ? c’est tout droit... »
11. la vitesse de la pensée
12. le sens de la vie, de la mienne peut-être
13. l’écriture des fois on dirait que ça épuise (dedicated to Maryse Hache)
14. bal dimanche après midi
15. réécrire la ville en manteau vert
16. la conscience au travail
17. donner la mort afin que la ville mange
18. le cinéma la chanson le parc
19. merci à la vie
20. c’est ma nature, c’est un peu la même chose
21. tout est souple et simple
22. sans moi
23. le premier travail
24. remplacer la centrale
25. pain beurre sel et poivre
26. on ne joue pas le jeu
27. l’escale –- un grain, une douceur, un pli
28. un stade dans la ville
29. aller retour Montbard
30. le fonctionnaire du sixième, la dame avec son chien et la bibliothécaire
31. pour y aller
32. un peu d’histoire
33. dédié aux activités de l’esprit et du loisir
34. 35. la rose des vents
36 (convention collective 2)
37. Jeanne
38. c’est ici

on continuera jusqu’à la fin

il y a un trouble qui s’installe dans cette histoire-là, c’est qu’elle serait censée représenter autre chose que ce qu’elle est : un travail d’une certaine manière achevé, poli, il faudrait tout relire (c’est fait chez soi) mais tout relire aussi un peu partout, il faudrait demander à chacun ce qu’il lit, à chacune ce vers quoi elle tend, quelles sont les distinctions qu’on suppose pouvoir poser sur son propre texte, sur ses propres textes, ce n’est pas un texte, ce sont des idées de textes -– il y a des titres qui iraient avec le reste du monde (j’ai lu qu’il se trouvait trois mille trois cents contributions, comment veux-tu ?) nous autres lecteurs, comment veux-tu ? même les miens j’ai une certaine difficulté à les comprendre –- le temps passe et l’oubli ombre la mémoire -– le point d’interrogation, est-ce que c’est d’abord un point ? et est-ce qu’il finit une phrase ? je ne crois pas mais je continue et j’avance et à chacun j’ai donné un titre pris dans le développement du moment -– je n’ai pas ici fait tourner Moondog –- la consigne des vingt minutes s’est évaporée comme toutes les consignes –- tu te souviens, dans les gares, avant qu’on les ôte pour cause de précaution vis à vis des attentats, il y avait des consignes où on cachait des trucs et des machins : une ressource presque inépuisable de trucs de scénarios un peu comme les immeubles à double entrée comme le 1 de la rue Lord Byron – j’ai mis Moondog c’est un gimmick, une aide, un soutient – « donner la mort afin que la ville mange, c’est ma nature, c’est un peu la même chose » – on avance en âge, les articulations, les hanches, les genoux, les coudes et le cou, tout se grippe et fait mal au réveil – j’ai attendu un moment avant de savoir ce que c’était que cette misère du corps – je me baigne entre l’île et le continent, en face de moi au loin je distingue si je regarde bien l’Olympe -– j’ai entendu qu’on irait jusque quarante cinq, je me méfie des dernières lignes droites -– boire un ouzo sur de la glace pendant que le ferry accoste, descendent les autos, remontent celles qui s’en vont –- il est tard, il est huit heures et demie, l’industrie, la ville, le vent, le ciel, le monde, les gens, il fait doux, Malou -– ça ne fait pas un titre non plus tellement évident ni représentatif – un titre, le truc, la façon, la main, le signe, l’espèce et le témoin -– c’est midi, début septembre, c’est un mois vaqué chômé les portefeuilles et les comptes en banque sont vides dans la classe moyenne -– on rentre à l’école on pleure, les courses ensuite les cahiers le reste toute cette détestation par laquelle on ne peut éviter de passer -– il sera tard, on entendra rire deux ou trois mouettes, il fera doux en cette fin de saison « il y a une éternité, il y a un siècle, il y a un an » disait Joe Dassin, souviens-toi -– il était tout en blanc avec sa coquetterie dans l’oeil -– j’ai tout oublié –- un titre de chanson, une voix, des mots, un rythme -– « tu ne me trompes pas, va avec ton cinéma, ta robe et tes chaussures de lacouleur de ta voiture » –- le soir au coucher du soleil au loin là-bas sur la mer (la photo de Mimizan faite par le robot que je posais hier) –- j’ai tout oublié mais je me souviens de tout et d’autres choses encore –- travailler, écrire, chanter, respirer –- vivre

proposition n° 39

étant donné l’ensemble déconstruit depuis quelque temps (la relecture, c’est quelque chose), il y a eu un moment aussi où je ne sais plus exactement –- quelqu’un je crois cette dame qui s’occupe de généalogie quelque chose -– disait « j’ai l’impression que les consignes sont faites pour moi » –- un peu ce type de rigolade : ici ça a toujours et de tout temps été un chantier, le chantier de quelque chose qu’il me faut écrire, cette expérience et ce lieu et ce travail – je ne dis pas la transe qui parfois s’empare de ma conscience quand je pense à la fin du travail -– la fin du travail, c’est quand on connaît par coeur le questionnaire et qu’on pourrait l’énoncer les yeux fermés (sans regarder l’intéressé) –- il y a eu un moment, c’était en août, au début de l’année il y avait eu cette attaque terrible de l’allée Verte et du journal Charlie avec ces morts, celle de l’épicerie de la porte de Vincennes, dans le même temps, laps de temps ce vendredi-là cette horreur, et le dimanche des millions dans les rues -– une espèce de sursaut quelque chose, mais cette nuit-là, c’était le vingt août quinze donc, de ce siècle-ci, et cette année-là pour moi, tellement horrible et en regard de ce qui se passait alors en ville, heureusement sans mort, crimes meurtres sang non, dieu merci comme disait ma grand-mère (Manée, pas Malou ; Manée) –- il devait être deux ou trois heures du matin et on entendait dans le ciel des hélicoptères, et il y avait là quelque chose de bizarre, on dormait mais le bruit des avions qui passaient au dessus avait quelque chose d’invraisemblable ou de particulier, quelque chose – on savait bien depuis quelques années aussi que ce chantier (il s’agit de la quatrième travée, c’est un terme assez technique disons pour évoquer le truc du bout de la moitié restante de l’abattoir qui ne servait à rien depuis un moment –- depuis l’ouverture de la tranche, c’était une affaire serpent de mer, une arlésienne qui jamais ne venait – un jour, ils avaient (je ne sais pas pour le « ils » exactement, mais enfin, disons) montré là une esquisse assez grande, étoffée, d’une des tours de cet architecte si opulent et infatué Nouvel Jean –- philharmonie sans concours et budget sous évalué : un homme d’affaires — alors on pourrait réduire le truc à ce fait simple : l’incendie de cette travée-là, quelque chose qui allait retarder l’ouverture de ce magasin, décomplexé c’est bien ça, il y avait aussi cette histoire que j’ai trouvée magnifique (ce ne sont que des bruits, mais ces bruits-là font une sorte de halo sur le tout et inspirent aussi quelque chose comme une certaine méfiance) des bruits sur les agissements (et les achats) du pédégé de la boite qui s’occupait de la transformation de cette travée en une espèce de centre de loisirs commerciaux –- ou loisirs centré sur le commerce – de commerces centrés sur les loisirs avec sa vingtaine de salles de cinéma ses restaurants végan ou responsables ou heureux gais pimpants simplement accueillants qui sentent bon le propre le management par objectifs et les serveurs habitués à l’avenance, cette proposition simplement honnête d’une espèce de souplesse dans les différentes vertèbres, tu vois quoi ? -– on pourrait en dire sur ce chantier (un photographe a été désigné d’office -– sans doute après appel d’offre en bonne et due forme – pour prendre des clichés de cette affaire-là) – mais il ne s’agit pas de lui, il s’agit de l’effet de dévastation qui s’est produit en moi, à ce moment-là, induit par ce qui se passait sept mois plus tôt dans cette ville-là, cette même ville (je me souviens de l’irruption dans le cortège officiel du dimanche, sur le boulevard Voltaire, du minuscule président précédent, je me souviens : il sera sur la photo, oui) où avait brûlé cette annexe donc du bon goût, puis au mois d’octobre, le trente et un vers une heure du matin, un peu avant, l’incendie de mon appartement, tout mon intérieur –- c’est cela le chantier, c’est lui qui arrive -– cette arrivée sur la rue du faubourg fermée par le Poste de Commandement et de sécurité des pompiers les tuyaux l’eau la nuit les lumières l’horreur – les voisins dehors, tout le monde, tout l’immeuble, toute cette humanité qui nous rassure, c’était fini, cependant, l’incendie était maîtrisé, à peine dix minutes, et puis voilà on avait tout perdu, à quatre heures du matin, on montait dans les étages, dix centimètres d’eau dans tout l’appartement, la nuit le noir l’horreur, toutes ces choses, perdues, calcinées plus de livres d’ordinateurs de lits de meubles habits vaisselles piano clavecin violons guitares outils plus rien, plus plus rien… et puis on se relève du chantier, tout de même, pour le treize du mois suivant apprendre cette horrible indicible, infernale, terriblement proche, je me souviens de l’entorse de Philippe de Jonckheere, ou de Olivier Hodasava qui vivait par là tout autant, Dominique Hasselmann qui ne pouvait plus rentrer chez lui et s’en alla dormir ailleurs, puis les bouquets de fleurs, cette horreur, cette terrible mise en doute de la réalité du monde, cette mort tout venant, n’importe qui, n’importe qui, la vérité de cette ville-là, juste devant nous, là à cent mètres de chez nous, le chantier, rebâtir, encore encore encore et toujours

proposition n° 40

puis au tout début de l’existence de ce statut professionnel un peu différent (même si le travail était semblable), il y eut de nombreuses heures à venir tous les jours, à prendre en main un des premiers portables d’une facture assez différente qui s’ouvrait comme une petite caisse, ou un teppaz, l’écran en était noir et les lettres oranges, on saisissait en ms.dos, on installait le tout avec rallonge qui entrait dans la banque d’accueil (comptoir, emporio, à l’intérieur duquel se tiennent deux ou trois salariés chargés de renseigner le public – une banque d’informations), la table et les deux chaises, ça avait la qualité de montrer aux intéressés que l’institution prenait garde à eux, ça se faisait simplement et tranquillement, l’enquêteur ne portait pas d’uniforme, les gens passaient ou refusaient, il y avait un robot qui s’appelait Félix (rusé le truc, manié par un servant qui parlait dans le micro caché dans sa main le faisant parler et le faisant agir par télécommande dans son autre main, dissimulée dans sa poche), et puis les journées étaient de six heures, et puis il fallait manger – limite de la demi-heure, réglementaire, demandée obtenue – vers treize trente, sur le quai de la Charente une petite officine, ici l’entrée pour franchir la limite, repas uniquement le midi, peu cher, anciennement travaillant pour les abattoirs un type chauve était en cuisine, la cinquantaine toujours en blanc toujours en sueur toujours en tablier, assez bien portant, je n’ai jamais su son nom, on avait droit à de la choucroute parfois – une tranche de jambon, une saucisse, deux tranches de saucisson à l’ail plus un morceau de lard, des pommes de terre et du choux – tout cela servi généreusement par une vieille femme, elle devait taper les soixante six ou sept, sympathique ne serait pas le qualificatif qui viendrait immédiatement à l’esprit, petite maigre cheveux gris mis en pli blouse à fleurs, mais finalement gentille avec les clients – je l’ai revue un jour, saluée, « il est mort subitement… le coeur... » m’a-t-elle annoncé parlant du cuisinier-patron – on lisait, on mangeait vite, rapidement le café, le paiement la fiche de remboursement, on s’en allait reprendre le taf, le canal lui suivait son chemin vers Saint-Denis à moins qu’il n’en revienne, quatre-vingt-huit, quelques midis par semaine mais fermé le week-end – j’ai toujours aimé ce type de repas, une sorte de cantine – il y en eut tellement de ces sortes de cantines, celle de Levallois en sous-sol sans lumière du jour, celle du quatrième au sixième sous les combles dans l’immeuble qui fait le coin de la place des Arts et Métiers et de la rue Beaubourg, celle qui se trouvait à l’intérieur de la mairie du dix-sept – le petit restaurant de Montreuil je ne sais plus, celui de Montgeron, celui de Crosnes, je ne sais plus, nombre d’entre eux qui marquent la limite du travail, on arrête viens on parle d’autre chose – de quoi ? parlons chanson si tu veux, Hurricane ou Cowgirl in the sand, les Etats, le reste du monde, mais ici sur le quai qui remonte vers le pont, cet encorbellement de pierre blanches et l’avenue à croiser – l’immeuble en pointe de l’hôtel, les petites chambres des étudiants en musique du conservatoire de l’autre côté, les appartements paysagers – celui du dentiste un peu cinglé – il s’agissait de gagner sa vie tandis que l’écriture, le cinéma, la musique n’avaient pas cette aptitude les arts et la comédie, non plus bien que, de temps à autre il y eut quelques apparitions dans le studio des Buttes Chaumont – rue des Alouettes – on a détruit tout ça, la société française de production s’est sans doute transportée du côté de Brie-sur-Marne privatisée en deux-mille-un, de nos jours appartenant à un groupe dont on tait le nom par charité – on se demande cependant ce que la fille du pédégé a bien pu faire du parc d’autolibs (quatre mille quand même) dont la firme qu’elle dirige est propriétaire – on aime parler par énigme – on aime aussi les sens du mot parc – ici il n’y a plus grand-chose que des immeubles d’habitations – un peu comme aux alentours de ce parc paysager, cette île de verdure et de calme minéral tout autour se pressent les immeubles, on a construit des rues Edgar Varèse, Germaine Taillefer, Joseph Kosma – tu suis le registre ? – on trouve aussi allées passages nommées Villas – pompeux ? allons donc – l’une sonatine, l’autre toccata, une troisième boléro et une cantate – enfin le kit – comme il y a des lotissements aux noms de fleurs, de fruits et de roses – on aime le bucolique, on ne déteste pas la culture et ici, c’est la musique – une villa du rock’n’roll ? un passage Clash ? une impasse punk ? – on repassera les plats, t’inquiète, les abords les alentours, le voisinage, le calme du temps présent, un léger vernis épistémique (il en faut sans doute, je ne sais pas je ne sais plus) : pour tout dire, ça n’existait pas encore, ça s’est développé comme une espèce de mauvaise herbe (pas moi qu’on rumine, pas moi qu’on met en gerbe), domestiquée cependant, nouvellement acquis des avantages fiscaux acheter dans le neuf etc.

proposition n° 41

il aurait fallu rester quelques heures et noter le passage du temps, [1], noter le passage des nuages, des chiens, des vélos, les coureurs à pied, les marcheurs, les autres encore, [2] les poussettes, les agents de sécurité et les techniciens de surface et autres personnels,et aussi ceux qui soufflent sur les feuilles qui réparent les matériels détériorés, ceux qui ramassent les déchets, qui remplacent les sacs remplis d’immondices [3] il aurait fallu sans doute un moment pour se rendre compte que ces gens comme sur la place de l’Étoile s’évitent les uns [4] et les autres [5] mais ils passent sans trop se parler, ils ne se connaissent pas, de vue peut-être, rester et observer un moment on est en plongée, ils passent – ceux qui élaguent les arbres qui s’occupent des bosquets qui nettoient les miroirs [6] – il faudrait regarder les photos [7] observer les oiseaux les pigeons les moineaux et rester un moment pour entendre le bruit [8] des gouttes d’eau qui tombent sur la surface plane du canal, les péniches le dragueur probablement municipal qui nettoie, observer un monde qui bouge et vaque, la vitesse d’exécution, les atours les habits les couleurs, les avions dans le ciel, au loin les autos sur le périphérique – le pont qui s’est écroulé à Gênes, les paroles et les écrits qui mettaient en garde contre ce type d’accident, les bétons des années soixante dix comme celui dont on a construit Fessenheim – à la même époque ici on détruisait la moitié d’une salle des marchés qui n’avait jamais servi pour faire de l’autre moitié restante une espèce de musée [9] d’un genre nouveau, nouveau style comme aujourd’hui nouvel internet appli réalité virtuelle [10] j’ai tout oublié tu sais, j’ai oublié tout des Rolling Stones déjà inusables ou de Jacques Higelin qui inaugurait le Zénith [11], je me souviens de Patti Smith en blanc et noir et du brouillard qui entourait chacune des paroles de Bob Marley comme chacun de ses coups de guitare]] – comme le monde aime à se fourvoyer dans des impasses, c’est après guerre qu’on s’est rendu compte qu’il faudrait rénover cet instrument mais sans tenir compte sans doute probablement de l’état du monde, et de la nécessaire obligation de ne pas laisser en ville – on aurait ôté les halles pour les refouler vers Rungis, un marché d’intérêt national [12] et Marco Ferreri et Marcello Mastroianni dans le trou ainsi creusé organiseraient un western avec le blonde Deneuve – on penserait à sa sœur Françoise quand même [13] – on aurait détruit sur le plateau Beaubourg pour y mettre autre chose aussi – un peu d’ordre et un truc « dédié aux activités de l’esprit et aux loisirs » (qu’en termes galants ces choses-là sont dites) [14] – dans cette ville-là surtout qui se transformait en une espèce de relique des temps anciens avec son Louvre encore ministère – on y mettrait aussi un peu d’ordre plus tard – la maison du roi, la tête tranchée un vingt et un janvier sur la place de la Révolution (ex Louis 15, future Concorde), la fuite à Varennes et sa reconnaissance par son portrait sur une pièce comme Saint-Exupéry sur les billets de cinquante francs [15] : les temps changent – ne pas laisser en ville les usines, à Javel, aux Morillons et un peu partout mais pas dans le seize, non, ni Neuilly quand même pas – ne pas empuantir l’espace mais c’était compter sans les autos, les chauffages, les avions, la multiplication des humains l’évacuation des plus pauvres au plus loin – il y aurait eu aussi par exemple ces enquêtes à cinq heures du matin dans les villes nouvelles [16] et ces gens qu’on interrogeait, deux heures et demie aller, deux et demie retour tous les jours que dieu fait sauf le week-end, le salariat, les immeubles à reconstruire, le prolongement du réseau express régional – aujourd’hui on a trouvé à intituler ce trafic, ce travail, ce bazar « grand » et c’est tout – c’était compter sans les quinze pour cent l’an de rentabilité de tout et de quoi que ce soit – il aurait fallu aussi s’occuper de ceux qui ne bougent pas, qui ne font rien, assis sur ces chaises malcommodes inconfortables qui geignent et crient quand elles tournent [17] – le créateur inventeur faiseur réalisateur dizaïgneur on en a déjà parlé, Burano sans portable etc. [18] – il y avait les lumières bleues, petites qui marquent l’accès il y a aussi ce mobilier ces poubelles en triangle bouchées après les attentats de quatre vingt quinze rue de Rennes ou Port-Royal Saint-Michel ou marché de la Bastille – mais est-ce qu’on allait cesser pour autant de prendre le métro ? la peur mais on le prenait pour faire mentir ces fumiers – ceux qui ne bougent pas allongés sur l’herbe qui lisent, ceux qui ne font rien qui bronzent dénudés à l’été, ceux qui s’embrassent qui se parlent la main dans la main assis sur le quai du canal tandis que glissent doucement les bateaux les péniches les transports de pondéreux, il aurait fallu regarder ceux qui ne font rien, les mains croisées dans le dos, le manteau sur les épaules, la casquette vissée sur un crâne chauve, clope au bec, ou elles en blouse sans manche, fleurs en couleurs, mains croisées sur les jambes repliées assises sur le banc en marbre vers cinq heures, les familles ou les enfants qui courent crient roulent s’amusent tandis que les parents pouvoir d’achat offrent une gaufre une glace une gifle [19] – ça peut dépendre, il y aurait aussi mais on ne l’entendrait pas, une musique tranquille qui se glisserait dans le mouvement des arbres au bout de l’allée, il y aurait un peu d’air qui s’en irait vers la basilique, au nord au loin en vert, il y aurait surtout le silence et l’absolue règle de ne pas faire chier qui que ce soit avec des questions idiotes inutiles insensées stupides ou tellement bêtes, voilà, bêtes – alors on les regarderait simplement, il y aurait des fleurs et des couleurs, du vent et une sensation de bonheur, on attendrait on sait que les choses viennent et vont comme elles vont, comme dit la chanson « de temps en temps la terre tremble » [20]

proposition n° 42

0 à 1 – Prolégomènes

Ca a été sans réfléchir plus de trois ou sept secondes et je me suis lancé, sans réfléchir simplement en me disant je vis en ville, je veux m’en échapper – on en était à vouloir que le temps se presse et nous emmène vers la fin juillet, après les anniversaires des morts, père tante et autres gens, l’été toujours pour moi quelque chose de brûlant et qu’il faut dépasser – l’été ça a toujours été aussi le travail, parce que dans les années de jeunesse, il fallait gagner de quoi payer au moins le loyer de l’année à venir pour survivre et suivre et continuer les études – on cherchait toujours du travail : du reste il s’en trouvait peut-être facilement, j’avais travaillé chez cet oncle, le frère du marchand de viande (on dit courtier, c’est plus officiel, moins sanguin, moins près du truc), il s’agissait de mettre des pantalons dans des cartons, de fermer les cartons d’y coller des étiquettes et de les descendre dans le camion [21]) le travail, qu’est-ce que c’est sinon engager son corps, s’engager à ce qu’il soit là quand il faut, dispos et frais au besoin puissant, temps et heure – et puis il a fallu se retourner, et prendre en compte un retour sur les lieux [22] et puis c’est au bord de la ville, c’est encore à l’intérieur, et c’est cette ville-là

4 à 7 à 10 à 30 à 37 – Un chapitre en soi(e) : Eux – les gens et le travail, ceux qu’on interroge, avec qui on parle

les gens (disait Léo) (je crois que ce qui est indissociable du travail c’est de vouloir le haïr et se battre contre lui, de refuser de se plier à cette discipline aux heures d’ouverture,d e refuser les avis des chefs, des sous-cherfs et des subalternes, et de rester droit comme s’il s’agissait de sa propre dignité : c’est pourquoi Léo Ferré revient toujours, dans ces discussions, ou dans ces remémorations, il est là parce qu’il l’était alors) les gens (disait-il) il faudrait ne les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit… oui,mais ce n’est pas comme ça que les choses se passent (pas pour moi : je suis un être fondamentalement normal : la nuit est faite pour dormir, le matin pour son calme et la journée pour vaquer, alors j’erre), les gens , comment les arrêter ? Je n’en ai aucune idée et c’est égal, ils sont là, la vieille dame, la serveuse du restaurant, l’architecte en marcel et le médecin asiatique, ils sont là et ils parlent

penser aux autres chapitres : chansons, travail et travaux, institution

22 à 23

les courses de formule un, les blousons bleu profond et l’insigne en jaune d’or, des types surtout, des champions, voilà, des champions
cet attrait pour les apparats, ce sigle qui était peint dans les bleus les côtés des semi-remorques qui convoyaient les pneus d’ici (Moreuil) à là (la zone industrielle où se trouvait le siège), il y avait cette joie peut-être bien de voir que cette marque correspondait à quelque chose, un siège social à Rueil-Malmaison, quelque chose de la Défense peut-être, je ne sais plus – quelque chose allait de ce train-là, de la croyance dans l’évolution et la compréhension des choses et des hommes, le progrès, la joie de vivre et de la gagner, cette vie-là, les choses devaient avancer et s’améliorer (on disait ascenseur tu te souviens) et les comptes qui permettraient, dans trois ans, puis deux, puis bientôt bac en poche (le permis de conduire sur une BSA monocylindre deux cent cinquante centimètre cubes, le kick de démarrage, le bruit, le casque qui ressemblait à celui que portait, sur la photo Salvador Allende), les morts en motocyclettes, le trois cylindre refroidi par air de la cinq cents kawa, les mêmes couleurs sur le réservoir, que celle de la marque, et puis le temps se reprend, on brise, on casse, on détruit

Il y avait au loin cette cheminée, le haut en avait été ouvragé dans les bleus pour le faire disparaître au profit du ciel – on appelle ça du green washing de nos jours

proposition n° 43

il faut que ça tombe le 12 septembre – on s’en fout – au loin, ma mère est morte – tu te souviens de ce jeune Doi(s)nel qui trouve cette explication géniale – demain, dans dix ans il y aura vingt ans – c’est aussi que quand on pense à Doi(s)nel, Antoine on pense à (madame Tabard) Delphine Seyrig, c’est comme ça (sa mère s’appelait Hermine…)

– en se retournant vers l’est, vers les moulins transformés par les banques, entre le périphérique et eux, les voies de chemin de fer, il y a beaucoup de choses qui se sont passées (le train allait, par exemple, à Metz ou à Longwy — haut, bas et la radio qui là-bas, dans ces époques-là -), il y a tant de choses à revoir, il y a le passage du convoi numéro soixante sept (avant hier, je lisais que Marceline avait emprunté le convoi soixante et onze et n’avait pas seize ans), il y a cette domiciliation rue Alibert (le monde est étrange) dans le dixième – Alibert était un médecin qui oeuvrait à l’hôpital Saint-Louis – au 24 se situait une annexe des pompes funèbres municipales jusqu’après guerre où elle fut détruite – il y a le numéro qui lui avait été tatoué, il portait le même prénom que mon autre grand-père, il y a ces choses noires et profondes qui marquent quelque chose mais ce n’est pas le souvenir, non, ce n’est pas non plus la mémoire (ni pardon, ni oubli), il y a ces personnes-là, mes grands-pères, et mon père et sa femme, ma mère, il y a tant de choses qui ne se diront plus – quelque chose de l’intime qui se perdra, qui se perdait déjà hier – « la joie venait toujours après la peine » t’en souvient-il – alors il faudrait aussi supprimer les tirets, sentir comment vont les phrases, et les faire cesser leur manège inutile et creux mais ça ne se fera pas non plus, il y a dans l’air ce doux relent du passé qui flotte, aux portes bruissent les rideaux de plastiques colorés, ces images de l’autre côté de la mer, aussi bien, on attend là, à regarder passer les saisons, le coeur battant et les yeux qui se mouillent (c’est que l’automne et le vent arrivent) faire quelques photos, aider les enfants, écrire quelques mots de plus, ou cesser – il fait beau, il fait doux, passent les jours et passent les semaines disait le poète né à Rome, ni temps passé ni les amours, sous le pont Mirabeau (et Léo qui met ça en musique)

proposition n° 44

il faut maîtriser sa phrase son parler, on ne sait pas s’il faut absolument s’en remettre aux autres pour lire, on est là seul au monde pratiquement, on parle beaucoup des gens, des autres, des mécanismes de construction, des changements et des chantiers un peu partout on construit et on change les attributions, les choses changent les gens passent, ce n’est pas une ville c’est un morceau d’elle qui change un peu comme partout, elles changent, elles muent, mutent et s’alourdissent d’histoires, grandissent et s’étendent – alors il y a aussi des chansons parce que dans ces coins-là de la ville mais de l’esprit aussi on danse et on s’amuse on se rencontre et on s’aime, c’est un peu en dehors du monde mais c’est là, ça veut jouer, il y a du bruit, il peut y avoir pas mal d’images (les images illustrent le propos comme elles sont illustrées par ceux qui y figurent, leurs portraits, leurs mots peut-être, des vieilles gens, d’autres légers et plus jeunes et insouciants puis viendront les enfants et la ritournelle de leurs cris, leurs courses, leurs vies)

la rivière et le pont, la propreté de ce coin de pays qui ressemble à celle de la Suisse, traversée du Luxembourg pimpant et fleuri – grises, les Ardennes aux forêts profondes et noires, les guerres qui s’y déroulèrent, poilus et canonnières – les destructions, les passages du temps – et donc les cimetières boues sangs gueules cassées – et l’enfance dans les années cinquante (ou soixante) : quelque chose qui fait se souvenir, les briques et le ciment collé, les enfants dans la rue qui jouent, et les bruits, beaucoup, ils s’amusent peut-être mais sérieusement, une espèce de géographie de l’affect et des affections, et tout s’y rapporte un peu comme les conservatoires de musique de la rue Duranti ou de Madrid ici et les quartiers qui les accueillent, quelque chose de la bourgeoisie ou de la classe moyenne supérieure – tant la pratique de la musique est un loisir de riches quand on la dit classique – mais de beaucoup les évocations du père, et aussi les murs qui abritent sans doute des jardins fussent-ils d’Eden ou d’ailleurs – une géographie qu’on emprunte au quotidien, suivant les saisons, suivant les jours et les morts beaucoup, Anatole France ou Jean Jaurès, une carte qui s’installe en nous un peu comme les tulles qu’on pose sur les maisons pour nous faire croire au brouillard

il y avait aussi cette évocation sans doute d’un autre pays, il y a de l’anglais partout, de l’américain de l’étazunien, même dans les couleurs, quelque part dans l’immense campagne, cette ville où auraient bien pu se trouver Karl Malden, ou Elia Kazan, cette affaire crue parce que due à une espèce de promiscuité, le père absent ou alors je ne l’ai pas lu – mais je n’ai pas tout lu – un peu de cinéma parce que c’est sans doute ce qui me plaît que j’aime que je connote, mais pas la chanson – j’avance et dans le soleil au loin, la maison, la ferme peut-être, deux jeunes adultes qui s’étreignent et se font l’amour dans une chambre, ils rient et les parois sont de bois, la télévision peut-être est là qui émet quelque chose, la mère boit du gin ou ne boit rien, monte le son mais quelque chose, le racisme est-il purement US ou quoi, deux noires pour une blanche c’est écrit dans le tempo, latinos cubains aztèques, il y a pas mal de monde qu’on connaît à peine, c’est devant qu’on entend de la musique, de l’orgue je crois, une ambiance, une espèce de décalage avec la réalité que je n’aperçois pas, je ne sais pas, je me demande mais je continue – mais je crois me souvenir qu’il y a du sang, des larmes qui ne veulent pas venir, et de la sueur (après ça change) – il y a aussi cette évocation, dans la cabine d’essayage et la peau dans les bleus qu’on voit, entre le gant et la manche



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1ère mise en ligne 9 juin 2018 et dernière modification le 15 septembre 2018.
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[1il aurait fallu avoir une idée de la raison pour laquelle le choix s’est porté sur cette idée-là de la ville (et aussi, peut-être, mettre en question cette idée-là de la ville : l’humanité s’y reproduit, semble-t-il, de plus en plus – en France, plus de quatre habitants sur cinq vivent en ville) (se mettre d’accord sur ce que c’est que la ville, c’est un préalable et c’est pourquoi entre autres on a entrepris ce travail), il aurait fallu savoir la direction qu’il prendrait, ce travail (mais est-ce un travail ?), afin d’enrichir entre deux crochets, comme des uppercuts ou des directs, un texte qui n’aurait pas de phrases, sans point, sans majuscules sinon celle dues au noms propres et aux titres, il aurait fallu savoir comment choisir et sur laquelle des éventualités se pencher, mais on ne le savait pas alors

[2on ne parle pas suffisamment des animaux, mais ça grouille oiseaux insectes reptiles toute une ménagerie

[3et d’autres encore mais eux sont en costumes de ville : le personnel administratif, et celui qui a pour travail – rémunéré pour cela – creusements de tête (ou tempête sous un crâne dit « brainstorming » n’est-ce pas) et études et réunions (dites « briefing ») et dé-réunions et voyages missionnés pour participations à des festivals/concerts/colloques séminaires conférences/consortiums/corporations et voir ce qui se fait ailleurs (ou même ici, mais pour ça, on connaît, merci) , afin de réfléchir aux orientations à donner pour les années futures – chartes graphiques et règlements intérieurs, dispositions publicitaires, budgets et communications, autres vétilles – sans oublier de se retourner un peu (mais on s’en fout complètement) sur ce qui a été fait pour s’en moquer, pour ne pas s’en souvenir parce qu’il faut que les temps changent, il le faut, il faut que les femmes et les hommes changent eux aussi et il faut que l’instrument ainsi que la médecine s’adaptent au malade

[4ceux-là sont ici pour se retourner, flâner, rêver

[5ceux-ci bossent smicards, prolos plutôt noirs de peau, jeunes gens de l’accueil ou autres employés – ils ne sont que peu

[6et sarclent les pelouses, repoussent les plate-bandes, taillent et rasent et désherbent

[7– ceux qui disposent des œuvres d’art au milieu des champs, qui échafaudent des idées de bals, de feux d’artifice, de concerts gratuits, de cinémas en plein air, de cours de tango ou de yoga ayurvédique à ciel ouvert vegan disruptifs déceptifs dystopiques ou autres encore à trouver – on ne s’occupe pas (jamais) suffisamment des humains –

[8des poissons sous la surface lisse qui glissent, des écrevisses qui paissent, le bruit des grenouilles, des animaux d’eau, des moustiques et des mouches et autres volatiles minuscules coccinelles ou phalènes, phalères ou phasmes, se pencher sur l’existence de cette faune-là

[9l’idée même du musée devrait être examinée, celui-ci n’a pas à proprement parler à se définir du mot puisqu’il ne dispose d’aucune collection – mais en ville, on dispose aussi de cet équipement, si on peut dire – on trouve aussi en campagne des espèces dans le même ordre d’idée qui se parent d’un « éco »préfixe surjoué, ou mieux ou pires ou différents sur les plages normandes ces différents réduits où on trouvera de vieux obus, vêtements équipements protections armes et de vieilles machines roulantes ou pas ayant mis en fuite l’ennemi du temps où il fallait se battre pour exister

[10il s’agissait alors de reconvertir (une séance de rattrapage d’un énorme gâchis mais comme les choses vont comme elles vont et que les affaires sont ce qu’elles sont, on parviendrait quand même à financer ici quelque chose de suffisamment grandiose et novateur, quelque chose qui rapporterait en termes d’images et de prestiges, pour une ville comme celle-ci, celle de la lumière et la plus belle du monde, capitale de la patrie des droits de l’homme et de la liberté fraternité égalité : un rang à tenir et des équipements à offrir) un bâtiment composé de quatre blocs, les plans, les appels d’offre, les études préalables, les essais dans la grande halle, un préprogramme nommé Janus

[11je me souviens de lui dans la mairie de Montreuil et de son concert qui ne cessait pas, deux heures, trois heures du matin, on en sortait ébahi et on rentrait à pied par la rue de Paris et la porte toujours tout droit sempre dirito

[12entre un aéroport et un cimetière, ouvert dès deux heures du matin, une ville en lui-même ce marché, le « ventre de Paris » ce genre de souvenir et la soupe à l’oignon, et l’histoire et Philippe Auguste mais plus tard, bien plus tard

[13je ne me souviens pas d’avoir vu ce film titré « Touche pas à la femme blanche » il me semble bien, je ne me souviens pas, mais je me rappelle de la difficulté que j’avais de reconnaître dans ce cinéaste un ami (alors que, la plupart du temps, les films qu’on aime sont le fait d’amis, qu’on le sache, le veuille ou l’accepte) (parfois le temps passé nous aide à les renier – et puis une vision supplémentaire, s’il arrive, nous conforte ou nous change à nouveau, c’est aussi cette velléité de la réception qu’il faudrait regarder considérer interroger) non pour lui, non, mais son air sans doute de quelque chose de l’un des sept nains, je crois, mais la joie, pourtant, à la vision de « La grande bouffe »

[14c’est ce qui a donné lieu au choix de cette partie-là, « dédiée aux activités de l’esprit et aux loisirs » comme s’il s’agissait des deux mêmes choses unies par la proximité du territoire

[15j’avais gardé dans un portefeuille deux de ces billets bleus dont les numéros se suivaient, j’en avais conçu quelque chose,il y avait là une apparence de tri et d’ordre et je me disais que c’était quelque chose sur laquelle il aurait été facile de spéculer, d’aller voir une officine quelque part en ville – du côté de Drouot sûrement, dans le bas de la rue La Fayette, non loin d’où s’étaient établi les Nucingen, ou là où le banquier avait logé installé son amante sa maîtresse sa poule je ne sais plus, elle s’appelait Esther "combien je suis fou d’elle/combien je suis puni" disait la chanson

[16Marne-la-Vallée et Noisy grand champ, cette façon d’intituler les agglomération artificielles, comme on avait donné des noms de fleurs ou de mouvements musicaux aux divers quartiers en constructions, lotissements et autres, un peu comme s’il fallait à tout prix se souvenir de ce que que ça avait été, Noisy-le grand ou le sec ou qu’en sait-on, et donner au lieu cet aspect bucolique, agricole, ancien temps ancien monde, comme ici les prairies

[17attendre qu’ils s’y installent, et qu’elles s’arrêtent un moment, attendre pour s’entretenir avec elles ou eux mais très souvent, sinon presque toujours, c’était non : on ne doit pas attendre, on doit y aller direct franco à fond tout de suite, dès que le temps s’y prête dès que l’occasion se découvre sans y penser, sans réfléchir, se jeter contre cette relation, se fondre, plonger directement sans penser à quoi que ce soit sinon cela : « je travaille pour le parc et j’aimerai que... »

[18il y a un réseau d’îles sur la lagune, il y en a deux là, l’une si proche de l’autre qu’elles se trouvent réunies par un pont, une trentaine de mètres, la deuxième se nomme Mazzorbo, le bateau s’y arrête parfois, ou alors seulement au retour, il s’y trouve un restaurant trattoria nommée « Aux chasseurs » on marche, le vent de la lagune transporte avec lui les effluves des alpes qui sont au bout de l’horizon, l’eau est calme, le soleil se couche, c’est encore plus beau en hiver

[19il y a du soleil c’est l’après-midi, on commence à fatiguer, on a beau être là pour respirer, passer le temps, l’oublier, il y a une tension si les enfants sont là, on les surveille, on tente d’éviter quelque accident, égratignures, pleurs, consolations : il est temps de rentrer

[20Aragon chanté par Ferrat c’était un disque de la maison, dans les ors, la tête du chanteur compositeur dans les noirs, cheveux longs d’après soixante huit probablement, il n’était pas dans cette photo, ça aurait pu pourtant, qu’on croise assez fréquemment dans les cafés qui réunit Brassens Georges Léo Ferré et Jacques Brel quand ils parlèrent de la vie, un jour je ne me souviens plus exactement, c’était dans la télé ou dans le poste et ça avait la qualité de nous les faire haïr un peu : on les aimait un peu aussi les uns et l’autre, surtout le premier, le troisième à l’emporte pièce mais pas anar, non, et Ferré et son île et Pépée – ah Pépée, pourquoi l’avoir tuée ?

[21cela s’était terminé par un déjeuner – je ne me souviens que des profiteroles au chocolat du dessert – dans le passage des Panoramas

[22ce retour inconnu de moi, mais qui s’est dessiné parce que la mémoire s’en est emparé