Charlie Sieffie | Une enfance à la Meinau

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Charlie Sieffie est un pseudo. Née dans les années 50, j’ai beaucoup lu, travaillé et vécu (ordre alphabétique). Je suis assez nouvelle en écriture et je voudrais apprendre.

proposition n° 1

C’est d’abord une route assez étroite et sinueuse qui traverse en longueur la Robertsau au nord de Strasbourg mais qui se sépare en deux grands s dont l’un permet d’atteindre le Château de Pourtalès quelques kilomètres plus loin.

Mais, le plus souvent, lorsqu’elle s’y trouvait, c’est qu’elle avait pris le bus, en était sortie près de la bibliothèque à l’arrêt de l’Église pour marcher environ 700 m jusqu’à la maison de retraite où vivait sa tante et plus tard encore sa belle-mère. Aller voir sa tante était une visite habituelle. Sa belle-mère, cela avait duré moins longtemps. En face de la petite place qui se trouvait entre l’église et la bibliothèque, il y avait un petit salon de thé très sympa avec une accorte patronne que sa vieille tante sollicitait souvent par téléphone et sans ménagement pour qu’elle lui fasse parvenir une pâtisserie ou des chocolats.

Marcher sur cette rue lui faisait ressentir des sentiments mitigés. D’un côté, il était agréable de voir le ciel, de ne pas avoir en face de soi les hautes façades des immeubles du centre-ville, de l’autre, elle ressentait un sentiment de solitude en n’y rencontrant que peu de personnes, la plupart du temps des dames qui s’étaient échappées un court moment de leur domicile médicalisé. Lorsqu’on avait dépassé la bibliothèque, la route devenait encore plus sinueuse et plus étroite (le s de droite). Parfois un tracteur passait, ralentissant les autres voitures. Il y avait alors moins de maisons, mais plus de surfaces de gazons et les premiers immeubles du complexe hospitalier se présentaient. Sa tante vivait dans le troisième de ses immeubles.

Extérieurement, ils ressemblaient à des blocs d’appartements, mais étaient moins hauts que ceux de cités HLM. Sa tante y avait une sorte de studio, sans cuisine, et les repas étaient servis en une pièce commune ou chez elle. Elle avait réussi à garder l’esprit de son ancien logement en ayant pu apporter ses meubles. Elle avait aussi gardé son esprit acéré et parfois peu amène qui lui permettait d’être connue dans tout le quartier. Elle commentait les nouvelles de la télé et ses remarques étaient de celles que l’on prenait soin d’écouter car elle était aussi intelligente et fine observatrice.

proposition n° 2

Le 21, rue de la Nuée Bleue. Il y avait une toute petite rue à côté du pâté de maisons, qui débouchait sur une autre où se trouvait l’entrée de la prison. Sous le grand porche des Dernières Nouvelles, chaque page du journal était mise en vitrine chaque jour. Un planton gardait l’entrée du commissariat à côté. La rue était très active, avec de nombreuses voitures. Un cabinet de dentistes : c’est à côté de la pharmacie, en face du vieux commissariat, un bâtiment délabré et inoccupé maintenant. La partie en mosaïque de la rue de la Nuée Bleue. Ce sol en mosaïque est la partie surélevée de la place où se trouve aussi l’église protestante Saint Pierre le Jeune. La place est difficile à décrire, sa forme difficile à comprendre. Ce qui frappe c’est son dénivelé. Ses courbes aussi : toute en rondeur vue du trottoir en mosaïque. Elle sert tristement de parking dans sa partie basse et est surplombée sur la gauche d’un mur de pierre, d’une circonférence presque semi-circulaire, et découpé en dentelle. De grands arbres empêchent qu’on la voie bien à partir de la rue. La mosaïque est enchanteresse : de minuscules petites dalles d’un gris bleuté avec d’autres plus claires formant des étoiles blanches à six pointes et au cœur plus sombre.

proposition n° 3

Derrière, les lointains terrains vagues de la Meinau dans les années 60. Terrains, jeux, chemin. Le coin de l’immeuble et le trottoir opposé à celui de la tour. Sur la gauche, un cadre pour une fontaine sans jamais d’eau. Des aires de gazon.

Et puis, le sol cabossé. En vélo, c’est amusant. Après, attention, il y a une route à traverser. Les voitures peuvent venir de la gauche mais aussi de la droite après avoir tourné le long de la courbe. De l’autre côté de la voie, un grillage et des buissons, et quoi au-delà ?

proposition n° 4

Lorsque l’on voit la cathédrale au loin au-delà des verts paysages ondulés de la plaine. Entre les ondulations grises des monts de la Forêt-Noire en Allemagne et derrière soi celles des Vosges qu’on ne voit plus. Parfois, on les confond avec des nuages qui planeraient bas. Les premières petites municipalités accolées à Strasbourg, on les passe, les fils électriques augmentent, il y a plus de bâtiments qui défilent. Puis le train commence à ralentir. Les voyageurs qui ne sont pas habitués commencent à se presser, fermer leurs sacs, certains se lèvent déjà pour s’approcher de la porte. Alors que nous savons que cela va encore durer près de 10 minutes. Le train ralentira encore, avancera presque à la lenteur de la marche. Sur la gauche, les petits jardins potagers, quelques champs encore, et des quartiers résidentiels, un, non, des magasins de vente d’automobiles. C’est Vendenheim, puis Souffelweyersheim. Sur la gauche la route. Et on est dans la gare, toute en longueur. Sur la droite, les bâtiments, leurs façades aux multiples petites fenêtres sombres. Ils doivent souffrir du bruit du passage des trains, là-dedans. Les voies de rails se multiplient, les fils électriques en hauteur aussi. On commence à voir les premiers quais. Mais, non, ce n’est pas encore la peine de se lever. D’ailleurs, c’est un TER, c’est le terminus. Il repartira dans l’autre sens. On imagine la traversée de la gare, la sortie dans le quartier, puis la marche ou le tram.

Mais lorsqu’on revient de Montréal, dans l’avion, on pense à une ville de carte postale, les petits ponts sur l’Ill, ceux que l’on voit à droite et à gauche lorsqu’on marche sur l’un d’eux, celui où un ami s’était fait casser la figure juste après avoir vu l’Orange Mécanique, la haute et délicate cathédrale de grès rose et on imagine la vie des gens, la foule sur le parvis à l’époque où c’était un lieu vivant, avec des marchés, des voleurs, des artisans et quand les gens savaient qu’elle leur appartenait, que c’était eux qui l’avaient construite. On pense aussi aux boulangeries, pâtisseries, boucheries, fromageries, tous ces lieux de bouche qui sont aussi nombreux là que les banques et les églises le sont au Québec.

proposition n° 5

Au croisement, un conducteur klaxonne une camionnette qui s’était avancée trop vite. En sort un grand homme immédiatement agressif. Armé de sa batte de base-ball, il agite le poing et continue à crier après l’automobiliste qui s’éloigne vite. Un homme était perdu. On lui dit : — sur l’avenue de la Forêt-Noire. Il essaye de répéter : — froret noire ? On lui montre l’église Saint Maurice. Il a commandé son coca, son chausson aux pommes. Il a commencé à manger le chausson avant qu’elle n’arrive. Pendant qu’elle prenait son café au lait et son petit pain, il buvait son coca à la cannette. Leur ton paraissait soucieux. Sa présence voutée effaçait celle de la jolie jeune femme. Et les corneilles, ou les corbeaux, qui lorsqu’il n’y a pas trop de monde, rivalisent d’ingéniosité pour se dépêtrer avec les sacs que les gens laissent dans les poubelles après leur casse-croûte. La marchande de légumes, sur une estrade, les yeux baissés vers ses étals possède l’équilibre nécessaire à sa fonction. Elle tourne souvent sur elle-même, les bras avancés pour saisir fruits, légumes ou sachets, se penchant parfois pour atteindre des fruits placés plus loin de sa base ou pour rendre la monnaie à un client. Les arbres du Jardin de l’Université avaient leurs troncs couverts, à partir d’environ trente centimètres de hauteur au-dessus du sol, d’une couche verte.

proposition n° 6

Robodine (elle aime à imaginer un robot possédant des émanations d’auteurs qui l’aiderait à écrire) :
— Nous avons été comme des tombes. Et aujourd’hui que j’essaie de retrouver ces noms, ils ne viennent pas. J’aimerais les prononcer dans ta direction, pour que tu leur parles avec affection si tu les rencontres, mais les noms se sont évanouis.
Marie Tournelle, quelqu’un ici croyait que c’était elle que chantait Tino Rossi. Cet homme qui semblait être son père mort, elle lui a tourné autour, elle l’a inquiété, elle s’est excusée.

Chtrôssbouri, prononcé à l’alsacienne, la ville au dialecte, au français et à celle des touristes. Les cheuns disent Strass. Ce sont aussi les clubs d’échecs, Schach Club, prononcé chôr cloub. Et le gestionnaire Zugzwang des ressources inhumaines. Et la rue des Veaux, nom diminué de celui du maire de la période de l’occupation, Herr Kalb, en celui d’animaux domestiques.

Robodine :
— OUBLIE TES SANGLOTS ÉTRANGES !

Marcher sans s’arrêter, passer par la ruelle entre le magasin à clefs et le Prissunik, MarksendDead pour déboucher sur la place à collerets, où se disputent de vieilles dames et voir l’homme éternel qui depuis 60 ans au moins vend des vieilles BD posées sur le sol et la place change tout le temps, parfois des fontaines, toujours une statue au milieu quand même. Une maison qui n’est plus rouge. Et on n’ira pas vers la droite car la place suivante va vous enferrer entre les voies croisées des rails et sous son dôme qui vole le soleil et le ciel, alors on fait gauche, et droite, mais c’est toujours ces grandes maisons qui vous enlèvent le ciel mais au moins les visages sont inconnus. Et on change d’idée, on transverse vers la grande rue vivante, avec des vivants plus vrais, moins policés, moins vacanciers, moins habillés.

proposition n° 7

Rue de la Nuée Bleue, bien haut au-dessus de la mosaïque aux étoiles, au 21, il y avait un appartement, propriété des Dernières Nouvelles et récupéré par eux plus tard. Il n’y avait qu’un appartement, au dernier étage et tout l’immeuble appartenait au journal.

L’entrée était large, les marches de bois aussi. Dans le hall de l’escalier, l’odeur était de bois et d’espace vide. Toujours de l’excitation en montant vers la porte qui allait s’ouvrir avec gracilité, vacillant alors qu’elle pivoterait avec un grincement aigrelet. Une présence frêle vous accueillerait et vous vous trouveriez dans un couloir, large lui aussi, étonnamment perpendiculaire à la direction d’où vous veniez. À votre gauche, enfin derrière, et juste en face de l’entrée, trois pièces dont vous ne vous rappeliez pas ce qu’elles étaient vraiment. L’une devait être sa chambre, l’autre était habitée par un locataire, un étudiant, et vous-même y aviez habité dans votre toute petite enfance, dix ou douze ans auparavant. Vous posiez toutes vos affaires sur un meuble, une commode et vous vous approchiez de la salle à manger qui vous fascinait tant. Pour son candélabre du début du siècle, aux dizaines de délicates breloques mauve et vert sombre, dont jaillissaient des perles de cliquetis au moindre courant d’air, pour ses photographies, elles aussi sous verre, où vous admiriez sa chevelure noire incroyablement longue et les immenses chapeaux qu’elles pouvaient porter alors, les photos de ses frères et père un peu dandys, de son imposante mère au double collier de perles mais au franc sourire, pour les carafes terminées par des verseurs d’argent un peu sombre, les cuillères ouvragées en argent — cela donnait un drôle de goût à ce que l’on mangeait —, pour les conversations qui portaient parfois sur avant la fuite en Dordogne, et même sur avant ça, à l’époque des grands chapeaux, des soirées, des grands hôtels. Lorsqu’ils ignoraient ... Ils s’étaient heureusement méfiés des consignes et avaient survécu. Vous tentiez de la faire raconter. Elle marchait beaucoup, dans et hors de l’appartement vétuste aux cadres silencieux.

proposition n° 8

Au dernier étage à la Meinau, votre bloc une falaise blanche visant Strasbourg au loin, vous ne voyez presque plus la pointe de la cathédrale. Il pleut, il vente. Les rafales s’abattent l’une, l’autre, elles vous secouent, le ciel devient sombre, vous vous trouvez dans un sous-marin — à 20 m de hauteur, et alors ? —. L’œil-de-bœuf est votre périscope. Vous pensez à cette autre fillette qui vécut enfermée toutes ses dernières années.

Plus âgée, la pluie, rien ne vous empêche de sortir. Strasbourg est sombre sous la pluie ? Vous écoutez les petits sons inhabituels. L’eau qui s’affole en se déversant dans le caniveau. Les images varient, les yeux baissés : des cercles dansent dans les flaques quand la pluie tambourine.

L’autre jour, sous une pluie battante, il était difficile de lever les yeux, et pourtant cette image à la Norman Rockwell ! Un homme se tenait debout en haut des sept ou huit marches menant au perron d’un immeuble paroissial. Il tournait le dos à la porte, et malgré la pluie, lisait les pages d’un journal tenu à bout de bras. Un peu trapu, un peu comme moi. Habillé chaudement, il portait un couvre-chef, un chapeau de pluie d’homme. J’aurais voulu le peindre.

proposition n° 9

Il parait que chaque ville a un son. La nuit, à Strasbourg, vous n’entendez pas les chasse-neiges qui travaillent les nuits d’hiver à Montréal. Mais, comme dans toute autre ville, s’il n’y a pas de neige, la nuit, et si vous êtes attentif, vous percevez d’abord une vibration que vous ne pouvez même pas nommer, avant de comprendre que c’est une voiture qui va arriver au niveau de votre immeuble, et c’est encore amplifié s’il a plu
Maintenant, ici, déjà, il y a notre accent, au moins celui d’une partie de la population, des anciens, ou encore de ceux qui travaillent dans certaines branches de métiers. Les garagistes, par exemple, parlent souvent l’alsacien : plus pratique avec les clients. Leur parler français s’en ressent.

J’ai entendu quelque part que le français de l’Alsace n’était pas de bonne qualité. Permettez-moi de me gausser !

Les modulations d’une phrase énoncée par un alsacien sont variées et riches et non plates avec la sempiternelle remontée du ton en fin de phrase, si « française de l’intérieur ».

On peut en faire des choses en s’amusant un peu de son accent.

J’ai connu quelqu’un qui, en rêve, a vu une scène impliquant le Général de Gaulle affublé de l’accent alsacien. Le Général rabrouait des officiers qui n’avaient pas suivi ses ordres. Il leur dit alors :
— Attention ! Si vous n’allez pas droit, vous irez à l’envers.

Vous entendez ce que cela donne avec l’accent d’ici ?

proposition n° 10
1

La femme, et encore plus la femme urbaine, que ce soit celle d’Argentoratum, ou de Strasbourg n’a plus les sens aussi développés que celles du passé ou celles qui vivent aujourd’hui à l’air libre.

Je me rends compte que le sens qui pour moi est le plus difficile à évoquer est celui du toucher. C’est surtout vrai, s’il s’agit des extérieurs. Au vingt-et-unième siècle, nos précautions hygiéniques font que nous tentons de toucher le moins de choses possibles une fois sortis de chez nous. C’est peut-être moins vrai à la campagne, où, je suppose, on sera plus souvent tenté d’effleurer la feuille d’une plante qui nous aura séduits. Mais allons-nous toucher les briques de ce mur qui vous a attiré pour le charme désuet de la disposition de ses pierres et des motifs peints ? J’en doute, mais je crois que c’est parce que je ne suis pas une artiste plasticienne.

À l’intérieur peut-être. Je cherche dans mes souvenirs, et ne trouve pas grande sensation tactile liée à la ville. Liée aux personnes chéries, oui, aux animaux, oui. Mais aux murs ? aux escaliers ? aux étoffes ? Nous n’avons plus de draperies sur les murs. Un sol rugueux ? Mais nous ne passons plus grand temps à terre, et les souvenirs de la petite enfance ne sont pas récupérables.

Ce que le toucher évoque pour moi à l’âge adulte est la correspondance que je perçois avec certaines sonorités de la langue, les mots en brr…, je m’imagine caresser la toison un peu rêche d’un mouton, et je crois que dans certaines langues, le nom de cet animal est en brr... Divagation de prof de langues. Ce n’est pas lié à la ville, que diantre !
La carte de transports en commun est à la fois un peu épaisse et sa surface lisse, elle ne glisse pas puisque vos doigts adhèrent, et qu’ils sentent la découpe, le dénivelé derrière lequel apparaît votre photo.

Ce que vos pieds sentent lorsqu’ils se trouvent sur ces zones de trottoirs aux nombreuses petites bosses signifiantes pour les personnes mal-voyantes. Ce ne peut-être du braille, mais cela doit signifier une direction à prendre.

Je suppose que la femme des villes a perdu une partie de ses sens.

Si, je me souviens de la sensation tactile de la plaque de marbre sur laquelle ma grand-mère confectionnait du caramel. Il paraissait que c’était meilleur comme cela.

Ah, de l’enfance à la Meinau, une autre sensation tactile celle des genoux écorchés quand je tombais et les petits cailloux mélangés à la terre que j’essayais d’enlever de la plaie avant de rentrer.

2

Je suis en train de faire un grand huit. J’y reviens tout—à—l’heure, patience, parce que je viens de me souvenir aussi du papier alu, et de son impression sur les doigts quand il était fripé, mais aussi du goûter du coup, des morceaux de saucisson qu’elle — mon aïeule—nous apportait en cachette (on était encore végétariens à la maison, ou pauvres, ou un peu des deux). Ce n’était pas kasher non plus, mais elle n’était pas « fromm ». Et l’alu, comme les papiers alu qui entouraient les bonbons, nous les lissions de l’ongle pour les rendre tout à fait repassés. Nous nous racontions qu’ils étaient des feuilles d’or, un trésor précieux, ou d’argent encore.

Le toucher m’a fait dévier vers le goût et dans les années 60, on a subitement eu une manne de goûts nouveaux qui sont arrivés : les raviolis, le saumon fumé, les crevettes et le vacherin glacé à Noël et les aspics ou la purée de pomme de terre (en flocons dans un sachet). Est-ce du fait de cette manne ? Nous n’avons plus été végétariens et nous avons mangé du poulet en pensant que nous étions assis sur les branches d’un arbre comme dans la série Robin des Bois — une télé gagnée dans un tournoi. Dans le centre, au Glacier, ma première expérience de trois boules de glace dans une jolie coupe avec l’immense cathédrale à la sortie ! Cela devait être plus tôt encore, en 60 ou 61.

3

Le grand-huit, oui. Au Nord de la ville, le cimetière et les maisons de retraite, dans le centre, l’origine, la vieille ville, les lares, dans le sud de la ville, la Meinau, l’enfance et des allers-retours au fil des années, dans l’intervalle des retours de l’étranger ou des autres contrées de France.

Le passage de la Meinau vers le centre-ville était annoncé, que vous soyez en bus, à bicyclette ou à pied par la forte odeur de chocolat de l’usine S…d, trop forte pour qu’elle vous mette l’eau à la bouche.

Là encore, j’ai l’impression d’avoir perdu la plupart des sensations olfactives. Est-ce parce que la ville est si polluée ? Strasbourg située sur un fleuve exploité par tant d’usines chimiques n’émet pas de douces effluves, susceptibles de vous donner l’impression d’être bénies des dieux. Ce sont plutôt des odeurs-alertes : alerte ! Restez chez vous si vous êtes souffrantes, affaiblies, vielles, malades. Alerte à la pollution !

Cela n’a probablement pas toujours été ainsi, mais les parfums agréables ne sont pas particulièrement liés à Strasbourg dans mes souvenirs. Certes, il y a les odeurs des magasins de bouche et des riches plats alsaciens tant prisés par les touristes, et ce qu’on appelle les capiteuses senteurs de certains vins ou certains parfums. Je ne prise pas. L’humaine urbaine hume dans Strasbourg les interactions humaines et animales, les traces de leur passé et les signes de leur futur.

proposition n° 11

L’électricien est là, il apparaît de temps en temps dans la partie haute du local. Il faut quelques marches pour y accéder. La patronne, sympathique, discrète, un accent slave, tente de ne pas trop se déplacer mais est souvent appelée pour débourrer une machine du papier pris dans les engrenages ou pour aider, à l’étage, ceux qui sont sur internet.
Le local se situe à un coin de rue. Un local en trois parties principales, quatre si l’on compte les étagères sur le mur où sont empilées des feuilles de diverses couleurs et épaisseurs et des fournitures diverses. D’abord, du côté des grandes vitrines, six photocopieuses entourant une grande table, puis au centre et légèrement à gauche de l’entrée le comptoir de la patronne avec sa caisse et sa chaise et enfin à l’étage (au demi-étage) quatre ordinateurs et d’autres machines mystérieuses. Un appareil sert à relier les pages de mémoires ou de thèses. On ne le voit pas d’en bas, mais il y a encore une porte dans le fond de la partie à l’étage d’où l’on voit l’électricien sortir de temps en temps. La lumière vient en partie de l’extérieur mais des néons illuminent aussi la pièce. Lorsque plusieurs photocopieuses fonctionnent, la chaleur est forte. Peu de paroles, mais pas mal de bruit à cause des machines.

Une cliente a étalé une quantité de feuilles et de dossiers sur la table centrale. Elle imprime en assez grand nombre — une trentaine de copies à la fois — des feuilles qu’elle classe dans ces dossiers cartonnés. Lorsqu’une personne a terminé, la patronne vérifie sur des petits compteurs le nombre de copies, donne parfois une explication. Petit échange courtois et le client ou la cliente, heureux.se et lesté.e, s’échappe à l’air libre.

proposition n° 12

Les cafets de tournois d’échecs internationaux se ressemblent qu’elles se trouvent à Philadelphie, Delhi, Genève, Malte, Strasbourg, Québec ou Baden-Baden. On y parle la langue universelle des afficionados et celles de ceux qui n’y connaissent rien mais sont fascinés par l’aura du jeu. S’y retrouvent ceux qui ont déjà débuté leurs parties dans les salles de tournoi attenantes mais veulent faire quelques pas ou se chercher une boisson, les kibitzs, et les amateurs qui profitent de quelques jeux laissés sur des tables pour faire des parties amicales dans la proximité des parties de compétition et des maîtres et grand-maitres avant d’aller observer leurs parties, les touristes entrés là par hasard à cause de la beauté du lieu ou simplement en suivant par curiosité ceux qui entraient dans le bâtiment, les enfants qui jouaient pas loin à l’extérieur et veulent voir s’ils peuvent jouer aussi ou peut-être piquer une friandise au stand de café, tartes, viennoiseries et autres gourmandises. Les plafonds sont hauts car les bâtiments susceptibles d’accueillir ces manifestations sont souvent centenaires. Beaucoup de joueurs se connaissent depuis des décennies et pour certains ne se rencontrent qu’une ou deux fois par an, dans un coin ou un autre de la planète. C’est la salle de déambulation où ils peuvent échanger quelques mots à voix feutrée ; ils sortent parfois de l’immeuble pour s’en dire un peu plus. Les enfants joueurs de compétition sont nombreux. Les adultes marchent, s’arrêtent, regardent autour d’eux, s’assoient, attendent, achètent alors que les plus jeunes ont un pas plus vif ou courent même. Dans ces mêmes halls et salles, l’ambiance est toute autre lorsqu’ils abritent une rencontre et exposition bouddhistes ou des animations liées à l’environnement.

proposition n° 13

Les sages allées du Jardin de l’Université surplombent de presque un mètre le petit croisillon qui relie la rue Goethe à la rue de l’Université. L’hiver, avant d’y pénétrer, le passant les trouve sombres et intimidantes mais une fois arrivé, il s’y sent plus proche du soleil levant.

Les allées centenaires du Jardin sont sereines quand les promeneurs de chien et les étudiants ou travailleurs sont rares. Des déchets épars autour des petites poubelles témoignent du travail zélé des corneilles encore plus matinales.

Trois arbres tutélaires témoignent du grand âge des allées du Jardin où une population humaine et animale se sustente, se soulage et serpente de l’aube à la nuit, sous les frimas de pluie, la fraicheur de la neige, le ravissement des bourgeons et les glorieux feuillages.

Du haut des branchages, les allées du Jardin paraissent plus souvent vides que peuplées, lorsque le soleil ne les éclaire pas et que frémissent les années passées où s’abîment celles à venir.

Du pied du grand orme au centre du Jardin se déroule la perspective du fantôme qui voudrait suivre les allées et venues de ses descendants et parfois de leurs compagnons canins. Plus tôt, les corneilles et les corbeaux industrieux tentent rapidement de se nourrir.

proposition n° 14

Alors qu’elle arpente vivement les allées du Jardin qu’elle parcourt plusieurs fois, l’air sérieux et absorbé, légèrement courbée sous son sac à dos, elle semble être le Joueur de flûte de Hamelin, vieilli peut-être, mais à la même allure rapide qu’il devait avoir prise en quittant le village, frustré d’avoir été grugé de son juste salaire. Ce n’est pas elle qu’observent les deux employés, assis sur les marches derrière l’orme. Nul ne pourrait dire qu’ils sont ici « incognito » puisque leur uniforme de travail est mis en valeur par une veste d’un jaune criard. Néanmoins, ils sont à l’ombre et leurs visages ne sont pas bien visibles. Les promeneurs de chien savent bien que leur comportement est contrôlé : ramassent-ils bien les déjections de leurs chiens ? Les tiennent-ils bien en laisse ? Il est un monsieur qui ne se préoccupe pas beaucoup d’eux. Aujourd’hui, il est assis sur un banc et laisse vagabonder son chien. La tête basse, il protège peut-être ses yeux du soleil ou bien il a des soucis. D’un naturel exquis, il adresse d’ordinaire facilement la parole aux passants et passantes et se raconte un peu. Son seul défaut est de ne pas se souvenir de ces conversations et de les reprendre à l’identique d’un jour à l’autre. D’autres échanges se déroulent quotidiennement entre trois ou quatre accompagnatrices de leurs chiens qui aiment à passer ici une partie de leurs matinées. D’allure encore jeune, la voix sonore, elles discutent avec animation, guettant le moment où elles pourront détacher leurs chiens pour les laisser vivre un peu. Celle-ci ne peut prendre part à la conversation. Elle essaie de faire se relever son chien qui, alourdi par les années, aime surtout trouver une surface fraiche pour s’y coucher et ne plus bouger, heureux de profiter de la vie autour de lui. Les cheveux courts, le visage magnanime, elle est patiente et consciente du grand âge de son compagnon et aimerait bien qu’il fasse un peu d’exercice mais que peut-elle y faire ? Bientôt, elle ne pourra plus l’emmener : il est bien trop lourd pour qu’elle le porte. Les enfants qui jouent là sont souvent intéressés par les chiens. Surtout les petits, surtout lorsque les chiens sont petits. Mais les petits chiens et leurs maitres les craignent. Tel un Gargantua miniature, ce bambin prend son élan pour se jeter sur le petit chien noir qu’il a vu arriver en face de lui. La mine réjouie, il avance ses quenottes et se trouve fort marri lorsque la vilaine dame au bout de la laisse l’empêche d’aller plus avant. Les étudiants, légitimes utilisateurs de ces prés, bancs et marches universitaires, tolèrent les comiques préoccupations canines de leurs aînés. Du carré d’herbe où ils sont assis, les deux jeunes filles et le jeune homme, parés de beauté, d’une guitare, de quelques balles à jongler et de cheveux ondoyants adressent un sourire indulgent à la génération péripatéticienne.

proposition n° 15

Toute habillée de noir, un pantalon, un pull, une veste. Pas grosse, voûtée, comme légèrement pliée. De longs cheveux fournis, bouclés mais pas soignés autour d’un visage marqué de beaucoup de temps dehors, de rougissures.

Ça t’intéresse, ce que j’ai fait ? Jolie petite gueule, va ! Même pas abimée. Une gueule de bourge. Alors, écoute et tais-toi. Je te parle à toi, t’es gentille. Parce qu’il y en a des salauds, de partout et ils ont des oreilles partout. Et je ne parle pas des. Bon, bon, tu es juive, toi ? Ha ha ! Partout, je te dis ! C’est ton mari qu’est ? Non ? Moi, mon père c’était un gitan et ma mère aussi. Et ils sont pas restés ensemble. Mon père est parti en prison d’abord, puis après on l’a perdu. Il doit être mort. Ma mère, j’en parle pas, si je la voyais, je crois que ! En tout cas. Moi, j’ai une caravane, là-bas, au Port du Rhin, mais ça craint, fait froid. Alors des fois, je m’arrange pour passer quelques semaines à Stephansfeld, à l’asile. Comme l’autre fois qu’on m’a piqué mon vélo. Des salauds, j’te dis. Le problème, là-bas, le vin est rationné. Autrement, c’est pas mal. Non, j’ai pas peur d’y rester coincée parce que quand on demande soi-même, on peut ressortir. T’es sûre que tu veux pas que je t’apporte des trucs ? Je te sonne. J’sais où tu habites. Je viens te voir. Des surgelés, une belle cuisse de dinde ! T’es sûre ? Bon, tant pis. T’as pas des cigarettes ? Donne-moi un peu d’argent et je m’en vais. Merci. Salut. J’viendrai te voir !

proposition n° 16

Les deux autres, là, font la manche. Moi je supporte pas. Faire des risettes. Je demande, oui, des fois, mais à ceux que je veux. Pas à n’importe qui. Faut quand même que j’les voyes. Peuvent me dire où. Ouais, à l’ombre, pas mal, c’est la pause. Ha ha ! Le reste du temps, Mau, il est de l’autre côté du coin, devant la banque et il attend et fait des risettes et les gens lui donnent. Moi, ils me donnent pas, pas assez aimable, qu’ils me trouvent. Je les emmerde. J’fais pas la manche. J’m’abaisse pas. Je rends des services, à ceux que je veux. Des fois, elle sort du tram. Elle est youpine. S’habille pas pareil, fait ses courses le samedi. Peut-être l’est pas, vue sortir de l’Aubette, et de la banque là-bas vers la Robertsau. Bourge. Pas d’argent ici, mais pas besoin, ça marche autrement, les combines, les trucs, les échanges. Le parc, qu’est-ce que j’irai y faire ? Des étudiants, des nanas avec leur chien, qu’ont pas d’argent sur eux. Moi, j’ai pas le temps, je vais vite, là où j’ai à faire. Même l’autre jour, dû aller à l’Amsed, pas pour moi, moi on m’emmerde plus avec des lettres, mais c’est l’autre là, j’lui ai montré où c’était pour la CMU, ils font les dossiers là-bas, ils écrivent pour vous. L’autre, j’l’ai vue sortir de là l’autre jour. L’arrêt de tram de la gare, j’aime bien. Ce tram, il va jusqu’à la Victoire et là qu’y avait le tribunal. À la gare, c’est le terminus, on peut s’asseoir seul, il reste plus longtemps, et des fois on voit même pas de conducteur, parce qui changent. Il y a aussi l’abri dehors, ça dépend de l’heure. C’est tranquille, pas comme dans la gare avec ceux qui courent, les pauvres, les agents de la SNCF, les flics, les militaires, les chouraveurs, les mômes et les profs — sont pas là la nuit. J’ai pas peur de me faire piquer mes affaires. Eux, ils ont peur de moi ! Mais dans le tram, quand y a personne, c’est plus tranquille, si j’ai pas mon vélo, ou que j’suis trop fatiguée pour faire du vélo.

proposition n° 17

En sortant du cabinet du cardiologue, elle a aperçu à travers la vitre qui permettait de voir la cour intérieure à partir du hall de l’immeuble une jeune cigogne qui se tenait là. Celle-ci n’a pas été effrayée par sa présence, ni par celle d’un couple plus âgé qui est arrivé, sortant d’un ascenseur. Sans doute, ne savait-elle pas comment en ressortir ; il n’y avait pas assez d’espace pour qu’elle puisse s’envoler en planant. Elle a appelé la secrétaire du médecin et lui a suggéré de contacter les responsables du zoo de l’Orangerie. Le lendemain, ils sont venus la chercher. L’oiseau, la cigogne, était tombé dans un puits de lumière. Ce n’était pas un puits de lumière pour lui, mais pour ceux qui habitaient derrière les murs qui formaient ce puits. Il n’avait pas vu qu’il ne pourrait pas remonter. Sans expérience, il était tombé dans un piège de la ville.

La seule chose dont elle se soit plaint jusqu’ici était que les murs lui obstruaient la vue, pas la vie, ne pas confondre. Mais les obstacles ne sont peut-être que des interférences comme dans la fin de partie montrée par Kasparov. Il faut dire que le coup d’interférence montré par Kasparov est un coup gagnant qui fait donc perdre l’adversaire. Pourrait-elle dire que cette obstruction de sa vue est un coup perdant pour elle ? Elle ne le croit pas car elle a simplement fonctionné différemment. Ne conduisant pas, elle a fait de la ville son territoire de découverte.

La ville est un univers modelé que les humains utilisent. Ce n’est pas elle qui leur pose obstacle, elle n’est qu’un terrain de jeu. Pour survivre, il faut être prêt à quitter une parcelle de terrain et à explorer d’autres contrées. Elle pensait à cette phrase de James Joyce :

« Je sais que ce n’est qu’un jeu mais c’en est un et j’ai appris à le jouer à ma manière. Les enfants font aussi bien de jouer. L’ogre viendra en tout cas. »

proposition n° 18

Et on change d’idée, on transverse vers la grande rue vivante, avec des vivants plus vrais, moins policés, moins vacanciers, moins habillés. Et on se grandit vers la Trans-Rue où ils vivent plus et s’habillent moins. Et on change d’idée vers la Grand-Rue et elles rient d’être moins policées et pliées. On se verse tout entière vers les vivants plus vrais, vers la grande rue vivante et les dépolies et les déviées. Et dépolis et déviés les vrais habits pour vivre grande dans la rue. Où l’on se verse à travers les flots de la rue et l’on vit avec les moins et plus, vrais et policés et dépliés. Déviation vérisimilaire de la vie dans la rue, là avec les vrais vivants dépliés. On se transgresse dans la rue grande de vrais vivants moins habillés. La rue divergente où transitent les vie-rêveurs. Variante de vie divergée versée dans la rue avec des moins habillés, moins policés, moins vacanciers. Et on s’y verse, on s’y transverse, vers elle, rue de transit des divergents. Vrue, variante vraie de rue et grande de vivants verts de rêves. Et on danse d’idées dans les vertes vallées de la rue avec des vie-rêveurs dépolis et elles rient.

proposition n° 19

Alors, on dirait que tu es un bateau, que tu te détaches de ton lit de gravier pour parcourir les mers du monde. On dirait que tu vas présenter tes flancs, falaises blanches des quartiers et ta proue de grès rose aux divers ports que tu visiteras à ton gré. À Dublin, de ta cloche, tu alerteras Eveline qui se figera et son marin amoureux l’appellera en vain. Tu le suivras, ce marin éploré, jusqu’à Buenos Aires où tu côtoieras le Nordstjärnan, provenant de Malmö. En débarquera un matelot dont Emma Zunz fera usage pour venger son père. Tu suivras alors le trajet d’un autre cavalier marin en route pour Rio de Janeiro, à bord duquel le champion M. B. jouera sa dernière partie contre un adversaire humain. Pensive, tu remonteras vers Montréal aux grands cieux et seras silencieuse de ta lourde histoire. Ta proue majestueuse sera bien petite devant l’étendue quadrillée de la jeune ville.

proposition n° 20

En ce lieu, la vitesse folle de tous les visages du monde. L’enceinte des mémoires trop anciennes pour des parchemins, pour les pierres des constructions préhistoriques. L’ADN, traces des croisements de cultures. Limon parsemé de minuscules fragments de bris de coquillages et d’os. Infiltrations liquides et courants d’air épisodiques. Frémissement des pas pressés de blattes ou de rats. Subtil changement quand mugit une sirène au dehors. Chuintement lointain sur l’asphalte. Sol nu et humide. Murs de pierres inégales, grandes, ouverture barrée de métal et habitée de toiles d’araignées, plafond profond, marches s’élevant vers une porte dans le renfoncement de parois épaisses.

proposition n° 21

Vu du camp noir à travers les transparences e4, d5, c5, g4, c3, f6, g1 et demi-b5 d’un échiquier. En e4, à cinq mètres de distance, dans un coin de la pièce attenante, une poupée de mariée au voile de dentelle désuet, posée sur un baffle de chaîne hi-fi à la façade antérieure gris-noir. En arrière-plan, un papier peint jaunâtre, tirant sur le gris à cause de l’ombre, mais une raie verticale de papier peint illuminé par le soleil à l’extrémité droite de la case. La poupée n’est pas seule sur l’enceinte : derrière elle, un rameau brun de chatons blancs et gris, ils sont treize, accumulant la poussière et un chaton — une peluche cette fois — semble s’appuyer sur ce rameau. Des feuilles de papier aux teintes blanches, roses et rouges sont coincées à la verticale entre l’enceinte audio et une partie de l’appareil de diffusion et d’enregistrement de sons : il est à la fois lecteur de CDs, lecteur et graveur de cassettes audio et radio. Une petite peluche canine, blanche et noire, y trône. En d5, trois barreaux horizontaux de chaise de bois de pin clair à entre les barres verticales du cadre et l’ombre légèrement en diagonale, faisant un angle de cinq degrés environ avec la verticale de la chaise, ombre grise sur le papier peint jaunâtre illuminé par le soleil, dos de tête de chat gris vivant, un peu plus en avant, plus proche de la transparence, et au niveau de la chaise, sur la droite les couleurs bleues et blanches des motifs d’un drap posé sur l’accoudoir et le dossier d’un sofa, drap non repassé, plissé, bien tenu pourtant. Plus proche encore le cadre noir à la bordure grise de l’écran de l’ordinateur portable. En c5, les couleurs bleues et blanches des motifs d’un drap posé sur le dossier d’un sofa, drap non repassé, plissé, bien tenu pourtant, un pli plus marqué à l’extrémité droite, l’ombre prend le dessus. Plus proche encore le cadre noir à la bordure grise de l’écran de l’ordinateur portable. En g4, papier peint jaunâtre sur paroi perpendiculaire à paroi précédente, plus à gauche, chambranle de la fenêtre, téléphone noir, style faussement ancien, base large, courbes, corps rondement triangulaire, receveur posé à l’horizontale sur sommet, écouteur extravagant large, gros fil enroulé sur lui-même posé sur un baffle de chaîne hi-fi à la façade antérieure gris-noir, à droite boite blanche « box » pour réception internet, petits voyants verts qui clignotent. En f6, arrière-plan de bois d’un beige richement éclairé par le soleil, paroi de bureau de bois. Devant lui, un tabouret de bois, beige plus clair, dont les pieds ont une ouverture plus large à la base. Encore plus avant, les motifs géométriques turquoise, orange et blanc d’un sac de tissu accroché à une autre chaise de bois plus proche. c3, f6, g1 et demi-b5 s’obscurcissent par déni de patience.

proposition n° 22

Un miroir près de la fenêtre, au-dessus d’un petit lavabo, la chaine des volets roulants à la verticale à sa gauche. Le miroir brille de lumière, un savon posé sur la petite étagère de porcelaine du lavabo. Sur le mur à droite, des reproductions de photos sur support cartonné, des images inhabituelles. Une petite bibliothèque vitrée à l’étage supérieur, mais portes opaques en bas. Les tranches de volumes de tailles diverses, de la bibliothèque rose, de la bibliothèque verte, l’intégrale des romans de Victor Hugo en trois volumes rouges, des petits bibelots posés çà et là : un éventail, des statuettes de verre représentant des animaux fabuleux. Une armoire, partie penderie, partie commode, la porte ne ferme pas bien. Les couleurs sont claires. Le bureau : un tiroir large devant la chaise, un grand buvard rose pour sous-main, des cahiers, des livres, une grande règle, un stylo à encre, des plumes sergent-major, des crayons de papier, un plumier, une poupée type méditerranéen avec une robe rouge. Des fenêtres parallèles formant une baie horizontale, un plat horizon lointain, beaucoup de ciel. Et les radiateurs en dessous. Sur le petit meuble de chevet peint en blanc, un réveil doré rectangulaire aux motifs gravés, des journaux de Mickey, un Tintin et une petite radio transistor. Contre le mur de gauche, un lit une place, fait, la bosse de l’oreiller sous le drap, plusieurs couvertures, dont l’une, noire dans l’ensemble, laisse apparaître de minuscules fils dorés, des poils blancs de chien sur la couverture. Un autre miroir circulaire aux motifs ornementaux composés avec une multitude de pépins vernis. Un sèche-cheveux traînant sur une petite étagère de rotin, des serviettes de toilette et des foulards sur les autres surfaces du même meuble. Des vêtements de fille, épars. Un cartable à terre posé contre un des pieds de la table, et par terre près de la commode, encore un sac de sport et les chaussures de sport. Une petite corbeille à papiers à terre. La porte ouverte donne sur un corridor. En face, une porte fermée.

proposition n° 23

Parcours entre l’avenue de la Forêt-Noire et le Pavillon Joséphine du Parc de l’Orangerie. Vue à partir de la petite place sur la rue Schumann entre les rues Chopin et Nessler. Est-ce vraiment une place ou simplement un terre-plein, une sortie de cour ? Adossée à un plot, je vois à ma gauche et à ma droite devant moi six bancs, trois de part et d’autre, séparés par un passage pié-ton ou plutôt voiture puisque derrière moi un portail en bois, d’une cour d’école, portail ajouré qui s’ouvre pour laisser sortir des voitures. À la gauche de ce portail, après le mur de pierre, une porte en métal donnant sur un espace pour les vélos. Encore à gauche, une partie du mur, cette fois en métal, laisse voir une lucarne dont les côtés verticaux sont rectilignes alors que la base et la ligne du haut sont découpées en formes sinusoïdales inversées. De retour aux bancs qui sont légèrement plus haut que la sortie de l’école, en fait sur une sorte de trottoir découpé par la sortie de voitures. Derrière, au-dessus des bancs, trois grands arbres chargés de feuilles — nous sommes le 14 juillet, en plein été — laissent tomber des petites folioles plus claires qui couvrent les bancs et le sol. Cette sorte de petite place fait face à un immeuble à appartements avec de grandes fenêtres, probablement des années 50, et l’immeuble au coin de la rue Nessler comme celui au coin de la rue Chopin ont des angles arrondis. Tout est en courbes et arrondis, aussi bien les rues, les angles des croisements que les masses vertes de feuilles au-dessus de moi. Et puis, c’est l’entrée du Parc de l’Orangerie, par le boulevard de l’Orangerie. En face de moi, le petit camion de glaces et à ma droite la longue allée qui mène au Pavillon Joséphine. L’allée est bordée d’arbres qui doivent bien faire 20 m de hauteur ou plus et elle est précédée d’un signal annonçant que le parc est « sans tabac ». À ma gauche, un petit rond-point donnant sur les deux directions du boulevard de l’Orangerie, avec la bifurcation possible vers la rue de Verdun, ou encore vers le parking du Bowling, derrière moi. Un rocher, rappelant un petit menhir signale l’entrée des voitures vers le Bowling. Devant moi, et à droite, plusieurs bancs, de nombreux plots sur les côtés de l’allée et à l’entrée de l’allée, deux bornes avec des voyants lumineux qui bloquent le passage des voitures non autorisées. Lorsqu’on sort du Pavillon Joséphine, lui tour-nant le dos, on est encadré par deux sphinx de pierre, à corps de lionnes et têtes de femmes, coiffées à la mode de l’époque de Joséphine, les visages tournés vers ceux qui s’apprêtent à entrer. Deux palmiers, relativement trapus, dont les gros bulbes à écailles émergent de deux pots encadrent le passage avant les quelques marches de l’accès au pavillon. Au loin, au-delà des parterres et de quelques arbustes et arbres verts, un immeuble moderne, exposant une grande quantité de verre et de nombreuses lignes obliques occupe une part du ciel. Alors que sur la droite à une vingtaine de mètres, une sculpture de métal apparaît qui fait songer à un animal pré-historique, mais pourrait aussi évoquer les diverses surfaces de la peau d’un pachyderme ou d’un rhinocéros. Les pavés devant moi, au bas des marches — je suis légèrement sur la gauche, assise sur un rebord de la façade — accueillent une rangée d’arceaux pour cadenasser des bicy-clettes à leur gauche, et à droite un panneau d’information qui semble presque vide. Les allées de sable sont bordées de bancs, de buissons, d’arbres de toutes tailles dont les feuillages sont de toutes couleurs allant du noir, au roux, rouge et verts variés. Les poubelles d’une soixantaine de centimètre de haut ont une couleur vert sombre et sont faite de feuilles de métal, posées l’une à côté de l’autre qui s’évasent et se recourbent vers l’extérieur au sommet comme les sépales d’un fruit ou d’une fleur. Les lampadaires rappellent le 19e siècle (et le lampadaire du conte pour en-fant The Lion, the Witch and the Wardrobe), et celui qui est le plus proche de moi est colonisé par une plante grimpante enroulée autour de sa base. Encore à droite entre le lampadaire et la sculpture dinosaure, un parterre de fleurs pourpres et oranges au-dessus de hautes tiges. Et on sait que de l’autre côté du Pavillon, une fontaine est occupée par plusieurs cigognes petites et grandes, que les passants n’osent pas trop approcher. Venant de la rue de Verdun, un regard vers la Place Arnold, et première vision de quelques jeunes qui occupent des bancs à l’arrière de l’église Saint Maurice et fument ensemble. L’horloge du clocher indique 9h30. Une estrade est installée sur la place, vide pour l’instant, hormis quelques rambardes de métal clair. Un échiquier sur le sol, en dalles, prévu pour des pièces géantes. La place Arnold est devenue piétonne, autre-fois c’était un parking. Aujourd’hui, il y a des parterres de plantes, un terrain de jeux pour les petits sur un sol plus tendre que le bitume habituel. Elle est bordée par l’avenue de la Forêt-Noire et en face de soi, on voit la fin de la rue de l’Observatoire et les grilles d’une portion du Jardin Botanique. À ma droite, quelques boutiques, l’ancienne épicerie devenue un restaurant dont les tables de bois sont restées à l’extérieur pendant la nuit, attachées entre elles avec des chaines, et devant moi, des bicyclettes cadenassées contre des buissons. Plus loin, l’avenue n’est pas très chargée de voitures. Il est encore tôt. Regard sur l’avenue, du haut de trois étages, les trottoirs sont peu visibles car les arbres les camouflent. Le joli immeuble vieux rose d’un centre culturel japonais et au coin de la rue Goethe et de l’avenue une école à l’architecture kitsch. Les voitures sont rares, journée bénie. Je sais que si je suivais l’avenue sur ma gauche, jusqu’au bout, j’arriverais à la frontière. Le haut des immeubles en face de moi me rappelle l’image de paquebots se découpant sur le ciel.

proposition n° 24

Ce matin de novembre 2008, j’ai bavardé avec le fleuriste du coin Verdun, avenue de la Forêt-Noire et lui ai acheté une tige de chatons. La petite cabane des fleuristes a été déplacée à l’entrée de la place lors de la transformation de celle-ci en 2010-2011, qui en a fait un espace de vie de quartier. Depuis cette rénovation, sur l’heure du midi, dès les premiers jours de climat bienveillant, les bancs du terrain de jeu sont occupés par des étudiants et des lycéens, et quelques employés aussi qui viennent y manger un casse-croûte. Plusieurs sont aussi assis sur les marches de l’église et sur les bancs de son flanc gauche sous la statue. À cette heure, les routes des cyclistes se croisent sur la place. Quelques vieilles dames viennent aussi y prendre le soleil et bavarder un peu. Mais en général, elles viennent un peu plus tard quand les premiers sont retournés en classe ou au travail. Ce matin de janvier 2018, nous étions près de l’église Saint Maurice et un corbeau a croassé plusieurs fois. Il était juste au-dessus de moi, sur une branche d’arbre. Il semblait me parler. On aurait dit que nous l’avions réveillé et qu’il râlait un peu. J’ai eu envie de sentir cette sensation du mouvement du dessin, une sorte de vent sur ma main quand je dessine. Mes bavardages avec les commerçants du quartier : la fleuriste et son mari. Mercredi 25 avril 2018, il se passe quelque chose sur la Place Arnold. Un regard d’abord vers le haut du clocher ou l’horloge indique environ 13h30. Les bruits de sono commencent à vibrer, elle est allumée, une estrade est montée sur laquelle des personnes s’activent. Je vois des câbles, des grands haut-parleurs. Il y aura des musiciens plus tard. La place n’est pas encore à son maximum d’occupation mais déjà abondamment peuplée. C’est une ambiance familiale. Des badauds aussi. Le parterre de jeu pour les petits est plein mais les plus grands sont aussi là, et les mères, pères ou grand-mères qui surveillent les enfants sur les agrès. Des tables et de longs bancs sont installés, certains en face de l’estrade, d’autres sur la gauche dans la direction de la rue de Verdun et des odeurs de friture montent. On prépare des saucisses, des merguez et des frites. Des personnes habillées en costumes traditionnels de je ne sais quelle culture se préparent, font une petite répétition d’une danse. Un peu plus loin encore, des tables sont placées en un grand rectangle. Un homme fait leur tour de l’intérieur pour jouer une pièce sur chaque échiquier devant lequel il se tient à tour de rôle. C’est une simultanée d’échecs et il n’y a encore que quelques enfants, encadrés par un parent ou un grand frère en face de lui. Quelques adultes observent la scène. Une femme avec un petit chien qui semble un peu affolé par le nombre de personnes présentes bavarde avec une autre. Et ce sont des petits stands de jeux de société un peu plus loin. Encore sur la gauche, un stand de livre tenu par les propriétaires du magasin de reliure. Je croise trois dames âgées du quartier, sans leur chien, ce jour. Elles regardent autour d’elle d’un air amusé et me saluent de quelques mots. Deux jeunes femmes achètent des cornets de glace à leurs enfants. Des enfants courent et se poursuivent avec des cris. La musique est lancée sur l’estrade. Le son est fort. Plus loin, la route n’est pas très chargée de voitures. C’est dimanche, il n’y a pas trop de circulation. Dimanche 1er juillet 2018, assise sur les marches sur le flanc de l’église St-Maurice alors que j’attends JL et les membres du club d’échecs avant sa simultanée ici place Arnold. Je suis arrivée en avance. Que dirait Minchen maintenant ? Une équipe brésilienne est là. Ils préparent une installation sur les tréteaux.

Probablement des artistes de scène, chant et danse. Si Minchen ne m’a pas connue, elle n’a pas connu Sy. non plus, qui est plus jeune que moi. Ainsi, Minchen était tailleur pour femmes. Une qualification plus élevée que couturière. Avais-tu pu pratiquer ton métier ?
— Parfois je le faisais, déjà pour la famille. Mais au fil des déménagements, je n’ai pas conservé ma clientèle. C’est bien ici ! C’est devenu plus vivant, l’ArnoldPlatz. Lorsque nous habitions à Strasbourg, c’était la guerre et nous sortions peu à cause des bombardements. L’amie de Ja. avait été tuée lors de l’un d’eux. Ja. allait au collège ou au lycée près d’ici. Moins de vent qu’à Durstel. Ja. a épousé un joueur d’échecs. Moi aussi, je jouais autrefois avec ma mère. C’était un bon jeu, pas comme le « Mensch ärgert dich nicht » où les gens se fâchent toujours.

Une cigogne vole au-dessus de nos têtes pendant que les appariteurs installent les tables, chaises et tous les accessoires nécessaires aux diverses activités.

proposition n° 25

Aller au Parc de la Citadelle emmener Ch. s’il y a beaucoup de monde il risque de devenir nerveux. Un des inconvénients d’habiter à la frontière puisqu’il doit y avoir bien des avantages. Ce sera intéressant de voir dans quelques années comment tout cela aura évolué. Si nous vivons encore. Dehors j’entends des machines ils doivent être en train de percer la rue. Par moments pourtant il me semble que je peux provoquer ou prévoir des évènements. Cela n’est pas souhaitable. Je touche du bois. Je me demande pourquoi ma télé est allumée. L’endroit où j’écris habituellement est chargé d’histoire mais le propos n’est pas là et chargé de meubles. Par où commencer. Avant de me réveiller j’ai rêvé et je me souviens de façon fausse d’une sorte de mantra que j’avais découvert en rêve ou que mon rêve m’avait dit. Pas de grigris pour écrire mais écrire le grigri. J’ai l’impression d’avoir compris quelque chose d’autre à un moment mais j’ai oublié quoi. Et bien ce voyage pourrait se situer à Strasbourg même et ses diverses étapes pourraient être les divers appartements visités les agences de voyage les quartiers de la ville. Je me demandais c’est caractéristique de moi si je pourrais observer ma ville avec un œil de journaliste et écrire des petits textes dans ce sens. Et la santé. Je crois qu’il faut un réseau. Je me suis souvent demandé si mes parents connaissaient ses écrits lorsqu’ils m’ont appelée ainsi. Je crois que C. était la fille de la première femme du grand-père d’A. alors que la grand-mère d’A. était la deuxième épouse. Mais je ne suis plus vraiment sûre. Il faudrait que je vérifie. En faire une de mes petites histoires en 55 mots. Stephen Hawking. Je cherche le mot français pour obituary mais ne le trouve pas. Chronique mortuaire hommage homélie nécrologie article nécrologique. Voyons à présent si je trouve mieux. Ce qui est le plus important pour moi dans mes histoires. C’est une journée étincelante de lumière et j’espère que cela ne signifie pas que le froid est mordant à l’extérieur. Je me suis fait du souci pour le vieil employé qui nettoyait les marches enneigées avec un râteau. Le Cabinet des Estampes est intéressant mais il ne reçoit qu’après prise de rendez-vous et j’ai peur que seuls les groupes scolaires y soient invités. Ou partir sur une idée prise au hasard. Comme pour me dire tu es de retour bienvenue parmi nous. Je pourrais marcher dans la cour et dans les bâtiments de Lezay-Marnésia. Place de l’Université immeuble avec au fronton les statues de grands hommes Kepler Gutenberg Luther et d’autres il faudrait que j’en trouve la liste. Je ne sais pas trop ce que je voulais dire par là. Lorsque j’ai trouvé mon appartement cela a été un coup de foudre mais j’aurais peut-être dû y réfléchir encore car il était d’une grande vétusté. Certains examinateurs sont forcément plus sévères que d’autres ou plus fatigués ou plus myopes ou plus qu’en savent-ils. Je pensais que l’orage menaçait. Il semblerait qu’il y a eu de l’orage cette nuit mais ils n’en prévoient pas pour ce matin. J’ai pourtant des doutes. La terrasse était dans l’ombre et il ne faisait pas encore chaud. À ma droite le vieux monsieur que j’avais déjà vu là il y a quelques semaines était assis en face de son traitement de texte sur son ordinateur portable. J’ai presque été tentée de lui parler mais je me suis contrôlée. Un oiseau entré dans la pâtisserie ne trouvait plus la sortie il voletait de façon affolée et s’est assommé en se cognant contre la vitrine. Voyant que cela allait arriver la jeune femme qui m’avait apporté mon café eut un geste spasmodique les mains levées à hauteur du visage les repliant sans que les doigts se touchent comme si elle voulait protéger son propre bec du choc. Je ne sais pas ce que je vais en faire mais il y a le mur des justes et ce monument incarnant l’empreinte du mur de l’ancienne synagogue puis le centre commercial puis la place des Halles de 1979. Serions-nous capable nous professeurs de reconnaître celui qui va commettre un acte abominable. On dit parfois je ne suis plus celui que j’étais ou à la troisième personne. Le temps se couvre un peu et l’air devient un peu plus frais. Il se dit que c’est annonciateur de pluie. Trois pièces dont vous ne vous rappeliez pas ce qu’elles étaient vraiment. L’une devait être sa chambre. Lorsqu’ils ignoraient. Vous tentiez de la faire raconter. Réelle collectivité ou pas. L’orthographe de la rue varie dans le journal de 1939 c’est Grand’rue dans Wikipedia c’est Grand’Rue chez les agents immobiliers c’est Grand-Rue. Il faudrait vérifier. Il y a bien une affiche à l’extérieur qui annonce le magasin bio mais il n’est pas franchement visible pour qui ne connait pas son existence. Le genre de ses livres est difficilement identifiable on ne sait s’ils sont de la fiction ou de la critique littéraire. Trois femmes une image qui revient souvent. Dans Volodine les trois filles de Solovieï dans mon rêve les trois femmes pleureuses sur la mer les trois Parques les sisters de Joyce trois ou deux. En possession malgré les apparences trompeuses de toutes mes facultés quelles qu’elles puissent être. Le parc pour quoi y faire. Joyce semble obsédé par l’absurde. Des gens à qui au départ on a fait croire à Dieu et à la vie éternelle et ont compris que nous mourrions. Js au centre commercial de l’Esplanade vue de Js de dos je ne pouvais croire que c’était lui d’abord je connaissais ce dos sans pouvoir lui mettre un nom dessus. La ville comme un univers contemporain ou vivant de strates temporelles. La ville nocive. Je suis la ville peut-être.

proposition n° 26

Ma mère n’aurait jamais voulu retourner à la campagne. Les réalités les pensées y étaient trop dures. La vie en ville est plus tendre et parfois pas toujours plus tolérante. La ville c’est aussi Montréal la grande qui me permet de marcher et ne rencontrer personne qui me connaisse ou au contraire de rencontrer des amis. C’est Dublin racontée par Joyce. La ville nocive parce qu’elle enserre l’individu dans une réalité de ville de lois des autres vivant sur soi. La Cité au sens antique parfois inhumaine. Je suis l’individu d’avant de maintenant de plus tard. Mais je suis la ville aux quantités de portes je suis les portes auxquelles on peut frapper et les bus les trams ou les bicyclettes pour bouger sans voiture. Et j’ai le choix des gens en ville. Pour se débrouiller il faut la ville. Joyce était jeune lorsqu’il a écrit ses histoires des gens de Dublin. Il n’avait pas tant d’expérience que cela sinon celle de la mort de parents de connaissances. Joyce a vécu en ville aussi et Norah s’est débrouillée. L’Eveline de Joyce refuse de quitter la ville même pour Franck. Ils disent qu’elle est paralysée. Mais si elle choisissait simplement la vie active en ville. J’en ai besoin. Le seul endroit dont on puisse fuir ou grandir. Où l’on puisse trouver du travail se dissimuler ou se montrer faire des tournois agir faire du bruit s’y l’on veut. Ceux qui fuient des conditions ou dangers prévisibles intolérables ne vont pas à la campagne ils tentent de trouver des villes pour y survivre et repartir d’une façon ou une autre. La ville c’est la mémoire et les passeports ou non et les décisions que l’on prend en l’ayant cette mémoire des couches de terrain qui recouvrent celles des générations d’avant.

proposition n° 27

La lente approche du train a fini par aboutir et l’on entend le bruit de dégonflement de sas : les portes peuvent être actionnées. Petit à petit, nous descendons sur le quai. Il s’agit de descendre les bagages aussi, plusieurs d’entre nous sont lourdement chargés mais il n’y a pas d’urgence. Chacun essaye d’être aussi efficace que possible sans gêner les autres. Enfin, l’arrivée sur le quai. Je me repère pour prendre la bonne direction plutôt que de suivre le flot. Je porte plusieurs bagages ; m’engager dans les escalators puis marcher dans le tunnel souterrain sous la gare pour devoir encore une fois la traverser pour arriver à la sortie à laquelle je veux accéder ne serait pas pratique. Je me décale donc du flot humain pour me diriger vers l’ascenseur derrière moi. Il me conduira au bon tunnel, celui qui mène vers la sortie que je choisis pour sa proximité avec la station de taxis. Je n’ai conscience que des personnes autour de moi et de mon mouvement, très peu du grand espace surmonté par les structures métalliques ferroviaires. Lorsque je suis dans le tunnel, je me sens vraiment presque arrivée. Je commence alors à espérer qu’il y aura effectivement des taxis à la station, qu’ils n’auront pas été attirés par des courses plus intéressantes, ce qui pourrait être le cas s’il y a une session parlementaire à Strasbourg en ce moment. Pas encore tout à fait dehors, mais sur le parvis de la gare sous sa bulle-coupole transparente, et ça y est : dehors ! Je respire, encore quelques pas et c’est la station de taxis avec effectivement une file de voitures mais beaucoup de clients aussi. Il va y avoir un peu d’attente et je peux lever les yeux mais je ne suis pas au point le plus intéressant à regarder de la place. C’est l’extrémité, là où une petite déviation de la route a été aménagée pour que les taxis puissent charger leurs clients. Ma vue à gauche donne sur le début de la bulle-coupole protégeant le parvis de la gare, en face je ne peux pas vraiment appréhender la forme de la place, si belle autrefois, mais qui a perdu tout son charme (je veux bien croire que les changements apportés ont été utiles) ; devant moi légèrement à droite, une série de drapeaux des pays européens. Cette place est devenue fonctionnelle mais peu plaisante. Un taxi avance pour moi.

proposition n° 28

Il est 7h, je suis au croisement de la rue Wimpheling et de l’avenue de la Forêt-Noire. D’après la météo, il fait dans les 17° mais il a fait très très chaud hier, 35°. Proxyelec, bruits de toux du chien. Qu’est-ce qui se passe ? Bruits de voitures. Voilà, on traverse l’avenue. Bonjour ! Dépêche-toi. Toux du chien. Dépêche-toi, le chocolatier Ziegler. Pas mal de fenêtres ouvertes, les gens essayent de se rafraîchir. Assurances Allianz. On va approcher du Jardin Botanique et du tortillon. Mon toutou se demande pourquoi je bavarde. J’aimerais être capable de parler des toits, de, du dessin que font les toits sur le ciel. Des pigeons, un peu de verdure et mon chien qui tousse. Peu de voitures, c’est l’été, mais j’en entends derrière moi. Beaucoup de personnes essaient d’aller travailler tôt ce matin. Du vert, là on y est, on traverse la rue de l’Observatoire et on arrive sur le parking du bâtiment de l’Institut Botanique. Une voiture vient de passer. Ils vont se garer. Et mon toutou fait sa crotte. Je vais devoir m’arrêter d’une seconde à l’autre pour la ramasser. Là, j’ai ramassé la crotte. Un jeune homme avec un débardeur noir et une queue de cheval blonde qui marche avec dans son sac à dos une radio et plus loin, une dame derrière moi. — Non, je me disais, en vous voyant, vous n’avez pas chaud…Je meurs de chaud ! — Ah, mais non, ça c’est léger ce truc. Et il fait pas encore… — Ah mais moi je transpire déjà — Ah oui ? — Ah moi je ne supporte plus… — Bon, allez ! Bonne journée ! Alors nous continuons, on est presque près de la fin de cette… Le chien renifle. Nous sommes dans le tortillon entre le Jardin Botanique et le Jardin de l’Université. La ventilation du bâtiment de ? Qu’est-ce que c’est comme bâtiment ça ? Je ne sais pas, c’est le bâtiment qui donne sur le vieux jardin historique. À ma gauche, il y a un arbre dont la circonférence, en tout cas le diamètre doit faire facilement 1m50, 1m50, oui. Il est gigantesque. Ah oui, le tortillon s’appelle allée Anton de Bay. Là, on va traverser parce que je veux aller à la poubelle. Gazouillis. Attends. Tire-pas comme ça. Attends-moi, Ch. ! Voilà, c’est reparti. Ça, c’est, la route de l’Université, tout à l’heure ce n’était pas la rue de l’Observatoire mais la rue Goethe et là, je ne me rappelle plus comment elle s’appelle celle-ci. Des jolis petits buissons de fleurs blanches et violettes devant un sapin et de vieilles grilles qui doivent dater du début du siècle dernier, de belles fleurs, un long pistil, et mon toutou qui fait une nouvelle crotte. Je vais faire la pause, pour ramasser, un sac. Bien, et c’est reparti. Bon, l’autre porte est aussi fermée. Et deux pigeons qui se font la cour, une jolie danse, je ne sais pas, mais ils se font la cour. Un saule pleureur, dans le passé je croyais toujours que les saules pleureurs attiraient les moustiques. On me disait qu’il ne fallait pas trop traîner en-dessous. De toutes formes, de toutes couleurs. Cette rue est très vieille. Elle n’a pas été rénovée depuis très longtemps. C’est ce qui la rend belle. Il faut faire attention en marchant pour ne pas se casser la figure en trébuchant sur quelque chose et à ma gauche, il y a aussi un parc mais qui n’est pas un parc pour se promener. C’est entre le Musée zoologique et cet autre bâtiment qui est… Ch., tu ne dois pas lécher par terre, non ! Ce bâtiment est je ne sais pas quoi. De physique, l’Institut de Physique et là, je vois à ma gauche les bâtiments de l’Institut d’Architecture. Et tout à l’heure, elle disait qu’elle avait déjà trop chaud. Moi, ça va plutôt bien. Ça ne va pas durer, je sais. Ça va chauffer encore. Ch., calme-toi ! Attends, viens, on va traverser, on va faire attention, et puis on traverse. Dans quelques minutes, on va arriver sur, sur le, du Palais de l’Université. Tu ne dois pas manger par terre ! Attention cycliste en contresens. Palais de l’Université. Je peux prendre les noms des statues. Bruit de machine. Puisque je passe à gauche là du. Alors les autres ici sont Pufendorf et Eichhorn, Eichhorn, une vieille boîte aux lettres et un petit plan du quartier à ma droite de l’université. Cyclistes mettez pied à terre. Viens Ch., on va passer par là. Ici, il n’y a plus de voitures. Il y a des grands mobiles noirs avec une lumière orange, mais pendant la journée, je ne comprends pas. J’imagine que la nuit, ça doit être un peu plus… alors les personnes ici au-dessus de moi, les statues sont Kant, Gauss, Joh., probablement Johannes Muller. — Cela fait quelques minutes que j’ai parlé dans le vide puisque j’étais au bout de la cassette. Tant pis. Ah ici, encore des hommes, Lessing, Schleiermacher et Spener. Ah ici, composé d’un, d’une agence immobilière, Saint Clair un syndic. Ici, on est à une épicerie kasher. Je ne sais pas de quand cette maison date, mais elle a une jolie terrasse au premier étage, c’est un balcon, c’est une terrasse à demi couverte de verre en diagonale, en oblique. Tenez votre chien en laisse. Accès pompiers. Mais tu ne manges pas parterre ! Viens, on avance. Hop. Viens. Elle est fermée ce matin. Personne à l’intérieur. Je suis arrivée trop tôt. Un monsieur passe avec un de ces vélos poussant une… Ce doit être des logements de fonction, de… Mets-toi. Sois sage ! Une joggeuse vient de nous dépasser. Vélo noir. Elle a un joli T-shirt rouge. Ça m’a rappelé quand je faisais pas mal de vélo. Je le regrette un peu. Une façade vétuste. J’aime les trucs vétustes. De l’immeuble. La rue, on tourne, nous sommes au croisement avec la rue Fischart. Un oiseau nous a lancé un petit message très sympa. Le Beaulieu 23 25, rue Goethe. Parking réservé au personnel. Défense d’entrer. Article 36.1 Code routier. Vélo. La grille du jardin ici a été visiblement arrachée, elle tient avec des fils de fer. Des rosiers. Ah, c’est pas des roses, ou bien, si, si ce sont des roses, j’aime cette couleur sombre. 18 rue Goethe, division de la logistique immobilière. C’est un rosier grimpant. Tu ne manges pas par terre ! L’entrée. Ce n’est pas fait pour le public, ça. Traverser la rue Goethe et nous allons marcher vers l’avenue de la Forêt-Noire. Rue Wimpheling. J’ai vu passer une jolie femme un peu potelée dans une robe. Elle m’a fait penser à ce poème, une jolie fleur, dans, je ne sais plus, ce n’était pas très gentil, une peau de vache ou quelque chose comme ça mais celle-ci était vraiment très jolie. Il n’y a pas de raison qu’elle n’ait pas été très sympa aussi. Un beau toit. Bruits de travaux de chantiers de bâtiment. Ce que j’aime ici, c’est tout ce mélange de courbes et de lignes droites. Il n’y a rien qui est complètement droit à Strasbourg. Agent général. Assurances santé. Services financiers. Ce sont ces boîtes qui envahissent tout. Ces boîtes d’assurance. Ah là il y a des gens des… Eurométropole.eu. C’est le camion-poubelles. Alors, est-ce qu’on va pouvoir traverser sans danger ? Il faut surveiller les voitures. Non, il y a des voitures qui arrivent. On va laisser passer les voitures. Ah et on recule parce qu’il y a un gros camion qui vient là. On recule. Sinon, ça va te faire peur. Tu vois le gros camion ? Voilà. J’t’avais dit, hein ? Il est gros. Voilà. C’est à nous, on peut passer, maintenant. Voilà, on est en face du magasin d’électricité Proxyelec. Ici, il y avait le pédiatre. Pas du tout interventionniste. En face de moi, déménagements, garde meubles, une banque qui a fermé, ou du moins qui a fermé cette agence là et un magasin Anacours de cours à domicile qui ne semble pas marcher très fort.

proposition n° 29

Il est 8h33 et pour profiter un peu de la clémence du climat à cette heure, je viens de m’asseoir à la terrasse du Café de l’O. La dame qui m’a servie est la mère du propriétaire actuel mais je connaissais aussi les anciens propriétaires, également d’origine turque. L’endroit a beaucoup de succès parmi les gens du quartier et les travailleurs. Les repas du midi sont corrects et à des prix raisonnables et les patrons sont cordiaux et généreux avec les personnes pauvres du quartier. La terrasse est entourée d’une vieille grille faite de barreaux de métal, certains avec une pointe biseautée, d’autres avec un petit tortillon semblable à une queue de cochon en une alternance régulière puis au bout de dix barreaux, il en apparait un plus épais et plus haut, surmonté d’un motif de fleur de lys. La porte d’entrée de la terrasse est surmontée d’un arceau fait pour supporter une plante grimpante. Des pots allongés contenant des géraniums sont accrochés à une barre horizontale en haut de la grille sur toute sa largeur. Parallèlement au boulevard, et à l’intérieur de la grille, cinq grands arbres ont été plantés et quelques grands pots de terre contiennent des plantes vertes. Plus de vingt tables peuvent accueillir une quarantaine de clients. Cette grande superficie est dupliquée à l’intérieur du restaurant. Déjà lors de mon retour dans les années 90, il m’arrivait d’y prendre un petit déjeuner ou parfois un repas. L’ambiance était sympathique. Le seul hic, à l’intérieur, était les grands écrans qui diffusaient en permanence des émissions populaires et de la publicité. Je crois d’ailleurs, que plein de tact, le patron changeait parfois de programme quand j’arrivais. La dame à qui j’ai parlé doit être dans la cinquantaine. Elle vient de me dire que sa maman est morte il y a quatre mois et qu’ils ont ce restaurant depuis quatorze ans. Habillée d’un T-shirt et d’un léger pantalon de sport, elle est aussi très simple de contact. Elle m’a ensuite parlé d’une cliente qui est morte seule à l’hôpital et a plaint ces vieilles personnes qui se retrouvent seuls. Elle m’a dit qu’elle avait pu s’occuper de sa mère jusqu’à la fin. En ce moment, elle bavarde avec animation et bonne humeur avec un jeune parent et un autre client en langue turque. Tiens, je n’avais pas tout remarqué, il y a trois lampadaires publicitaires — une marque de bière. Contente d’avoir renoué avec la bienveillante terrasse mais il faut bouger maintenant.

proposition n° 30

Il était assis sur le côté et regardait le jeu de chaises. Au début, il n’écoutait pas les sons, il voyait simplement les langages corporels, les expressions de visage. Il était content de sa veste grise, avec quelques portions argentées et jaunes. Le capuchon pouvait être roulé et inséré dans le col. Pour fermer les tirettes, il fallait manipuler des boutons en forme de dents de lion comme ceux des duffelcoats – mais plus petits bien sûr. Elle avait aussi voulu l’essayer.
— C’est une coupe homme.
— Je ne fais que l’essayer, ne t’énerve pas.

D’ailleurs il valait mieux ne pas avoir de paquet lorsqu’elle se présenterait aux entretiens d’embauche rapides, organisés par la Chambre de Commerce et d’Industrie. En chemin, ils avaient tous deux regardé leurs profils dans les vitrines. Il était content de sa veste. Lui était confiant que le rectorat l’appellerait bientôt, tous les ans c’était pareil, on le prévenait deux jours avant la rentrée. Mais en attendant, il avait voulu accompagner sa copine pour voir comment ces entretiens rapides se déroulaient. Les recruteurs trônaient sur des chaises de mauvaise qualité derrière des petites tables et recevaient les candidats. Il se focalisa sur son amie. Un peu crispée. Elle ne marchait pas comme ça d’habitude. Et ces courbettes ! Ça va d’être aussi veule ? Pour un boulot où elle ne sera qu’à l’essai si elle l’obtient ? Et probablement en CDD ? En face, ils étaient nettement plus à l’aise. Là, elle était assise en face d’une autre femme. Elles se ressemblaient assez dans le fond. Sauf que l’une avait les mains sagement jointes alors que l’autre étendait ses bras sur la table et prenait quelques notes. Partout dans la salle, la scène se répétait, une vingtaine de tables, une vingtaine de recruteurs. Cela durait cinq à sept minutes. Certains d’entre eux ressemblaient à des clones, surtout du côté des recruteurs, les mêmes types de costumes et de tailleurs. Presque tous à la norme, pas un kilo de trop, et avec le même regard, vendeur, professionnel, le sourire inexpressif. Ah tiens, elle se rapprochait pour un autre entretien. Le début, la même scène. Mais cette fois le recruteur était un homme. Il allait pouvoir les entendre. Elle donnait son nom, son adresse. Quelle était sa spécialité ? Comptabilité, gestion de ressources humaines. Ses compétences numériques ? Des noms de logiciels qu’il ne connaissait pas, plus Powerpoint et Excel. Ça, il connaissait. Et Word bien sûr. Il tâta le siège à côté de lui et sentit la veste qu’il y avait posée. Un sentiment de satisfaction. Il se demanda si un jour ce serait aussi comme cela que cela se passerait en France pour les profs. Il enfila sa veste quand il vit qu’elle avait fait le tour des recruteurs et s’apprêtait à repartir.

proposition n° 31

Vision lumineuse du Cimetière Nord. On peut y pénétrer par deux endroits — enfin, je ne sais pas par où les morts y entrent. En général, j’y arrive par l’entrée la plus au sud. J’ai pris le bus avant. Entouré d’un mur de pierre assez haut et de cyprès. Une grande allée, souvent celle où l’on attend et rejoint les autres proches avant de s’avancer près de la salle de cérémonie à côté du funérarium, là où il y aura tous les autres qui viennent se joindre. C’est une salle multiconfessionnelle. Elle a quand même une grande croix au mur. On l’a enlevée le jour de la cérémonie pour mon père, ma mère ne supportait pas. L’extérieur est assez beau, paisible, un grand espace, un lac, de grands arbres mais espacés. Il y a la partie avec les vraies tombes et celle où l’on place les cendres, le Jardin de Roses. Cela nous va bien. Les concessions sont de quinze ans, je crois me souvenir. Après tout ça, les gens se parlent, puis en général on se retrouve dans un endroit dont la taille dépend du nombre de participants, du rôle que jouait celui ou celle qui est mort.e. Il y a quelques années je suis allée voir une exposition archéologique. Ils avaient apporté deux tombes celtes. En marchant dans la salle, nos pieds s’approchaient d’une vitre qui donnait sur la tombe déplacée. Le corps de la défunte nous apparaissait. J’avais été frappée par l’indécence de cette exposition. Il me semblait que nous lui manquions de respect. Je me suis demandé comment cela se faisait que nous ayons un traitement aussi différent envers les dépouilles de nos défunts et les plus anciennes.

proposition n° 32

Alors que je me promenais ce matin dans un air vif rasséréné par la pluie nocturne, la molletonneuse couche de nuages qui laissait percer des petites touches bleues m’a rappelé la protection qu’ils nous offrent, en hiver, contre le grand froid. La journée d’hier avait encore une fois été exténuante de chaleur malgré l’orage et la pluie de l’après-midi. L’aube m’avait prévenue : les nuages venant de l’est semblaient vouloir s’épandre en une coulée de lave rougeoyante sur les toits des maisons de la rue Geiler et de la ville endormie. J’ai eu bien des conversations avec le ciel — j’avoue : je suis plus bavarde que lui.

Jeune, lorsqu’elle devait se déplacer la nuit, pas trop rassurée dans des environs peu connus, elle se tranquillisait si la lune était présente, bien claire. Elles étaient liées, l’une baignant dans la bienveillance de l’autre. L’une accompagnait l’autre et celle-ci lui parlait. Rentrée chez elle, elle l’oubliait injustement. Enfant, elle avait eu la chance de vivre au sixième étage et d’avoir régulièrement le théâtre céleste à ses fenêtres. Au sud, c’était le ballet des planeurs et des parachutistes, au nord la grande coupe étendue de ciel bleu ou gris sur la ville. Elle pouvait même observer des microclimats lorsqu’un nuage commençait à se déverser sur un quartier. Comme tous les enfants sûrement, elle traquait les personnages dans les formes changeantes des nuées et s’en servait d’inspiration pour ses dessins et ses histoires. Plus âgée, elle a commencé à observer les arêtes supérieures des bâtiments, et s’est extasiée sur le théâtre baroque offert par les caprices des lignes brisées qui se découpent sur le ciel. Et les questions puériles sont revenues. Est-ce que c’est un horizon, même s’il n’est pas plat ? L’horizon ne devrait-il pas être à hauteur d’œil ? Où commence le ciel ? Elle s’est dit que pendant les bombardements les gens ne regardent probablement pas le ciel, ils s’enfuient, se terrent, courent et les fumées et l’affolement doivent les aveugler.

proposition n° 33

Fil de contacts aléatoires entre humains de ma ville et de questions également hasardeuses. Beaucoup de bruit dehors, des travaux dans la rue. Des gens travaillent et ne sont donc pas au chômage. Bon, on bouge ? J’ai bavardé avec Mme B. du 1er hier, dans la rue. Nous nous sommes trouvé un intérêt commun pour l’écriture. Je pourrais en profiter pour lui proposer une rencontre autour de ce sujet. Et quelle est la prochaine étape ? P. me suggère de ne faire qu’une seule activité, la gym douce. J’avais justement envie de le lui suggérer, mais j’avais senti qu’il risquait d’en prendre ombrage si c’était moi qui faisais la proposition. Bon, mais où maintenant ? Tout à l’heure, je vais aller prendre un pot Chez P. avec C. W. qui va me rendre mes copies de terminales. Et maintenant ? L’avenue de la F.-N. est une voix de liaison entre Strasbourg et la petite ville de Kehl, sa voisine allemande. Des travailleurs frontaliers la fréquentent chaque jour de semaine pour aller au travail et rentrer mais il y a aussi les personnes qui traversent la frontière pour faire des achats dont les prix seront plus avantageux de l’autre côté. Et les touristes allemands du week-end visitent Strasbourg. Dans le temps - je ne sais pas si cela se fait encore – les français allaient dans les boites porno en Allemagne où ils avaient des spectacles plus canailles que dans la puritaine Alsace. Où aujourd’hui ? E. et sa fille L., de 10 ans, marchent rue G. C’est dimanche, mais ce jour son père a annulé la rencontre familiale et ils vont voir la brocante sur les quais. Et la prochaine étape ? J’ai fait quelques courses aux G. G. et ai dû donner à deux quémandeurs, la dame toujours présente et un nouveau à l’extérieur, un homme encore jeune, mais très abîmé. Très mat de peau, mais je soupçonne qu’il y avait quelque chose de jaune derrière son teint, il me fait penser à A. autrefois, lorsque son foie était foutu. Et, là on arrive au bout, non, pas encore ? H. me dit que N. a accepté un boulot de plongeur mais il craint la posture à cause de son hernie discale. Alors notre prochain rendez-vous ? J’ai appelé ma coiffeuse pour prendre un rendez-vous puis je suis allée à la petite superette de la station essence sur le boulevard de la V. Le gérant m’a encore vanté les avantages du véganisme et il m’a même passé son numéro de téléphone pour qu’on en parle.

proposition n° 34

J’ai passé une dizaine d’années de mon enfance à la Meinau au sud de Strasbourg. Lorsque j’étais enfant, c’était un bus ou le vélo qui me permettaient d’aller dans le centre. Il y avait eu un tram auparavant mais il avait été supprimé. La route de Colmar est le grand axe nord sud qui fait la liaison entre la Meinau et le centre-ville. C’est par elle aussi que l’on parvient au Baggersee, la piscine naturelle des Strasbourgeois, tout au Sud de la Meinau. À l’est de cet axe se trouvent les quartiers résidentiels de la Meinau, d’abord les petites maisons individuelles, puis les cités bâties dans les années 60. Le tram a été rétabli dans les années 2000. Si je me fie à ce qu’on en dit, le quartier a beaucoup changé et n’est plus aussi sûr qu’autrefois. Il a une réputation de violence, dont je n’ai pas été témoin. En fait, je n’y étais retournée d’abord qu’au début des années 2000, lorsque j’étais professeur stagiaire, pour aller dans les vieux bâtiments de l’IUFM situés près du stade du Racing. Naturellement, puisque ce faubourg est relié à mon enfance, ce sont surtout les enfants dont je me souviens et ce d’autant plus que j’y suis retournée quelques fois en 2012 pour effectuer une suppléance au Collège L.-M., ce même collège où j’avais été élève de la cinquième à la troisième. Je sortais deux stations plus loin à la station Émile Mathis, puis je marchais une centaine de mètres pour retrouver ces mêmes bâtiments que j’avais connus enfant. Il me semble qu’ils avaient changé de couleur, mais pour le reste, ils étaient les mêmes. Je devais pendant trois mois remplacer une collègue qui allait subir une opération. J’avais donc deux classes de sixième, une classe de cinquième et deux classes de troisième. Je n’étais plus habituée au rythme des petits. En sixième, certains enfants bougeaient si vite que je ne me rendais pas compte tout de suite qu’ils n’étaient plus assis sur leur siège. J’avais ainsi quatre ou cinq électrons libres qui à l’occasion se disputaient, se levaient, couraient dans tous les sens dans une classe de vingt-quatre élèves. J’avais subitement eu l’impression d’être bien âgée. L’âge de mes élèves se situait en général entre dix et quinze ans, mais certains étaient plus âgés, en particulier les enfants nouvellement arrivés en France qui ne parlaient pas encore le français, mais venaient quand même dans mes cours de langue vivante LV1. Le collège accueillait deux classes composées de ces primo-arrivants. Si le quartier souffrait de problèmes de chômage et d’insécurité, par contre les violences physiques n’étaient pas nombreuses au collège qui est quand même situé en zone d’éducation prioritaire renforcée. Avant de commencer ma suppléance, j’avais un peu lu les statistiques de l’académie à propos de l’établissement et j’avais pu noter qu’en 2007, pour cent élèves, il y avait une moyenne de 10% de violences verbales contre 2,7 au plan national. Cela promettait de l’action. En fait, plusieurs de mes élèves étaient assez doués et au moins une d’entre eux a réussi à obtenir en fin de troisième une orientation au lycée international. Mes élèves étaient Nader, Juliana, Manon, Yavuz, Dalya, Frédéric, Mustafa, Gulay, Bruno, Raphaël, Jordan, Hasan, Théo, Abdelkader, Vincent, Léa, Hamza, Nurda, Lokmann, Demba, Nawel, Anthonyo, Maxime, Tristan, Andréa, Madison parmi d’autres, des prénoms qui ne ressemblaient pas à ceux que j’avais connus lorsque j’étais élève dans le centre-ville. Pourtant, déjà dans les années 60, notre population à la Meinau était plus variée que dans le reste de l’Alsace et les noms alsaciens étaient clairsemés parmi une riche agrégation de noms venant d’Algérie — c’était aussi le retour des Français d’Algérie — mais aussi de divers pays européens ou africains et de diverses régions de France, puisque beaucoup de jeunes fonctionnaires s’installaient dans ses HLM nouvellement construits. Bien sûr, dès que j’ai eu un peu de temps entre mes cours, je suis allée marcher sur le chemin que je faisais enfant entre le collège et le bloc où j’habitais. Il y avait eu des changements, pas tant au niveau des bâtiments, même si la grande tour a été abattue et le terrain vague bâti, mais j’avais surtout remarqué le petit plan d’eau avec une fontaine, qui n’en avait plus et n’était plus qu’un triste petit espace de gazon, certains magasins fermés, le manque d’adultes dans les rues. Je voyais encore quelques femmes, mais je m’étais demandé où étaient les hommes. Tous au travail ? J’avais des doutes. Ce n’était peut-être pas l’endroit ou pas encore l’heure. Cette expérience de quelques mois d’immersion dans le quartier de mon enfance ne m’en a pas réellement terni son image malgré les rapports défavorables que j’avais entendus.

Ce matin, alors que je pense au Nord de Strasbourg, le premier lieu qui me vient à l’esprit est le Château de Pourtalès entouré par son grand parc boisé où l’on rencontre des pratiquants de marche nordique en groupes, des joggeurs, des cyclistes, des promeneurs. Les pratiquants de marche nordique sont en général âgés et ne paraissent pas sportifs de premier abord. Beaucoup d’entre eux bénéficient du programme Sport Santé sur ordonnance à Strasbourg. Ils sont bien sûr encadrés par un animateur sportif. Le Château de Pourtalès avait dans le temps un restaurant où l’on pouvait prendre un brunch. Je crois que ce n’est plus le cas maintenant, c’est dommage, la population strasbourgeoise en était très friande. Lorsqu’on sort du bois, on a le choix pour rejoindre les quartiers résidentiels de la Robertsau de prendre sa voiture, la bicyclette ou un bus en prenant la rue Mélanie qui longe un secteur hospitalier au moins aussi grand que le parc du Château de Pourtalès. Il s’y trouve un Institut de Soins Infirmiers et l’Hôpital de la Robertsau principalement consacré au grand âge. Il y a les bâtiments de maison de retraite où les patients ont encore un certain degré d’autonomie et celui qu’ils appellent le mouroir, le dernier lieu de résidence de leur corps et leur esprit encore conscient. C’est là que ma vieille tante s’était retrouvée, toute menue, dans un petit lit qui m’avait fait penser à ces lits à barreaux des tous petits enfants pendant son dernier mois de souffrance alors qu’elle ne s’alimentait plus, mais que de son regard triste, toujours aussi vif dans un visage qui n’avait plus la force d’articuler la moindre parole, elle m’avait signifié que c’était comme cela que cela se terminait. Un mois avant, elle m’avait prévenue, me disant qu’elle ne pouvait même plus apprécier, sentir le goût des aliments. — À quoi ça rime alors ? Elle avait vécu au Bois Fleuri une dizaine d’années, je crois. Elle y avait une petite suite, chambre, salle de bain, WC, sans cuisine mais mangeait habituellement dans sa chambre où une infirmière venait lui apporter son plateau repas. Elle préférait cela à manger dans la salle commune où la vie des résidents diminués intellectuellement, incapables de parler parfois, amorphes la déprimait trop. Elle avait heureusement quelques visites de la famille, de certaines personnes de la communauté israélite de Strasbourg, ce qui la faisait un peu rire car elle n’avait jamais été pieuse. Elle n’était pas tendre avec eux, la vie n’avait pas non plus été tendre avec elle. Nous nous bardions tous avant d’aller la voir car elle était connue pour ses saillies qui visaient en général à faire mal. Moi, je l’aimais bien quand même et je tentais d’en apprendre le plus possible sur ce qu’ils avaient vécu avant la guerre. Lorsque je repartais de là, je marchais, heureuse de pouvoir lever la tête vers le ciel, de pouvoir marcher, me sentir libre de me déplacer. Je croisais quelques vieilles personnes en allant jusqu’à la médiathèque, j’arrivais sur la petite place avec son église protestante en face du salon de thé. Plusieurs années plus tard, j’allais enseigner dans le collège à côté, à 50 mètres de là, surprise qu’il ne soit pas plus tranquille. Mais j’avais vite appris que tous les collèges de la ville étaient assez « chauds », ce d’autant plus lorsqu’ils n’étaient pas en zone d’éducation prioritaire et ne bénéficiaient donc pas de personnel de scolarité supplémentaire. La Robertsau, ce sont bien sûr aussi les cimetières, endroits souvent courus au fil des années. Ce sont aussi les vieux quartiers résidentiels, pour beaucoup moins cossus que les gens ne se les imaginent, avec de petites maisons très peu éclairées par leurs petites fenêtres, ce sont les jardins maraîchers, la route sinueuse bien étroite où vélos, voitures et bus se croisent lentement à cause des risques de collision. Puis en allant vers la ville on passe un pont sur le canal de la Marne au Rhin avant d’arriver à l’avenue de l’Europe avec à l’ouest les bâtiments des Institutions Européennes et à l’est une portion du Parc de l’Orangerie. Retour en ville.

Je ne connais pas bien l’ouest de ma ville, c’est-à-dire ce qui se trouve au-delà du vaste complexe de la gare de chemins de fer. J’ai traversé Koenigshoffen, Hautepierre et Cronenbourg en bus et j’y ai parfois enseigné, au fil de mes années de professeur sur zone de remplacement. Il y avait les Poteries, situé à Hautepierre mais tellement au sud de la zone que cela aurait pu être Koenigshoffen où j’allais pour donner des cours aux élèves du lycée M. R. Ce lycée avait une disposition étrange. Les salles de classe étaient belles mais les couloirs semblaient étonnamment étroits. Lorsqu’on essayait de calmer les élèves avant qu’ils rentrent dans les salles, cela créait des bouchons épiques. Les élèves étaient heureux dans ce lycée, ils le disaient du moins. Dans le lycée de l’est de la ville où je travaille en ce moment, les élèves se plaignent qu’on les embête pour leurs retards. Il faut dire qu’ils viennent de plus loin (des Poteries justement), alors qu’à M. R., la plupart du temps, ils habitaient dans le quartier. Maintenant, c’est vrai qu’il n’y avait pas de place pour tout le monde. Le lycée M. R. avait plusieurs classes de lycée général : des L, des S, des ES et aussi des STI, c’est-à-dire des classes de technologie industrielle, ainsi que des classes de CAP. L’orientation n’est pas toujours du goût des élèves et la majorité des élèves issus de populations défavorisées se retrouvent en professionnel et en technologique. À l’époque où j’y travaillais, je passais facilement une heure dans les transports en commun, tram et autobus, pour me rendre à ma destination. Après avoir traversé la ville en tram, j’attendais mon bus près du complexe commercial du Maillon de Hautepierre et l’attente pouvait être longue. Aujourd’hui, la nouvelle ligne de tram donne plus de mobilité aux habitants et la compagnie de transports en commun propose des billets à tarifs très réduits si l’on peut justifier de faibles revenus. Mes élèves actuels en profitent pour rentrer chez eux à midi malgré la distance, plutôt que d’acheter les repas de la cantine trop chers pour eux. L’Euro-Métropole préfère en général garder ses pauvres dans les faubourgs et ne pas les exposer à la vue des touristes et des parlementaires. Le pari est perdu car la pauvreté apparaît clairement dans le centre aussi maintenant.

L’Est de Strasbourg est vert et varié, autant dans ses formes d’architecture, ses surfaces de terre et de plans d’eau que dans la population qui y habite où gravite. L’architecture offre quelques gemmes de la Neustadt, dans les quartiers de l’Orangerie et du Conseil des XV et de façon contrastée, il y a le quartier de l’Esplanade, fait de grands blocs construits dans les années 60, ainsi que les bâtiments plus industriels et plus anciens du Port du Rhin. L’Est de Strasbourg est beaucoup plus récent que le centre-ville dont une partie des maisons date même du Moyen-Âge, alors qu’à l’est de l’Ill, jusque dans la deuxième moitié du XIXème siècle, il n’y avait que des bâtiments militaires, pour la plupart rasés ou transformés par la suite. Au Nord — oui, au Nord de l’Est —le Parc de l’Orangerie, au Sud, le Parc de la Citadelle, au centre, les Jardins de l’Université et le Jardin Botanique offrent verdure, aires de jeux, de sport ou de tranquillité à qui veut en profiter. L’université de Strasbourg y abrite les Musées de Botanique et de Zoologie et la plupart de ses départements (hormis la faculté de médecine) et de façon conséquente, une grande population étudiante habite l’Esplanade, un des quartiers de l’Est. Très peuplé et vivant pendant la saison scolaire, le quartier se vide un peu pendant l’été. Le quartier de l’Esplanade abrite aussi l’École Internationale Européenne et l’École Internationale Schumann, dont les élèves poursuivent en général au Collège International. Ces écoles attirent les parents étrangers, pour certains, des personnes travaillant dans les consulats ou les diverses représentations européennes. Bien sûr, plusieurs école primaires et lycées assurent également la présence de familles. Mais le quartier reste aussi habité par une population plus ancienne. Il y a même certaines rues qui abritent un réel quart-monde alsacien. Il reste un certain nombre de commerces de proximité et les restaurants sont nombreux. Dans l’ensemble, l’Est de Strasbourg offre une assez confortable variation d’humanité et de lieux de vie. C’est le Rhin, frontière nationale avec l’Allemagne, qui en est la limite orientale, l’avenue de la Forêt Noire étant un des axes principaux de liaison avec la ville allemande de Kehl.

proposition n° 35

J’ai passé une dizaine d’années de mon enfance à la Meinau au sud de Strasbourg. Lorsque j’étais enfant, c’était un bus ou le vélo qui me permettaient d’aller dans le centre. Il y avait eu un tram auparavant mais il avait été supprimé. La route de Colmar est le grand axe nord sud qui fait la liaison entre la Meinau et le centre-ville. C’est par elle aussi que l’on parvient au Baggersee, la piscine naturelle des Strasbourgeois, tout au Sud de la Meinau. À l’est de cet axe se trouvent les quartiers résidentiels de la Meinau, d’abord les petites maisons individuelles, puis les cités bâties dans les années 60. Le tram a été rétabli dans les années 2000. On disait que le quartier avait beaucoup changé et n’était plus aussi sûr que dans mon enfance. Il a une réputation de violence, dont je n’ai pas été témoin. D’après la revue Strasbourg Magazine, la Meinau est en train de se transformer en partie grâce à la manne obtenue par le Racing Club après la réussite de l’équipe de France en Coupe du Monde 2018. Le programme Jouvence, démarré en 2017, a été entièrement réalisé avec la construction de quarante logements en accession sociale sécurisée, un jardin d’enfants bilingue et de nouveaux locaux commerciaux. L’avenir nous dira si ces locaux commerciaux prospèreront.

En fait, je n’y étais retournée d’abord qu’au début des années 2000, lorsque j’étais professeur stagiaire, pour aller dans les vieux bâtiments de l’IUFM situés près du stade du Racing. Naturellement, puisque ce faubourg est relié à mon enfance, ce sont surtout les enfants dont je me souviens et ce d’autant plus que j’y suis retournée quelques fois en 2012 pour effectuer une suppléance au Collège L.-M., ce même collège où j’avais été élève de la cinquième à la troisième. Je sortais deux stations plus loin à la station Émile Mathis, puis je marchais une centaine de mètres pour retrouver ces mêmes bâtiments que j’avais connus enfant. Il me semble qu’ils avaient changé de couleur, mais pour le reste, ils étaient les mêmes. Je devais pendant trois mois remplacer une collègue qui allait subir une opération. J’avais donc deux classes de sixième, une classe de cinquième et deux classes de troisième. Je n’étais plus habituée au rythme des petits. En sixième, certains enfants bougeaient si vite que je ne me rendais pas compte tout de suite qu’ils n’étaient plus assis sur leur siège. J’avais ainsi quatre ou cinq électrons libres qui à l’occasion se disputaient, se levaient, couraient dans tous les sens dans une classe de vingt-quatre élèves. J’avais subitement eu l’impression d’être bien âgée. L’âge de mes élèves se situait en général entre dix et quinze ans, mais certains étaient plus âgés, en particulier les enfants nouvellement arrivés en France qui ne parlaient pas encore le français, mais venaient quand même dans mes cours de langue vivante LV1. Le collège accueillait deux classes composées de ces primo-arrivants. Si le quartier souffrait de problèmes de chômage et d’insécurité, par contre les violences physiques n’étaient pas nombreuses au collège qui est quand même situé en zone d’éducation prioritaire renforcée. Avant de commencer ma suppléance, j’avais un peu lu les statistiques de l’académie à propos de l’établissement et j’avais pu noter qu’en 2007, pour cent élèves, il y avait une moyenne de 10% de violences verbales contre 2,7 au plan national. Cela promettait de l’action. En fait, plusieurs de mes élèves étaient assez doués et au moins une d’entre eux avait réussi à obtenir en fin de troisième une orientation au lycée international. Mes élèves étaient Nader, Juliana, Manon, Yavuz, Dalya, Frédéric, Mustafa, Gulay, Bruno, Raphaël, Jordan, Hasan, Théo, Abdelkader, Vincent, Léa, Hamza, Nurda, Lokmann, Demba, Nawel, Anthonyo, Maxime, Tristan, Andréa, Madison parmi d’autres, des prénoms qui ne ressemblaient pas à ceux que j’avais connus lorsque j’étais élève dans le centre-ville. Pourtant, déjà dans les années 60, notre population à la Meinau était plus variée que dans le reste de l’Alsace et les noms alsaciens étaient clairsemés parmi une riche agrégation de noms venant d’Algérie — c’était aussi le retour des Français d’Algérie — mais aussi de divers pays européens ou africains et de diverses régions de France, puisque beaucoup de jeunes fonctionnaires s’installaient dans ses HLM nouvellement construits. Bien sûr, dès que j’ai eu un peu de temps entre mes cours, je suis allée marcher sur le chemin que je faisais enfant entre le collège et le bloc où j’habitais. Il y avait eu des changements, pas tant au niveau des bâtiments, même si la grande tour a été abattue et le terrain vague bâti, mais j’avais surtout remarqué le petit plan d’eau avec une fontaine, qui n’en avait plus et n’était plus qu’un triste petit espace de gazon, certains magasins fermés, le manque d’adultes dans les rues. Je voyais encore quelques femmes, mais je m’étais demandé où étaient les hommes. Tous au travail ? J’avais des doutes. Ce n’était peut-être pas l’endroit ou pas encore l’heure. Cette expérience de quelques mois d’immersion dans le quartier de mon enfance ne m’en a pas réellement terni son image malgré les rapports défavorables que j’avais entendus.

Ce matin-là, alors que je pensais au Nord de Strasbourg, le premier lieu qui m’était venu à l’esprit avait été le Château de Pourtalès entouré par son grand parc boisé où l’on rencontre encore des pratiquants de marche nordique en groupes, des joggeurs, des cyclistes, des promeneurs. Les pratiquants de marche nordique sont en général âgés et ne paraissent pas sportifs de premier abord. Beaucoup d’entre eux bénéficient du programme Sport Santé sur ordonnance à Strasbourg. Ils sont bien sûr encadrés par un animateur sportif. Le Château de Pourtalès avait dans le temps un restaurant où l’on pouvait prendre un brunch. Ce n’était plus le cas alors que j’écrivais et ajoutais que c’était dommage, car la population strasbourgeoise en avait été très friande. Le restaurant du Château n’est toujours pas exploité aujourd’hui en 2020 mais l’on dit que l’ancienne école américaine adjacente a été vendue et va devenir une université chinoise. Lorsqu’on sort du bois, on a le choix pour rejoindre les quartiers résidentiels de la Robertsau de prendre sa voiture, la bicyclette ou un bus en prenant la rue Mélanie qui longe un secteur hospitalier au moins aussi grand que le parc du Château de Pourtalès. Il s’y trouve un Institut de Soins Infirmiers et l’Hôpital de la Robertsau principalement consacré au grand âge. Il y a les bâtiments de maison de retraite où les patients ont encore un certain degré d’autonomie et celui qu’ils appellent le mouroir, le dernier lieu de résidence de leur corps et leur esprit encore conscient. C’est là que ma vieille tante s’était retrouvée, toute menue, dans un petit lit qui m’avait fait penser à ces lits à barreaux des tous petits enfants pendant son dernier mois de souffrance alors qu’elle ne s’alimentait plus, mais que de son regard triste, toujours aussi vif dans un visage qui n’avait plus la force d’articuler la moindre parole, elle m’avait signifié que c’était comme cela que cela se terminait. Un mois avant, elle m’avait prévenue, me disant qu’elle ne pouvait même plus apprécier, sentir le goût des aliments. — À quoi ça rime alors ? Elle avait vécu au Bois Fleuri une dizaine d’années, je crois. Elle y avait une petite suite, chambre, salle de bain, WC, sans cuisine mais mangeait habituellement dans sa chambre où une infirmière venait lui apporter son plateau repas. Elle préférait cela à manger dans la salle commune où la vie des résidents diminués intellectuellement, incapables de parler parfois, amorphes la déprimait trop. Elle avait heureusement quelques visites de la famille, de certaines personnes de la communauté israélite de Strasbourg, ce qui la faisait un peu rire car elle n’avait jamais été pieuse. Elle n’était pas tendre avec eux, la vie n’avait pas non plus été tendre avec elle. Nous nous bardions tous avant d’aller la voir car elle était connue pour ses saillies qui visaient en général à faire mal. Moi, je l’aimais bien quand même et je tentais d’en apprendre le plus possible sur ce qu’ils avaient vécu avant la guerre. Lorsque je repartais de là, je marchais, heureuse de pouvoir lever la tête vers le ciel, de pouvoir marcher, me sentir libre de me déplacer. Je croisais quelques vieilles personnes en allant jusqu’à la médiathèque, j’arrivais sur la petite place avec son église protestante en face du salon de thé. Plusieurs années plus tard, j’allais enseigner dans le collège à côté, à 50 mètres de là, surprise qu’il ne soit pas plus tranquille. Mais j’avais vite appris que tous les collèges de la ville étaient assez « chauds », ce d’autant plus lorsqu’ils n’étaient pas en zone d’éducation prioritaire et ne bénéficiaient donc pas de personnel de scolarité supplémentaire. La Robertsau, ce sont bien sûr aussi les cimetières, endroits souvent courus au fil des années. Ce sont aussi les vieux quartiers résidentiels, pour beaucoup moins cossus que les gens ne se les imaginent, avec de petites maisons très peu éclairées par leurs petites fenêtres, ce sont les jardins maraîchers, la route sinueuse bien étroite où vélos, voitures et bus se croisent lentement à cause des risques de collision. Puis en allant vers la ville on passe un pont sur le canal de la Marne au Rhin avant d’arriver à l’avenue de l’Europe avec à l’ouest les bâtiments des Institutions Européennes et à l’est une portion du Parc de l’Orangerie, agrémentée à l’entrée du monument consacré à Bob Dylan. Retour en ville.

Je ne connais pas bien l’ouest de ma ville, c’est-à-dire ce qui se trouve au-delà du vaste complexe de la gare de chemins de fer. J’ai traversé Koenigshoffen, Hautepierre et Cronenbourg en bus et j’y ai parfois enseigné, au fil de mes années de professeur sur zone de remplacement. Il y avait les Poteries, situé à Hautepierre mais tellement au sud de la zone que cela aurait pu être Koenigshoffen où j’allais pour donner des cours aux élèves du lycée M. R. Ce lycée avait une disposition étrange. Les salles de classe étaient belles mais les couloirs semblaient étonnamment étroits. Lorsqu’on essayait de calmer les élèves avant qu’ils rentrent dans les salles, cela créait des bouchons épiques. Les élèves étaient heureux dans ce lycée, ils le disaient du moins. Dans le lycée de l’est de la ville où je travaillais en 2018, les élèves se plaignaient qu’on les embêtait pour leurs retards. Il faut dire qu’ils venaient de plus loin (des Poteries justement), alors qu’à M. R., la plupart du temps, ils habitaient dans le quartier. Maintenant, il était vrai qu’il n’y avait pas de place pour tout le monde. Le lycée M. R. avait plusieurs classes de lycée général : des L, des S, des ES et aussi des STI, c’est-à-dire des classes de technologie industrielle, ainsi que des classes de CAP. L’orientation n’est pas toujours du goût des élèves et la majorité des élèves issus de populations défavorisées se retrouvent encore aujourd’hui en professionnel et en technologique. À l’époque où j’y travaillais, je passais facilement une heure dans les transports en commun, tram et autobus, pour me rendre à ma destination. Après avoir traversé la ville en tram, j’attendais mon bus près du complexe commercial du Maillon de Hautepierre et l’attente pouvait être longue. Depuis 2016, la nouvelle ligne de tram donne plus de mobilité aux habitants et la compagnie de transports en commun propose des billets à tarifs très réduits si l’on peut justifier de faibles revenus. Mes élèves du lycée R. C. de 2018 en profitaient pour rentrer chez eux à midi malgré la distance, plutôt que d’acheter les repas de la cantine trop chers pour eux. L’Euro-Métropole préférait en général garder ses pauvres dans les faubourgs et ne pas les exposer à la vue des touristes et des parlementaires. Le pari était perdu car la pauvreté prenait du terrain dans le centre aussi. Aujourd’hui, en 2020, ce sont les mouvements de touristes et de parlementaires que l’on encadre mieux, prenant exemple sur ce qui se passe à Beijing. La profession de guide bénéficie de nouveaux référentiels et la formation des guides a été mieux définie afin d’assurer une plus grande sécurité aux personnes nous faisant l’honneur de visiter l’Euro-Métropole. Je me demande si la vue des retraités leur sera aussi épargnée ?

L’Est de Strasbourg est vert et varié, autant dans ses formes d’architecture, ses surfaces de terre et de plans d’eau que dans la population qui y habite où gravite. L’architecture offre quelques gemmes de la Neustadt, dans les quartiers de l’Orangerie et du Conseil des XV et de façon contrastée, il y a le quartier de l’Esplanade, fait de grands blocs construits dans les années 60, ainsi que les bâtiments plus industriels et plus anciens du Port du Rhin. L’Est de Strasbourg est beaucoup plus récent que le centre-ville dont une partie des maisons date même du Moyen-Âge, alors qu’à l’est de l’Ill, jusque dans la deuxième moitié du XIXème siècle, il n’y avait que des bâtiments militaires, pour la plupart rasés ou transformés par la suite. Au Nord — oui, au Nord de l’Est — le Parc de l’Orangerie, au Sud, le Parc de la Citadelle, au centre, les Jardins de l’Université et le Jardin Botanique offrent verdure, aires de jeux, de sport ou de tranquillité à qui veut en profiter. L’université de Strasbourg y abrite les Musées de Botanique et de Zoologie et la plupart de ses départements (dont la nouvelle composante de langue vivante chinoise, mais hormis la faculté de médecine) et de façon conséquente, une grande population étudiante habite l’Esplanade, un des quartiers de l’Est. Très peuplé et vivant pendant la saison scolaire, le quartier se vidait un peu pendant l’été, jusqu’à l’année 2019 lorsque le premier grand congrès sinophile a été organisé. Cette année, à partir de juillet 2020, il va être développé de façon encore plus prestigieuse et un nouveau bâtiment a été construit sur le Campus Universitaire pour offrir des suites, des appartements de prestige et des bureaux aux nombreuses délégations venues de divers pays dans le monde pour y participer. Le quartier de l’Esplanade abrite aussi l’École Internationale Européenne et l’École Internationale Schumann, dont les élèves poursuivent en général au Collège International. Ces écoles attirent les parents étrangers, pour certains, des personnes travaillant dans les consulats ou les diverses représentations européennes. Bien sûr, plusieurs école primaires et lycées assurent également la présence de familles. Mais le quartier reste aussi habité par une population plus ancienne. Il y a même certaines rues qui abritent un réel quart-monde alsacien mais un programme de rénovation de ce secteur a été prévu par la ville de Strasbourg. Il devrait se dérouler sur une période courte, et il est prévu que les familles y habitant vont être relogées dans des habitations responsables dans la nouvelle cité des Poteries. Il reste un certain nombre de commerces de proximité et les restaurants sont nombreux. Dans l’ensemble, l’Est de Strasbourg offre une assez confortable variation d’humanité et de lieux de vie. C’est le Rhin, frontière nationale avec l’Allemagne, qui en est la limite orientale, l’avenue de la Forêt Noire étant un des axes principaux de liaison avec la ville allemande de Kehl.

proposition n° 36
SUD

J’ai passé une dizaine d’années de mon enfance à Materre au sud de la Ville Route. Lorsque j’étais enfant, c’était un chariot ou le vélo qui me permettaient d’aller dans le centre. Il y avait eu un trans auparavant mais il avait été supprimé. La route de Colombier est le grand axe nord sud qui fait la liaison entre Materre et le centre-ville. C’est par elle aussi que l’on parvient au Lac de Drague, la piscine naturelle des Ville Routois, tout au Sud de Materre. À l’est de cet axe se trouvent les quartiers résidentiels de Materre, d’abord les petites maisons individuelles, puis les cités bâties dans les années 60. Le trans a été rétabli dans les années 2000. On disait que le quartier avait beaucoup changé et n’était plus aussi sûr que dans mon enfance. Il a une réputation de violence, dont je n’ai pas été témoin. D’après le journal de la Ville Route, Materre est en train de se transformer en partie grâce à la manne obtenue par le Club Vitesse après la réussite de l’équipe de Toile en Coupe du Monde 2018. Le programme Jouvence, démarré en 2017, a été entièrement réalisé avec la construction de quarante logements en accession sociale sécurisée, un jardin d’enfants bilingue et de nouveaux locaux commerciaux. L’avenir nous dira si ces locaux commerciaux prospèreront.

En fait, je n’y étais retournée d’abord qu’au début des années 2000, lorsque j’étais inspiratrice apprentie, pour aller dans les vieux bâtiments de formation de la Serre situés près du stade de Vitesse. Stalissez les héons ! Vmersissez les hzièges ! Naturellement, puisque ce faubourg est relié à mon enfance, ce sont surtout les enfants dont je me souviens et ce d’autant plus que j’y suis retournée quelques fois en 2012 pour effectuer une suppléance au Chemineur L.-M., ce même chemineur où j’avais été élève de la cinquième à la troisième. Je sortais deux stations plus loin à la station de l’Aurige, puis je marchais une centaine de mètres pour retrouver ces mêmes bâtiments que j’avais connus enfant. Il me semble qu’ils avaient changé de couleur, mais pour le reste, ils étaient les mêmes. Je devais pendant trois mois remplacer une collègue qui allait subir une opération. J’avais donc deux classes de sixième, une classe de cinquième et deux classes de troisième. Je n’étais plus habituée au rythme des petits. En sixième, certains enfants bougeaient si vite que je ne me rendais pas compte tout de suite qu’ils n’étaient plus assis sur leur siège. J’avais ainsi quatre ou cinq électrons libres qui à l’occasion se disputaient, se levaient, couraient dans tous les sens dans une classe de vingt-quatre élèves. J’avais subitement eu l’impression d’être bien âgée. L’âge de mes élèves se situait en général entre dix et quinze ans, mais certains étaient plus âgés, en particulier les enfants nouvellement arrivés en Toile qui ne parlaient pas encore le toilien, mais venaient quand même dans mes cours de langue vivante LV1. Le chemineur accueillait deux classes composées de ces nouveaux parlants. Si le quartier souffrait de problèmes d’inaction et d’insécurité, par contre les violences physiques n’étaient pas nombreuses au chemineur qui est quand même situé en zone de routage prioritaire renforcé. Avant de commencer ma suppléance, j’avais un peu lu les statistiques de la Serre à propos de l’établissement et j’avais pu noter qu’en 2007, pour cent élèves, il y avait une moyenne de 10% de violences verbales contre 2,7 au plan terrien. Cela promettait de l’action. En fait, plusieurs de mes élèves étaient assez doués et au moins une d’entre eux avait réussi à obtenir en fin de troisième une orientation au Grimpeur Interterrien. Mes élèves étaient Nader, Juliana, Manon, Yavuz, Dalya, Frédéric, Mustafa, Gulay, Bruno, Raphaël, Jordan, Hasan, Théo, Abdelkader, Vincent, Léa, Hamza, Nurda, Lokmann, Demba, Nawel, Anthonyo, Maxime, Tristan, Andréa, Madison parmi d’autres, des prénoms qui ne ressemblaient pas à ceux que j’avais connus lorsque j’étais élève dans le centre-ville. Pourtant, déjà dans les années 60, notre population à Materre était plus variée que dans le reste de l’Eau-sous-Terre et les noms eau-sous-terriens étaient clairsemés parmi une riche agrégation de noms venant de Les Îles — c’était aussi le retour des Toiliens de Les Îles — mais aussi de divers pays aréthiens ou sérènes et de diverses régions de Toile, puisque beaucoup de jeunes servants s’installaient dans ses HLM nouvellement construits. Sortez ! Dansez ! Ne laissez pas le gris se morfondre sur la ville ! Bien sûr, dès que j’ai eu un peu de temps entre mes cours, je suis allée marcher sur le parcours que je faisais enfant entre le chemineur et le bloc où j’habitais. Il y avait eu des changements, pas tant au niveau des bâtiments, même si la grande tour a été abattue et le terrain vague bâti, mais j’avais surtout remarqué le petit plan d’eau avec une fontaine, qui n’en avait plus et n’était plus qu’un triste petit espace de gazon, certains magasins fermés, le manque d’adultes dans les rues. Je voyais encore quelques femmes, mais je m’étais demandé où étaient les hommes. Tous au travail ? J’avais des doutes. Ce n’était peut-être pas l’endroit ou pas encore l’heure. Cette expérience de quelques mois d’immersion dans le quartier de mon enfance ne m’en a pas réellement terni son image malgré les rapports défavorables que j’avais entendus.

NORD

Ce matin-là, alors que je pensais au Nord de la Ville Route, le premier lieu qui m’était venu à l’esprit avait été le Château du Négoce entouré par son grand parc boisé où l’on rencontre encore des pratiquants de marche nordique en groupes, des joggeurs, des cyclistes, des promeneurs. Les pratiquants de marche nordique sont en général âgés et ne paraissent pas sportifs de premier abord. Beaucoup d’entre eux bénéficient du programme Sport Santé sur ordonnance à la Ville Route. Ils sont bien sûr encadrés par un animateur sportif. Le Château du Négoce avait dans le temps un restaurant où l’on pouvait prendre un repas du matin. Ce n’était plus le cas alors que j’écrivais et ajoutais que c’était dommage, car la population de la Ville Route en avait été très friande. Si tu regardes ton stylo, bouffe-le ! Le restaurant du Château n’est toujours pas exploité aujourd’hui en 2020 mais l’on dit que l’ancienne école pragmatienne adjacente a été vendue et va devenir une université voyeuse.
Lorsqu’on sort du bois, on a le choix pour rejoindre les quartiers résidentiels du Pré-Robert de prendre sa voiture, la bicyclette ou un chariot en prenant la rue Mélanie qui longe un secteur hospitalier au moins aussi grand que le parc du Château du Négoce. Il s’y trouve un Institut de Soins Infirmiers et l’Hôpital du Pré-Robert principalement consacré au grand âge. Il y a les bâtiments de maison de retraite où les patients ont encore un certain degré d’autonomie et celui qu’ils appellent le mouroir, le dernier lieu de résidence de leur corps et leur esprit encore conscient. C’est là que ma vieille tante s’était retrouvée, toute menue, dans un petit lit qui m’avait fait penser à ces lits à barreaux des tous petits enfants pendant son dernier mois de souffrance alors qu’elle ne s’alimentait plus, mais que de son regard triste, toujours aussi vif dans un visage qui n’avait plus la force d’articuler la moindre parole, elle m’avait signifié que c’était comme cela que cela se terminait. Un mois avant, elle m’avait prévenue, me disant qu’elle ne pouvait même plus apprécier, sentir le goût des aliments. — À quoi ça rime alors ?

Elle avait vécu au Bois Fleuri une dizaine d’années, je crois. Elle y avait une petite suite, chambre, salle de bain, sans cuisine mais mangeait habituellement dans sa chambre où une infirmière venait lui apporter son plateau repas. Elle préférait cela à manger dans la salle commune où la vie des résidents diminués intellectuellement, incapables de parler parfois, amorphes la déprimait trop. Elle avait heureusement quelques visites de la famille, de certains marcheurs de la communauté loyale de la Ville Route, ce qui la faisait un peu rire car elle n’avait jamais été pieuse. Elle n’était pas tendre avec eux, la vie n’avait pas non plus été tendre avec elle. Nous nous bardions tous avant d’aller la voir car elle était connue pour ses saillies qui visaient en général à faire mal. Moi, je l’aimais bien quand même et je tentais d’en apprendre le plus possible sur ce qu’ils avaient vécu avant la guerre. Lorsque je repartais de là, je marchais, heureuse de pouvoir lever la tête vers le ciel, de pouvoir marcher, me sentir libre de me déplacer. Je croisais quelques vieilles marcheuses en allant jusqu’à la médiathèque, j’arrivais sur la petite place avec son église critique en face du salon de thé. Plusieurs années plus tard, j’allais enseigner dans le chemineur à côté, à 50 mètres de là, surprise qu’il ne soit pas plus tranquille. Mais j’avais vite appris que tous les chemineurs de la ville étaient assez « chauds », ce d’autant plus lorsqu’ils n’étaient pas en zone de routage prioritaire et ne bénéficiaient donc pas de marcheurs de scolarité supplémentaires. Le Pré-Robert, ce sont bien sûr aussi les cimetières, endroits bien arpentés au fil des années. Ce sont aussi les vieux quartiers résidentiels, pour beaucoup moins cossus que les gens ne se les imaginent, avec de petites maisons très peu éclairées par leurs petites fenêtres, ce sont les jardins maraîchers, la route sinueuse bien étroite où vélos, voitures et chariots se croisent lentement à cause des risques de collision. Puis en allant vers la ville on passe un pont sur le canal de la Mère au Fleuve avant d’arriver à l’avenue de l’Arétha avec à l’ouest les bâtiments des Institutions Aréthiennes et à l’est une portion du Parc de l’Orangerie, agrémentée à l’entrée du monument consacré à Beau Rêveur. Retour en ville.

OUEST

Je ne connais pas bien l’ouest de ma ville, c’est-à-dire ce qui se trouve au-delà du vaste complexe de la gare. J’ai traversé Cour Royale, Hautepierre et Bourg-du-Roy en chariot et j’y ai parfois enseigné, au fil de mes années d’inspiratrice sur zone de remplacement. Il y avait les Poteries, situé à Hautepierre mais tellement au sud de la zone que cela aurait pu être Cour Royale où j’allais pour donner des cours aux élèves du Grimpeur M. R. Ce grimpeur avait une disposition étrange. Les salles de classe étaient belles mais les couloirs semblaient étonnamment étroits. Lorsqu’on essayait de calmer les élèves avant qu’ils rentrent dans les salles, cela créait des bouchons épiques. Les élèves étaient heureux dans ce grimpeur, ils le disaient du moins. Dans le grimpeur de l’est de la ville où je travaillais en 2018, les élèves se plaignaient qu’on les embêtait pour leurs retards. Il faut dire qu’ils venaient de plus loin (des Poteries justement), alors qu’à M. R., la plupart du temps, ils habitaient dans le quartier. Maintenant, il était vrai qu’il n’y avait pas de place pour tout le monde. Le Grimpeur M. R. avait plusieurs classes de grimpeur générales : des L, des S, des ES et aussi des STI, c’est-à-dire des classes d’éco-équilibre matérielle, ainsi que des classes de CAP. L’orientation n’est pas toujours du goût des élèves et la majorité des élèves issus de populations défavorisées se retrouvent encore aujourd’hui en professionnel et en éco-équilibre. Pas de lâcheté mais la volonté de faire plier les accrocheurs de misère ! À l’époque où j’y travaillais, je passais facilement une heure dans les transports en commun, trans et autochariot, pour me rendre à ma destination. Après avoir traversé la ville en trans, j’attendais mon chariot près du complexe de négoce du Maillon de Hautepierre et l’attente pouvait être longue. Depuis 2016, la nouvelle ligne de trans donne plus de mobilité aux habitants et la compagnie de transports en commun propose des billets à tarifs très réduits si l’on peut justifier de faibles revenus. Mes élèves du Grimpeur R. C. de 2018 en profitaient pour rentrer chez eux à midi malgré la distance, plutôt que d’acheter les repas de la cantine trop chers pour eux. L’Aré-Métropole préférait en général garder ses pauvres dans les faubourgs et ne pas les exposer à la vue des touristes et des parlementaires. Le pari était perdu car la pauvreté prenait du terrain dans le centre aussi. Aujourd’hui, en 2020, ce sont les mouvements de touristes et de parlementaires que l’on encadre mieux, prenant exemple sur ce qui se passe à Oeil. La profession de guide bénéficie de nouvelles chartes et la formation des guides a été mieux définie afin d’assurer une plus grande sécurité aux marcheurs nous faisant l’honneur de visiter l’Aré-Métropole. Ne souriez plus ! Le sourire est la preuve de votre faiblesse ! Je me demande si la vue des retraités leur sera aussi épargnée ?

EST

L’Est de la Ville Route est vert et varié, autant dans ses formes d’architecture, ses surfaces de terre et de plans d’eau que dans la population qui y habite où gravite. L’architecture offre quelques gemmes de la Ville Neuve, dans les quartiers de l’Orangerie et du Conseil des XV et de façon contrastée, il y a le quartier de l’Esplanade, fait de grands blocs construits dans les années 60, ainsi que les bâtiments plus matériels et plus anciens du Port du Fleuve. L’Est de La Ville Route est beaucoup plus récent que le centre-ville dont une partie des maisons date même du Moyen-Âge, alors qu’à l’est de la Rivière, jusque dans la deuxième moitié du XIXème siècle, il n’y avait que des bâtiments militaires, pour la plupart rasés ou transformés par la suite. Au Nord — oui, au Nord de l’Est —le Parc de l’Orangerie, au Sud, le Parc de la Citadelle, au centre, les Jardins de l’Université et le Jardin Botanique offrent verdure, aires de jeux, de sport ou de tranquillité à qui veut en profiter. Si tu vois par-dessus ton épaule, coule ! L’université de la Ville Route y abrite les Musées de Botanique et de Zoologie et la plupart de ses départements (dont la nouvelle composante de langue vivante voyeuse, mais hormis la faculté de médecine) et de façon conséquente, une grande population étudiante habite l’Esplanade, un des quartiers de l’Est. Très peuplé et vivant pendant la saison scolaire, le quartier se vidait un peu pendant l’été, jusqu’à l’année 2019 lorsque le premier grand congrès voyophile a été organisé. Cette année, à partir de juillet 2020, il va être développé de façon encore plus prestigieuse et un nouveau bâtiment a été construit sur le Campus Universitaire pour offrir des suites, des appartements de prestige et des bureaux aux nombreuses délégations venues de divers pays dans le monde pour y participer. Le quartier de l’Esplanade abrite aussi l’École Interterrienne Aréthienne et l’École Interterrienne de l’Écume, dont les élèves poursuivent en général au Chemineur Interterrien. Ces écoles attirent les parents étrangers, pour certains, des marcheurs travaillant dans les consulats ou les diverses représentations aréthiennes. Bien sûr, plusieurs écoles primaires et chemineurs assurent également la présence de familles. Mais le quartier reste aussi habité par une population plus ancienne. Hurlez de tout vous ! Hurlez vos hantises ! Il y a même certaines rues qui abritent un réel quart-monde Eau-sous-Terrien mais un programme de rénovation de ce secteur a été prévu par la ville de la Ville Route. Il devrait se dérouler sur une période courte, et il est prévu que les familles y habitant vont être relogées dans des habitations responsables dans la nouvelle cité des Poteries. Il reste un certain nombre d’échoppes et les restaurants sont nombreux. Dans l’ensemble, l’Est de la Ville Route offre une assez confortable variation d’humanité et de lieux de vie. C’est le Fleuve, frontière terrienne avec la Voisine, qui en est la limite orientale, l’avenue de la Forêt-Noire étant un des axes principaux de liaison avec la ville voisine de la Gorge.

proposition n° 37

Une trentaine de sièges et tables d’écolier étaient placées en deux à trois rangs, sur une courbe d’un cercle dont le centre aurait été le tableau. La table du prof n’était pas bien plus grande que celle des élèves et il en avait une deuxième pour y poser l’ordinateur nécessaire aux documents à projections et aux écoutes. Près de la fenêtre, dans le même coin que les deux tables du prof, des dossiers, une petite étagère basse avec des manuels scolaires, un tiroir pour les cds et les dvds. Beaucoup de couleur créée par les affiches et par les bandelettes tortillées de papier qui pendaient du plafond pour une meilleure sonorité. À un angle de six étages et trois cent mètres, une petite entrée donnait sur la cuisine avec une table, une banquette poussée contre le mur, un panier pour le chien, puis le couloir trop étroit pour des bibliothèques, mais une petite poussette et une corbeille à linge, d’ailleurs la baignoire dans la salle de bains encombrée par un étendoir chargé et qui interdisait son utilisation ou la rendait difficile, la chambre mystérieuse chargée de senteurs chaudes avec des meubles qui semblaient tous immenses, et leurs tiroirs que l’on n’osait pas ouvrir en l’absence des parents, l’épais édredon et les grands oreillers, le gunch’e’ganch, un fauteuil à bascule centenaire et encore des piles de linge — il y en avait en plusieurs endroits, les livres partout, sur toutes les surfaces. Et la grande salle du brunch au nord avec sa richesse de cafetières, de verres, de carafes, de coupes et assiettes, de couverts et les serviettes de tissu blanc et le luxuriant étalage d’œufs à la coque, de petits pains blancs et viennoiseries, de fruits frais, de salades de fruits et jus de fruits, de fromages frais et cuits, de charcuteries dont on se servait avant de s’asseoir à de grandes tables aux bouts arrondis entre cousins et cousines. Un peu plus au Sud, cette commode épaisse où était posée une télévision, en face d’elle un fauteuil solide et une petite table pour le téléphone, une nappe sur une table ronde de bois sombre, partout des napperons brodés et des cadres remplis de photos anciennes, des enveloppes ouvertes avec un coupe-papier, une autre paire de lunettes, des cartes postales et une corbeille à fruits. Une petite coupe avec quelques douceurs, figues, bonbons, chocolats et amandes. La pile d’un dossier médical et quelques bics. Il y a une vingtaine d’années, ce café spacieux rappelait l’ambiance saloon des films de western. Les après-midi, les joueurs d’échecs y blitzaient. C’était des parties rapides, où les erreurs étaient nombreuses, où les pièces et les pions volaient ainsi que les mains qui passaient rapidement de la pièce à déplacer à la pendule à actionner. Nulle trace du légendaire silence des salles de tournois d’échecs. Les piques, les remarques moqueuses ou acides, parfois même les insultes pas si bonhommes fusaient entre joueurs qui se connaissaient depuis longtemps. Cela ne se passait d’ailleurs pas toujours bien et l’un ou l’autre devait parfois rester chez lui quelques jours car c’en avait été trop pour ses nerfs. Et les livres, les revues de l’union Rationaliste ou d’échecs et les cahiers, les nombreux petits carnets de toutes sortes et couleurs, argentés ou rouge vif, à la couverture matelassée et parfois munis d’une petite anse élastique pour un petit bic ou crayon, les carnets bleuis de l’écriture fine paternelle, ceux qui avaient voyagé, à l’écriture plus relâchée, plus mathématiquement abrégée, les grands cahiers de préparation de cours, cours d’échecs, cours d’anglais, cours de statistique appliquée à la biologie, cours d’anatomie, les polycopiés, les cahiers de préparation de tournois, avec les colonnes de variantes d’ouvertures ou de positions de finales de parties, les quelques cahiers de dessin, les cahiers de compilation de dessins des enfants, de leurs premiers textes, de pensées éparses, de collages d’images évocatrices à l’époque, les cahiers de nos propres apprentissages académiques ou autonomes de lettres, de langues d’espagnol, de tibétain, de yiddish, d’anglais et d’allemand. Les enveloppes et les dossiers qui gardaient les vieilles archives, les lettres du passé d’amis si lointains, les témoignages d’emplois et de salaires, les vieilles revues spécialisées devenues éléments de portfolio professionnel et la poussière. Les jeux d’échecs pour les plus grands des jeux muraux, d’un mètre de côté environ, pour les plus petits de 10cm de côté, de petits échiquiers sur lesquels noter une position ajournée, les tapis d’échiquier, ou ceux en bois ou plastique et les pendules de tous âges. Et les coupes, les médailles, les divers trophées que l’on jetterait sûrement un jour. Les livres ivres survivaient, survivent.

proposition n° 38
Bibliographie imaginaire de Strasbourg

La Famille-Secte (1969)
Un fait divers incongru entraîne la révélation de l’existence d’une famille aux confins de la société, qui avait réussi à se cacher plus de quinze ans, avec la complicité d’une institutrice à la retraite, dans le Strasbourg contemporain, prenant pour guide de vie les stratégies de survie de la famille d’Anne Franck.

Histoires de Strasbourgeoises libres (2000)
Elles étaient atypiques, souvent anonymes, parfois méprisées. Pourtant, chacune d’entre elles, à sa façon a vécu sa liberté de la façon qui lui a convenu. Lisez ce reportage sur treize femmes libres de Strasbourg.

Comment J’ai Refroidi mon Centre du Langage à Strasbourg (2005)
Ce livre, composé d’environ 15 textes qui semblent être des travaux de préparation ou d’exploration préalables à l’écriture d’une nouvelle ou d’un roman, contient des extraits, des scènes de ces nouvelles ou romans dont la scène est Strasbourg. Mais jamais n’apparaissent ces romans ou nouvelles dans leur totalité.

Faire la Toupie sur les Ponts de l’Ill (2009)
Œuvre onirique, poème en prose, ce dernier opuscule raconte les errances immobiles d’un esprit virevoltant du regard, de la mémoire et du rêve sur les ponts de Strasbourg.

Argentoratum (2010)
Le commissaire Wolf ne pensait pas retourner dans son Alsace natale un jour, mais une sinistre affaire criminelle le pousse à enquêter sur une filière de jeux clandestins à Strasbourg

Étude Comparée de l’Alsacien Strasbourgeois et du Yiddish Européen (2012)
Un dialecte en perdition et un dialecte supposément disparu dont il reste pourtant certaines traces : l’alsacien et le yiddish européen ont suffisamment de liens familiaux pour justifier l’étude présente.

L’Histoire des Loups de la Plaine d’Alsace (2013)
Un document envoûtant qui combine les témoignages des quelques éleveurs de loups contemporains et les traces écrites conservées dans les archives paroissiales et les récits historiques alsaciens.

La Joie de la Route Inconnue (2015)
L’écrivaine Strasbourgeoise relate ses errances dans les villes transformées de son passé que furent Boufarik, Toulouse, Grenoble, Strasbourg, Montréal, Saverne, Rio de Janeiro, Dublin, Glasgow, Philadelphie, Boston et Budapest.

Mission Impossible à Strasbourg (2015 bis)
La célèbre équipe est en action à Strasbourg pour régler un problème dont l’explication est déconseillée (elle se détruirait au bout de 5 secondes)

La dame qui Embrasse les Arbres (2016)
Vous l’avez peut-être aperçue, elle qui, sans régularité, se promène de parcs dans Strasbourg, en aires naturelles à l’orée de la ville, et qui étreint avec tant d’amour nos arbres qu’ils soient jeunes ou vieux. Avez-vous osé lui parler ? Notre journaliste l’a fait et il a suivi notre promeneuse sylvestre durant six mois pour vous dire ce qu’elle n’exprime qu’aux arbres.

L’Hopital Adassa (2017)
Le Président du Consistoire Israélite, lors de la création de l’hôpital Adassa, se serait opposé à ce que cet établissement ne fut consacré qu’à la communauté juive. Contradiction ? Légende ? Cette enquête tente de faire la lumière sur ces questions propres à l’histoire de la Santé à Strasbourg.

Strasbourg Envolée (2018)
Promène-toi, ma ville, je t’en donne la permission, car tu sais que je te quitterai à nouveau, un jour. Détache-toi de tes graviers qui, dans le fond, te retiennent si peu, n’est-ce pas ? Envole-toi, tu te feras toute petite, sur la vaste île de Montréal ou tu te réfugieras dans Dublin à la mémoire aussi chargée que la tienne.

Les Journaux de Quartier de Strasbourg (2018)
Oui, la vie médiatique se fait de plus en plus sur la toile d’Internet. Pourtant un certain nombre de périodiques strasbourgeois subsistent encore vaillamment. Voici leur histoire, pourquoi et comment ils ont survécu.

La Spécificité de la Profession d’Écrivain Public à Strasbourg (2020)
Alors que les formalités administratives se complexifient de plus en plus, et que nombreuses sont les personnes dans l’impossibilité de communiquer avec les administrations, l’auteur examine les conditions particulières de la ville frontalière alsacienne et leurs conséquences sur la profession d’écrivain public.

La Variante de Strasbourg dans la Caro-Kann (2021)
Une nouvelle analyse de la variante de Strasbourg par le grand-maître qui la conçut pendant les 36 heures de sa séquestration par les femmes de ménage syndiquées du Tribunal de Strasbourg.

La Danse des Écrivaines (2028)
Elles s’étaient rencontrées le jour même, avaient décidé d’aller faire la fête, l’une s’était écroulée chez l’autre la nuit. Le lendemain, toutes deux avaient démissionné de leur travail. Mais les folles danseuses de Strasbourg n’étaient pas resté inactives, nous en savons tous quelque chose, n’est-ce pas ?

Les Exilés de Strasbourg (2043)
Peu de personnes se souviennent d’une petite contrée de l’ouest du continent européen située sur une faille géologique et temporelle. Les Exilés, qu’importe leur localisation actuelle, qu’importe leur origine passée, continuent à se mouvoir dans les couloirs à la luminosité faible de la mémoire collective.

La Nuée Bleue et ses Environs (2045)
La Nuée Bleue, mythique rue de la ville engloutie Strasbourg, a parsemé au fil des ans les mémoires de ses étincelles célestes. Voyez la fusion opérée par l’écrimel qui a tenu à la faire revivre.

proposition n° 39

Notre avenue voit passer beaucoup de voitures puisque c’est l’axe qui vient d’Allemagne. Nous sommes à moins de deux kms de la frontière. Cela doit bien faire dix ans que la ville avait cessé d’y faire passer ses autobus. Je ne me souviens plus exactement. C’était un soulagement puisque chaque fois qu’ils passaient les sols tremblaient. Mon immeuble n’a pas vraiment été rénové en profondeur et il date de 1900, je crois. De petits travaux d’électricité, oui, un ascenseur dans les années 90, les façades extérieures et les fenêtres donnant sur l’avenue, mais rien à part cela. Alors les trépidations provoquées par la raboteuse, l’autre jour, étaient impressionnantes. Il y a plusieurs mois, je me suis rendue compte que les deux banques qui étaient sur l’avenue de la Forêt-Noire avaient fermé boutique et s’étaient déplacées ailleurs. Je trouvais cela surprenant puisqu’en général, les dernières années, les banques ont plutôt l’habitude d’investir de nouveaux locaux quitte à ne les remplir qu’avec des machines de retrait et ne pas y laisser d’employés. Je m’étais demandé ce qui se passait avec notre avenue pour que les banques veuillent la quitter. Depuis, j’ai appris qu’il allait y avoir des travaux pendant plusieurs semaines. Ils se déroulent en ce moment. Cela signifie-t-il pour les propriétaires que les taxes immobilières vont encore augmenter ? Ou bien y a-t-il un danger ? Nous n’avons été prévenus de rien. Il est tout à fait possible que le déménagement des deux banques n’ait rien à voir avec ces travaux mais je note la coïncidence. Il y a quelques semaines, j’ai appris que nous allions avoir une piste cyclable, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Mais l’ampleur des travaux signifie qu’ils font d’autres choses aussi, des travaux d’électricité, peut-être la fibre aussi. Je sais aussi que la ville n’est pas trop sure de la localisation de toutes ses vieilles canalisations de gaz.

Historique de mes impressions de résidente de l’avenue au fil des travaux de ce chantier.

Lundi 13 août 2018. Je me suis dépêchée parce que j’ai vu que les travaux sur la rue devant chez moi commençaient. Je pensais qu’il y avait un risque que l’on nous coupe à nouveau l’électricité et que l’accès à la maison soit un peu plus difficile. Le bruit des machines est multiple dans la rue. On entend une grande pelleteuse qui racle les trottoirs, et le signe d’avertissement d’une machine qui recule. Mardi 14 août 2018. Il est 8h29. Les trottoirs sont bien pris par les travaux. Jeudi 16 août 2018. Il est 9h30. Je viens de descendre parler au conducteur d’une des machines de déblaiement de la voirie qui travaille en bas de chez moi. Pour ouvrir le sol, il donnait de grands coups avec la partie pelle de son appareil et le sol tremblait, là-haut dans mon appartement. Il m’a dit qu’ils devaient bien travailler. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas de façon un peu plus sensible de percer la rue. Il m’a dit que si, en découpant. Il m’a assuré qu’il allait tenir compte de ma demande. Je m’apprête à téléphoner à la mairie s’il recommence. 13h00. Le conducteur de l’engin m’avait promis d’y prendre garde et effectivement il l’a fait ! Lundi 20 août 2018. J’ai ensuite poursuivi mon chemin avec Chip sur le côté de l’avenue où les machines ne travaillent pas encore. Il semblerait que l’avenue va être en travaux pendant tout le mois. Si j’ai bien compris, nous aurons des pistes cyclables ensuite, ce qui nous permettra à nous, les piétons, de ne plus devoir sans cesser regarder par-dessus nos épaules pour nous assurer qu’une bicyclette ne risque pas de nous rentrer dedans. Mercredi 22 août 2018. À plusieurs reprises, aujourd’hui et hier, j’ai dû lutter contre un formidable sentiment d’énervement. C’est probablement dû à la pollution sonore que nous subissons en ce moment avec les travaux sur l’avenue. Jeudi 23 août 2018. Ai souhaité un « bon appétit » à un ouvrier du chantier qui mangeait un casse-croûte à demi-assis dans une voiture, jambes dehors. Les travaux se sont un peu décalés. Certains au coin près du fleuriste, d’autres plus près de l’ancien bâtiment des archives municipales. Cela nous fera moins de bruit. Mais j’ai quand même entendu les camions très tôt ce matin. Vendredi 24 août 2018. Je n’ai presque rien écrit hier, je vais essayer de me rattraper aujourd’hui. Je crois que le bruit dans la rue me paralyse. Bon, de nouveau du bruiuiuiuiuit ! Mal à écrire. J’essaye de fonctionner avec des boules quies dans les oreilles. Le bruit des travaux finit par me rendre dingue, en tout cas, il me paralyse dans mes essais d’écrire. Peut-on imaginer à quel point certains élèves haïssent l’école ? Est-ce que ces enfants souffrent autant que moi-même alors que je dois supporter le bruit de cette machine raboteuse au bas de la maison ? J’en ai même des hauts-le-cœur. Trop dur : je crois que je vais aller lire dans la cuisine (le roman de Vargas). Il y aura moins de bruit. 11h38. Il a un peu plu et les machines se sont un peu calmées, du coup, je suis revenue ici. Un instant de crainte, la raboteuse a semblé se rapprocher à nouveau. Samedi 25 août 2018. Un moment de détresse ce matin lorsque je me suis réveillée en entendant des camions en bas. J’ai d’abord cru qu’ils allaient continuer les travaux ce week-end. Mais non, il s’agit de déménagement : trois gros camions pour un appartement situé au 4e étage. Jeudi 30 août 2018. Que supportes-tu en fin de compte ? Question qui semble impliquer que je ne supporte pas grand-chose. Est-ce vrai ? Je suis pourtant connue pour être assez tolérante avec mes élèves. Mais il est vrai qu’il y a des choses que je supporte mal, en particulier trop de bruit. Je m’en suis encore rendue compte ces deux dernières semaines lorsque les machines faisaient un bruit d’enfer dans la rue. Samedi 1er Septembre 2018. Les travaux de la rue semblent presque terminés aujourd’hui, au moins sur la route elle-même qui est à nouveau goudronnée. Les trottoirs ne sont pas encore entièrement réparés et les feux de signalisation ne sont pas tous rétablis. Il n’y a pas non plus encore de peinture de signalisation sur la route et donc aucune trace de la piste cyclable annoncée.

proposition n° 40

Au Chameau d’Alsace, à Soufflez-sur-le-Sachem, c’est ainsi qu’un ami avait rédigé l’adresse d’une enveloppe qui était pourtant arrivée à Souffelweyersheim, un village et quartier résidentiel faisant partie du grand Strasbourg. Il avait bien la vision d’un lieu sorti du monde actuel, de la vraie vie. Lorsque j’y allais, pour me rendre dans la maison où vivaient d’abord mes parents et les chiens, puis ma mère et sa chienne, puis elle et son chien, après être sortie du bus, à l’arrêt du cimetière, je devais d’abord, pour prendre un petit raccourci, longer la grande poubelle bleue. Puis, alors que j’étais d’abord à l’entrée du cimetière, je longeais son haut mur, et pour rester à droite, au lieu de traverser ce qui m’aurait permis de marcher sur un vrai trottoir, je marchais sur un avorton de trottoir qui en largeur pouvait peut-être contenir deux pieds, mais une épaule et un bras se seraient frottés contre le mur. Alors, la plupart du temps, je marchais le long de la rue, jusqu’à ce que j’atteigne la fin du mur et que j’arrive à un endroit plus ouvert, un gazon avec un ou deux grands arbres et quelques sapins, et si je me retournais un peu sur la droite, je pouvais voir la sortie du cimetière. En y réfléchissant, j’aurais pu le traverser, ce cimetière, puisqu’à chaque fois, je le voyais ouvert à un bout et à l’autre aussi, mais je ne l’ai jamais fait. Peut-être l’aurais-je fait si j’avais su que nos morts, je veux dire ceux de ma famille, y étaient enterrés, mais ils sont ailleurs. De la superstition ? En tous cas, mon envie de raccourci n’allait pas jusqu’à traverser un cimetière rempli de tombes inconnues. Sur mon chemin, j’entendais quelques voix, parfois, provenant des jardins attenants aux maisons. Sur cette première rue, à gauche, les maisons étaient encore celles du village, des maisons qui avaient été construites avant celles du quartier du Hameau d’Alsace, qui datait des années 70. C’est étonnant comme ce gazon me semblait bien être un gazon de cimetière, et pourtant il était à l’extérieur du cimetière. Il m’arrivait d’ailleurs de m’y retrouver lorsque je promenais le chien de ma mère. Il n’y a pas de logique à nos actions, pas toujours du moins. Donc, lorsque je faisais mon chemin en direction de la maison maternelle, je marchais assez vite pour dépasser ce gazon, puis j’avais le choix : à droite pendant une vingtaine de mètres, puis entrer dans une petite allée qui serpentait entre les pavillons du quartier ou continuer tout droit pour prendre une petite allée à droite un peu plus loin, mais un peu plus large. En fin de compte, le résultat était le même, je me retrouvais sur un chemin légèrement cabossé, qui longeait les façades arrières de certaines maisons, les côtés d’autres, et rarement, je croisais des personnes que je saluais, qui répondaient rarement, puis je rentrais dans le jardin de la maison de ma mère, avant de sonner pour entrer. Chaque fois que je marchais dans ce quartier, qui était pourtant assez agréable à regarder, je me sentais comme en prison et je me félicitais de ne pas y habiter. Je savais qu’il était possible d’en sortir puisqu’il était possible d’y entrer. Mais si l’on ne conduisait pas, on y était vraiment dépendant de l’autobus ou de la bicyclette à la rigueur. En hiver, il aurait fallu être en forme. Un joueur d’échec sait que pour que les pièces à portée réduite, comme le cavalier qui ne se déplace en un coup pas au-delà de deux cases, aient un maximum de mobilité il est nécessaire qu’elles soient placées au centre. Si le cavalier est sur un côté de l’échiquier, le cercle de son amplitude de mouvement est tronqué. « Springer am Rand bringt Kummer und Schand » Un quartier excentré qui n’a qu’un autobus pour me véhiculer est pour moi une restriction. J’ai emmené mon frère-chien pour qu’il vive avec moi en ville.

proposition n° 41

Et on change d’idée, on transverse vers la grande rue vivante, avec des vivants plus vrais, moins policés, moins vacanciers, moins habillés. Et on se grandit vers la Trans-Rue [1]où ils vivent plus et s’habillent moins. Et on change d’idée vers la Grand-Rue et elles rient d’être moins policées et pliées. On se verse tout entière vers les vivants plus vrais, vers la grande rue vivante et les dépolies et les déviées. Et dépolis et déviés les vrais habits pour vivre grande dans la rue. Où l’on se verse à travers les flots de la rue et l’on vit avec les moins et plus, vrais et policés et dépliés. Déviation vérisimilaire de la vie dans la rue, là avec les vrais vivants dépliés. On se transgresse dans la rue grande de vrais vivants moins habillés. La rue divergente où transitent les vie-rêveurs. Variante de vie divergée versée dans la rue avec des moins habillés, moins policés, moins vacanciers [2]. Et on s’y verse, on s’y transverse, vers elle, rue de transit des divergents. Vrue, variante vraie de rue et grande de vivants verts de rêves. Et on danse d’idées dans les vertes vallées de la rue avec des vie-rêveurs dépolis et elles rient.

proposition n° 42

entre la 14 et la 15

Environ trois cent mètres plus loin au nord-est, la scène est différente. C’est une scène de rue, dans une avenue aux maisons de cinq à six étages, mais de hauts étages, beaucoup de passages et de croisements de voitures, de mouvements de passants affairés, certains pour le travail, certains pour les courses ménagères, quelques rares personnes arrêtées un instant dans la contemplation d’une vitrine, d’un détail sur le trottoir ou d’une autre personne.

entre la 16 et la 17

La résidente du quartier qui avait fait l’objet de l’observation de la dame en noir se trouve parfois confrontée à ou simplement témoin d’autres types de problèmes au fil de ses propres pérégrinations dans la ville. Pour elle, la ville est quand même devenue moins anxiogène.

entre la 29 et la 30

Toutes les scènes de table ne sont pas aussi paisibles ni leurs décors aussi conviviaux. Les deux jeunes gens qui marchent dans un complexe bétonné non loin de là vont participer à un type de rencontre moins festif.

proposition n° 43

Pensées sur ces textes écrits à propos de Strasbourg
Note du 6 juin : Dans mes textes, j’ai toujours, ou souvent, une femme qui marche. Si je faisais un recueil de nouvelles, je pourrais l’appeler : Et elle marchait, marchait…, ou encore la Péripatéticienne. Ce serait mon voyage d’Ulysse, à la forme féminine, non sur la mer vers Troie, ni de retour, mais dans les rues arpentées au fil des ans, que ce soit à la Meinau, sur les routes de ventes du Québec, à Grenoble ou à Strasbourg. La continuité pourrait être dans la marche.

Note écrite le 11 juin : Mais j’aimerais l’actualiser ma ville, y mettre des foules, des gens, quelques personnages qui vivent au long d’une intrigue. Je ne voudrais pas que le personnage principal soit un de mes avatars à moi, mais une femme ou un homme, peut-être plus jeunes.

Note écrite le 25 juin : Je voudrais passer à mes autres villes : Boufarik, Grenoble, Montréal. Qu’est-ce qui me vient à l’esprit ? Le mettre en relation des notions du baroque, les illusions visuelles, la vision oblique. Je pense aux rues en pente de Montréal, bâtie sur une colline, à un jour de neige et de gel après une nuit où les employés de la ville avaient fait grève et que les chasse-neiges n’avaient pas déblayé les rues. Je me rappelle la peur que ressentait une chauffeur de bus que je connaissais. Les routes glissaient, son bus était lourd et était entraîné par son poids et les passants n’étaient pas conscients du danger et traversaient devant son bus. Dans une de ces rues en pente, j’avais trouvé une de ces cantines où il était possible de prendre un petit déjeuner avec des œufs pour un dollar ou un dollar cinquante. Arrivée à Montréal avec une centaine de dollars en poche seulement et quelques vêtements d’été, je trouvais que c’était formidable de pouvoir se sustenter, avoir ses protéines pour la journée pour si peu.

Note du 31 juillet : Je suis obsédée par l’amoncellement des générations, par le fait que chacun devient alternativement victime et bourreau et je crois que j’ai consacré ma vie à tenter de ne pas être un bourreau.

Pensée du 7 septembre : Lorsque j’ai commencé à écrire les premières propositions, j’étais dans une période où j’étais obsédée par nos morts, ceux de ma famille, des amis. Je pensais à ceux que j’ai connus et aux autres, ceux qui ont compté pour mes parents. Ce dont je n’ai pas parlé, c’est du lourd passé de la ville. De la synagogue brûlée, des habitants dépossédés, de ceux qui ont pu être raflés, de ceux qui ont dénoncé les autres, de ceux qui ont profité de la fuite de ceux qui partaient sauver leurs vies, de la bigoterie de certains, de l’évolution que je trouve tellement heureuse et rafraichissante de la démographie urbaine avec aujourd’hui des jeunes qui viennent de Turquie, des pays du Maghreb, de l’Afrique, des pays d’Europe de l’est. Lorsque j’étais jeune, j’avais peur de la brutalité française. Le grand mélange actuel des cultures fait revivre Strasbourg et me la rend plus supportable qu’elle ne l’était autrefois. En écrivant la ville, je pensais que je me mettrais à écrire Montréal, ville de mon choix pendant dix ans, mais finalement je suis restée sur Strasbourg, que j’ai redécouverte ces trente dernières années.

proposition n° 44

Lorsque je la lis, je suis émue, devenue un peigne promené doucement sur une chevelure volubile et soyeuse. Les propositions s’y déroulent dans une élégance légère faite de richesse lexicale mais aussi de sens vraiment présent. La ville est désirée, voulue, pour sa beauté maintenant, pour l’instant, mais ni la beauté, ni les pierres ne sont suffisantes, il faut qu’il en vienne plus et dans le souvenir de son évolution, on s’y rappelle aussi qu’elle avait été autre chose, lors de sa jeunesse, plutôt de l’ordre d’un décor protecteur ou au moins enveloppant pour la famille dans laquelle on vivait alors qu’au moment de l’écriture, on est seul, et on s’en approche de cette ville, on s’y réfugie, tremblant, et on tente d’y être lié à nouveau et on observe que ce qui était n’est plus mais que de nouvelles transactions s’y sont créées et que les acteurs et les chanteurs et danseurs et parleurs sont nouveaux, venus d’ailleurs, et par leurs échanges la recréent, cette ville qui continue à vivre, qui continue, autrement. Et l’on voudrait bien suivre tout cela encore et longtemps.

Hétéroclite même dans cette partie, pourrait-on dire baroque ? C’est incertain parce que même les brisures des lignes et les changements de rythme de constructions baroques tendent à une harmonie probablement spirituelle même si tourmentée et traversée par des tromperies visuelles qui font vaciller les représentations de ceux qui s’y plongent. Il n’y a pas ici d’entité plus haute qui serait à l’origine, mais un amoncellement de fragments de paysages, d’histoire et d’humains parfois déchirés, toujours survivants puisqu’ils sont là en fin de compte. Il faut avoir eu des ressources pour y être, les ressources qui font qu’ils sont les descendants d’autres qui se seront battus ou terrés mais auront survécu. Là où les pierres, les jardins gardent néanmoins des bribes ou des soupçons de cette mémoire alors même qu’ils ont été disposés là, enserrés, dissimulés sous des dehors rassurants. Un ensemble hétéroclite, non retouché, comme si dans la construction de cette ville, il y avait un tabou de pièce touchée-pièce jouée, interdisant le remord et la repentance, dans un atavisme venant d’une civilisation ludique et cruelle dans sa simplicité.

Décrire une journée d’immersion dans une fête qui fait revivre les métiers anciens des tisserands et les gens viennent mettre la main à la pâte et la lente transformation dans l’état d’esprit du narrateur. La pâte c’est l’eau, la tourbe, les peignes les machines et on entend des rires, de l’affairement joyeux où le narrateur se dit revivre et à nouveau faire partie du monde alors qu’avant, ayant commencé à écrire, il s’était éloigné du monde. Car c’était un geste qui coupait en quelque sorte les ponts entre les deux mondes, celui de l’écriture et celui de la vie avec les autres. Un narrateur intrigant qui représente quand même celui ou celle derrière la plume ou le clavier, et se demande si son écriture pourrait l’avoir transformé.e aussi ou allait le faire. Des frontières poreuses entre le monde écrit et le réel de celui qui écrit. La fête annuelle en l’honneur de ces artisans semble d’une certaine façon un miroir de l’atelier d’écriture avec ses artisans (occasionnels aussi pour certains), en retour, en cadeau ?



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1ère mise en ligne 8 juin 2018 et dernière modification le 11 septembre 2018.
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[1Lundi de Pentecôte férié. J’ai rêvé, après une marche dans Strasbourg, je passe devant le Magmod c’est sûr, mais subitement je marche sur une belle rue longeant une baie, je vois des bateaux, des barques amarrés, beau paysage du sud. Je retourne sur la rue, traverse, vais sur le trottoir de gauche, et je veux m’approcher d’un restaurant (type Glacier de Grenoble). Il y a des vitres de bas en haut, je vois les clients de l’autre côté. Je veux m’en approcher mais je m’aperçois que je marche dans une flaque. Elle doit être profonde puisqu’il y a un crocodile. Comment faire ? De l’eau partout. J’essaye de marcher le plus près possible de la vitre pour qu’il ne m’attrape pas. Il va se retourner alors que je viens de passer à côté de lui. Horreur, il y en a deux autres ! Ils vont m’attraper, je ne veux pas qu’ils me coupent la jambe. Je me réveille.

[2Les panneaux de circulation et les grands panneaux lumineux indiquant le nombre de places disponibles dans les parkings municipaux. Pour les piétons qui ne conduisent pas, cela ne signifie pas grand-chose, mais nous ne sommes pas nombreux, alors nous imaginons comment se trouvent ces places disponibles, oubliées, délaissées, que l’on n’a pas voulu occuper. Sont-elles tristes ou heureuses ? Sont-elles vides seulement pour un moment ou cela leur arrive-t-il de façon récurrente ? Parce qu’elles sont mal disposées ? Pourquoi ? Trop loin des magasins ? Trop facilement accessibles aux voleurs potentiels ? Pas à l’abri des intempéries ? Il faudrait y aller visiter pour le savoir, mais les visites des parkings ne font pas partie des visites touristiques organisées par la ville et on n’a peut-être pas assez de guides qui connaîtraient qui connaîtraient suffisamment la langue des souterrains ou des parkings en hauteur ou de la mécanique.