Ana Navarrete-Berbel | Laissez-nous taire la nuit

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L’AUTEUR

Ana Navarrete Berbel (qui signe souvent ana n b) habite à Nancy et propose 2 expériences web de haute qualité, souvent basées sur la relation texte image, et parfois à partir de son propre travail plastique, qui en ont fait en quelques années un repère important du paysage de la littérature web : son jardin sauvage et ses effacements . On peut aussi la suivre sur Twitter : @anaN2B.

LE TEXTE

« C’est une traversée dans la/ma ville. La ville est donnée sans nom. C’est une traversée sonore de jour une traversée de nuit. Je marche dans les pas dans la voix de l’homme aux yeux fermés l’homme à l’arbre noir l’errante la jeune fille au chien Blue Bird Blind man et les autres. Au début je ne veux pas l’écrit l’écriture je veux et voudrais seulement les voix – furie féroce âpre traversée. Chaque voix trace marque son espace. Chaque corps trace marque le jour la nuit. Parfois un corps disparaît. Plus tard ce corps revient ou pas. Laissez-nous taire la nuit c’est ma ville c’est dans cette ville que je vis. Laissez-nous taire la nuit c’est comme un tournage sonore, ici j’en donne une forme figée. J’espère pouvoir en donner un jour une forme vivante sonore improvisée. »

 

*

 

(voix seule)

bleu
bruit de rien
je ne vois rien
seul
le bleu au-dessus de
rien je ne vois rien
un fin trait rouge sur mon front
seul le bleu
un fin trait rouge sur ma main
rien je ne vois rien
seul
le bleu le bleu du jour
bleu
bruit de rien
je ne vois rien
seul
le bleu le bleu au-dessus de
rien je ne vois rien
un fin trait rouge sur mon front
seul
le bleu le bleu de
un fin trait rouge sur ma main
rien je ne vois rien
seul
le bleu le bleu du jour
bleu
bruit de rien
rien
je ne vois rien
seul
le bleu le bleu au-dessus de
rien je ne vois rien
un fin trait rouge sur mon front
seul
le bleu
le bleu
un fin trait rouge sur ma main
rien je ne vois rien
seul
le bleu le bleu du jour
bleu
bruit de rien
rien
je ne vois rien
seul
le bleu le bleu au-dessus de
rien je ne vois rien
un fin trait rouge sur mon front
seul
le bleu le bleu de
un fin trait rouge sur ma main
rien je ne vois rien
seul le bleu le bleu du jour
bleu
bruit de rien

 

*

 

(voix seule)

c’est là – vers là – une plainte jusqu’à l’éblouissement- sur la terre des sans nom – il voit les bras enlacés aux herbes vivantes – il entend – la furie – là vers là – des peaux des yeux des cœurs – sous les traits du ciel – sur la brûlure des pierres – air animal – surgit sur troncs branches feuilles – air animal cerne chemin rue pierre mur maison – éclate langue larmes – saigne ciel peau paupière mains visage corps – rouge chevauche la terre des sans nom – il voit bras mains doigts en arc écartelé – il entend langue fendue langue foudroyée langue – air animal – il entend la marche fébrile des ombres – il entend le chant de l’enfance – il entend le vent les fleurs la danse aimante des fleurs – il voit – le roi du haut des rien – il voit le sang mêlé à la couleur du jour – il voit la paume nue ouverte –

 

*

 

(voix seule)

eh fils de l’obscur regarde – ouvre les yeux – ouvre les yeux – là – au centre le vide blanc – blanc – tu comprends blanc – là – ouvre les yeux – là – une maison

(le chœur)

I like Bad Bird and Bad Bird like me – la nuit colle un ange à chaque maison

(voix seule)

nulle part t’entends nulle part ça s’étend là – des éclaboussures de noir ça crache ça explose c’est noir d’aussi loin d’aussi près – ta gueule dans le noir – et toi tu marches là – t’écoutes la chute tu sens l’odeur des noms brûlés – Crazy Body Blue Bird Big Bird Bad Bird Joseph B. l’homme à l’ombre penché tous les noms tombent – le soleil est dangereux ici – t’entends les fissures t’entends – fils de l’obscur réveille – toi – Blue Bird Blue Bird vole vole et claque tes ailes sur la ville flottante – fils de l’obscur – tu vois les murs tu vois la peau grise des murs –

(voix seule)

marche – marche là là au milieu reste au milieu avance avance non tu ne trouveras pas d’autres rues – et quoi des angles de rues et quoi une place eh fils de l’obscur lève les pieds sur les cailloux blancs – tes mots sont vides de lumière – lève-toi fils de l’obscur lève la tête regarde la neige – il neige Blue Bird sur tes ailes il neige sur Bad Bird – marche allez marche

(voix seule)

marche écoute le silence de la mort écoute le silence de la vie écoute la voix ensevelie la voix parle du lieu d’ici la voix parle de l’ailleurs du lieu d’ici la voix parle du vide la voix parle du vide au centre – là – Bad Bird une toile noire traversée d’un trait noir – de la boue des décombres de l’obscurité – eh Blue Bird vole vole éloigne toi

(le chœur)

I like Bad Bird and Bad Bird like me – la nuit colle un ange à chaque maison

(voix seule)

tu vois avec cette route le voyage commence – le voyage commence là – arbres tordus pas loin de la première maison – Blue Bird Blue Bird voilà c’est ton nom –

(le chœur)

Blue Bird Blue Bird vole vole et claque tes ailes sur la ville flottante Blue Bird Blue Bird vole vole sur la ville flottante – fils de l’obscur quitte le chemin du cheval renversé

(voix seule)

eh Blue Bird t’entends la fanfare hein la fanfare de Bad Bird – eh va chercher le docteur de la peau des peaux ôtées des murs hein – des couches de dentelle de mousseline de soie drapée de Crazy Body – eh docteur tu vois l’intérieur de mon corps tu vois les plaques de lumière tu vois les plaques sombres tu vois mes fondations secrètes – tâte le tissu de mon buste noir- et mon crâne ouvre le docteur mon crâne – tu le vois l’échafaudage de mes pierres tu le vois – rouge lilas et jaune rouge lilas et jaune – et plus loin

(voix seule)

cours maintenant sur le blanc – là le blanc – ouvre les yeux Blue Bird – ouvre tes yeux

(le chœur)

marche et colle ton oreille au vent – transe de basses résonances – capte les heures de l’intérieur – eh Blue Bird ton cheval a la gueule de travers – eh Blue Bird ton voyage commence là –

(voix seule)

corps flotte sur les chemins d’eau – visible de nuit de jour – on voit ici les pierres toutes les pierres et la peau ôtée des murs – la vie quittée des carrés de lumière la vie quittée des carrés d’ombre –

(voix seule)

eh Blue Bird t’entends le vent t’entends le vent sur la vaste étendue sèche et luisante – eh fils de l’obscur la nuit brûle tes yeux – la nuit a brûlé tous les yeux toutes les peaux toutes les langues – ici – eh tu entends l’eau tu entends l’eau du chemin d’eau-écoute marche marche plus loin éloigne toi du centre –

(le chœur)

Le nom de la ville on ne le connaît pas – Bad Bird tu es le fils obscur de Bad Bird tu es le fils obscur de Crazy Body – I like Bad Bird and Bad Bird like me

(voix seule)

dans la ville sans nom – chef d’œuvre du XXIe siècle

 

*

 

voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’homme voix d’homme voix de femme voix de femme voix d’enfant voix d’enfant voix de femme voix de femme voix d’enfant voix d’enfant voix de femme voix d’enfant voix d’enfant voix d’homme voix de femme voix de femme voix de femme voix de femme voix de femme voix de femme voix d’enfant voix d’homme voix de femme voix d’homme voix d’homme voix d’homme voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix de femme voix d’homme voix de femme voix d’enfant voix de femme voix d’homme voix d’enfant voix de femme voix de femme voix de femme voix d’homme voix d’homme voix de femme voix d’homme voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’enfant voix d’homme voix de femme voix de femme voix de femme voix d’enfant voix d’enfant voix de femme voix de femme voix d’enfant voix d’enfant voix de femme voix d’enfant voix d’enfant voix d’homme voix de femme du toit des maisons des fenêtres des rues du toit des maisons des fenêtres des rues des rues des rues des rues des rues des fenêtres du bord des fenêtres des fenêtres ouvertes voix d’enfant voix de femme voix de femme voix de femme voix de femme voix d’homme voix d’enfant voix de femme voix de femme voix de femme voix de femme voix d’homme voix d’enfant voix d’homme voix de femme voix d’enfant voix de femme voix de femme voix d’homme voix d’enfant du toit des maisons des fenêtres voix d’homme voix d’enfant dans la nuit du bord des fenêtres ouvertes des maisons des rues voix d’enfant voix de femme voix de femme voix d’homme

 

*

 

(voix seule)

elle connaît elle cogne la haine blanche du jour dans les entailles de sa pels pellis peau animale elle sait elle connaît le cri elle sait elle connaît c’est le souffle rare dans la bouche c’est le souffle rare au fond de la gorge elle sait elle connaît elle oh non elle connaît oh non je n’ai rien elle sait elle connaît elle entend oh non je haine non je haine haine je aînée de la haine elle crie elle et son cri je oh non haine non je oh haine haine aînée de la haine et je là j’erre là je non elle sait elle elle et son cri elle connaît c’est le souffle rare dans la bouche le souffle rare au fond de la gorge il gronde le cri il grandit le cri il guerre le cri guerre rouge dans sa bouche rouge oh non et le souffle s’échappe et le souffle s’entend et le souffle s’étire et le souffle s’amplifie et le souffle s’éteint elle sait elle connaît le cri je oh haine je n’ai pels pellis peau animal elle sait elle connaît elle cogne la haine la haine blanche du jour elle file dans les entailles de sa pels pellis peau animale elle sait elle connaît elle cogne la haine blanche du jour dans les entailles de sa pels pellis peau animale

 

*

 

(le chœur)

sur le plateau on arrive le soir à la tombée des ombres dernières
celles des grandes barres de béton celle de la prison neuve
le plateau et après
la tombée des ombres du soir
le plateau est désert le jour
une étendue moyenne de terre sombre brune
rien ou presque de l’herbe rare, un arbre au nombre d’un, un arbre- totem jeune aux feuilles fines et des fleurs blanches au nombre de plusieurs
le plateau se situe à l’une des extrémités cardinales de la ville. D’ailleurs on ne sait pas si nord si sud si ouest si est
le plateau se situe à l’une de ces extrémités plus loin le plus loin du bord de la ville
le plus loin presque à la fin de la ville

(voix seule)

on les voit le matin le matin tôt on les voit descendre du plateau les épaules chargées de tout et de rien, ils descendent la grande route celle qui va de la fin du plateau au début de la ville

(voix seule)

Les hommes les hommes de passage les passagers, les passagers du plateau on ne les voit que le soir, entre eux ils s’appellent gardien de l’arbre – totem et des fleurs au nombre de plusieurs, quand on dit on les voit c’est faux, on ne peut pas les voir sauf de loin, ils sont assis sur la terre la terre sombre brune, un homme est debout et il crie il crie et il hurle comme un fou

(le chœur)

Aidez- nous à taire la nuit aidez- nous à taire la nuit passagers de la ville à l’odeur de cadavres blancs, aidez-nous à taire la nuit

(voix seule)

On les voit ils traversent le centre de la ville à deux à trois parfois plus – parfois seul -ils traversent les grandes avenues, la première la plus longue sous le bleu – ils s’arrêtent au carrefour, des fois ils croisent un visage, alors le noir de leurs yeux cherchent le noir dans l’autre visage, l’autre visage ne voit rien l’autre visage fuit bouche œil et voix

(deux voix)

et il crie il hurle comme un fou, laissez-nous taire la nuit et il répète – c’est ça c’est ça c’est vraiment ça – et il hurle autour des autres et il tourne sur lui sa voix il tourne il hurle il tourne et les autres entendent son hurlement et les autres ils ne bougent pas

(le chœur)

nos yeux on les laisse ouverts
sur la cicatrice de notre mère
sur l’œil fermé de notre père
sur le corps brûlé de notre frère
sur le visage croisé de
sur le mur sur le bas du mur
sur le sac de petits pains
sur le corps maigre penché
sur l’homme – toupie
sur la fenêtre à la lumière riche
sur la peau blanche de la grande avenue
sur la main rouge du cracheur de feu
sur l’arbre-totem

(voix seule)

ils s’arrêtent là – dos contre mur voix contre cris corps contre vide – eh madame souriez eh monsieur souriez, et l’homme – toupie tourne tourne tourne tourne sur lui-même et tend la main et son corps tombe dans l’évidence de la lumière

(deux voix)

et il crie et il hurle comme un fou – laissez-nous taire la nuit

there is no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun there is no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun there is no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun there is no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun no sun

(deux voix)

le soir ils partent vers le plateau vers la fin de la ville à l’extrémité nord quelqu’un dit au nord au bord de la ville au nord à la fin de la ville sur le plateau ils arrivent après la tombée des ombres celles des grandes barres celle de la prison neuve, ils arrivent sur la terre sèche de pas de pleurs de plis de nuit

(voix seule)

on reste ici pour les voir on les voit de loin – ils s’installent pour la nuit – on voit les formes sombres assises sur la terre sombre brun – on voit l’obscurité on entend rien on n’entend pas une voix – ils sont six dix vingt peut être plus – on entend rien – et puis une voix – le milieu du plateau s éclaire – on voit l’arbre l’arbre ils l’appellent arbre- totem – un brasier s’allume puis autre brasier un autre brasier un autre brasier un autre brasier un autre brasier six brasiers dix brasiers vingt brasiers peut être plus – on voit un cercle de brasiers –

(le chœur)

nous les sans nom nous venons des extrémités de la ville des extrémités du jour-nous venons les épaules chargées de l’arbre – totem – l’arbre vivant à l’écorce bleue – avec nos mains nous creusons la terre la terre sombre brun avec nos mains nous recouvrons les racines de l’arbre-totem – avec nos mains chaque nuit nous creusons une lettre sur l’écorce bleue – à la lettre A le nom de A – à la lettre B le nom de B – à la lettre C le nom de C – à la lettre D le nom de D – à la lettre E le nom de E – chaque lettre porte le nom de chaque visage- chaque visage disparu – chaque visage attaché à la fin de la nuit l’arbre-totem tourne le dos à la fin de la ville – laissez-nous taire la nuit

(deux voix)

On voit maintenant les corps on les voit à peine les corps allongés sur la terre sombre brun là où les cendres sont encore rouges- au centre du plateau le corps grand de l’arbre-totem se détache de la nuit

(le chœur)

nous laissons nos yeux ouverts
sur la cicatrice cachée de notre mère
sur l’image de l’œil fermé de notre père
sur le corps des cendres de notre frère
sur le sac de farine blanche dans la lumière noire
sur les fresques fissurées du bas des murs
sur le visage différent croisé au carrefour
sur la main posée sur l’herbe rare
sur la course de l’enfant seul

(deux voix)

maintenant on voit l’arbre – totem seul au centre du plateau-ils marchent maintenant vers le jour –

(deux voix)

dans le furtif cirque – son fragmenté d’une voix – chute lente d’une voix – et voix suit le mouvement du corps – l’espace s’ouvre sur – seule fidèle faille

 

*

 

(voix seule)

portrait de la jeune fille au chien, chef d’œuvre du XXIe siècle
la jeune fille au chien est là
la jeune fille au chien est là dans une ville/dans la ville
la jeune fille fille au chien est là dans la ville
la jeune fille au chien est toujours là dans cette ville/dans la ville
la jeune fille au chien vient de nulle part
la jeune fille au chien vient de la ville
la jeune fille au chien est venue un jour
la jeune fille au chien est venue un jour dans la ville
la jeune fille au chien est dans la grande rue la grande rue qui traverse le centre de la ville et qui commence pas loin de la gare et qui se termine pas loin de l’église la grande rue porte le nom d’un saint d’un Jean peut être la grande rue n’a pas d’arbres ni de fleurs ni d’herbes ni de terre la grande rue est triste pour le chien de la jeune fille
la jeune fille au chien est là au début de la grande rue
la jeune fille au chien est assise là au début de la grande rue
la jeune fille au chien est assise là au début de la grande rue blanche
la jeune fille au chien est blanche comme la grande rue blanche
la jeune fille au chien a la peau blanche des mains du visage
la jeune fille au chien ne voit pas la lumière des arbres des fleurs des herbes de la terre la jeune fille au chien ne voit pas la lumière
la jeune fille au chien est assise
la jeune fille au chien ne voit rien du jour
la jeune fille au chien voit des pieds des jambes des pressés de la ville
la jeune au chien est patiente
la jeune fille au chien voit des boules noires irrégulières écrasées sur le sol
la jeune fille au chien baisse les yeux
la jeune fille au chien baisse les yeux
la jeune fille au chien écoute la musique des pas qui approchent
la jeune fille au chien écoute la musique des pas qui s’éloignent
la jeune fille au chien voit des pieds des pieds dans des chaussures noires des chaussures noires avec des boucles et sur les boucles le bas d’un pantalon noir
la jeune fille au chien suit la ligne noire qui va du bout des pieds au col d’une veste noire
la jeune fille au chien dit quelque chose
la jeune fille au chien dit quelque chose qu’on entend pas
la jeune fille au chien est là au début de la grande rue
la jeune fille au chien est assise là au début de la grande rue
la jeune fille au chien est assise là au début de la grande rue blanche
la jeune fille au chien est blanche comme la grande rue blanche
la jeune fille au chien dit tu ne sais pas qui je suis et après un tram passe un tram passe un tram passe un tram passe un tram passe un tram passe un tram tram passe un tram passe un
la jeune fille au chien perd sa voix à chaque passage du tram
la jeune fille au chien garde ses mains blanches pour fumer
la jeune fille au chien ne tend pas la main
la jeune fille au chien ne bouge pas ou si peu et le chien ne bouge pas ou si peu
la jeune fille au chien tend la main maintenant
la jeune fille au chien dit quelque chose qu’on ne comprend pas
la jeune fille au chien dit quelque chose qu’on ne comprend pas dans la grande rue blanche maintenant déserte
la jeune fille au chien ouvre la bouche la tête baissée les yeux baissés les épaules légèrement baissées le bras baissé la main droite paume au ciel ouverte
la jeune fille au chien ne voit pas le ciel bleu de la grande rue blanche
la jeune fille au chien ne voit rien du jour
la jeune fille au chien est là au début de la grande rue
la jeune fille au chien est assise là au début de la grande rue
la jeune fille au chien est assise là au début de la grande rue blanche
la jeune fille au chien est blanche comme la grande rue blanche

 

*

 

(deux voix)

des bruits des débris de bruits – nos norg nioch – avance silence – bruit des bruits débris de bruits – silence danse avec nuit – nocte noch nacht night – l’espace s’ouvre sur – seule fidèle faille –

 

*

 

(voix seule)

elle reste assise – là – face aux yeux du ciel – une voix puis une autre voix- terre terre ombre terre – jusqu’à la nuit –

 

*

 

(voix seule)
portrait de la dormeuse errante, chef d’œuvre du XXIe siècle

De la nuit à la nuit
elle marche de l’extrémité nord de la ville au centre
de la nuit à la nuit
elle marche
et la nuit colle ses cheveux
et la nuit colle sa peau dans le noir de la nuit
elle marche
elle marche et ses yeux portent la lumière de la nuit
de la nuit à la nuit
elle marche
pas loin du carrefour au centre du carré
l’arbre
son arbre
elle dort au pied de l’arbre
et son corps allongé dort dans le carré
là – pas loin du carrefour

 

*

 

(voix seule)

portrait de l’homme qui marche les yeux fermés – chef d’œuvre du XXIe siècle

l’homme marche il suit une ligne droite l’homme est droit bras raides le long du buste l’homme marche droit il suit une ligne droite de ce côté à l’ombre de la grande rue l’homme marche et les autres marchent il ne les croise pas l’homme marche les yeux fermés il suit une ligne droite et tout son corps suit cette ligne droite il marche seul l’homme a trouvé l’accord parfait entre la ligne droite et son corps droit rien ne le détourne il marche sur une ligne droite dans le silence de l’homme qui marche seul dans la rue dans la grande rue obscure l’homme marche les yeux fermés l’homme marche dans l’obscurité totale de la ligne dans le silence l’homme marche il oublie le début de la ligne maintenant des voix se mélangent des cris des bruits s’étirent quelque part jusqu’au silence de l’homme de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence de la ligne droite il suit le silence

 

*

 

(voix seule)
sur le passage des pierres – chef d’œuvre du XXIe siècle

et les sons de la ville tournent et la ville déchire la voix et la voix tourne dans la bouche de la ville et les sons tournent dans la bouche de la ville et seule une voix – une voix seule – une voix seule et seule une voix – une voix – une voix seule -et fleurs fuient en tous sens et arbres et ciel

oubliés – le plus petit espace le son continu du vent le son continu des pas – de l’avancée et seulement voix seule voix seule voix seule voix

sur le passage dit des pierres un avance – loin des lumières surélevées loin des corps tendus aux liens – un avance pour se perdre – ruelles éclaboussées de temps – un avance sur les pas le passage premiers pas dans la ville –

oubliés – pas dans l’impasse pas dans la rue passante pas dans le hall d’escalier – le ciel tient la terre – pluie pas glisse sur touches et caractères et visions – écran – un avance – tête à tête noire statue et croix prosternée – tête à tête sables croisés et vêtements suspendus – tête à tête fourbi décor vide des trottoirs paroles déchiquetés

voix – voix – seule voix – et voix seule – seule voix – seule voix – et voix seule – voix – voix – voix et – voix seule voix seule voix seule voix seule voix seule voix seule voix seule voix seule voix seule voix seule et

oubliés – l’heure est du premier pas du premier passage dans – le corps de l’heure étendu sur la terre quelque part sur un bas côté – un bout de terre – une eau de nuit – courtes barques à la dérive – loin plus loin pointe des arbres – pluie impasse rue passons – un avance – un avance – ici et

voix – voix – seule voix – et voix seule – seule voix – seule voix – et voix seule – voix – voix – voix et – voix seule voix seule voix et seule voix seule voix – seule –

sur le passage dit des pierres un avance – loin des lumières surélevées loin des corps tendus aux liens – un avance pour se perdre – ruelles éclaboussées de temps – un avance sur les pas le passage premier dans la ville – au bord des fenêtres voix criée voix criarde voix criante voix s’écoule voix voix éclate – voix –

et fleurs fuient en tous sens et arbres et ciel

quand vient la lumière dans un champ de noms – loin des pas dans la première ville – un avance – terre sans clôture et là des orties contraires aux calculs et là une vue éloignée d’arbres et là une avancée sans échelle et là une trajectoire d’hésitations – un avance – là la mauvaise herbe là les ombres dépaysées – un avance – bras font cercle main touche horizon – les objets sont invisibles – un avance –

et fleurs fuient en tous sens et arbres et ciel et loin après les yeux fermés

 

*

 

(deux voix)

portrait de la femme sans nom – chef d’œuvre du XXIe siècle

tel est son nom le vent balance son nom – votre nom votre nom vous pouvez épeler votre nom votre nom non ça c’est votre prénom votre nom vous pouvez répéter votre nom la première lettre c’est la première lettre de votre nom votre nom la première lettre de votre nom vous pouvez épeler épeler épeler votre nom la première lettre et après et après la première lettre votre nom la première lettre de votre nom épelez épelez votre nom votre nom la première lettre de votre nom – tel est son nom le vent jette son nom la peau de son nom- elle prend les débris de son nom du bord de la bouche – les déplie les redresse – chaque lettre – de la première lettre à la dernière lettre – elle pose chaque lettre au pied de l’arbre –

 

*

 

(le chœur)
portrait de l’homme à l’arbre noir – chef d’œuvre du XXIe siècle

il dit je vais nulle part je vais juste là quelque part pas loin je pars le matin ou alors dans le soir je connais bien le chemin – c’est un chemin blanc un chemin pour voir de loin un arbre – un arbre seul – je pars je marche dans cette rue là et le vide entre l’autre la suivante et je passe les rues je passe les murs je passe les jardins – je ne regarde pas je ne regarde rien je regarde devant – je connais tous les chemins tous les chemins blancs depuis le premier jusqu’à – les chemins vers – les chemins pour – les chemins à – les chemins de – les chemins avec – les chemins sans – les chemins lointains – les chemins futurs – les chemin connus – les chemins déserts . Je ne voyage pas – je ne voyage jamais – je voyage ici – entre là et là-bas – je vais loin je vais à l’extrémité – je pars chaque jour je pars – je prends rien – c’est le voyage je marche les murs sont muets les murs sont sourds les murs sont imparfaits – je marche – j’agrandis mes yeux je me bats avec le vent et la neige la pluie – je vois le ciel blanc je vois le ciel changé – des terrains abandonnés du noir de la cendre – des portes épaisses fermées sur l’argent – je ne cherche rien – je vais nulle part – je ne vois pas de montagnes pas de mers lointaines pas de déserts immenses – je vois le dos de la terre – je marche sur le dos horizontal de la terre – j’avale la lumière par les yeux et je marche plus loin jusqu’à l’arbre – et je vois l’arbre noir avec mes yeux noirs – tous les chemins les chemins vers l’arbre noir les chemins pour l’arbre noir les chemins à l’arbre noir les chemins de l’arbre noir les chemins avec l’arbre noir les chemins sans l’arbre noir les chemins lointains les chemins futurs les chemin connus les chemins déserts je les connais – un jour je reviens sur le chemin là – le chemin avec l’arbre noir celui qui est grave et silencieux – je cherche rien – je me souviens – de l’arbre.

 

*

 

(voix seule)

l’un de l’autre côté de la rue – un homme une femme – l ‘homme main tendue la femme debout cheveux tirés sur visage – l’homme regarde la femme – la femme regarde la main vide

 

*

 

(voix seule)
La nuit l’arbre à terre – chef d’œuvre du XXIe siècle

l’arbre à terre sans bruit aucun – face à l’homme corps immobile face à corps étendu de l’arbre – de feuilles de branches croisées naissance du tronc fendu – dans la faiblesse du vent – on revient au début – la ville est derrière – la ville n’a plus de nom – on traverse le carrefour vide – les rues se taisent – tâche rouge œil fermé – on revient au début – l’arbre à terre – et les arbres grands sans ombre – la ville est derrière – façades de pierre noire – arbre immobile face à corps immobile – pierre – arbre arbre arbre arbre arbre – arbre mort – on revient au début – voix de – la ville est derrière – arbre arbre arbre arbre arbre arbre arbre arbre arbre – arbre mort – arbre arbre arbre – lumière – arbre mort - plus loin – arbre haut plus loin – un homme dort – et autour des pierres – des pierres froides – larges – des pierres où dorment des hommes – ça commence là – à l’extrémité du jour – une rue des arbres gris décharnés – du ciel de la terre un chantier – et autour pas loin le chaos des feuilles branches tronc – sans mouvement – et plus loin des murs de couleurs douces – ça commence là – sans regarder – le corps de l’arbre mort – et autour la terre d’un brun clair – et plus loin – une fissure de mur une ombre d’arbre mort- ça commence là – et autour personne – aucune plainte aucune plaie – et plus haut le ciel du chantier –

 

*

 

(le chœur)

portrait de l’un seul – chef d’œuvre du XXIe siècle

cinq et l’un seul
un coup
un seul pour cinq
cinq et l’un seul
un coup
un coup un seul sur la nuque
cinq et l’un seul
un seul pour cinq
un coup
un coup un seul sur le torse
un coup un seul sur le cœur
un coup
un coup
un seul
heure brûle
à chaque coup à chaque coup à chaque coup à chaque coup à chaque coup
seul l’un seul
cinq et l’un seul
un coup un coup un seul
un coup sur arcade
orage tonne
foudre tombe
œil brûle
un coup un coup un seul
bouche hurle
corps hurle
l’un seul
cinq et l’un seul
un coup un seul
un coup sur bras
un seul pour cinq
un coup encore un coup encore un coup encore un coup encore un coup
sombre feu
un coup sur cœur
un coup un seul
l’un seul pour cinq
coup sourd
corps muet

(voix seule)

retour au nom effacé – chef d’œuvre du XXIe siècle

tu te lèves tu entends tu te lèves tu dégages – tu dégages eh toi tu te lèves tu te lèves et tu dégages eh toi tu me regardes quand je eh comment il s’appelle ton chien tu m’entends tu dégages tu dégages avec ton chien il s’appelle comment ton chien il est beau hein il bouge pas ce con là non plus c’est ma place là c’est ma place maintenant putain tu parles quelle langue tu parles la langue de ton chien hein ça fait combien de temps – elle fait quelques pas elle va plus loin elle cherche une place une place pour rester une place pas trop loin du nom effacé

 

*

 

(le chœur)

portrait du bleu sauvage – chef d’œuvre du XXIe siècle

A dit que le soleil A dit que le soleil est plus grand A dit que le soleil est plus grand que – et plein de feu et plein de flammes et plein de bouches pour souffler sur les flammes – A dit que la bouche est le soleil – A sort dans la ville sans couleur – A marche sous les arrangements de gris collés au mur – A un trait rouge – A dit que le rouge est la couleur du jour – deux groupes d’arbres noirs montent la garde – A dit en un sens je suis dans la certitude du jour – je marche dans le flou du jour – et dans l’oreille je porte deux images sonores de la nuit – je m’avance au bord de la fenêtre fermée – intérieur noir – j’attends et je reste là dans l’attente de la couleur – je reste là dans l’attente d’une faille de nuit – je vois la mesure de la nuit rien ne bat rien ne s’élève ni aile ni nuage ni branche ni tige – et je reste là – j’attends – j’attends la grande nuit j’attends l’ouverture du tableau de nuit – A dit que la nuit pose les ombres là- en bas sur le carré sombre de terre – je regarde plus loin plus loin vers la ville – une lumière blanche couvre un grand bloc de pierre – A dit à l’intérieur de la pierre blanche deux grands yeux vides – A dit j’attends le bleu – et le bleu sauvage entre et le bleu recouvre sa voix –

 

*

 

(deux voix)

portrait de Blind man – chef d’œuvre du XXIe siècle

l’un marche le jour – l’autre marche de nuit – l’un se tait – l’autre danse –

(le chœur)

du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine

là – devant la façade / cette façade – presqu’à la sortie de la ville – blind man sur le nom de nuit – je compte vingt-huit fenêtres – j’ai sept ans et sur l’œil gauche un pansement blanc comme blind man – sur le nom de nuit –

c’est là – la route vers la fin de la ville – il faut quitter la ville – il faut quitter la place du roi – il faut quitter l’avenue du président américain – il faut quitter la rue du poète – il faut quitter les ruelles sombres –

en danger – je suis en danger de m’arrêter – là – là où je suis – à la fin presque de la /de cette ville – la ville n’a pas de nom – la ville ne s’appelle pas for + ever –

là – devant la façade / cette façade là – une fausse note à ciel ouvert

par là la route – la route au nom de nuit comme on dit nom de code nom d’un chien ou alors non je n’ai besoin de rien – ça s’appelle la route – là – route rouge route rouge route rouge route rouge route rouge route rouge route rouge

je suis en danger de m’arrêter- la route est là – à la sortie ou presque de la ville / de cette ville – peu importe le nom peu importe le nom de la ville le nom de ses charnières le nom de ses places – je veux marcher je veux danser maintenant –

la ville s’appelle avant la ville s’appelle taire la ville s’appelle corps contre la ville s’appelle mur mains sur les murs la ville s’appelle perce du vide crève du vide la ville s’appelle rupture rupture de l’invisible rupture des

et là – loin de la façade à vingt huit fenêtres – il y a une brèche dans le mur d’en face – et dans la brèche une lumière-

en danger – je suis en danger de m’arrêter de danser – la danse est ma marche – je danse – et le soulèvement léger du pas et la légère torsion du buste et la nuque – la nuque là – renversée-

(le chœur)

du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine crache du jour machine marche du jour machine

(voix seule)

où vas- tu

c’est la nuit
la nuit mord les racines
la nuit mord les ailes des oiseaux
la nuit mord le bord des fenêtres
la nuit mord ta bouche
où vas tu

c’est la nuit
la nuit mord tes paupières
tu entends

le vent éclat abîme le dernier arbre
tu entends

le vent éclat abime la dernière fleur rouge
tu entends le vent éclat abime la dernière lumière
où vas- tu
des poussières du jour dans ta main
des poussières du jour sous tes yeux fermés
tu entends

la séparation du vent et de la terre
pas loin pas très loin de là
où vas- tu
tu entends l’amorce du silence
tu entends la brisure

où vas-tu
la nuit mord la musique de la nuit

la nuit mord toutes les musiques
tu entends
très loin un vent furieux frappe un visage
très loin un vent furieux frappe un cœur
très loin un vent furieux frappe des cheveux noirs
tu entends
la parole

toutes les paroles se tissent de clous
tu entends
le froid livre la main nue
tu entends
la question file
tu entends
la paroi fermée de ton rêve
tu entends
c’est le soir

c’est la nuit

c’est l’hiver

où vas-tu maintenant dans la nuit

 

*

 

(voix seule)

J’entends

deux corps marchent sous la pluie

avant la dérive

avant les eaux noires des quais

deux corps marchent dans la ville

j’entends

le vent plante son couteau

dans le dos la nuque

le vent rafle les voix

 

*

 

(voix seule)

heurte corps heurte heurte corps heurte heurte corps – et sang lutte heurt heurte corps – une voix sans but scribe l’espace du vent – herbe herbe herbe nuage herbe- et la voix dessine le chiffre du vertige – et les voix tournent dans la poussière – et tournent dans l’autour dans l’ombre de l’autour – dans le furtif cirque –

 

*

 

(voix seule)

une femme hurle le prénom de son enfant

 

*

 

(le chœur)

le corps posé là
le temps long du cri
au nom de
la fuite
la fuite
dans le bleu bruit de rien

 

*

 

(voix seule)

ma maison a le visage d’une chute – chef d’œuvre du XXIe siècle

mur nuit homme sur mur jour femme sur mur aube femme sur mur jour femme sur mur nuit pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur pluie sur mur homme hagard femme tangue homme hagard femme tangue femme tangue femme tangue homme chute femme effleure mur homme sang arbre face mur nuit sur mur nuit mur sang nuit homme sang arbre face mur 

 

*

 

(voix seule)

le bleu dépasse la couleur du jour – parole main geste brutal – corps levé – parole main geste brutal – corps levé – sur le nouveau jour les yeux pleurent –

 

*

 

(le chœur)

est-ce la nuit à tes côtés ?



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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 mai 2014.
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