Corinne Lovera Vitali | Top 10 First Home Problems

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L’AUTEUR

Corinne Lovera Vitali s’appelle clv. Mais aussi 155, Centre de langue vivante, C’est la vie. Et d’autres noms sous lesquels elle publie sur son site corinne-lovera-vitali.net.

Elle a publié entre autres chez Gallimard et au Rouergue, des romans pour les adultes et des poèmes aux bébés, des albums illustrés et de courts romans pour adolescents, des textes en revues comme L’Atelier contemporain ou Les cahiers de Benjy, des petites pièces graphiques et des cd faits maison avec NON, et beaucoup de textes parus en catalogues pour ses amis plasticiens. Sa lecture improvisée préférée est celle de Pute (tu es écrivain on peut t’insulter la vie entière…) pendant son bivouac sur Radio Grenouille. À force d’être questionnée sur sa place entre prose et poésie, romans et improvisations publiques, grand éditeur et petit, écriture et art, elle compte dire désormais qu’elle est écriviste, en espérant que ça se comprenne. Elle n’a pas de compte facebook ni twitter parce qu’il lui manque l’usage adéquat d’un bras mais elle propage quand même.

LE TEXTE

À nouveau l’écriture perecquienne au plus près de l’infra-ordinaire de Corinne Lovera Vitali (lire ou relire mini moi), ici sur le couple, le quotidien, la maison et habiter, c’est tonique et iconoclaste. On est d’autant fier de l’accueillir qu’on trouvera en parallèle sur son site la création sonore qui accompagne cette mise en ligne, c’est chez clv, en simultané. FB.

 

Corinne Lovera Vitali | Top 10 First Home Problems


 

– 1 –

Moi.

 

– 2 –

L’homme.

 

– 3 –

Nous avons dû ajouter un lit au pied de notre lit. Juste pour que l’homme y repose dans la nuit ses 20 centimètres de chevilles et talons car c’est fini le temps où l’homme dormait en diagonale sur un futon pourri dans une cellule louée 400 euro par mois à une Allemande qui avait la phobie de la moisissure aussi l’homme ne pouvait-il pas prendre de douche parce qu’il lui aurait fallu mettre en route la ventilation 30 minutes avant de prendre une douche et l’homme ne pense pas qu’il a envie de prendre une douche 30 minutes avant de prendre une douche. À l’époque il travaillait dans un restaurant tenu par une Française qui avait aussi une douche mais comme elle était avare il n’y avait pas d’eau chaude. Quand j’ai connu l’homme il était très propre pourtant. J’ai lavé des tasses à l’eau froide en l’attendant parfois. L’homme sentait le vent. Maintenant l’homme prend des douches et des bains quand il le veut et ses pieds reposent en paix sur un matelas de luxe qui a appartenu à des morts qui s’en trouveraient fort satisfaits car ils seraient outrés tout comme moi qu’une Française et une Allemande réunies aient ainsi pu exploiter la bonté d’âme de l’homme. Et aussi il faut bien le dire son indifférence au monde matériel que mon pseudo Francesca dans Madison Truc appelle le “monde de détails” ce qui est une raison suffisante pour ne pas rapporter le dvd chez Gibert ai-je décidé hier soir en me congratulant d’avoir tenu un an et l’homme sent toujours le vent.

 

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De même avons-nous dû ajouter une couverture supplémentaire à ce lit supplémentaire. Cependant elle ne tient pas car comme il a été dit l’homme a de longs pieds et par quel mystère cette couverture ne sait que rouler jusqu’aux miens pourtant placés bien plus haut et qui ne supportent aucun type de couverture la nuit qu’il fasse froid ou chaud je suis une phobique des pieds trop chauds bien que je passe la plupart de l’hiver à essayer de les réchauffer. Je suis à ma façon aussi pénible que l’Allemande et la Française réunies. Chaque nation a son lot de caractéristiques pénibles. On en parlait l’autre jour avec l’homme sur le balcon d’une maison pleine de musiciens ou plutôt de musicos on disait du mal de nos pays d’origine les façons de paraître peuvent être différentes entre le Nord et le Sud mais franchement elles sont tout aussi désolantes on parlait anglais comme on le fait entre nous mais un gars qui avait un chapeau et ne mangeait que du cru nous ayant entendus nous a dit en français “Je crois qu’il ne faut pas faire de généralités.” J’adore les généralités. Pourquoi devrions-nous nous en passer ? Pourquoi ? Elles sont la seule chose réellement rassurante dans la vie qui n’est faite que de détails. Elles fonctionnent dans toutes les langues que je connais. Elles permettent de se parler entre malades de la parole. Elles permettent même de passer une des rares bonnes soirées parlées qu’on connaîtra jamais avec son amoureux d’un an. Elles permettent simplement qu’il y ait des soirées parlées. Aussi que ce mangeur de cru ne vienne pas appuyer là où ça fait déjà assez mal et qu’il nous laisse rire l’homme nordien et moi de ce qu’au même moment sur des marchés mer du Nord mer du Sud des gens se ressemblant aussi peu que l’homme et moi pratiquent le même humour poli et disent eux-mêmes de telles généralités qu’il ne peut certainement rien leur arriver entre la place du marché et le retour à la maison ce qui serait presque l’idéal que nous pourrions nous proposer de vivre l’homme et moi car nos paroles malheureusement ne sont pas faites pour s’accorder immédiatement comme le font nos corps et au bout de nos corps nos mains et nos pieds qui dans leur autonomie non seulement gagnent prix de beauté mais me semblent dotés d’une capacité d’adaptation dont je suis personnellement incapable. Semblent tout savoir. Semblent sages de ce que nous n’avons pas obtenu en un an l’homme et moi et il faudrait peut-être nous en tenir là des mains aux pieds ça me semble hélas aussi raisonnable qu’improbable.

 

– 5 –

Le sport vous flingue les pieds à vie. Ma phobie des pieds chauds vient du sport qu’on me faisait pratiquer enfant et j’ai préféré défendre mes pieds plutôt qu’entrer en compétition. Petite fille je jetais mes chaussures n’importe où je réclamais des pointures supplémentaires je disais que mes pieds étaient en prison je voulais aller pieds nus j’enlevais mes chaussettes aussi. Ayant choisi enfant le parti des pieds libérés et des espaces supplémentaires je suis spécialement heureuse de partager deux lits avec l’homme et ceci est la raison pour laquelle je ne cesse depuis un an de chercher une solution à ce problème top 4 dit de la couverture qui vient à la fois découvrir les pieds de géant de l’homme et ensevelir mes pieds de fanciulla.

 

– 6 –

Je suis extrêmement précise de la relation.

 

– 7 –

L’homme est extrêmement [contraire de précis de la relation].

 

– 8 –

Hier en plaisantant j’ai demandé à l’homme s’il me donnait son autorisation d’écrire tout ça. Je plaisantais parce que bien sûr il n’y a pas plus de lui que de vous et moi ici tout est inventé comme dans un conte de fée tout est racine comme dans la vie mais rien n’est vie voilà ce qu’est écriture et voilà ce qu’est lecture et voilà pourquoi nous en sommes tous malades nous qui écrivons et lisons avec avidité irraisonnée. Toni Morrison a écrit ça quelque part juste derrière Flaubert et un peu plus brut je ne sais plus où mais à tous les coups dans un de ses premiers livres tout de guingois du temps qu’elle écrivait à fond. Ainsi je plaisantais avec mon histoire d’autorisation mais l’homme m’a répondu sérieusement “Oui parce que tu ne dis rien de mal.” Ça m’a tellement surprise j’ai immédiatement décidé de dire du mal or ça m’est très difficile car de l’homme on ne peut rien dire de mal et nous ne sommes malheureusement pas dans une histoire de bien et de mal malgré ce que l’homme pense de ce que peut être une histoire. Faudrait-il qu’il y ait dire le bien et dire le mal ? Ce serait tricher d’en faire un problème classé.

 

– 9 –

S’il m’était possible de dire du mal ici et n’importe où comme avec mes chaussettes c’est une évidence parvenue au 9e échelon je ne serais sans doute pas aussi obsédée par mes pieds emprisonnés et par le confort des pieds de l’homme ni aussi précise de la relation parce que le mal qui sortirait de ma bouche me délivrerait du carcan d’être bonne et écoutante et pardonnante et compréhensive et au finale totalement inoffensive. Car je pensais être une femme offensive. J’ai même cru être une femme agressive. Je ne suis qu’une femme réactive ne souhaitant plus l’être et au vrai finale je ne fais que m’interdire d’avoir des nouvelles du mal. S’il m’était possible de dire du mal et s’il était possible à l’homme de dire du mal alors là. Nous avancerions main dans la main vers le nirvana des amants unis dans leur culpabilité enfouie sous le tapis.

 

– 10 –

Le nirvana n’est pas mon objectif. Ce qui n’est pas en soi un problème numérotable mais bien plutôt la racine de tous mes problèmes domestiques puisque ne calculant pas le nirvana je dois passer par tous les états de qui n’a pas un idéal à la hauteur de ce que j’imagine est un idéal. Je sais que mon idéal est mal placé il s’agrippe au mauvais barreau de la mauvaise échelle ce n’est pas la lune qu’il veut décrocher ce n’est pas la paix ce n’est pas l’harmonie comment aurais-je pu construire un idéal à partir de ce que j’ignore totalement je n’ai construit un idéal qu’à ma mesure càd aussi foutraque aussi patraque aussi détraque que [contraire de idéal]. Avec l’homme nous parlons quelquefois des temps reculés où nos parents avaient à faire avec ce qu’était alors le monde. Certes nous simplifions beaucoup les choses c’est normal s’agissant de ses propres parents nous regardons leur vie avec nos yeux de même pas nés ils étaient à la guerre elles étaient enceintes ils étaient malheureux ils étaient heureux ils avaient un idéal à la hauteur et même s’ils ont tout foiré eux aussi ils n’avaient pas à passer pas ces états. Ceux qui m’interdisent je le crois l’aveuglement nécessaire je le crois à une vie domestique harmonieuse à laquelle je ne crois pas.

 

– 11 –

N’étant point aveuglée et au contraire née à moi-même depuis un bail je me dois de préciser dans le souci d’exhaustivité qui me porte à dresser depuis des lustres les listes que sont toutes les écritures que j’entends le nirvana comme une simple espèce de synonyme de mort. Ceci étant certainement le double top one ever.

 



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1ère mise en ligne 20 avril 2014 et dernière modification le 20 juin 2014.
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