Ce soleil de cylindres...
les "poèmes mécaniques" de Paul Claudel

 

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un extrait - écrits vers 1937, Paul Claudel a publié ses trois "poèmes mécaniques" dans "Contacts et circonstances"

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Ce qui le transporte là-haut, ce ne sont pas ses ailes: simplement, elles l'empêchent de tomber et tout l'art du constructeur est de trouver un profil qui les oblige à nuire aussi peu que possible à l'avancement. C'est l'âme! c'et cette idée à toute vitesse, c'est cette aspiration qui soulève une lourde carcasse jusqu'à lui faire oublier le poids, c'est le désir! Ce n'est pas la flèche qu'on décoche, c'est l'arrachement de l'homme à la matière, c'est la volonté qui a abouti, c'est l'intelligence en un long assemblement de moyens qui tout à coup a réussi l'éclair! Contact! Allume! C'est le coeur avec violence qui triomphe de la destinée, c'est l'homme dans une espèce de déchaînement intérieur qui a réussi à s'emporter lui-même, irrésistible! Il a enfourché l'étoile, cette étoile multiple dessinée à chaque page du présent périodique!

 

J'ai longuement contemplé sur son bâti cet engin de vive force qui, du fait de sa multiple explosion, se crée à lui tout seul une assiette et un mouvement rectiligne à travers le caprice et le tourbillon de l'élément. Quel chef-doeuvre que ce soleil de cylindres, sept, quatorze, dix-huit, où chaque piston poussé par une déflagration intime vient au juste point et au juste moment ajouter son propre éperon à cet axe central qui recueille l'énergie de l'attelage collectif! Tout cela travaille ensemble dans une harmonie qui va au delà de la perception humaine. C'est à la fois de la musique et de la bijouterie, de la musique au millième d'intervalle et de l'horlogerie au dix-millième de millimètre. Et je songe aux opérations sans nombe, aux essais chimiques dans le champ infini du métal, aux dépenses inouïes de labeur, d'ingéniosité, de patience, de parti pris inlassable en même temps que de fantaisie insolente, qu'il a fallu pour créer tel alliage, tel produit insoucieux de l'usure et de la rouille. Le microscope est venu à bout de l'invisible et a prêté à l'ouvrier une justesse et une dextérité surhumaines. Il lui a mis au bout des doigts l'habileté du gnome. Il a fallu combiner toutes sortes de machines appropriées, d'une complication et d'une délicatesse elles-mêmes presque féériques, pour aboutir à ce pentacle rayonnant de mesures exactes et de forces entre-croisées. Il a fallu le génie associé de tout un peuple de savants et de praticiens pour lancer dans le vide cet ange vertigineux en qui se résume toute l'audace et toute la connaissance du fils de l'homme.